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Courant Alternatif 291 juin 2019

Libye, entre mosquée et caserne

Première Partie

jeudi 27 juin 2019, par OCL Reims

Depuis deux mois, c’est une véritable guerre qui se déroule autour de Tripoli ; le bilan est de quelques centaines de morts, des milliers de blessés et des dizaines de milliers de déplacés pour l’instant. Une guerre banale comme tant d’autres pour le pouvoir, le territoire, le contrôle des richesses du pays et pour imposer un régime autoritaire et une vision politique. Profitant de l’exaspération de la société, exploitant la fatigue, le ras le bol des gens face à une violence au quotidien et des destructions sans fin, un groupe lourdement armé tente d’imposer un régime dictatorial sous la forme d’un état militaire.


« La France est en Libye pour combattre le terrorisme » selon JY Le Drian, ministre des affaires étrangères ; c’est exactement l’argument du général Haftar pour bombarder Tripoli, qui qualifie tous ses ennemis de terroristes ; si, il y a du terrorisme en Libye c’est en grande partie à cause de l’intervention militaire française de 2011. Quels sont les enjeux politiques et économiques de la France dans l’enfer libyen ? Pourquoi la France tente-t-elle de mettre en place un dictateur que tout laisse à croire qu’il n’y arrivera jamais car il faudrait des années pour conquérir une ville comme Tripoli, si ce n’est au prix d’un véritable carnage, comme en 2011 ?

Une offensive prévisible
Depuis trois ans, pour tenter de résoudre le chaos libyen, une succession de pourparlers, de négociations, de conférences nationales et internationales ininterrompues se sont succédées. Réunions organisées par les Émirats arabes unis, la France, l’Italie entre le chef du Gouvernement d’Union Nationale installé par l’ONU à Tripoli, Fayez Al-Sarraj et l’autoproclamé maréchal de l’Armée nationale libyenne (ANL) Khalifa Haftar, installé à l’Est du pays. Cette voie diplomatique, adoptée en apparence par les protagonistes nationaux et internationaux avec l’aide de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul) offrait une véritable poudre aux yeux et de fausses promesses. La plupart des acteurs de ce conflit n’ont jamais cru au processus diplomatique, processus qui finalement a abouti à l’aggravation de la situation : la partition du pays puis une autre guerre, la troisième, à Tripoli. Le maréchal Haftar, militaire expansionniste et autoritaire, a décidé d’abandonner finalement toute voie diplomatique où dialogue et de tenter une conquête par la force pour s’assurer que rien ne lui échappe. Des préparatifs de guerre étaient visibles avec les visites de Haftar en Égypte et en Arabie Saoudite et d’autres signes inquiétants s’accumulaient qui ont poussé les pays occidentaux à demander à leurs ressortissants de quitter Tripoli, les Etats-Unis ont retiré leurs troupes (Africom) de la Libye, mais malgré cela la communauté internationale a gardé le silence. Haftar considère ce mutisme comme le feu vert pour déclencher sa guerre, le jour même de la visite en Libye du secrétaire général de ONU, António Guterres, le 4 avril, afin que sa provocation ait le plus d’effet possible. Cette nouvelle offensive militaire contre Tripoli, est selon lui pour la libérer, la "purger des terroristes et des mercenaires". Il croit pouvoir entrer dans la capitale au bout de quelques heures -au pire quelques jours- de combat, ivre de son succès précédent sur le Fezzan et dans le Sud en janvier 2019, pensant alors être « accueilli avec des fleurs et les youyous ». Certaines mauvaises langues disent qu’on lui a tendu un piège pour se débarrasser de lui, car même ses alliés ont fini par le considérer comme l’obstacle majeur à une solution de la crise libyenne. Avant son intervention, Haftar et ses alliés ont établi des contacts secrets avec certaines fractions de milices ainsi que des marchandages avec un certain nombre d’acteurs de Tripoli, pour éviter toute opposition à son arrivée, désamorcer toute résistance possible et favoriser le ralliement de nombreux opportunistes à sa cause. Haftar insistait alors sur son désir d’éviter tout effusion du sang, comme il l’avait fait dans une partie du Fezzan où il n’y a pas eu de combat car les groupes armés ont préféré quitter la région, des personnalités locales ont été achetées, des accords ont été conclus avec des groupes et communautés, notamment Touaregs. Le jour même du déclenchement de la guerre, Haftar demande, lors d’une allocution télévisée, aux Tripolitains de rester chez eux, de ne pas combattre ou de porter des drapeaux blancs s’ils veulent rester en vie. Il a baptisé sa guerre, Toufan Al-karama, déluge de la dignité.
Mais le plan a échoué, au moins jusqu’à ce jour, où il se trouve piégé et embourbé dans une guerre qu’il ne pourra pas gagner sans détruire la capitale. Sa précipitation a, au contraire, permis l’unité de milices rivales pour mener une contre-offensive imprévue et a déclenché l’hostilité des habitants de Tripoli qui s’interrogent : « Qui lui a demandé de nous libérer ? » Presque deux mois après, ses milliers de soldats -entre 20 et 25 000- sont bloqués à la périphérie de la ville, loin de ses bases. Ses troupes, venues du sud, ont dû traverser une région dépeuplée, poursuivre vers l’ouest, puis le nord, en direction de Tripoli car l’hostilité de Misrata à son projet l’a empêché de déplacer ses troupes de Benghazi, le long de la côte et d’arriver par la route la plus courte, à l’Est. Actuellement se posent tous les problèmes de ravitaillement en eau, essence, nourriture, etc. même s’il compte sur l’aide de ses alliés pour avoir des armes et des conseillers militaires.
Quant à la population, elle reste divisée entre hostilité et acceptation. Depuis le 4 avril des milliers de personnes manifestent tous les vendredis contre cette offensive à Tripoli et dans d’autres villes ; beaucoup de ces manifestants portent barbe et djellaba surtout au début, ensuite le mouvement s’est élargi à la majorité de la population. Certains portent des gilets jaunes dans un défi lancé à Macron et à la France, dénonçant le soutien au futur dictateur militaire du pays ; on peut y voir et entendre des slogans hostiles et des portraits de Macron piétinés par les manifestants ; ou encore des slogans à caractère plus social : un Etat civil pas militaire ; des écoles, des hôpitaux pas des casernes ; prenez le pétrole, mais laissez-nous vivre. Ces manifestations ne doivent pas faire oublier qu’une partie de la population pense que Haftar est la solution contre les frères musulmans, la corruption, les diverses pénuries et le pouvoir des groupes armés qui contrôlent la ville et empêchent le pouvoir « démocratique » de s’exercer.

Le contexte général
Depuis plus de 8 ans, la société libyenne n’a pas connu la « paix », ni la « démocratie », ni « la prospérité » promises par la France et l’Otan ; au contraire, elle souffre d’une guerre sans nom et sans raison apparente qui était tout à fait évitable. Chaque fois que la situation s’améliore et tend vers une stabilité toute relative, de nouveaux conflits éclatent pour réinstituer le chaos habituel : conflits armés entres différents groupes, bombardements des villes, tirs de roquettes quotidiens, assassinats, enlèvements, négociations, ... La classe politique, les hommes d’affaires, les groupes mafieux de trafiquants font tout pour que la situation reste telle qu’elle est, c’est-à-dire un chaos éternel, car dans ce terreau jonché de cadavres pousse l’argent et eux, cultivent leurs richesses. Le contexte social et économique est tellement détérioré qu’il est impossible d’envisager des solutions rapides (voir les articles précédents dans CA sur la Libye). La seule nouveauté dans cette histoire est la pénurie pour le citoyen lambda de liquidité (monnaie) dans les banques, sachant que les Libyens ont leurs salaires et tout leur argent dans les banques, il leur faut rester dans des files d’attente des journées entières pour réussir à avoir tout juste droit à 500 dinars, l’équivalent de 100€ par mois. Cette situation dure depuis plus d’un an et c’est la première fois que les Libyens commencent à avoir faim. Comme ils continuent à vivre sans électricité des heures entières chaque jour et faire la queue pour l’essence et le pain.
La société libyenne est une société bloquée, asphyxiée par la violence, la religion, la corruption et l’incompétence. Il y a très peu d’espace possible pour une lutte sociale, ou des contestations de grande ampleur, comme cela a été le cas en Algérie et au Soudan. Il est très difficile de contester ou se révolter contre des fantômes, car le gouvernement de Tripoli n’a pas d’existence réelle, le pouvoir est dans les mains des milices et de ceux qui les contrôlent. Il y a eu quelques mouvements de grèves des enseignants, des douaniers pour obtenir le paiement de leurs salaires, et quelques rassemblements spontanés contre les problèmes d’insécurité ou la crise et pénurie de lait, de farine ou de liquidité dans les banques.
Une raison à ce manque de réactivité, c’est que les véritables exploités en Libye, les travailleurs sont majoritairement des immigrés. Ce sont eux, les immigrés, qui font marcher les boulangeries, les menuiseries, les garages mécaniques, les maraîchages et les fermes agricoles, effectuent les travaux de bâtiment et de construction : maçonnerie, plâtre, peinture, etc. Ces travailleurs n’ont pas le pouvoir de s’organiser, ni de contester, ils sont sans papiers, sans droits, sous la menace permanente d’être dénoncés, arrêtés, conduits en camp ou en prison ou tout simplement tués. Un autre aspect gangrène le pays, en plus de la guerre, la violence et le manque de possibilité d’organisation, c’est la religion qui englobe la société de part en part, sans possibilité aucune de respirer, sinon clandestinement à ses risques et périls.
Les groupes armés sont composés de jeunes sans travail et très peu instruits, souvent sans formation professionnelle. L’engagement dans un groupe n’a rien d’idéologique ou politique, au moins au début, souvent ce sont les chefs de ces groupes qui dessinent l’orientation politique selon leurs propres intérêts et alliances. Ces groupes armés récupèrent beaucoup d’argent de l’Etat lui-même, et aussi par d’autres moyens comme la corruption, les trafics, les taxes, opérant une sorte de réappropriation, les armes à la main. S’ils lâchent leur kalachnikov, ils retournent d’où ils viennent c’est-à-dire à la misère. Ils servent et défendent les intérêts de la bourgeoisie des grandes villes, notamment Tripoli, Misrata, Zawiya, Zwara, etc. tout en défendant leurs intérêts aussi ; ils décident eux-mêmes du montant de leurs salaires, plus toutes les primes et avantages. C’est comme s’ils prélevaient un petit pourcentage sur l’argent qu’ils génèrent pour la bourgeoisie. Ce pourcentage est petit certes mais comme les sommes sont colossales, ils gagnent bien leur vie et ne sont pas prêts à lâcher leur gagne-pain.

Malgré les difficultés du quotidien, les Libyens se sont habitués, considérant que la situation est provisoire et que la crise va passer. Certains pensent même que globalement la situation commence à s’améliorer, qu’elle n’est plus la même qu’en 2014. Le gouvernement d’Al-Sarraj reconnu par les Nations unies, est considéré comme légitime par les instances internationales, et les islamistes ont perdu du terrain. Les islamistes radicaux et djihadistes ont été quasiment éliminés de la vie politique et militaire de Tripoli, une bonne partie d’entre eux a même quitté le pays, ou se sont convertis en hommes d’affaires, quant aux frères musulmans ils font partie du paysage national et régional, comme au Maroc, en Tunisie ou en Jordanie, voire en Turquie. Les groupes armés, dont le nombre dépasse la centaine en 2016, sont regroupés en quatre ou cinq grandes unités plus au moins intégrées dans les structures militaires de gouvernement, l’armée ou la police ; ainsi on voit de moins en moins de barrages sur les routes, en somme la vie continue, on s’approche de la normalité d’avant 2011, le processus diplomatique suit son cours, c’est la vision optimiste de la situation en Libye qui justifie aux yeux des adversaires de Haftar, l’urgence de le stopper avant qu’il ne casse tout.

Retour en arrière
Un chaos politique, social et économique s’est installé en Libye depuis 2011. Après le succès relatif des premières élections du 7 juillet 2012, imposées sans consultation par la communauté internationale à une population qui n’a jamais connu de processus électoral, ni de véritables partis politiques, et organisées sans préparation mais avec beaucoup d’enthousiasme, le Congrès général national (CGN) a été formé pour remplacer le sinistre CNT, conseil national de transition, qui a conduit la pseudo révolution du 17 février. Le processus de transition vers la « démocratie » s’arrête à ce stade en 2014, du fait des conflits d’intérêt, d’une opposition croissante entre différentes factions islamistes, libéraux et opportunistes de tout bord et à cause de la guerre entre plusieurs milices armées qui fait des centaines de morts et conduit à la destruction de l’aéroport de Tripoli. Au printemps 2014, le lancement de l’opération « Dignité-Alkarama » par Haftar à l’Est et la constitution de la coalition « Aube de la Libye-Fajr Libya » alliant Tripoli et Misrata et à coloration frères musulmans, ont précipité la division de la Libye en deux camps. Malgré l’hostilité des Libyens à une partition du pays, de fait la Libye est actuellement divisée en deux parties, l’Est et l’Ouest, avec deux gouvernements, deux parlements et deux armées.
La communauté internationale estime qu’elle est sur la bonne voie pour réparer les dégâts causés par la France et l’Otan, grâce à la nomination d’un représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies, depuis septembre 2014 - M. Ghassan Salamé, qui a pris ses fonctions au mois de juillet 2017, il est le 4ème à ce poste. Ces démarches diplomatiques ont abouti à la signature entre représentants des différentes parties libyennes d’un accord politique le 17 décembre 2015 à Skhirat au Maroc. L’accord de Skhirat a créé un organe spécifique, un Conseil présidentiel de neuf membres, dirigé par le Premier ministre Fayez Al-Sarraj et chargé de constituer le gouvernement d’union nationale. Le Conseil présidentiel et son gouvernement sont installés à Tripoli, non sans difficulté, depuis le 30 mars 2016. Le maréchal Haftar et le gouvernement de Toubrouk n’ont pas reconnu ces nouvelles institutions. Les affrontements se sont ainsi poursuivis au cours de l’année 2016, avec la prise du croissant pétrolier par l’armée nationale libyenne ANL de Haftar et la lutte pour le contrôle du centre de la Libye.

Le cirque diplomatique
Le 14 avril devait avoir lieu une conférence nationale organisée par l’ONU à Ghadamès, conférence tant attendue après des mois de préparation, des centaines de réunions et consultations préparatoires. C’était l’opération de la dernière chance pour la société libyenne afin de construire un plan de réconciliation globale, une « feuille de route pour 2019 ». L’objectif, fixé par les Nations unies, est d’inclure toutes les composantes de la société libyenne, y compris les partisans de l’ancien régime de Khaddafi jusqu’ici marginalisés. Organisée par le Centre pour le dialogue humanitaire (HD) - dont Ghassan Salamé a été membre du bureau-, elle a pris la forme de quelques 70 réunions qui ont eu lieu, au printemps 2018, dans différentes villes libyennes. L’initiative a suscité un certain intérêt, voire des espoirs. « C’est la première fois que l’ONU donne l’occasion au peuple de s’exprimer. D’habitude, les négociations n’ont lieu qu’avec les politiciens. Nous n’avions pas pu participer à Skhirat, par exemple », selon les propos du maire d’une ville qui a organisé une des réunions. Exactement dix jours avant la tenue de cette conférence, profitant de la présence du secrétaire général de l’ONU António Guterres à Tripoli venu appuyer le processus de négociation, Haftar arrête de jouer à la diplomatie, sachant de toute façon que les conclusions, quelles qu’elles soient, ne lui conviendront pas.

Le Maréchal
Khalifa Haftar est un ancien militaire à la retraite, compagnon de Kadhafi lors du coup d’Etat de septembre 1969 qui a placé les militaires au pouvoir pendant 42 ans. Fait prisonnier au Tchad puis libéré par l’armée américaine, la CIA le finance pour lancer un coup d’État contre Kadhafi ; le coup d’État échoue et depuis 1990, Haftar vivait en Virginie où il est également devenu citoyen américain jusqu’en février 2011, date à laquelle il est apparu à Benghazi pour soutenir le mouvement insurrectionnel qui a renversé Kadhafi. Pour beaucoup de Libyens, à l’époque la manœuvre était claire : ce général est venu avec la mission de prendre le pouvoir, et prendre sa revanche en remplaçant le colonel. Sa tentative de prendre le pouvoir en 2011 a échoué. Les groupes armés proches des Frères musulmans le considéraient comme un laïc pro-américain et l’avait écarté. La situation a changé en 2014 après que les militaires égyptiens eurent chassé du pouvoir les frères musulmanes et le président Morsi. L’Égypte, sous le nouveau président al-Sissi, voulait éliminer la menace islamiste grandissant en Libye. Haftar a eu le projet de former une armée et de prendre le contrôle de Benghazi. Les Émirats Arabes Unis ont financé le projet. Il devient chef de l’armée libyenne qu’il réussit à reconstituer avec d’anciens officiers Kadhafistes. Combinant l’argent des Émirats Arabes Unis, un soutien aérien égyptien, des approvisionnements russes et le soutien de forces spéciales et de renseignements français, Haftar a peu à peu vaincu les divers groupes islamistes et pris le contrôle de la ville. Cela lui prendra quatre années pour détruire Benghazi entièrement et mettre en fuite les islamistes radicaux, d’Ansar al-Chariaa vers Syrte et vers le Sud. L’Armée contrôle la ville de Benghazi depuis le début de l’année 2018 et a conquis en juin de la même année, la ville de Derna, qu’elle assiégeait depuis plus de deux ans. Haftar, après avoir renforcé ces positions à Benghazi et consolidé sa présence en Cyrénaïque en remplaçant les maires, les conseils municipaux (seules structures issues d’élections non contestées) par des militaires plus « efficaces », projette d’attaquer Tripoli, fort de son succès contre les islamistes de Benghazi, il souhaite continuer son travail pour se débarrasser définitivement de l’Islam politique, comme ses confrères armés l’ont fait en Egypte, en gardant des liens étroits avec l’Islam salafiste - notamment les madkhalites (1) qui gagnent du terrain de manière spectaculaire et inquiétante un peu partout dans le pays y compris les régions amazighophones (berbères). Ceux-ci soutiennent Haftar, comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats Arabe Unis et la France.

Conclusion
La guerre qui ravage ce petit pays depuis des années n’est pas le fruit du hasard de l’histoire. Les causes de cette guerre, même complexes et multiples, sont toujours les mêmes qui ont allumé d’autres guerres : le pétrole, le gaz, le contrôle des zones stratégiques, la concurrence entre plusieurs belligérants. Des raisons plus souterraines, idéologiques plus qu’économiques, continuent à orienter les évènements en Libye au-delà d’une guerre par procuration entre la France et l’Italie concernant l’immigration et une concurrence économique dans la région. C’est une autre guerre parallèle entre l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis d’une part et le Quatar et la Turquie, d’autre part, qui a des causes plus « idéologiques ». Il s’agit de l’Islam politique globalement et des frères musulmans en particulier. La Turquie et le Qatar protègent et subventionnent les frères musulmans libyens, l’Arabie saoudite et les Emirats ainsi que l’Egypte les considèrent comme des ennemis mortels et une menace directe sur leurs régimes, et les ont classés comme organisation terroriste. Ils mènent une campagne de grande envergure pour persuader le gouvernement américain de faire la même chose. Premier succès de leur effort, avoir fait basculer Donald Trump dans le camp de Haftar et le soutenir publiquement, malgré une indifférence de l’administration américaine qui n’est pas intéressée d’intervenir dans ce guêpier.
On ne peut faire l’impasse de cette campagne contre l’Islam politique quand on entend Macron dénoncer, lors d’une conférence de presse le 25 avril 2019 sur les leçons que le gouvernement tirait du mouvement des Gilets Jaunes : « … ceux qui au nom d’une religion poursuivent un projet politique, celui d’un islam politique qui veut faire sécession avec notre République ». L’Extrême Droite a sauté sur l’occasion, des parlementaires de LR réclament la dissolution de toutes « les organisations affiliées aux Frères musulmans, que la France devait qualifier les Frères musulmans de terroristes ». Mais ces propos de Macron ne s’adressent peut-être pas du tout aux Français, et seraient un message subliminal au maréchal Haftar et à ses alliés, les encourageant à poursuivre leur tâche de nettoyage idéologique.

saoud salem, OCL Toulouse, 20 mai 2019
à suivre dans un prochain numéro de CA deuxième partie

note
1- les « madkhalistes », du nom du cheikh saoudien Rabea al-Madkhali. Caractéristique principale de cette tendance salafiste particulière : « l’obéissance au gouverneur musulman », quel qu’il soit, selon le principe que la « fitna (la discorde entre les musulmans) est dangereuse ». Apolitiques, les madkhalistes se signalent par leur hostilité à tous les mouvements de l’islam politique, comme les Frères musulmans et à ceux du jihadisme, type Daech et Al-Qaïda. En 2016, Rabea al-Madkhali émet une fatwa qui encourage ses partisans à rejoindre les rangs de Khalifa Haftar. Ils sont en première ligne dans l’offensive de Derna, notamment via la Brigade Al-Tawhid, basée à Benghazi. Certains madkhalistes ont même directement intégré les rangs de l’armée libyenne nationale (ALN).

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