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Fukushima-Tchernobyl : la transparence jamais n’abolira la radio-activité

jeudi 19 mai 2011, par Courant Alternatif

Le 12 mars, l’accident de Fukushima avait été classé au niveau 4 de l’échelle de risques, puis le 18 mars au niveau 5, puis le 12 avril au niveau 7, soit celui de l’accident majeur comme Tchernobyl. Bien sûr, les autorités s’empressaient de rassurer en indiquant que les rejets étaient que de 7 à 12% de ceux de Tchernobyl. Admirons la science de nos experts qui peuvent déjà nous assurer ça alors que Fukushima n’est toujours pas sorti de l’accident, continue de cracher de la radio-activité, et qu’on ne peut toujours pas accéder aux coeurs des réacteurs pour en connaître la situation exacte…


Un classement inutile

En principe, les classements sont un outil pour « les décideurs », doivent servir à instaurer des mesures de protection de la population. Jusqu’au niveau 3 compris, on considère qu’il ne s’agit que d’un incident, à partir du niveau 4 c’est considéré comme un accident. Le niveau 4, c’est le niveau à partir duquel il y a un risque d’exposition de la population. Au niveau 4, aucune mesure particulière n’est à prendre pour la population à part la surveillance des aliments. Classer Fukushima niveau 4, il fallait oser ! Au niveau 5, le réacteur est endommagé et il y a un rejet « limité » de radio-activité, suffisant pour prendre des mesures. En résumé, les autorités japonaises ont donc attendu une semaine avant de se préoccuper de quoi que ce soit pour la population… Or, certaines mesures, comme la distribution d’iode par exemple, ne servent à quelque chose que si elles sont prises avant l’arrivée du nuage radioactif…Le niveau 7, c’es le niveau maximum, l’accident majeur, celui où il faut évacuer la population.
On l’a compris, classer l’accident au niveau 7 un mois après sa survenue, c’est avoir abandonné totalement la population à son sort. Comme l’écrivait la CRII-Rad dans son communiqué du 12 avril : « Le classement s’effectue le 12 avril sur la base des rejets qui se sont produits pour l’essentiel 4 semaines plus tôt ! Qu’importe d’ailleurs le classement ! La question de fond n’est pas de savoir où se situent les rejets de FUKUSHIMA DAIICHI par rapport à ceux de Tchernobyl. Les experts auront tout le temps de le déterminer. L’urgence, c’est d’évaluer les niveaux de risque et de dimensionner en conséquence les mesures de protection. OU, PLUS EXACTEMENT, C’ETAIT L’URGENCE D’IL Y A 4 OU 5 SEMAINES ! Il aurait fallu anticiper, évaluer les doses que les habitants étaient susceptibles de recevoir et décider en conséquence des contre-mesures à prendre pour limiter, autant qu’il est possible dans de telles conditions, l’irradiation et la contamination des habitants des zones les plus affectées. »
Annoncer un accident, ça fait toujours mauvais genre auprès des actionnaires (ou des électeurs, s’il s’agit d’un nucléaire « public »)… Plusieurs moyens ont été pris pour retarder les différents classements. Le plus simple, toujours utilisé, ne pas communiquer les mesures de radio-activité. C’est un grand classique, qui pour le moment n’a souffert d’exception sur aucun des accidents répertoriés. Le second est de classer séparément chaque unité d’une centrale nucléaire. Au Japon comme en France et en beaucoup d’autres pays, chaque centrale nucléaire dispose de plusieurs réacteurs. Or, pour la population, évidemment, tous les rejets se confondent et se cumulent.
Lorsqu’on nous annonce que les rejets sont beaucoup plus faibles qu’à Tchernobyl, il s’agit bien sûr des rejets au 12 avril. Déjà, nul ne sait quelle sera la dose cumulée, l’accident n’étant pas du même type. Ensuite, il faut savoir qu’il ne s’agit pas de mesures, mais de résultats de calculs expérimentaux à partir des mesures connues. Les organismes officiels évaluent les rejets à entre 7 et 13 fois (suivant les organismes mais à partir des mêmes données), le seuil de classement au niveau 7. Enfin, les rejets dans l’Océan Pacifique ne sont pas pris en compte puisqu’ils ne sont pas connus.

Une transparence
trompeuse

Le 30 avril devait avoir lieu à Paris « une grande marche citoyenne pour la transparence sur le nucléaire », organisée par « Sortir du nucléaire Paris ». Que ce soit la seule revendication retenue à l’heure de la catastrophe de Fukushima par de soit-disant antinucléaires n’est pas seulement pitoyable, c’est aussi assez symptomatique. Demander la transparence, c’est consensuel et ça rassure. D’ailleurs, celle-ci nous est promise à chaque accident industriel, tout particulièrement dans les domaines de l’agroalimentaire et de la santé. Comme si savoir que nous sommes en danger pouvait nous en protéger…

Quelle transparence réclame-t-on ? Par exemple, je peux savoir par la CRII-rad, à défaut des autorités officielles, que dans la Drome, « Les activités en iode 131(seul radionucléide détecté) sont comprises entre 0,24 Bq/l et 4,9 Bq/l. » (dans les eaux de pluie). Je ne sais pas si ça vous avance beaucoup, mais moi pas tellement. Evidemment, si je lis ensuite que « Ces très faibles activités n’induisent aucun risque pour les personnes qui se sont trouvés sous la pluie sans protection. En revanche, l’utilisation de l’eau de pluie comme source principale d’alimentation est déconseillée, en particulier si les consommateurs sont de jeunes enfants. », toujours sur le même site de la CRII-rad, ça va nettement mieux. Sauf que signifie que la transparence n’a de sens que si je fais confiance à des experts pour me la traduire. Par exemple, si je lis la même chose sur le site de l’IRSN, je ne serai pas rassurée pour autant et je chercherai frénétiquement ailleurs une confirmation ou une infirmation. La transparence est une double illusion. Illusion de savoir alors que, sauf quelques spécialistes qui d’ailleurs quand ils sont honnêtes précisent que leur avis n’est pas définitif, nous sommes incapables de décrypter l’information qui nous serait donnée. Illusion de maîtriser notre environnement alors que cette transparence nous permet tout au plus de modifier nos habitudes alimentaires et de savoir qu’il est dangereux de respirer.
Cette transparence est trompeuse à un autre titre. Il s’agit ici de la spécificité du danger nucléaire. Roger et Bella Belbeoch parlent à ce sujet de « démocratisation du risque ». Pour les « faibles doses », les dangers sont de type probabiliste : la probabilité de mourir d’un cancer, de voir ses enfants mourir d’un cancer ou d’avoir des enfants malformés s’élève. La même dose collective reçue par un nombre d’habitants différents aura les mêmes effets, mais plus la population concernée est importante moins ceux-ci seront visibles : 1000 décès supplémentaires par cancer ne représenteront pas le même pourcentage sur une population de plusieurs dizaines de milliers ou sur une population de plusieurs millions. Il s’agira quand même de la mort qui aurait pu être évitable de 1000 êtres humains. Je peux être rassurée par la faible élévation de la quantité d’iode radioactif. Cette faible élévation aura pourtant des conséquences dont j’ai de grandes chances qu’elles ne tombent pas sur moi, mais on peut toujours manquer de bol dans la vie… Le danger nucléaire est un danger tellement invisible et anonyme qu’on peut en mourir sans le savoir ou sans en être sûr.

Une transparence
impossible

Pourtant, cette transparence toujours réclamée n’est pas accordée par le pouvoir. Une pétition circule au niveau international, relayée en France par la CRII-rad. Nous pouvons en citer un extrait, qui résume bien la situation. « Plus de 60 laboratoires d’analyse équipés de détecteurs de très haute précision sont répartis sur l’ensemble de notre planète et contrôlent quotidiennement la radioactivité de l’air. Leur mission : rechercher les très faibles quantités de produits radioactifs qui pourraient indiquer qu’un essai nucléaire a été effectué en violation du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (TICEN). Les résultats de ces analyses permettraient de suivre, jour après jour, et depuis le 12 mars 2011, l’avancée des masses d’air contaminé par les rejets radioactifs de la centrale nucléaire de FUKUSHIMA DAIICHII. C’est impossible car les données sont confisquées par les États. Les résultats sont transmis à des organismes officiels qu’ils sélectionnent et qui sont tenus de ne rien divulguer. » En France, c’est uniquement le CEA qui a accès à ces informations. En résumé, rien ou presque n’a changé depuis Tchernobyl. Les informations tant sur l’industrie nucléaire que sur les niveaux de contamination demeurent secret défense. Les Etats-Unis, par exemple, forcément plus touchés que nous, se sont signalés par leur rétention d’information.
Pourquoi ce secret reste-t-il si bien gardé ? Bien sûr, parce que ceux qui peuvent décrypter l’information en déduiraient la dangerosité de la situation. Par exemple, si cette situation a pu être dénoncée, c’est parce que deux états, l’Allemagne et l’Autriche, soumis à une plus forte pression antinucléaire, ont divulgué les données. Certes la transparence est globalement illusoire, mais retraduite en langage compréhensible, elle peut devenir un outil de lutte. Par exemple, certains comités antinucléaires (Stop Nogent par exemple) ont effectué un « point zéro » au démarrage de la centrale (mesures de contamination avant son démarrage) de façon à être en mesure de prouver sa responsabilité en cas de contamination. Le pouvoir ne peut accorder la transparence, ce serait donner le bâton pour se faire battre. Ce que nous revendiquons, c’est l’arrêt du nucléaire. Dans ce combat, l’absence de transparence est un argument, son exigence une preuve de plus de l’escroquerie nucléaire. Ce n’est pas un but en soi.
D’autant qu’il en est de la transparence dans le nucléaire comme de la transparence ailleurs. C’est quoi la transparence ? On peut peut-être nous accorder du bout des lèvres quelques mesures de radio-activité surtout si elles peuvent nous rassurer, nous installer un réseau de balises de surveillance. De là à nous raconter qui est envoyé dans les centrales de Fukushima, dans quelles conditions, avec quelles précautions, avec quel degré de contrainte, leur (in)formation sur les risques… On peut nous montrer des images de familles évacuées campant dans des écoles. De là à nous (et à leur) expliquer leur degré de contamination, leur risque, de là à garantir que leur nourriture est saine, qu’on leur fournira de la nourriture saine pendant plusieurs décennies… On peut nous parler du haut niveau de sécurité des installations nucléaires françaises, nous montrer des images de salles de contrôle. De là à nous raconter la vie des trimardeurs du nucléaire, à nous parler de leurs accidents du travail, des soudures bâclées pour gagner du temps, à populariser le doux qualificatif de « viande à rem »…
Enfin, la transparence ne peut concerner que ce que les autorités savent. La réalité, c’est que personne ne sait exactement combien Fukushima a craché, personne ne peut dire avec certitude combien d’eau radio-active a été rejetée à l’océan. La réalité, c’est que les experts tentent de deviner ce qui se passe dans les coeurs des réacteurs par la température, les réactions chimiques et les particules retrouvées (il semblerait notamment qu’on a retrouvé du strontium et du plutonium). La réalité, c’est qu’il fait trop chaud pour s’approcher, que tout est trop chaotique pour que même un robot puisse faire son travail, que les réacteurs sont noyés sous des tonnes d’eau de mer, que rien ne fonctionne. La réalité c’est que nul ne sait comment refroidir efficacement au point que les polémiques entre experts deviennent quasi-publiques (faut-il bombarder d’eau de mer ou surtout pas par exemple). La réalité c’est que les apprentis sorciers ne maîtrisent pas ce qu’ils ont déclenché, et ne savent en fait même pas ce qu’ils ont déclenché avec certitude. Dans de telles conditions, la transparence annoncée donne une illusion de maîtrise de l’information qui ne fait que masquer l’énormité de ce qui n’est ni connu ni maîtrisé. Rappelons qu’il a fallu 6-7 ans avant qu’on ne puisse aller regarder ce qui s’était passé dans le coeur du réacteur de Three Mile Island.

Masataka Shimizu 1
plus fort que Gorbatchev

Finalement, une des choses qui me frappe avec Fukushima, c’est qu’on est encore moins bien informés qu’on ne l’a été sur le moment pour Tchernobyl. Dans les semaines qui ont suivi, on savait quelle avait été la nature de l’accident, pourquoi, comment, à défaut de connaître l’ampleur des conséquences pour la population. On savait quel réacteur était touché. On savait ce qu’ont fait les liquidateurs, les risques qu’ils ont pris, comment ils ont travaillé. Tchernobyl, c’était le début de la Glasnost, mot qui signifie … « transparence » en russe. Là, on s’y perd sur ce qui se passe entre les différents réacteurs, et surtout on ne sait pas ce qui s’y passe. Explosion nucléaire, explosion d’hydrogène ? Etat des enceintes ? Conditions d’intervention des pompiers et des techniciens (qui semblent la traduction en japonais du terme « liquidateurs » en soviétique) ? Contrôles sanitaires de la population ? En ce qui concerne les réacteurs, la TEPCO nous a balladés de mensonges en mensonges sans protestation, au point qu’aucun journaliste n’est en mesure de faire un point clair sur la situation. En ce qui concerne la population, il semblerait que la nature du régime politique japonais suffise comme information sur sa radioprotection. Régime qui est en train de réfléchir à de nouvelles mesures pour limiter l’information indépendante sur le nucléaire. Bien sûr, dans cette non- et désinformation, il est difficile de faire la part entre deux aspects : la défense de l’industrie nucléaire et le refus de reconnaître l’incertitude dans laquelle se trouvent les « experts ». La source d’information reste aux mains de la TEPCO, c’est donc bien le pyromane qui est la source essentielle de l’information sur les causes, l’étendue et les conséquences de l’incendie.
En France, on fait comme si les choses avaient progressé de ce point de vue. Effectivement, le nuage cette fois-ci ne s’est pas arrêté à nos frontières, et l’IRSN a même diffusé ses mesures. Une raison essentielle à ce changement : la contamination en France est beaucoup plus faible qu’il y a 25 ans en raison de notre éloignement. Pas de quoi arrêter un nuage aux frontières donc. Autre raison, l’existence de deux laboratoires indépendants, la CRII-Rad et l’ACRO, qui sont en mesure de prendre l’IRSN la main dans le sac.
Mais surtout, le mode de gestion de l’information a changé. Ce n’est plus « circulez, il n’y a rien à voir », c’est au contraire une multiplication de bruits, nous surveillons attentivement le ciel, nous nous renseignons sur ce qui se passe, nous vous promettons une transparence t-o-t-a-l-e, nous allons réaliser un audit, nous renforçons les mesures de sécurité… Et du point de vue de la désinformation, c’est beaucoup plus efficace. L’essentiel pour les autorités est de donner l’illusion qu’elles maîtrisent. Fukushima aurait dû être un coup de tonnerre, un accident majeur dans un pays développé capitaliste technologiquement avancé, dans des réacteurs de technologie proche de la technologie utilisée en France. C’est devenu une catastrophe naturelle, la conséquence d’un séisme, comme si c’était les éléments naturels qui avaient posé des réacteurs nucléaires sur une faille sismique, comme si les accidents nucléaires étaient liés à des événements naturels (quel tremblement de terre à Three Mile Islands, Windscale, Kytchim, Tchernobyl  ?). Gorbatchev n’a pas su maîtriser la Glasnost, le capitalisme, lui, fait là encore la preuve de sa supériorité sur le « socialisme réel » : il sait parfaitement manipuler une illusion de transparence pour mieux assoir sa désinformation.


Sylvie, le 27 avril

(1) Le PDG
de TEPCO

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