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Israël

Le mouvement du 14-Juillet peut-il provoquer un retournement de situation pour la cause progressiste en Israël ?

samedi 20 août 2011, par admi2

Le texte qui suit a été rédigé avant les actions armées menées ce 18 août dans le sud du pays qui vont sans aucun doute changer la donne. On verra si le mouvement du 14-Juillet « pour la justice sociale » et, dans une large mesure, en faveur d’un retour à l’Etat-providence des années 1950-60-70, saura ou pas résister aux tambours de la guerre, aux appels à l’union sacrée et aux « besoins de sécurité » sempiternellement invoqués par l’Etat israélien pour légitimer, maintenir et approfondir sa politique de colonisation.


Déjà une partie de la “direction” du mouvement du 14-Juillet (le syndicat étudiant en particulier) a rapidement fait savoir dans la journée qu’elle annulait les manifestations du week-end prochain. Si cela était confirmé, ce serait évidemment une première défaite majeure de ce mouvement à caractère social qui a fait naître bien des espoirs et qui avait jusque là réussi élargir sa base sociale et à mettre l’establishment israélien sur la défensive.

Et symétriquement, ce serait une victoire de plus pour ceux qui, au gouvernement notamment, proposent la solution sioniste de toujours à la crise sociale : toujours plus de colonisation, de colonies et de colons dans les Territoires Occupés (Cisjordanie et Jérusalem-Est), les seuls endroits où subsistent aujourd’hui véritablement les formes les plus abouties de l’Etat-providence : construction de logements sociaux, d’équipements collectifs, avantages fiscaux, subventions de toutes sortes…

La question sociale ne peut ignorer la question coloniale/nationale (et vice-versa) : tout réside dans la manière d’articuler l’une à l’autre.

Finalement, un peu plus tard dans la soirée, et après de multiples réactions contre la décision du syndicat étudiant, la décision semblait prise de maintenir les rassemblements et manifestations hebdomadaires samedi prochain, de ne pas faire le jeu de Netanyahou qui, par son escalade militaire, cherche à détourner l’attention sur les problèmes soulevé par le mouvement de protestation. De leur côté, les occupants Juifs et Arabes de la “Tente 1948” de Tel-Aviv ont publié un communiqué disant : « C’est le moment de montrer notre vraie force ». Il faut, ajoutent-ils « rester dans la rue, condamner la violence et refuser de rentrer à son domicile ou de rejoindre l’armée pour prendre part à l’attaque de vengeance sur Gaza ».

A suivre…

Le 18 août

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La lutte sociale révolutionnaire qui a lieu aujourd’hui en Israël se rapproche d’un point critique : soit elle s’effrite sous la botte des “besoins de sécurité” et la ségrégation raciale, ou elle se libère de tous les dogmes antérieurs et réinitialise notre système politique.

Peut-être est-il temps de dire ces mots à haute voix : amis, partenaires, camarades – nous à gauche qui nous battons pour une cause perdue. Depuis longtemps maintenant, nous avons combattu contre l’occupation, l’apartheid, le racisme sioniste et autres, avec très peu de résultat à faire valoir.

Au cours des dernières décennies, la domination d’Israël sur les Territoires Palestiniens Occupés est devenue de plus en plus sophistiquée, plus brutale, plus profondément enracinée. La discrimination à grande échelle contre les citoyens palestiniens d’Israël continue à être la politique officielle de l’Etat, donnant lieu au cours des dernières années à une vague de législation anti-démocratique et raciste. Et, bien sûr, pas un seul réfugié palestinien n’a été autorisé à retourner en Israël ou à recevoir une indemnisation pour les plus de 63 années d’exil.

Il n’est pas facile d’admettre l’échec, après 12 ans de travail avec des camarades palestiniens, israéliens et internationaux pour la liberté des Palestiniens. Nous avons manifesté, marché, protesté, construit des ponts de solidarité et d’espoir, tout en étant frappés, visés par les balles et arrêtés.

Mes amis ont tendance à me considérer comme quelqu’un d’optimiste : malgré tout ce qui s’est passé, et en dépit de la complicité de la plus grande partie des Juifs israéliens dans l’occupation, je n’ai jamais perdu l’espoir de changement, et dépense mon temps et mon énergie dans projets éducatifs, des conférences, des tracts, et en écrivant et en parlant aux gens dans la rue. J’ai parlé à des soldats envoyés pour disperser nos manifestations communes et sans armes contre le Mur de l’Apartheid, en essayant aussi de leur faire comprendre notre lutte. Je crois toujours à cette stratégie, avec des pressions extérieures telles que les résolutions de l’ONU et les campagnes BDS [Boycott - Désinvestissement - Sanctions].

Cependant, je comprends parfaitement mes amis tant palestiniens qu’israéliens qui ont abandonné le combat vis-à-vis du public juif israélien. A l’intérieur d’Israël, presque personne ne semble concerné sur le fait de mettre fin au régime militaire dans les Territoires palestiniens occupés (TPO). La combinaison matérielle et psychologique de privilèges, d’avantages économiques, de sentiments racistes de supériorité et la peur existentielle profondément enracinée d’un “second Holocauste” – alimentée par le biais des écoles, des médias et des politiciens – semble avoir forgé une barrière indestructible protégeant les dogmes collectifs nationaux. Ajoutez à cela l’apparent chèque en blanc du soutien accordé par les Etats-Unis et l’UE, et l’on est obligé de sombrer dans une sorte ou une autre de dépression pessimiste : rien ne semblait faire advenir aucun type de changement. Jusqu’à maintenant.

L’âge des rêves

Il est encore trop tôt pour prédire exactement dans quelle direction va le mouvement de protestation sociale du 14-Juillet. Mais pour la première fois depuis des décennies, peut-être, nous sommes les témoins que l’impossible devient possible. Ce qui semblait être une pure fantaisie il y a 6 mois encore, alors que nous regardions les gens en Egypte mettre leurs rêves dans les rues, est devenue une réalité vivante.

Par exemple, le premier jour qui a suivi la mise en place du campement du Boulevard Rothschild, j’ai rencontré un jeune ami de Tel-Aviv, sans expérience dans l’activisme politique, qui a décidé de protester contre son loyer élevé. Dans une discussion à propos de la lutte, il a été très catégorique sur la nécessité d’éviter toute question qui n’était pas directement liée au problème du logement. Une semaine plus tard, je l’ai rencontré à nouveau, s’adressant avec passion à des amis et leur disant pourquoi ce mouvement doit être une lutte pour changer le système économique tout entier, pas seulement le loyer. J’ai appris qu’entre nos deux rencontres, il a participé à plusieurs ateliers sur l’économie qui ont eu lieu dans le campement de tentes, et qu’il a regardé des films critiques sur les privatisations. Ça l’a radicalisé d’une manière qui n’aurait jamais été possible auparavant dans le climat du discours militariste axé sur la sécurité qui gouverne la culture politique israélienne depuis bien avant 1948.

Le lendemain, nous avons assisté à la première grande manifestation dans les rues de Tel-Aviv et c’est là que j’ai senti pour la première fois que le “peuple” dans le slogan « Le peuple demande la justice sociale » pouvait, pour la première fois, faire référence à tout le peuple d’Israël ou aux citoyens, et pas seulement aux Juifs. Cette simple notion républicaine, avec son potentiel radical incluant Juifs et Palestiniens dans un même mouvement de masse majoritaire contre le capitalisme néolibéral, allait bientôt se confirmer. Lors du rassemblement de la semaine suivante, probablement la plus grande manifestation de l’histoire israélienne, un orateur palestinien, citoyen israélien, a pris la parole sur la scène (Dimi a écrit à ce sujet ici).

A peine sept jours après, plus de dix tentes de camping palestiniennes ont été dressées à l’intérieur des frontières d’Israël. Des citoyens palestiniens ont rejoint l’“assemblée des campements”, la direction nationale de la lutte. Leurs revendications pour la reconnaissance des villages “non reconnus” et pour des permis de construire sur leurs propres terres ont été intégrées dans l’ordre du jour lutte officiel de la lutte. La dernière manifestation du samedi soir [13 août] qui s’est centrée sur la périphérie plutôt que sur Tel-Aviv, a vu des citoyens palestiniens comme des partenaires majeurs, si ce n’est carrément comme initiateurs. Cela était vrai non seulement dans les villes bi-nationales de Jaffa et Haïfa, mais aussi à Beer Sheva et Afula, où les populations sont presque entièrement juives. Sur les estrades centrales de toutes ces manifestations, les intervenants ont répété cette dimension d’association Judéo-Arabe. Raja Za’atry, membre du Haut Comité arabe de suivi en Israël, a accueilli les manifestants dans “Haïfa la Rouge”, et a déclaré que « la faim et l’humiliation, tout comme le capital, n’ont pas de patrie ou de langue ... Ce combat est celui de tous ! ».
Puis, lundi matin, un comité officiel d’universitaires a été formé par la direction de la lutte, pour répondre à celui formé par le gouvernement. Dans la conférence de presse présentant le comité, l’un des quatre orateurs était une femme palestinienne, qui a souligné combien le gouvernement marginalisait les citoyens arabes et comment la revendication de justice sociale doit inclure la fin de la discrimination raciale.

L’auteur, juif d’origine irakienne et directeur de l’Association israélienne pour les droits civils, Sami Michael, a défendu la même idée, en arabe et en hébreu, lorsqu’il a pris la parole à la manifestation de Haïfa.
Dans la semaine à venir, de plus en plus de manifestants ont prévus de participer à des visites de solidarité organisée dans les camps arabes, de nouveaux liens seront tissés et de nouvelles connaissances acquises.

Les rêves ne connaissent pas de frontières

Pourtant, la question demeure : à quoi bon une lutte pour la justice sociale, qui reste muette sur le plus grand crime de tous – l’occupation – et le vol des terres palestiniennes en Israël ? C’est là un point légitime et crucial. À la longue, si cette lutte ne prend pas en charge un appel pour la démocratie, l’égalité et la justice pour TOUS – elle aura plus que certainement échoué.

Cependant, je pense que cette accusation est formulée trop rapidement, par ceux qui ont mis de côté les potentialités de la société israélienne à changer. La gauche radicale n’est plus un outsider mais elle constitue une partie importante du courant principal. Les activistes de gauche sont partout : dans la solidarité avec les syndicats de travailleurs qui rejoignent progressivement le mouvement, dans les quartiers pauvres en luttant pour des logements sociaux publics, en créant des ponts entres les communautés palestiniennes et juives qui partagent ces besoins, dans le principal camp de tentes sur le Boulevard Rothschild et dans l’“assemblée des campements”. Tout est en train de changer, et nous avons aussi un rôle à jouer.

Le chemin pour répondre à l’occupation est encore long. Le même discours républicain qui embrasse les citoyens palestiniens pourrait aliéner les Palestiniens des Territoires occupés. Certains disent qu’il pourrait mettre en danger l’exigence de droits collectifs, au lieu des seuls droits individuels, comme la lutte "efface" les identités particulières afin de promouvoir un soi-disant “peuple unifié”. Il pourrait tomber entre les mains de “patriotes”, qui souhaiteraient enrôler la société juive dans une nouvelle guerre d’oppression contre les Palestiniens lorsque septembre arrivera. Il pourrait briser le mouvement en petits morceaux.

Et peut-être pas. Il est possible que des centaines de milliers de personnes puissent désormais légitimement mettre de côté leurs intérêts militaristes et commencent à se battre pour un nouveau type de sécurité, une sécurité sociale. Cette radicalisation pourrait aussi entraver la rhétorique du “devoir patriotique”. Malgré la proximité de la Déclaration de Septembre d’un Etat palestinien, les rumeurs d’un projet d’expulsion des camps de tentes ont amené chacun à discuter d’une lutte contre les autorités pour les défendre.

En attendant, l’occupation comme un sujet à traiter a déjà commencé à faire son chemin dans la lutte. À la “Tente 1948” de Tel Aviv, les Palestiniens et les Juifs parlent aux passants au sujet de l’occupation et distribuent des tracts qui impliquent la nécessité de refuser un possible appel d’urgence de réservistes en septembre. Vendredi, lors de la manifestation hebdomadaire de Nabi Saleh [en Cisjordanie] est apparu une tente recouverte de slogans tels que “Colonies = Injustice” et “Vous ne pouvez pas obtenir de justice sociale sous l’apartheid” [ Nabi Saleh 12.8.2011- "the people demand social justice !" ]. Le jour précédent, le cinéma central en plein air à Rothschild a projeté son premier film anti-occupation, abordant le système des tribunaux militaires dans les territoires occupés (“The Law In These Parts”). « Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que la justice sociale est quelque chose qui ne peut pas s’arrêter sur la Ligne verte », ont indiqué les organisateurs. Á Beer Sheva, le porte-parole des Bédouins Hannan Al-Sana a parlé des identités collectives et les cultures qui doivent être respectés, et la chanteuse populaire Achinoam Nini a déclaré qu’elle ne fera pas confiance à l’administration actuelle si elle nous emmène dans la guerre. A Haïfa, Za’atary a averti que c’est l’intérêt du capital de commencer une guerre pour faire taire les protestations, mais a insisté sur une lutte commune pour la « justice, paix, égalité, et meilleur avenir, et un avenir juste pour les deux peuples ».

Tout cela ne signifie pas que nous allons voir une vague de nouveaux campements en Cisjordanie et à Gaza, demandant d’envoyer des représentants à l’“assemblée des camps”, et une cohésion simple de la lutte palestinienne avec la lutte sociale. Pas du tout. La ségrégation et l’oppression militaire utilisées contre les militants politiques dans les Territoires occupés sont probablement trop profondément ancrées pour permettre une telle chose, et les deux parties sont probablement trop méfiantes l’une envers l’autre pour s’engager dans une telle initiative. Mais cela signifie que les choses sont bien en train de changer. Cela signifie que nous, Palestiniens comme Juifs, associés dans la lutte pour la liberté, la paix, la démocratie et l’égalité, pouvons faire le rêve d’avoir pour la première fois un effet durable sur les politiques majoritaires – et d’essayer de faire que ce rêve devienne réalité.

Haggai Matar

Publié le lundi 15 août 2011

Haggai Matar est un journaliste et militant politique israélien, se centrant principalement sur la lutte contre l’occupation. Il travaille actuellement au Zman Tel-Aviv, le supplément local du journal Maariv, et au site indépendant en hébreu MySay.

[ Source : http://972mag.com/can-the-social-pr... ]

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