CA 309 avril 2021
Occupations de Théâtre à Limoges et à Lillle
mardi 6 avril 2021, par
Un mouvement vient de démarrer dans les théâtres en démarrant par l’Odéon et s’étendant à de nombreuses scènes de province, dont le théâtre de l’Union à Limoges. Nous avons répondu à l’appel au soutien le samedi 13 février et sommes allés écouter, chanter et débattre avec les précaires de la culture en lutte.
Tout d’abord, je veux signaler que ce lieu est hautement symbolique dans la mémoire des Limousins et de leurs luttes. Il a été créé en 1911 par l’Union des Coopérateurs de Limoges, coopérative de consommation gérée par les ouvriers et ouvrières. Cette salle fut d’abord une salle des fêtes et des meetings et comprenait une importante bibliothèque. Elle est ensuite devenue un cinéma dans les années 30 jusqu’à sa fermeture en 1971. Il a fallu une mobilisation associative pour la sauvegarder de la destruction dans les années 80 et lui redonner une vocation culturelle à partir de 1989. A plusieurs reprises dans son histoire récente, ce théâtre accueillit des luttes comme en mai 2016 une soirée « Nuit debout » suivie en juin par une occupation de 4 jours par les intermittents. La dernière mobilisation des salarié.es de l’Union est toute récente puisque le 8 octobre dernier, une trentaine d’employé.es interrompait un spectacle pour demander la démission de leur directeur (en raison de ses abus d’autorité et de harcèlement moral). Suspendu par les administrateurs, il a fini par démissionner en décembre.
En nous rendant à cet appel à soutien, nous étions dubitatifs, car il se disait que les soutiens seraient reçus dehors et que seuls les artistes pourraient entrer et participer à l’AG. Ça, c’était en réalité la position du directeur temporaire, mais pas celle du personnel en lutte. Nous avons donc pu faire une première rencontre de soutien dans le hall du théâtre à environ 150 personnes. Et nous avons été tout à fait rassurés et intéressés par les objectifs de ce mouvement.
Si dans les revendications des professionnels de la culture, il y a bien sûr la réouverture des lieux de culture, ce n’est absolument pas leur priorité. Ce qui mobilise avant tout les intermittents du spectacle, c’est le retour "indécent" dans le calendrier politique de la réforme de l’Assurance chômage, en pleine crise sanitaire et économique. Ils considèrent cela comme une véritable menace pour tous les chômeurs, et en particulier ceux qui travaillent en CDD d’usage, celles et ceux dont l’emploi n’est par nature, pas continu. Il et elles se battent aussi pour tous les précaires, de la culture, mais aussi les saisonniers de l’hôtellerie-restauration, du tourisme, etc. "Plus de deux millions d’intermittents de l’emploi qui n’ont rien eu depuis 1 an à part basculer au RSA" expliqua l’un d’eux. Metteur en scène et porte-parole de la Coordination des Intermittents et Précaires en Limousin (CIP), il déplore que l’Etat n’ait pas du tout pensé à ces travailleurs :"C’est notre priorité absolue. Ce sont des gens avec qui on travaille. Ce sont des gens qui sont guide conférencier, qui sont en extra dans la restauration, ce sont les maîtres d’hôtel. Ils bossaient énormément mais comme nous, ils sont empêchés de travailler depuis le début de la crise. Sauf que, eux n’ont rien eu du gouvernement."
Pas même le chômage partiel puisque leurs patrons n’ont logiquement fait signer aucun contrat dans ce contexte. Et leur situation préoccupe. D’ailleurs, si les intermittents demandent une 2e année blanche pour leurs droits au chômage, ils militent en faveur d’un dispositif similaire pour ces travailleurs-là. Ils sont en train de perdre tout ce qu’ils avaient. "Ils n’ont pas retravaillé. Ils épuisent leurs droits au chômage. Ils n’ont pas eu de prolongation de leurs droits » explique Elise, comédienne et co-fondatrice du mouvement "Luttons pour ne pas mourir". Une autre intervenante représentant le collectif des Matermittentes a évoqué les problèmes d’accès à la santé, à la sécurité sociale et au congé maternité pour les intermittent.es du spectacle comme pour les autres précaires.
Il y eut ensuite quelques autres témoignages de soutiens allant dans le même sens, du syndicaliste d’un musée à un lycéen, sans compter les plus précaires de la culture, ceux qui ne travaillent pas assez ou pour des structures trop pauvres pour avoir un revenu suffisant pour pouvoir accéder au statut d’intermittent. Le directeur provisoire a fait une intervention bien maladroite pour dire qu’il comprenait les difficultés des autres, mais que sa priorité c’était la réouverture pour préserver l’avenir de son théâtre et en particulier la formation des jeunes de l’académie de l’Union (les cours et les répétitions se poursuivent en interne). Il craint que l’occupation, surtout avec des « éléments extérieurs », entraine une fermeture administrative.
Ce n’est pas l’avis de ses salariés qui invitent tous ceux se sentant concernés à les rejoindre. C’est donc un démarrage de lutte particulièrement intéressant, mais pour qu’elle s’étende à l’ensemble des précaires, il faudra bien sortir des théâtres et aller vers les autres catégories de chômeurs et de précaires. Ce n’est pas facile de construire un tel mouvement, mais espérons que la hardiesse des intermittents rejoindra l’exaspération des chômeurs.
AD, Limoges le 13 mars
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Vendredi 19 mars. Il est midi au Théâtre Sébastopol à Lille, un théâtre qui ressemble depuis déjà plusieurs mois à un vaisseau fantôme. Dans ce théâtre à l’italienne, fermé comme tant d’autres, il se passe quelque chose d’inédit, pour un lieu plus habitué à accueillir des humoristes, des opérettes ou encore des concerts…
Car depuis une dizaine de jours, l’endroit est investi, à l’instar de plus de soixante-dix théâtres et de lieux culturels en France, par un collectif. Et ce midi, sous les dorures du Sébastopol, va se dérouler l’assemblée générale de ce qui est devenu un mouvement atypique, un mouvement qui prend ses marques et qui rassemble, pour chacune de ses AG entre 70 et 130 personnes, qui vont et viennent, prennent place tout à la fois sur le plateau mais aussi dans les gradins, distanciation physique oblige…
Le masque est de rigueur et les consignes sont claires : l’occupation d’un lieu de lutte en ces temps de pandémie se doit d’être exemplaire et l’on ne pourrait se permettre d’être l’endroit d’un développement de la contamination. Il faut résoudre une équation difficile. Faire fi des injonctions gouvernementales qui voudraient nous imposer de rester chez soi devant des écrans (et donc de s’isoler encore davantage) tout en maintenant les conditions nécessaires à la non-propagation de l’épidémie.
Ce midi, l’Assemblée générale, comme toutes les AG précédentes, commence par un long tour de parole ou les collectifs, associations et structures extérieures sont invitées à s’exprimer quelques minutes pour expliquer le sens de leur présence sur place. Ce n’est pas anodin ni pure politesse. Car dans la lutte singulière qui se met en place ici, l’accent est mis avant tout sur la convergence … Comment, à partir de ce mouvement d’occupation initié au départ par des intermittents et leurs organisations (en tout premier lieu le SFA CGT et la Coordination des interluttants 59/62) inventer quelque chose qui relie les initiatives, souligne les convergences, et participe à forger un socle commun de revendications pour échapper à l’étouffoir du couvre feu, du confinement et autres mesures d’urgences prises par un gouvernement qui entend avant tout préserver la marche normale des affaires…
Dés lors, les prises de parole se succèdent ainsi que les propositions d’actions. Les initiatives, les rendez vous sont notés au fur et à mesure sur un grand tableau. Et à cette AG, on pourra entendre successivement des militants du Comité des sans papiers venu saluer l’occupation ; des membres d’Alerte rouge, un collectif constitué des professionnels de l’évènementiel ; une représentante des Matermittentes, un collectif qui se donne pour objectif de soutenir les mères intermittentes en difficulté face à pôle emploi ; des membres de « Youth for climate », venus ici préparer leurs banderoles et pancartes pour la manif du lendemain. Il y aussi des représentants des gilets jaunes. Et puis des étudiants, des plasticiens, des précaires. Et ce n’est pas un petit exploit que d’avoir réussi là en quelque jours, à fédérer bien au-delà du milieu des intermittents.
Mais, ce qui donne du corps à la lutte en cours, c’est aussi et avant tout
l’occupation permanente du lieu. C’est elle qui constitue la colonne vertébrale du mouvement. Chaque nuit, entre 15 et 20 personnes (là encore le mouvement s’est imposé une limitation pour permettre de respecter les conditions sanitaires) viennent passer la nuit ici. Ce qui installe le mouvement dans la durée et contribue à en faire un lieu de discussion et de réflexion collective permanent.
Ce qui s’avère absolument nécessaire au vu de l’étrangeté de la situation et du côté totalement atypique de la mobilisation… Une mobilisation dont la revendication première aura été, non pas de bloquer l’outil de travail pour faire avancer des revendications catégorielles, mais au contraire, d’exiger la reprise du travail…
Reprendre oui, mais dans quelles conditions ? Reprendre comme avant, comme si de rien n’était ? Faire l’impasse sur les mesures antisociales que le gouvernement continue de vouloir imposer comme la réforme de l’assurance chômage ?
Dés lors, les discussions en AG sont parfois âpres… Quelles revendications mettre en avant ? La réouverture des théâtres et le renouvellement de l’année blanche pour les intermittents ? Ou bien profiter de cet instant singulier pour élargir le propos… Quels droits à un revenu décent pour tous les précaires et les autres chômeurs ? Comment dénoncer l’hypocrisie d’un gouvernement qui impose des mesures sanitaires tout en supprimant des lits d’hôpitaux et des moyens qui pourraient permettre de faire face à la pandémie ? Autant de questions (et beaucoup d’autres) qui agitent en permanence le mouvement.
Une chose est sûre en tout cas. On ne peut plus rester sans rien faire, et on ne plus avoir que la peur comme ligne d’horizon. Alors dans cette situation tellement inédite, c’est un mouvement comme aucun autre qui s’invente. Pour Louise, une comédienne et metteuse en scène très investie dans le mouvement, « On essaie des choses mais on a droit de se tromper. Et de ré-essayer. Et on avance comme ça ».
Et comme l’écrit Pierre, un autre artiste très impliqué : « Rouvrir les théâtres ne suffira pas. Maintenant qu’on a mis un pied dans la porte, on va l’ouvrir en grand, quitte à la sortir de ses gonds. Donc rouvrir, oui, mais à nos conditions. Avec des mesures d’urgences. Et un changement, véritable et profond. »
JK. Lille, le 20/03/2021
Le Théâtre de l’Union à Limoges, CDN (centre dramatique national) du Limousin, est occupé depuis aujourd’hui vendredi 12 mars, à l’initiatives du CIP Limousin, coordination des intermittents et des précaires, ainsi que le collectif des Matermittentes et des élèves de l’académie de l’Union. Une vingtaine de théâtres sont occupés actuellement en France et le mouvement s’amplifie chaque jour.
Mot d’ordre : pas de réouverture sans droits sociaux pour tous les intermittents de l’emploi
On a besoin de vous !
Une conférence de presse a eu lieu vendredi 12 mars à 11 heures suivi dans l’après-midi d’un atelier d’éducation populaire.
Samedi 13 mars, appel à se rassembler devant le théâtre à 13 heures en soutien à l’occupation et de ses revendications, suivi à 14 heures, si les conditions le permettent, d’une assemblée générale publique ouverte à tous dans le théâtre (150 personnes maximum) pour décider de la suite du mouvement.
Toute-s précaires, toute-s solidaires