Courant alternatif 284 - novembre 2018
dimanche 25 novembre 2018, par
Loin d’annoncer un virage social du gouvernement ou le rééquilibrage de sa politique en faveur du capital et des plus riches, ce plan contre la pauvreté accompagne le renforcement d’une précarité organisée par l’exécutif lui-même.
Des plans « contre la pauvreté », les gouvernements successifs en ont émis à tour de rôle. Chacun promettant d’éradiquer la pauvreté, ou du moins la « grande pauvreté » – comme le suggère prudemment Macron –, sans que ces plans aient eu beaucoup d’impact. C’est que le discours et le spectacle qui accompagnent la pauvreté, offerts par ceux-là mêmes qui l’organisent, ont pour double fonction de rassurer sur la sollicitude du système à l’égard des pauvres et d’inviter chacun.e à se satisfaire de son propre sort.
Le gouvernement souhaite donner une coloration sociale à un quinquennat qui patine. Lui qui s’est ostensiblement préoccupé des intérêts des « premiers de cordée » et a attaqué les droits des travailleurs.ses, des migrant.es, des retraité.es ou des étudiant.es veut à présent montrer qu’il agit en faveur des plus démuni.es.
C’est donc une série de mesures symboliques et cosmétiques, à hauteur de 8 millions d’euros sur quatre ans et appelées à entrer en vigueur dès 2019, qui ont été déroulées à la mi-septembre.
Une opération de communication
saupoudrée de misérabilisme
Ce plan prévoit un catalogue de mesures considérées comme « préventives », concernant la petite enfance, le scolaire et l’insertion des adolescent.es :
Les faux-semblants des mesures « sociales »
du Président des riches ne leurrent personne
Tout d’abord sautent aux yeux la pauvreté et l’aspect dérisoire de ce plan « pauvreté ».
8 milliards sur quatre ans, cela revient à dépenser 62 centimes d’euro par jour pour les 8,8 millions de Français.es vivant sous le seuil de pauvreté (= 1 Français.e sur 7) ; soit moins de 20 € par mois pour des gens qui ont du mal à se nourrir au jour le jour. Et, de ces 20 €, il faut retirer les différentes baisses des aides sociales.
De plus, beaucoup des mesures annoncées ne consistent qu’à redéployer des mesures et des crédits déjà existants. Sur les 8 milliards annoncés, plus de 4 sont consacrés à la revalorisation de la prime d’activité déjà actée, et sont d’ores et déjà gagés.
En fait, le plan pauvreté ne coûtera pas un centime au budget de l’Etat, d’autant que le gouvernement a affiché sa volonté de réaliser 7 milliards d’économies sur les aides sociales en deux ans. La baisse des allocations sociales apportera 3 milliards par an, les emplois aidés supprimés 2 milliards, les APL ratiboisées 1,7 milliard, et le coût de la fusion de l’ACS avec la CMU sera à la charge de la Sécu. Les pauvres paieront pour les très pauvres, puisque c’est de l’argent de l’Etat ; donc c’est tout le monde qui participe, même les plus dominé.es dans le processus productif, notamment à travers la TVA, l’impôt le plus injuste.
Des enfants des réseaux d’éducation prioritaire recevront peut-être l’aumône d’un petit déjeuner de temps en temps – une simple opération de com’ qui ne fera pas baisser le taux de pauvreté –, mais il y aura de moins en moins de profs tous les jours dans les collèges et les lycées (suppression de 2 600 postes dans le secondaire à la rentrée 2019), et la question de fond d’une école élitiste et qui entretient, voire renforce, les inégalités sociales n’est surtout pas abordée.
Quant aux moyens qui seront accordés pour l’extension de la garantie jeunes et les dispositifs de formation et d’insertion dont sont responsables les missions locales, vu le manque de professionnels pour accompagner les plus exclu.es et la baisse constante des budgets consacrés aux politiques sociales, c’est le flou le plus total...
Par ailleurs, dans le plan prévu, pas question d’augmenter le montant du RSA socle, qui est pourtant de moitié inférieur au seuil de pauvreté, ni d’assurer un revenu à tou.tes les jeunes de 18 à 25 ans, alors que 25 % d’entre eux sont sous le seuil de pauvreté.
Rien de neuf non plus sur le logement, sinon l’offre de quelques hébergements d’urgence pour des familles (alors même qu’ils ont été réduits massivement...) et la velléité de résorber les bidonvilles d’ici à 2022. Aucune mesure pour les 4 millions de mal-logé.es, dont 143 000 sans domicile fixe. Rien non plus sur la cherté des loyers, les expulsions locatives en progression pour défaut de paiement ou l’introduction dans la loi ELAN (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique) de mesures criminalisant les occupant.es sans droit ni titre d’un logement.
Et que veut dire accompagner les allocataires du RSA vers l’emploi, quand l’emploi salarié ralentit dans le privé et recule dans le public, sinon imposer toujours plus de contrôles et d’obligations, en particulier celle d’accepter n’importe quel boulot ? Les administrations qui harcèlent les plus pauvres, sommés en permanence de se justifier par des procédures complexes, ont encore de beaux jours devant elles.
Fabriquer des pauvres et, « en même temps »,
prendre des mesures antipauvreté
Au vu de la sortie de Macron sur « le pognon de dingue » mis dans les aides sociales, on pouvait être sûr que le plan de lutte contre la pauvreté ne se traduirait pas par une hausse de l’enveloppe de ces aides.
Le paradoxe est flagrant qui consiste à afficher une volonté d’éradiquer la pauvreté tout en menant des politiques qui contribuent à creuser les inégalités et à remettre profondément en cause les mesures de protection sociale.
Personne n’oublie la hausse des prix de l’essence, du gaz, de l’électricité, du contrôle technique, du forfait hospitalier, de la CSG... ; la baisse des APL, celle à venir des aides au logement, la réduction des pensions de retraite, des allocations familiales (ces deux dernières progresseront de 0,3 % seulement sur 2019 et 2020, soit bien moins que l’inflation, qui s’élève à 2,4 %) ; le niveau très faible du RSA ; l’accès difficile au logement ; la précarité institutionnalisée des étranger.es maintenu.es dans l’irrégularité, la totale précarité et la surexploitation. Sans compter les retraites, qui vont être réduites massivement par la réforme en préparation, ainsi que la baisse de l’indemnisation du chômage – et le durcissement des conditions de son obtention –, le gouvernement ayant l’intention de diminuer de 3,9 milliards d’euros le budget consacré aux allocations chômage.…
Les « choix » politiques des gouvernants, qui ne font qu’agir en fait au service du capital, creusent les inégalités et alimentent le terreau de la pauvreté : instauration de lois qui flexibilisent la main-d’œuvre, rognent les maigres droits du travail, rendent possibles juridiquement les licenciements du jour au lendemain, encouragent la précarité ; désengagement massif de l’Etat de la politique du logement, entraînant le recul du logement social au profit du logement privé ; diminution par deux du nombre des contrats aidés fragilisant des milliers d’associations, notamment dans le social ; réduction des dotations aux communes avec des répercussions sur les aides sociales et les subventions aux associations ; sous-investissement dans l’enseignement secondaire et dans les universités ; mise à mal des services publics (à l’exception de l’armée [3], la police et la justice) ; baisse, voire élimination, de cotisations sociales ; maintien de salaires bas (augmentation misérable du SMIC au 1er janvier de 12 centimes brut par heure, et suppression de celle annoncée pour le 1er juillet)...
Le plan contre la pauvreté est un plan plein d’hypocrisie qui se vante d’allouer 2 milliards d’euros par an pour près de 9 millions de pauvres, alors que les mesures du budget 2018 ont profité aux 2 % des ménages les plus fortunés. Des cadeaux somptueux sont réservés aux gros patrimoines : le cadeau de 4,5 milliards par an en réductions d’impôts (impôt de solidarité sur la fortune, remplacé par un IFI bien moins exigeant fiscalement ; création d’un prélèvement forfaitaire unique – PFU – au taux de 30 % sur les revenus du capital ; énième baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et énième exonération de cotisations sociales patronales), et aussi la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègement pérenne de cotisations, ce qui représente, rien que cette année, 20 fois le budget de ce prétendu « plan contre la pauvreté ». Sans compter les 100 milliards d’euros évadés par fraude fiscale. Tout cela dans un contexte où, alors que les suppressions d’emplois et les fermetures d’entreprises se multiplient, les profits explosent : près de 100 milliards de bénéfices pour les 40 premières entreprises françaises et leurs actionnaires sur un an !
Faire porter aux pauvres
la responsabilité de la pauvreté
La notion de pauvreté a bon dos ; selon Macron, la pauvreté serait un « scandale », fait « d’accidents de la vie, de batailles perdues », une situation individuelle bien triste mais déconnectée de tout contexte. Cela permet d’occulter les mécanismes bien rodés d’exploitation et d’oppression capitalistes qui, en spoliant ceux et celles qui contribuent à la création de richesses, fondent et perpétuent les inégalités sociales. Mais aussi un système qui, en excluant et en marginalisant les personnes dont la production a perdu toute valeur marchande, ou bien dont la force de travail est réputée « incompétente » (= non rentable), voue ces personnes à une pingre charité publique et à une précaire débrouille individuelle. De plus, en axant sa stratégie antipauvreté sur « le retour à l’emploi », le gouvernement stigmatise les bénéficiaires des minima sociaux comme oisifs et insinue que ce qui leur arrive est le plus souvent leur faute. Dans une société où chacun.e est l’entrepreneur de lui-même, chacun.e est responsable de sa propre faillite. La pauvreté devient ainsi une responsabilité individuelle séparée des réalités économiques générales et de la qualité des emplois disponibles.
Exploitation et pauvreté relèvent des mêmes facteurs de classe. Diviser la société entre riches et
pauvres, c’est gommer que cette société est divisée en classes. Ne pas mettre en avant la notion d’exploitation capitaliste masque à la fois la nature de la lutte des classes et le véritable enjeu d’un combat collectif pour mettre fin à ce système qui s’engraisse du travail de la majorité pauvre au profit des possédants, avec la complicité des gouvernements.
Kris, le 19 octobre
1) La garantie jeunes est un soutien personnalisé pris en charge par les missions locales : une allocation de 480 euros par mois pendant un an est versée aux jeunes de 16 à 25 ans en situation de grande précarité.
2) La prime d’activité est censée compléter les revenus des travailleur.ses modestes touchant jusqu’à 1,3 smic.
3) Les moyens de la défense ont augmenté de 7 milliards par an, dont 1,7 milliard de 2017 à 2018.
ENCART
Le nombre de pauvres a augmenté en France ces dix dernières années
L’estimation la plus courante de la pauvreté est le taux de pauvreté monétaire, exprimant la part d’individus vivant avec moins de 60 % du revenu médian, soit 1 015 euros mensuels pour une personne seule. Ce taux de pauvreté monétaire en France est relativement stable depuis les années 80, autour de 14 %. Il est plus élevé qu’en Finlande (11,6 %) et au Danemark (11,9 %), mais moins qu’en Allemagne (de 15,2 % à 16,5 % entre 2007 et 2016), ainsi qu’en Italie (19,5 % à 20,6 %) et dans la zone euro (16,1 % à 17,4 %). Le système de redistribution français a plutôt bien joué son rôle d’amortisseur pendant la récession de 2008 ; mais cela change, parce que c’est précisément contre cette politique qui renforce les services publics et la protection sociale, deux éléments majeurs qui font de la France l’un des pays ayant le mieux amorti la crise de 2008 et où la pauvreté persiste le moins, que les attaques n’ont cessé et continuent de pleuvoir.
Un autre mode d’évaluation de la pauvreté prend en compte un seuil établi à 50 % du revenu médian (855 euros par mois) ; et le nombre de personnes vivant sous ce seuil a augmenté ces dix dernières années, passant de 4,4 millions à 5 millions, selon l’Observatoire des inégalités.
De plus, la pauvreté ne se mesure pas seulement en termes de revenus. Elle se traduit aussi par un accès limité à la santé et à la culture, une alimentation moins bonne, ou encore le mal-logement, qui touche 4 millions de personnes en France. Pour évaluer ces privations, l’Insee parle de « pauvreté en conditions de vie ». Son niveau est proche de celui de la pauvreté monétaire, mais elle ne concerne pas exactement les mêmes personnes.
A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les pauvres étaient essentiellement des personnes âgées. Au fil des décennies, ces dernières ont été mieux couvertes par les régimes de retraite – bien qu’on constate leur précarisation croissante depuis 2000 –, et les difficultés se sont concentrées sur les plus jeunes (65 % ont moins de 20 ans), en particulier ceux qui sont peu qualifié.es (67 % ont au plus un CAP) et sans emploi. De plus, le profil des familles précaires a changé : en 2000, le nombre de foyers monoparentaux en difficulté a dépassé celui des familles nombreuses (25 % des pauvres vivent dans une famille monoparentale). 67 % des pauvres vivent dans les grandes villes ou en périphérie. La part de personnes d’origine étrangère parmi les bas revenus est également plus importante qu’autrefois.
Les pauvres ne sont pas seulement les chômeur.ses mais aussi des travailleur.ses aux salaires insuffisants, ou à temps partiel imposé, ou qui ont des emplois sous-payés, à la tâche, ou qui sont « auto-entrepreneurs » ou petits paysans. L’Insee évalue à 2 millions le nombre de travailleur.ses pauvres.