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Courant alternatif 265 - décembre 2016

Garde nationale, la bourgeoisie prépare la guerre

vendredi 23 décembre 2016, par admi2

« Offrir une protection la plus satisfaisante possible de notre territoire et des Français, et répondre au vrai désir d’engagement de la population pour défendre le pays ». Officiellement on nous parle de « réservistes », pourtant suite à l’attentat de Nice en juillet, c’est bel et bien la mise en service d’une Garde Nationale qu’a entérinée F. Hollande lors d’un conseil des ministres d’octobre 2016.


Engagez-vous !

Depuis la suppression du service militaire en 1997 et sa professionnalisation, les missions confiées aux forces armées ont subi des modifications. Elles ne font plus la guerre mais traquent les terroristes : Mali, Libye Afghanistan, etc. Elles n’interviennent plus dans les affaires internes africaines, mais agissent en forces humanitaires et de paix pour éviter des guerres civiles aux populations locales : Centre Afrique, Côte d’Ivoire etc. En France elles assurent « notre » sécurité, patrouillent dans les rues depuis le plan « Vigie Pirate », poursuivi en 2015 par « l’Opération Sentinelle » et l’Etat d’Urgence.
C’est après l’attentat de Nice, en juillet, que le président a lancé son appel aux volontaires pour renforcer la « Réserve Opérationnelle ». Jusqu’à peu, cette réserve somnolente était composée d’anciens militaires et de volontaires de la société civile qui mettaient leurs compétences professionnelles bienvenues au service des armées. Elles permettaient aux forces militaires, gendarmes ou policières engagées sur le terrain d’être renforcées et de tenir. Après une formation, notamment de tir, ces réservistes opérationnels assument les mêmes missions que leurs homologues et sont mobilisables sur des théâtres d’opérations extérieurs. Par contre, ceux qui relèvent de la police nationale n’interviennent pas car pas armés, du moins jusqu’à ce jour. Elle semble bien révolue cette époque où l’armée de réserve victime des coupes budgétaires, sans moyens, n’était qu’une coquille vide pour nostalgiques, aux entraînements rares, aux équipements dépassés, où même les anciens militaires n’étaient plus convoqués pour les périodes de classes.

Enrôlez-vous.

Ils seraient 63000 et seront 85000 en 2018 prédit le chef de l’État. Ces effectifs permettront de déployer quotidiennement quelques 9250 réservistes « pour assurer la protection du pays ». 311 millions d’euros sont dégagés par la loi de finances de 2017. Les budgets alloués sont passés de 71 millions en 2014 à 100 millions en 2016 soit une augmentation totale de 77% entre 2014 et 2018. Si l’intention est de recruter, l’objectif est de fidéliser ces volontaires réservistes. Dans ce but, chaque jeune de nationalité française et de moins de 25 ans qui s’engage, après acceptation d’aptitude physique et médicale, pourra se faire financer son permis de conduire B par l’État à hauteur de 1000 euros. Les étudiants qui s’engagent sur 5ans et acquitteront leurs 37 jours annuels de formation toucheront une allocation mensuelle de 100 euros par mois. L’État versera une prime de 250 euros à tout réserviste ayant acquitté ses 37 jours de formation, qui renouvellerait son contrat initial dans l’année. Pour sensibiliser les salariés, l’État offre à leurs patrons un dégrèvement de 60% du montant du salaire et des charges correspondant au temps d’engagement du réserviste concerné. Chaque engagé réserviste de rang perçoit une indemnité journalière de 50 euros à 89 euros. Somme variable selon la situation personnelle et le grade intégré. Pour les demandeurs d’emplois, une coopération renforcée verra le jour avec pôle emploi. « Particulièrement dans cette période où trouver du travail prend du temps » dixit JM. Bockel, sénateur UDI.

Nous sommes donc loin de cette « réserve citoyenne de défense » créée après les attentats de 2015, qui réunissait des bénévoles issus du service public ne percevant aucune rémunération ou indemnisation pour leur engagement, et qui renforçait, nous disaient-on « le lien entre l’armée et la nation ». Tout comme nous sommes très loin du service civique créé en 2010, permettant à des jeunes de 16 à 25 ans, diplômés ou pas, d’effectuer des missions de six à douze mois dans des associations, des collectivités locales ou des établissements publics. Chaque volontaire reçoit une indemnité de 467,34€ net par mois, financée par l’État. Pour les jeunes, nous expliquait-on, c’était une opportunité de s’engager dans une mission d’intérêt général, dans la solidarité etc.. Pôle emploi et les socialistes étaient ravis. Autant de demandeurs d’emploi en moins sur leurs statistiques.

Des poubelles du FN.

Dans l’air sécuritaire du moment, la proposition d’une garde nationale est sortie des cartons du FN puis reprise par ses concurrents électoraux de la droite « Les Républicains ». Le président Hollande s’en saisit, après l’attentat de Nice le 28 juillet, et l’officialise en conseil des ministres, en octobre 2016. Hollande et la bourgeoisie sécuritaire instrumentalisent les traumatismes des précédents attentats perpétrés en France et la crainte des français et des françaises d’éventuels actes terroristes à venir, pour, avec des variantes, enrôler derrière eux la population déroutée et détournée de leur giron électoral. Ils entonnent les chants du patriotisme, de la sauvegarde de la nation, du don de soi, et d’un nationalisme primaire. Aujourd’hui, en promouvant une garde nationale, en revigorant cette nouvelle force de soutien, les socialistes, républicains et nationalistes, préparent la population à intégrer comme une évidence que la patrie est en danger. Certains osent même prédire une inéluctable guerre civile. En cette période de crise politico-sociale sans perspectives pour nos socialistes, il n’est pas étonnant que le premier d’entre eux aille puiser dans les poubelles du FN. Rappelons que Hollande, avec la même inspiration, avait tenté d’inscrire dans la constitution le principe de déchéance de la nationalité. Une mesure qui n’avait plus cours depuis le régime de Vichy et Pétain.

La Maréchal et ses patriotes.

Surfant sur l’émotion suscitée par l’assassinat du curé Hamel à Saint Etienne du Rouvray, c’est une Marion Maréchal Le Pen qui, média en bandoulière, se porte aussitôt volontaire comme réserviste. Après tout, ce dossier traînait aussi dans le présentoir de sa boutique du Front National qui dans son programme de défense affichait : « Organiser une garde nationale de 50000 hommes et femmes réservistes sur l’ensemble du territoire (Outre mer non compris) et mobilisable dans un bref délai ». « ...Face à la menace qui pèse sur la France, j’ai décidé de rejoindre la réserve militaire. J’invite tous les jeunes patriotes à faire de même » déclarera t- elle, imitant son grand père, Jean Marie ancien député, qui s’engagea dans les paras en Algérie y défendre l’Algérie Française. « …il faut faire des démonstrations d’actes… j’ai fait le choix » déclare Marion Maréchal Le Pen. Ira-t-elle jusqu’à torturer comme son grand père lors de son engagement en Algérie ? Peut-on imaginer les profils de « ses » ou, « ces » nostalgiques ou néo patriotes volontaires lors des ces recrutements intensifs qui, après des formations militaires succinctes, pourraient être en opération, dotés d’armes de guerres ! Même encadrés par des professionnels, nous ne pouvons que redouter cette « sécurisation précaire » du territoire que nous offre le gouvernement. Devons- nous redouter l’aspect « milice » qui ne manquera pas de se propager entre patriotes ? Car, là est le danger qui gangrènera cette réserve opérationnelle. Comment ne pas redouter cette garde nationale quand la police nationale tue dans les quartiers, mutile dans les manifestations ou assassine Rémi Fraisse à Sievens en toute impunité, couverte par sa hiérarchie. Autant de professionnels de l’ordre qui répondent à plus de 60% aux appels électoraux de Marine Le Pen. Les patriotes trouveront là l’occasion de tisser des réseaux entre eux et enfin pouvoir en découdre avec « l’invasion » qui les menace. Cette garde nationale dont le but démocratique et d’aider à combattre le terrorisme ne risque t- elle pas de déraper à son tour passant de la chasse aux islamistes au tir au faciès car se sentant menacée ? Qui empêchera alors ces engagés patriotes, sous prétexte de « lutter contre la barbarie » comme le dit F. Hollande, de multiplier les provocations dans la rue, les quartiers, ou de riposter pour les avoir subies ?

D’une garde nationale à l’autre.

La création de cette garde nationale se déroule sur fond de roulements de tambours de guerre européenne de plus en plus rapprochés contre les russes. N’oublions pas qu’en Europe, outre des partis populistes au pouvoir dans différents pays, on peut voir en action des armées de réserve, des gardes nationales, des milices paramilitaires inspirées de nationalisme primaire ou proches de l’extrême droite ou même pro-nazis. En Ukraine, la garde nationale soutenue et équipé par l’OTAN s’inspire des formatons SS qui ont servi contre l’armée rouge lors de la dernière guerre. Avec le même entrain, le venin patriote et belliqueux est diffusé en Pologne, en Hongrie et autres régions de l’Est de l’Union Européenne contre les russes certes, mais aussi contre les roms, contre les migrants qui cherchent refuge et asile ou contre l’avortement et les droits des femmes. Outre Atlantique, chez l’ex président « démocrate » Obama, la garde nationale intervient pour mater les révoltes lors d’émeutes urbaines ou de manifestations de protestation contre les violences et assassinats perpétrées par des policiers. Ces réservistes US participent aussi aux occupations militaires en Afghanistan et en Irak. Autant de références dont la presse hexagonale se garde bien de parler.

La bourgeoisie et le gouvernement redoutent avec raison l’action de groupes ou d’individus terroristes en capacité d’agir sur le sol français. De tels actes les discréditent sur leurs capacités à répondre à la demande protectrice des électeurs et des électrices. Pourtant en Syrie ils s’en accommodent contre Bachar el Assad et contre les russes. Ils pactisent même avec certaines factions rivales de Daesh, tel le Front Fatah al Cham (ex Al Nosra, ex Al Qaïda).

Au nom de la lutte anti-terroriste…

Un rapport sénatorial PS-UDI précise les objectifs de cette force de réserve à la condition : « D’être rendue plus forte, plus structurée, plus nombreuse avec un maillage territorial qui ancre la réserve sur l’ensemble du territoire, notamment les déserts militaires. Elle offrirait à l’armée active un appui opérationnel à la hauteur des nouveaux besoins de notre territoire ». Autant de critères qui avantagent la gendarmerie.

Vu l’ampleur des effectifs, 85000 hommes ou femmes réservistes, il ne s’agit plus de traquer ou prévenir des attentats terroristes, mais bel et bien de préparer un quadrillage militaro-policier qui par son maillage servira au contrôle des populations. N’oublions pas les nombreuses assignations à résidence lors de la COP21 sans lien avec la lutte anti terroriste. Il est vrai que les forces professionnelles de police sont de plus en plus engagées sur des opérations qui durent dans le temps. Telles la présence continue dans la rue dans le cadre de l’Etat d’urgence et « l’Opération Sentinelle », la chasse aux migrants à Calais et à Paris, les pressions contre les opposants de Notre Dame Des Landes, etc. Tandis qu’à l’extérieur, jamais les troupes françaises n’ont été autant engagées : Afghanistan, Syrie, Libye, Mali, Centre Afrique etc. Par ailleurs, les tensions guerrières s’exacerbent entre les puissances occidentales et la Russie : Ukraine et Syrie. Autant de foyers de guerre où les armées professionnelles françaises sont à flux tendu. L’état d’urgence, qui répondait, après l’attentat du Bataclan, plus à une surenchère sécuritaire et électoraliste, n’a pas empêché les 86 morts de Nice ou l’assassinat du curé Hamel en l’église de Saint Etienne du Rouvray. Il en sera de même avec cette garde nationale opérationnelle, elle ne préviendra d’aucune manière des actes terroristes qui sont l’œuvre d’individus isolés même s’ils sont revendiqués par Daesh. Enfin notons que dans le cadre de la régionalisation, des coupes budgétaires et des baisses d’effectifs dans la police, cette force opérationnelle sera bienvenue car son coût sera moindre pour l’Etat.

…Une arme contre les prolétaires.

Nous pouvons craindre l’usage de cette garde nationale « démocratique », son quadrillage, son maillage pour intervenir dans ces zones faussement dites de non droit, les cités, quartiers populaires, ZADs, etc. Bref, tous les lieux où demain apparaîtront de nouvelles révoltes ou résistances, contre le monde qu’ils nous imposent. Nos gouvernants et le patronat redoutent autant de voir exploser la révolte des « sans dents », de tous ceux, celles, qui ont en marre et subissent les mesures antisociales de leur politique réactionnaire. Cette colère, qui sans conscience collective de classe, ni projet autonome, sera manipulée et canalisée vers les urnes, d’où surgira un opportunisme inconnu. Aujourd’hui en France la classe ouvrière et les prolétaires n’ont pas un rapport de force les inquiétant. La bourgeoisie a encore une marge d’illusions démocratiques. De tous temps, dans l’exacerbation des tensions sociales, les gestionnaires du capital n’ont eu de cesse, d’utiliser des forces plus ou moins légales : nervis, milices, forces para militaires. Ainsi, malgré des nuances dans leurs programmes électoraux, détenteurs ou aspirants au pouvoir, s’accorderont tous pour renforcer et muscler ce nouvel outil de « pacification » étatique.

L’instabilité sociale et politique, l’instrumentalisation hypocrite de la menace terroriste, voire l’éventualité d’une guerre civile évoquée par le chef des services de renseignements français et l’escalade d’interventions dans des conflits extérieurs sont autant de conditions qui précipitent la bourgeoisie dans une surenchère électoraliste et conduisent le PS à renforcer ces forces de répression en vue de quadriller l’ensemble du territoire. La bourgeoisie mise sur une politique de la tension, une sorte de guerre civile intercommunautaire de basse intensité. Diviser et réprimer pour accroître ses profits. D’une certaine façon, en occupant la rue en manifestations durant les mois de résistance contre la loi El Khomri ou en occupant des places avec « nuit debout », il a été démontré que l’État d’Urgence pouvait être inopérant comme il a été démontré que la répression excessive de la police et de la justice ne décourageait nullement une opposition sociale en mouvement.

MZ 15 11 2016 Caen

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