éditorial CA 219 avril 2012
mercredi 11 avril 2012, par
Même en République la lutte de classe existe
A Bordeaux, au lendemain de sa piteuse visite dans les rues de Bayonne, Sarkozy a prétendu que « dans la République, il ne pouvait y avoir de lutte de classe ». A chaque élection, les candidats font le tour des usines pour faire croire aux ouvriers que leur sort leur importe... A la veille de l’élection présidentielle, les candidats découvrent les usines. ArcelorMittal, Pétroplus, PSA, Lejaby, Photowatt..., ils se relaient au chevet des sites menacés1 de fermeture, tous plus soucieux les uns que les autres de démontrer leur préoccupation pour l’emploi. Ils voudraient laisser croire qu’ils ont des réponses face aux fermetures d’usines et aux licenciements. En réalité, ils agitent les mêmes slogans creux sur la stratégie ou la politique industrielle, leur patriotisme industriel ou, pour Eva Joly, la réindustrialisation par l’économie verte...
Il y a eu l’affaire Lejaby pour laquelle Sarkozy a fait appel à son ami Arnault, une des premières fortunes du pays, afin qu’il veuille bien reprendre une petite centaine de salariés d’une des usines Lejaby ! Mais 350 restent sur le carreau. « Qu’a-t-il fait depuis cinq ans pour les autres usines ? Nous sommes en période électorale, c’est pour cela qu’il s’est penché sur notre sort. Si on ne s’était pas battues, on n’aurait rien eu ». Après avoir fait un petit tour chez les travailleurs de la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, il se glorifie d’avoir convaincu le pétrolier Shell d’accepter de continuer l’activité pour six mois et de prolonger d’autant l’emploi des salariés menacés de licenciement. Il a forcé la main au PDG d’EDF à reprendre Photowatt. Enfin, il a déclaré que « la France est prête à procurer 150 millions d’euros en faveur de Florange », autrement dit que les contribuables « accorderaient » 150 millions à M. Mittal pour prime à ses sinistres exploits.
En visite à l’usine ArcelorMittal de Florange le 24 février, Hollande a présenté une proposition de loi, déposée trois jours plus tard à l’Assemblée, censée empêcher les fermetures d’usines. « Quand une grande firme ne veut plus d’une unité de production et ne veut pas non plus la céder, nous ferions obligation que les repreneurs viennent et puissent donner une activité supplémentaire », a déclaré le candidat socialiste. D’après sa proposition, à chaque fermeture d’usine, l’entreprise devrait informer le tribunal de commerce, qui désignerait un mandataire chargé de trouver un repreneur. Si l’entreprise n’acceptait aucune offre à l’issue du délai légal, le mandataire pourrait être saisi par le Comité d’entreprise pour apprécier la pertinence des offres. Si l’entreprise refusait toujours de vendre son site, le tribunal pourrait lui-même arrêter un plan de cession. Mais s’il n’y pas de repreneur ? Si ce repreneur décide de supprimer la moitié des emplois, qui l’en empêchera ?
Par leurs résistances et leurs luttes contre les fermetures d’usines et les licenciements, les travailleurs contraignent les politiciens à venir s’expliquer devant eux. Ils les interpellent et les obligent à mettre bas les masques en étalant face à toute l’opinion leur impuissance et leur démagogie. Ils imposent la question sociale au centre de la campagne. Ils interviennent ainsi directement sur le terrain politique. La lutte contre les fermetures d’usine, pour l’emploi, contre le chômage ne saurait se laisser enfermer sur le terrain syndical en abandonnant la politique aux professionnels qui appellent les ouvriers à voter pour eux tous les cinq ans, l’occasion d’une petite visite, d’une tape sur l’épaule et d’un tour à la cantine...
La succession des crises économiques suscite plus de résignation que de mise en cause du système. La colère peut s’exprimer par le retour des violences contre l’outil de travail que symbolisent il y a quelques années les luttes de Cellatex, Daewoo, Michelin, Moulinex jusqu’à New Fabris. Avec l’approfondissement de la crise tant sociale, écologique que politique, l’idée s’affirme que les travailleurEs peuvent produire sans patron et sont au moins aussi capables de gérer les entreprises que les managers qui, ne visant que l’augmentation des profits, les ferment et licencient tout en aggravant les conditions de travail. C’est ainsi que, dans de nombreuses luttes, les salariéEs posent la question de la prise en main de la production, de l’appropriation de l’outil de travail. Dans les raffineries, à la Fonderie du Poitou, chez Philips, Fralib, Helio-Corbeil, SeaFrance ou Arcelor-Mittal, les salariéEs remettent en cause l’arbitraire patronal. CertainEs s’engagent sur la piste des Scop (ex-sociétés coopératives ouvrières de production devenue participatives), des SCIC (sociétés coopérative d’intérêt collectif).
Pour les politiciens de tout bord (ou presque), la solution à la crise, c’est « la valeur travail », « la France qui se lève tôt », chers à Sarkozy. « Les Français sont prêts à faire des efforts, et je leur en demanderai pour redresser le pays » a déclaré Hollande lors de son meeting à Lyon. C’est aussi le « Produisons en France » ou maintenant « Produisons en Europe », moins cocardier que le « Produisons français ».
Et pourtant le travail tue. Chaque jour, deux salariéEs meurent d’un accident du travail. Chaque année, on compte 651 000 accidents avec arrêt, 46 436 incapacités permanentes, 4 500 mutiléEs. Depuis 1995, les maladies professionnelles ont doublé : 35 000 maladies professionnelles par an, 10 % des cancers liés au travail, près de 400 suicides. Un rapport jugeait en 2002 les maladies professionnelles sous-évaluées de 70 %.
Ce n’est pas la crise qui fait que le grand patronat s’en sort avec tous ses profits et que ce sont les travailleurs qui payent. Ça, c’est le résultat de la lutte de classe. Comment s’étonner que, dans ce contexte, il n’y ait pas plus de réactions de la part des travailleurs. La crise que nous vivons est souvent comparée à la crise mondiale de 1929. Il a fallu des années pour que les travailleurs passent de la résignation, du désespoir impuissant, voire réactionnaire, à l’espoir d’inverser le cours des choses. Aujourd’hui, la matière explosive s’accumule. Le moment de la révolte de millions de femmes et d’hommes viendra, tôt ou tard.
OCL Reims
1 Depuis 2009, 900 entreprises ont fermé, 100 000 emplois ont été supprimés dans l’industrie, le chômage a explosé. Si l’aéronautique, l’agroalimentaire et le luxe sont restés créateurs nets d’emplois, l‘automobile, qui a perdu 30 000 postes en trois ans, la pharmacie, la haute technologie, la chimie et la métallurgie ont subi des « saignées ». (Etude réalisée par l’observatoire Trendeo pour le quotidien Les Echos).