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Courant Alternatif 286 janvier 2019

Mouvement lycéen : un silence assourdissant

samedi 19 janvier 2019, par OCL Reims

En même temps que la mobilisation des gilets jaunes, nous venons de connaître le mouvement lycéen le plus massif depuis plusieurs décennies. Ce mouvement a concerné toute la France, les zones rurales, mais aussi toutes les banlieues populaires de la région parisienne et même les centre-villes. Fait nouveau, il a mobilisé à la fois les lycées généraux, les lycées professionnels et les lycées technologiques, en tous les cas en région parisienne. Par contre, ce qui les différencie des gilets jaunes, c’est qu’aucun media ne s’y est intéressé, pas plus que les syndicats hors éducation nationale et même pas tellement l’extrême gauche (évidemment pas l’extrême droite).


Le silence qui a entouré ce vaste mouvement est impressionnant. Et du coup, je ne suis pas en mesure de vous donner le moindre chiffre, je sais seulement que où que je me sois renseignée, j’ai à chaque fois eu écho de mouvements importants. Mais comme il n’y a rien eu pour centraliser les nouvelles, elles sont forcément éparses. Les media ont un peu parlé des lycées des centre-villes, mais les quartiers populaires, c’est terra incognita pour eux, ils ont fidèlement répété les déclarations gouvernementales.

Ce mouvement ne part pas de rien, et pas seulement d’une sympathie évidente pour les gilets jaunes et d’un sens politique certain qui consiste à s’engouffrer dans la brèche qu’ils ont ouverte. Dans le 93 en tous les cas il y a depuis plusieurs années des luttes contre les conditions matérielles qui se dégradent constamment, luttes d’enseignant-e-s mais aussi blocus d’élèves. Il fait suite aussi aux protestations contre Parcoursup. Il s’inscrit dans le contexte de la réforme des lycées et du bac qui va bouleverser en profondeur l’éducation nationale. Il y a eu plusieurs articles sur le sujet dans Courant Alternatif. Il y a tout d’abord une réforme des lycées professionnels contre laquelle il y a eu une tentative de mobilisation enseignante à la rentrée, tentative à laquelle se sont parfois joint-e-s les lycéen-ne-s. Cette réforme vise notamment à limiter les enseignements généraux au strict nécessaire pour l’apprentissage professionnel. Ceci montre bien les nouveaux projets du gouvernement en matière éducative et leur barre de fait les possibilités de poursuite d’études. Il y a ensuite pour les lycées généraux et technologiques la réforme du bac qui le transforme en diplôme local. Les élèves des quartiers populaires savent bien ce que ça signifie pour eux : la valeur du bac sera strictement liée à la valeur sociale de la zone d’habitation, avec Parcoursup qui a instauré la sélection à l’entrée à l’université. Elèves, parents et profs commencent à réaliser l’ampleur de la réforme applicable dès la rentrée prochaine, qui oblige à choisir ses études dès la fin de la 2de avec ce slogan cher à Blanquer de « bac – 3 à bac + 3 », des spécialités exigibles par les facs qui ne seront pas disponibles partout et sans dérogation pour quitter son secteur à part pour le privé, la fin des classes (pas sociales !) et les regroupements d’élèves éventuellement en amphi... Pour ceux et celles qui sont en zone rurale ou dans de petits lycées, peu de spécialités offertes, et toujours le même choix : pas les études souhaitées ou le privé. Les lycéen-ne-s ont peu d’expressions écrites, mais quand il y en a elles désignent Parcoursup, les réformes et l’absence de droits démocratiques dans les établissements scolaires.

La répression a été tout de suite extrêmement violente. Les lecteurs ont certainement vu les images des lycéens de Mantes, entendu parler des agressions à Simone de Beauvoir dans le 95, etc. Il faut savoir que ces violences policières ont été générales, et dans un grand silence. La tactique du pouvoir a été « circulez, il n’y a rien à voir ». Au moins dans le 93 mais aussi dans d’autres départements, les consignes du rectorat et de la préfecture ont été très fermes, il faut garder les établissements ouverts coûte que coûte, histoire d’annoncer des chiffres de blocages très faibles. Le silence des media va bien au-delà de faciliter une répression très violente. Ce qui s’est passé est à proprement parler hallucinant. Il faut bien comprendre les conséquences de cette consigne. Ca signifiait que là où il y avait des épisodes violents (feux de poubelles ou au-delà, caillassages...), non seulement les établissements restaient ouverts mais les parents recevaient des SMS comme quoi ils devaient envoyer leurs enfants à l’école. Il y avait donc une masse mouvante de jeunes, participant ou non au mouvement, plus ou moins fasciné-e-s par le spectacle, et ayant peur d’être comptabilisé-e-s absent-e-s, donc n’osant pas partir, à la merci des interventions policières. Sur les 151 lycéens agenouillés de Mantes, probablement que plus de 140 étaient dans cette situation, les « casseurs », eux, courent généralement plus vite. On sait que lorsque les profs sortent discuter avec les élèves, sont présent-e-s devant le lycée, ça fait généralement baisser la tension, de la part des élèves comme de la police. Ce n’est certes pas une tradition enseignante partout, loin de là, que d’afficher une solidarité avec les élèves, ou au moins une présence neutre. Mais cette fois-ci, dans plusieurs établissements, les enseignant-e-s étaient sommé-e-s de monter attendre leurs élèves dans des classes vides sous peine d’être comptabilisé-e-s comme grévistes. Lorsque les blocages n’étaient que filtrants, les absences étaient comptabilisées, moyen le plus sûr pour qu’ils deviennent totaux et plus violents. Lycéen-ne-s gazé-e-s, lycéen-ne-s blessé-e-s, lycéen-ne-s mis-e-s en examen, lycéen-ne-s sanctionné-e-s scolairement, c’est une forme de terreur qui a été utilisée non seulement contre ceux et celles qui participaient au mouvement, mais d’une certaine façon sur l’ensemble des jeunes. On ne sait s’il s’agit d’intimider l’ensemble d’une population, ou tout simplement que le pouvoir est prêt à la sacrifier pour sa politique du chiffre et des annonces officielles. Dans beaucoup de lycées les parents ont essayé d’assurer une présence en même temps que les enseignant-e-s et certaines fédérations ont protesté contre la répression, ce qui est loin d’être une habitude.

Il faut aussi comprendre la situation particulière des zones dites sensibles. Il est difficile pour les lycéen-ne-s de s’organiser : ils et elles sont obligé-e-s de rester à l’extérieur du lycée, n’ont pas le droit de se réunir, les grilles sont fermées ; mais en plus, la tension peut monter très rapidement et déraper sans que ce ne soit de leur fait. On a l’exemple d’un lycée où ce sont les dealers de la cité d’à côté qui sont venus briser violemment le blocus car ça risquait de déranger leur trafic. A partir du moment où il y a une escalade de la violence, que ce soit du fait de lycéen-ne-s en colère devant le mur de mépris et de silence que leur opposent leur autorité, ou de voisins qui profitent de l’occasion, les logiques peuvent facilement basculer, les logiques de quartiers (dont viennent la majorité des lycéen-ne-s) prenant petit à petit le dessus sur les logiques scolaires. Evidemment, dans cette logique, tout cela est filmé et diffusé sur les réseaux sociaux. Ce qui à mon avis, nous présage des retombées répressives très importantes dans les semaines qui vont venir. Répression judiciaire, et répression scolaire avec une multiplication des conseils de discipline. Et le silence total des media de ce point de vue peut laisser craindre le pire.

Tout ceci va-t-il retomber pendant les vacances ou reprendre de plus belle à la rentrée ? Difficile à prévoir, et vous ne le saurez pas au moment où vous lirez cet article, puisque les media n’en parlent pas. Parallèlement à tout ça, il y a des profs qui ont participé aux gilets jaunes, syndiqué-e-s ou non. Leur pouvoir d’achat a baissé, ils et elles sont de moins en moins valorisé-e-s, ils et elles sont humilié-e-s dans les media et maltraité-e-s par leur administration, ils et elles peuvent donc parfaitement se reconnaître dans le mouvement des gilets jaunes. D’autres et parfois les mêmes ont vu dans ce qui se passait, et chez les gilets jaunes et chez les jeunes, une occasion unique de pouvoir peut-être gagner contre les réformes en cours. Cette situation a permis qu’une partie grandissante des enseignant-e-s comprennent progressivement ce qui les attendait avec la réforme. Et en janvier février vont tomber les premières suppressions de postes qui lui sont liées. Le pouvoir en tous les cas se prépare. Il est possible que la où les profs résistent, ils et elles aient perdu des jours de paye dans ce mouvement, le nombre d’heures supplémentaires qui peuvent être imposées a augmenté, tout le monde sait que les salaires des fonctionnaires vont être gelés, le gouvernement a dans les tiroirs une réforme du statut. Il doit passer très prochainement une loi sur « l’école de la confiance » qui prévoit la possibilité de révoquer les enseignant-e-s qui critiquent l’institution. Et de multiples incidents, de profs convoqué-e-s en gendarmes-proviseurs, laissent présager une reprise en main violente.

Sylvie

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