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Courant Alternatif 282 été 2018

Réforme du lycée, réforme du parccoursup...

mercredi 18 juillet 2018, par OCL Reims


Les réformes de l’éducation nationale se multiplient à une telle allure et sur tous les niveaux qu’on finit par en perdre le compte. On ne cesse depuis des années de bousculer le primaire qui compte quasiment une annonce de changement par an depuis l’organisation de l’enseignement jusqu’au périscolaire en passant par les méthodes qu’on souhaite imposer aux institutrices. Le collège a été profondément réformé il y a deux ans et cette année, c’est le lycée, à travers trois réformes très cohérentes entre elles.

Parcoursup, ou l’alibi technique d’une sélection orchestrée depuis longtemps
Parcoursup, c’est le nom du logiciel informatique sur lequel on inscrit ses vœux de poursuite d’études après le bac. Mais en fait, c’est bien plus que ça. Parcoursup comme APB (Admission Post Bac) sont là pour masquer une réalité très simple : alors qu’on pousse les jeunes à prolonger leurs études au-delà du bac, alors que les diplômes restent encore la meilleure protection contre le chômage et une vie de galère, il y a 100 000 places de moins dans le supérieur que de bacheliers. C’est une politique délibérée, le nombre de places dans le supérieur a tendance à diminuer pendant que le nombre de bacheliers augmente. Partant de là, tout ce qui peut distinguer les différents systèmes informatiques entre eux, c’est qui va être éliminé, et sur quels critères.
Parcoursup, c’est d’abord un modèle idéologique qui reflète la vision qu’a le pouvoir de l’éducation. Plus aucune notion d’ouverture intellectuelle, encore moins d’émancipation, juste un modèle calqué sur la compétition et les techniques de recrutement des entreprises : avis des autorités du lycée y compris sur le comportement et l’engagement associatif des élèves, classement généralisé, C-V, lettres de motivation... Ceci n’est là qu’à titre idéologique puisque de toutes façons l’immense majorité des dossiers ne sont pas regardés par un être humain, ils sont triés par informatique en fonction des notes. Le même arbitraire que celui des cabinets de recrutement a été prévu, le candidat n’a pas le droit de savoir quelles sont les règles du jeu de la compétition, la loi a prévu le secret pour les algorithmes locaux, qui peuvent par exemple pondérer les notes en fonction du lycée d’origine, tout comme les entreprises peuvent éliminer certaines mauvaises adresses.
Cette opacité des algorithmes permet aussi aux rectorats d’appliquer les directives discriminatoires du gouvernement en toute quiétude. Le gouvernement a annoncé qu’il mettait fin à la sectorisation, que les bacheliers allaient pouvoir choisir où ils iraient étudier. Ce gouvernement orwellien a donc en fait durci l’apartheid en région parisienne, comme la médiatisée limite de 3% de banlieusards en chimie à Jussieu, qui en comptait 40% cette année. Il a annoncé qu’il allait favoriser les boursiers en leur réservant des quotas, qu’il a donc abaissés en dessous de la proportion habituelle tout particulièrement dans les filières les plus recherchées. L’idée générale, déjà entamée depuis plusieurs années dans les lycées en supprimant les dérogations pour des études particulières, c’est que les banlieusards restent en banlieue, surtout ceux de l’académie de Créteil dans l’académie de Créteil, et plus particulièrement encore le 93 dans le 93. La presse a parlé des candidats sans proposition, mais il faut voir aussi la quantité de ceux qui vont étudier ce qu’ils ne souhaitaient pas dans un endroit où ils ne souhaitaient pas aller.
En fait, vu la pénurie de places, même si Parcoursup n’était pas discriminatoire, la situation le serait quand même. En effet, quelle est l’idée (presque) exprimée ? Le bachelier victime du mauvais sort n’a qu’à aller s’inscrire dans le privé, un privé dont le prix est proportionnel à la qualité des études. L’enseignement supérieur privé, encore marginal il y a quelques années, représente maintenant le 5ème des effectifs. Il y a un secteur très lucratif de grandes écoles très chères qui ne concernent que la bourgeoisie. Mais le secteur privé prospère aussi sur l’angoisse des familles de milieux populaires (mais pas les plus pauvres bien sûr) qui y voient le seul recours contre une machine aveugle qui broie leurs enfants, depuis les affectations en lycée professionnel par tirage au sort en Seconde dans le 93 où il n’y a pas assez de lycées généraux jusqu’à des universités surpeuplées qui font peur à ceux pour qui c’est un univers totalement inconnu.

Une « réforme du bac » qui en change la nature
Jusqu’au règne de Macron et de son conseiller-courtisan Blanquer, le bac en France avait deux caractéristiques permanentes : c’était un diplôme national, et ce n’était pas un diplôme du secondaire, mais le premier diplôme du supérieur, ce qui explique qu’il n’y aie pas de sélection à l’entrée des universités. Ce sont ces deux aspects qui ont disparu (on peut employer le passé, puisque la décision est déjà prise et que le vote n’est dans ce pays qu’une formalité).
Le bac va se passer maintenant pour partie en contrôle continu, 40% de la note finale. Pas la peine de rentrer dans le petit jeu de savoir si les élèves sont notés différemment d’un endroit à l’autre. Ça n’a aucune importance, la réputation suffira. Et, évidemment, les lycées des quartiers populaires seront soupçonnés de surnoter, et seront progressivement obligés de le faire pour compenser les pondérations négatives des sélectionneurs (ça a déjà commencé). Pas besoin non plus de beaucoup d’imagination pour envisager les conséquences en terme d’arbitraire lorsque les profs auront le pouvoir de faire réussir ou louper leurs élèves. L’anonymat est une vaste fumisterie quand on a déjà eu les élèves et qu’on peut donc parfaitement les reconnaître.
Il n’est pas certain non plus que les épreuves finales seront nationales. Il y aura des banques de sujets nationales, mais aucune garantie de ce que les élèves seront corrigés anonymement par des enseignants d’un autre lycée. Le ministère se félicite de la simplification du bac. Or, soit ce sera beaucoup plus complexe (trois sessions à organiser au lieu de deux) et donc plus cher, soit ce sera local. Une des deux épreuves finales sera un oral où le jury ne sera pas forcément composé que de profs, sur un truc très vague, bref, un oral à la tête du client où les notabilités locales pourront se faire mousser comme membres du jury. L’autre épreuve finale sera la philosophie, de même que les modalités de français restent inchangées, première dame de France littéraire oblige.
De toutes façons, le bac comme sésame d’entrée dans le supérieur est déjà mort, comme nous l’avons déjà écrit dans un numéro précédent : c’est sur des dossiers du 2ème trimestre de terminale que les élèves sont affectés. Là, sa mort devient officielle : les épreuves finales et le contrôle continu seront achevés au 2ème trimestre sauf la philo et l’oral, 2ème trimestre où seront constitués les dossiers d’entrée dans le supérieur... Et la sélection à l’entrée à l’université a été (semi)officialisée dans Parcoursup.
En réalité, cette réforme bouleverse profondément l’enseignement et notamment les rapports profs/élèves. Actuellement, malgré tous les défauts du système, l’idée est que les élèves ont deux ans à partir de leur intégration dans une filière pour atteindre le niveau exigé au bac. On peut être lent ou rapide, avoir de bonnes ou de mauvaises relations avec ses enseignantes, ce qui comptait, c’est une note obtenue à la fin dans l’anonymat. Avec le contrôle continu, les élèves vont traîner comme un boulet leurs notes de départ. Il ne s’agit plus de les faire progresser, il s’agit de commencer le tri dès l’entrée en 1ère. Le contrôle continu est très chronophage : cours des autres matières qui ne peuvent pas se dérouler normalement, épreuves blanches pour les préparer... Il restera très peu de temps pour l’enseignement, enseignement qui ne pourra plus être qu’un bachotage systématique. Tout temps d’apprentissage réel, de discussion, d’esprit critique, risque d’être fatal aux résultats des élèves.
De plus, ceci permettra aux autorités de standardiser et normaliser l’enseignement. Actuellement, l’obligation des profs est de traiter l’ensemble du programme, mais elles ont le choix de l’ordre dans lequel elles l’enseignent, de ce sur quoi elles mettent l’accent. Avec une année scolaire rythmée par des contrôles communs, toutes les enseignantes d’un lycée devront avoir la même progression pédagogique, et on peut gager que les nouveaux programmes seront calqués sur le rythme des épreuves, ne laissant quasiment plus de marge de liberté y compris au niveau temporel. Ça tombe bien, il y a dans les tiroirs du côté de l’industrie des cours tout prêts avec des exercices d’application, qui permettraient de n’utiliser plus que des répétiteurs, le contenu étant fourni par les Mark Zuckerberg et autres Bill Gates. Attendons quelques années.

Une réforme à l’avenant de ce qui précède
Bien sûr, ce qui est prévu comme réforme ressemble de très près à un immense plan social, entre 5000 et 7000 postes supprimés. Tous les horaires sont réduits, certaines missions peuvent être sous-traités à des associations ou d’autres institutions. Bien sûr, les économies sont un des buts de la réforme du lycée. Mais elle ne s’en tient pas là.
Comme annoncé, les filière vont disparaître. Ça va être beaucoup plus compliqué que ça. Les élèves vont devoir choisir 3 spécialités et en laisser tomber une en terminale. Vive la liberté ! Sauf que les maths ne sont pas dans le tronc commun. Ceux qui connaissent obligeront leurs enfants à prendre maths. Les autres, youpi ! Plus de maths. Et ils découvriront en terminale que presque personne ne les prendra sans maths. Parce que, depuis Parcoursup, les facs publient des attendus. Ça fera comme en Angleterre. Les universités prestigieuses publient chaque année leurs attendus, et dans les bons lycées, les enfants ne rigolent pas, leurs parents choisissent pour eux, ils étudient les bonnes matières qui permettront le bon parcours. Dans les lycées des quartiers populaires, les enfants s’éclatent nettement plus, ils peuvent faire du cinéma, tout ça... Par contre, les « matières attendues » ne sont pas forcément toutes proposées. Et après le lycée, au boulot ! Ah, vous voulez faire maths et S.E.S. ? Pas possible, il n’y a pas au lycée. Faire des études d’économie ou de gestion ? Ce n’est pas possible sans maths. Ah non ! Ce n’est pas une matière dérogatoire, vous ne pouvez pas demander à changer de lycée.(1) Mais nous connaissons de très bonnes institutions privées... L’école n’est plus que l’antichambre de la compétition du marché du travail, dès la seconde, l’élève doit savoir ce qu’il/elle fera plus tard. Et aucune place pour la curiosité ou les tâtonnements.
Cette réforme accentue aussi une évolution managériale déjà bien entamée avec la réforme précédente. De nouvelles matières sont inventées, qui peuvent être exercées par plusieurs disciplines. Ce sera au choix de l’établissement, c’est-à-dire de son chef. Les spécialités aussi relèveront de « l’autonomie », une autonomie bien encadrée par la pénurie d’heures d’enseignement octroyées par le rectorat. C’est la généralisation de la mise en concurrence entre les matières, entre les profs, avec à la clef, savoir qui subira une mutation forcée. Sauf qu’on sait déjà qu’on va franchir un saut qualitatif. Parce que parmi les réformes à venir, il y a celle du statut des fonctionnaires. Il y a fort à parier que celui des enseignantes sera calqué sur celui de la territoriale : le concours permet d’être sur une liste dans laquelle iront piocher les proviseurs qui pourront également licencier...

On le voit, le tout forme un ensemble cohérent. Il se crée actuellement plus d’emplois non qualifiés que qualifiés. Alors pourquoi payer des études aux enfants des couches populaires ? Laisser toute une génération accéder à un savoir au moins partiellement émancipateur, ce n’est guère prudent par les temps qui courent. Autant techniciser l’ensemble et imposer le bachotage. La culture générale, elle, restera toujours transmise dans les mêmes milieux. Surtout, il s’agit de privatiser l’enseignement, dans le sens littéral du terme en ne laissant que cette porte de sortie illusoire à ceux qui n’habitent pas au bon endroit (2), et aussi en imposant les critères de rentabilité du privé dans le public.

Sylvie

(1) Déjà aujourd’hui les mêmes matières peuvent être ou non dérogatoires suivant les endroits. Bizarrement elles ne sont généralement dérogatoires que dans l’ouest parisien (plus riche que l’est).
(2) Leurs enfants y sont particulièrement maltraités et très souvent réorientés en professionnel de façon beaucoup plus généralisée que dans le public.

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