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Courant Alternatif 303 octobre 2020

L’explosion de Beyrouth soufflera-t-elle aussi le régime en place ?

dimanche 18 octobre 2020, par OCL Reims


Une catastrophe pas si surprenante
Au vue de l’instabilité régionale, après les deux explosions, on a d’abord pensé à une attaque terroriste ou une attaque d’Israël ou même des USA qui voudraient atteindre l’Iran à travers le Liban. Mais, non, ce n’est qu’une énième conséquence catastrophique de la gestion calamiteuse du pays du fait des manquements et de la corruption des hommes politiques, des hauts fonctionnaires et de l’élite capitaliste. Trop occupés à saccager le pays et s’enrichir personnellement, ils ont plongé le peuple dans la misère et se sont montrés incapables d’assurer les besoins fondamentaux de la population et des millions de réfugiés vivants au Liban.
Aujourd’hui, on apprend que depuis 6 ans, plus de 2 700 tonnes de nitrate d’ammonium sont stockées sans mesure de protections particulières dans un hangar du port de Beyrouth, dans une zone très densément peuplée. Comment une telle situation a pu se prolonger aussi longtemps ? Les libanais ne sont pas surpris, c’est ainsi que sont traitées toutes les affaires courantes du pays.

Mais cette fois c’en est trop !
Avec environ 200 morts, 7000 blessés et surtout 300 milles personnes sans logement, la rage des libanais s’est à nouveau exprimée dans des manifestations émeutières.
En effet, le limogeage de quelques fonctionnaires de la douane pointés comme responsables n’a pas comblé la soif de justice des libanais ni suffit à calmer leur exaspération concernant ce régime complètement pourri.
Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue le samedi 8 août surnommé très vite le « samedi de la rage » tant les affrontements ont été violents.
La détermination de ceux qui se mobilisent est particulièrement forte, surtout dans ce contexte où l’état d’urgence a été déclaré et la sécurité de la capitale confiée à l’armée.
La journée a commencé avec l’érection de barricades place des martyrs, où sous des slogans hostiles à l’ensemble des partis au pouvoir, tels que « vous étiez corrompus, vous êtes devenus des assassins », des représentations en carton et taille réelle des différents dirigeants politiques ont été pendus.
Les manifestants ont ensuite assailli le ministère des affaires étrangères, détruisant les portraits du président en hurlant « Vas-t-en, vas-t-en ! » « Démissions ! Démissions ! ». Déclaré « quartier général de la révolution », il restera occupé jusque dans la soirée quand l’armée réussira à le faire évacuer.
Puis, ils se sont rués vers les autres ministères : l’économie, l’environnement et l’énergie, saccageant ce qu’ils pouvaient avant d’en être chassés. Des banques et surtout l’association des banques du Liban ont été assaillies et incendiées.
La foule déchaînée, a alors tenté d’accéder au parlement, c’est là que les affrontements ont été les plus sanglants. La police et l’armée ont défendu le bâtiment avec violence et ont finalement réussi tard dans la nuit à disperser les émeutiers et à reprendre le contrôle de la ville.
Le bilan des affrontements de ce samedi aura été très lourd : 1 policier tué et 730 blessés environ.

A la colère s’ajoute la douleur
Les révoltés sont surtout des jeunes, dont l’objectif est clairement révolutionnaire : abattre le système. Ce sont les mêmes jeunes qui ont participé aux manifestations antigouvernementales de l’année dernière, leur juste colère ayant été ravivée.
Les manifestations sont pensées et organisées en amont, l’assaut contre les divers ministères avait, aux dires des manifestants, été préparé depuis quelques jours. L’occupation du ministère des affaires étrangères visait aussi à envoyer un signal aux autres pays.
Ces jeunes en colère sont rejoints par des proches de victimes qui réclament justice avec des photos sous-titrées « mon gouvernement m’a tué » et par des personnes dont les appartements ont été détruits. C’est ainsi qu’hors affrontements, les manifestations sont plutôt tristes et silencieuses ce qui contraste avec celles de l’automne 2019.

Réponse des gouvernants libanais
Les politiciens ont d’abord vainement essayé de sauver la face et de conserver un peu de leur autorité. Mais très vite, l’inquiétude face à la population en révolte a pris le dessus et les promesses ont déferlé : les responsables de l’explosion seront sévèrement punis, les habitations seront reconstruites aux frais du gouvernement, de nouvelles lois vont être votées, des élections anticipées vont être mises en place... Mais se refaire une réputation après des années de mensonges et corruption est voué à l’échec. Cela fait bien longtemps que la population ne fait plus confiance à ce gouvernement.
Las, en quelques jours les démissions s’enchaînent chez les ministres : affaires étrangères, finances, justice, environnement, information, la défense et enfin le premier ministre Hassan Diab.
Le choix d’un nouveau premier ministre a eu lieu extrêmement rapidement... sûrement à cause des pressions des institutions financières internationales pour avoir un interlocuteur avec qui négocier.
Il s’appelle Mustapha Adib, c’est l’ex ambassadeur du Liban en Allemagne. Sunnites, chiites, maronites tous ont soutenu l’élection de ce diplomate inconnu du grand public. En vérité, Adib a toujours eu un pied dans l’establishment politique, c’était par exemple le conseiller de l’ancien premier ministre (et multi-milliardaire) Najib Mikati.

Première visite : Macron le sauveur
Dès le lendemain de l’explosion Macron a accouru au Liban. A-t-il profité d’un peuple encore sous le choc, pour être bien accueilli et oublier un peu les gilets jaunes ? Il a visité seul les restes du port de Beyrouth, alors que les règles diplomatiques auraient du le voir accompagné de son homologue ou du premier ministre libanais. On peut interpréter cela comme une volonté d’affirmer sa puissance (coloniale) ou de désavouer la classe politique libanaise actuelle, mais le plus vraisemblable est qu’il ait été avisé que les ministres libanais qui avaient tenté de venir sur les lieux de l’explosion ont tous été chassés par la population !

Des aides financières en échange de réformes
Macron est coprésident avec l’ONU, le 9 août, de la « Video-Conférence internationale de soutien et d’appui à Beyrouth et au peuple libanais ». Le président libanais Aoun y prendra la parole en troisième... On n’est pas loin de la ré-instauration d’un certain... protectorat ! 28 pays ainsi que des institutions comme la Ligue Arabe, le FMI et la Banque Mondiale ont participé à cette réunion. Il y a été annoncé une aide de 250 millions d’euros pour le Liban. Cette aide d’urgence internationale est sans condition mais quand même subordonnée à la mise en place « des réformes politiques et économiques demandées par le peuple libanais ». C’est comme les aides de l’UE pour la crise de la Covid, des aides sans conditions mais soumises à la mise en place de réformes... Dans le cas du Liban, on a même l’audace de préciser « demandées par le peuple ».
De toute façon, le Liban qui n’a plus de réserves alimentaires, qui a des problèmes en approvisionnement en eau et électricité et maintenant 300 milles nouveaux sans abris et une capitale à reconstruire est de moins en moins en mesure de peser dans les négociations. Le prêt du FMI lui est indispensable.

Deuxième visite : Macron dicte sa loi !
La deuxième visite du président français, le 31 août, était prévue de longue date afin de célébrer le centenaire de la création du « Grand Liban », création ayant eu lieu sous mandat français.
C’est surprenant car pour le Liban, la fête nationale correspond à son indépendance de la France le 22 novembre 1943. Le 1er septembre 1920 quant à lui reste le souvenir de la période coloniale française. Mais la situation est tellement catastrophique au Liban que beaucoup de libanais disent regretter cette période... période qu’ils n’ont pas connue... regrets très relatifs donc !
Quoi qu’il en soit, Macron n’est pas venu juste pour écouter Fayrouz chanter et pour planter un cèdre, non il en a profité pour s’entretenir avec chacun des partis politiques libanais, qui ont tous joué le jeu, Hezbollah compris. A tous il a posé un ultimatum : ou bien ils récupèrent la confiance du peuple ou ils doivent partir. C’est particulièrement ironique quand on sait que Macron dans son propre pays est très loin d’avoir la confiance de son peuple mais n’a pas l’air de vouloir partir !
Macron est venu faire « un point d’étape » concernant les aides humanitaires certes, mais surtout fixer lui-même le calendrier politique pour les libanais. Il a demandé des « engagements crédibles » de la part des dirigeants libanais, promettant des « conséquences » si ceux-ci n’étaient pas tenus. Il a annoncé que dans 15 jours il y aura un nouveau gouvernement au Liban, et des élections législatives dans 6 à 12 mois... est-on revenu 100 ans en arrière pour oser une telle ingérence ?
Il a prévu sa prochaine visite de contrôle en décembre... mais dès le 18 septembre, le délai des 2 semaines pour la création du nouveau gouvernement étant dépassé de 3 jours, Macron a téléphoné au président Michel Aoun pour insister. Le premier ministre Mustafa Adib a beau multiplier les rencontres avec les différents partis, pour le moment rien ne semble se concrétiser. Il semblerait que la difficulté principale réside dans le fait que toutes les factions veulent contrôler le ministère clef des finances qui aura à gérer les aides économiques promises par le FMI.
Même si les manifestations sont maintenant plus marginales, dès mardi 1er septembre au soir, quelques libanais sont ressortis dans la rue. Ils ne sont pas dupes et contestent la nomination de Adib vu comme un premier ministre fantoche : non seulement il incarne les anciens partis politiques mais en plus il renvoie au colonialisme français. Dans ces manifestations on peut entendre le gouvernement être surnommé « gouvernement de la Résidence des Pins » du nom de la résidence de l’ambassadeur français et ancien siège des administrateurs du mandat coloniale.

Un projet global
Les visites de Macron au Liban ne peuvent pas ne pas être mises en lien avec ses prises de position dans le conflit qui oppose la Grèce à la Turquie. Il a ainsi pris la décision de « renforcer temporairement la présence militaire française en Méditerranée orientale en envoyant deux chasseurs Rafale et deux bâtiments de la Marine nationale sur place.
La France étend ainsi sa présence dans la région sur tous les fronts, le militaire venant s’ajouter au politique et à l’économique. En effet, elle est déjà présente avec ses grandes entreprises au Liban. Pour ne citer qu’un exemple, l’exploration offshore du gaz et du pétrole libanais est géré par un consortium dirigé par Total (Eni et Novatek étant les deux autres participants).

Que pensent les autres puissances mondiales ?
Du coté des israéliens, rien de neuf, des raids aériens ont eu lieu dans le Sud du Liban ces dernières semaines et des drones continuent de survoler le Liban. Officiellement ces bombardements sont une réponse à des coups de feu tirés depuis le Liban contre Israël et visent des positions du Hezbollah.
Concernant les Etats-Unis, l’entrée du Liban dans le camp « occidental » via la France est un bon moyen de mettre à mal l’axe chiite Syrie-Iran. Mais, si la France persiste à dialoguer avec le Hezbollah et donc reconnaître son poids politique cela pourrait finir par les irriter. Pour les USA, négocier avec le Hezbollah n’est pas envisageable : c’est un soutien de l’Iran et une menace pour Israël. On peut légitimement se demander qui Macron cherche à séduire avec ses phrases du type « je ne donnerais pas un chèque en blanc à cette classe politique ». S’adresse-t-il au peuple libanais en colère ou aux américains et israéliens pour leur signifier qu’il ne soutiendra pas le Hezbollah ?

N’oublions pas la Chine
Les chinois se tiennent prêts à investir : ils ont déjà une bonne implantation en Afrique, sus maintenant au Moyen-Orient ! La Chine a déjà une grande influence économique au Liban en assurant 40 % de ses importations. Elle y a également de nombreux projets d’infrastructures notamment la construction d’autoroutes. Elle n’a donc pas tardé à faire des propositions pour la reconstruction du port de Beyrouth.
L’Iran et le Hezbollah voient la Chine comme la meilleure option pour contrer l’influence et surtout les sanctions des Etats-Unis. Hassan Nasrallah le secrétaire général du Hezbollah a appelé dès le mois de juin à « se diriger plus à l’Est » sous-entendant de rejeter les propositions du FMI. Rationnellement, jouer la carte de la Chine est une véritable alternative pour le Liban car on peut penser que celle-ci sera moins exigeante que le FMI dans l’imposition de réformes.

Conclusion
Entre les milliardaires et hommes politiques corrompus de leur pays et les puissances étrangères tout sauf désintéressées, la sortie de la crise économique et sociale semble de plus en plus laborieuse pour les libanais. Avec ses deux visites officielles et ses discours, Macron garantit que la France regagne de l’influence sur le Liban... les aides financières seront la motivation ou plutôt le moyen de subordination.
La situation dans les camps de réfugiés déjà rendue extrêmement difficile avec la crise financière et la crise sanitaire de la Covid a encore empiré après l’explosion du port. Beaucoup d’habitants qui envisageaient de quitter le pays face à leur avenir incertain, ont sauté le pas après la catastrophe. Ceux qui ont les moyens ou de la famille à l’étranger pourront quitter le Liban dans des conditions correctes, les autres partirons dans des embarcations de fortunes vers Chypre... sans que les navires militaires français viennent à leur secours, malheureusement.
Elsa

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