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CA 318 mars 2022

L’endométriose, cachez ce mal que je ne saurais voir !

mercredi 16 mars 2022, par Courant Alternatif

Longtemps catégorisée comme une maladie bénigne, l’endométriose connaît ces dernières années une médiatisation de plus en plus importante, la dernière annonce en date étant la « Stratégie Nationale de Lutte contre l’Endométriose » annoncée le 11 janvier 2022 (à quelques mois des élections présidentielles) par Macron. Cette maladie, longtemps reléguée au banc des oubliés, bénéficie-t-elle d’avancées réelles dans le domaine de la prise en charge et de la recherche, ou connaît-elle majoritairement des effets d’annonce ?


Entre effets d’annonce et avancées réelles, une maladie qui défraie la chronique
Les règles, ou menstruations, sont un phénomène anatomique que l’on trouve chez les êtres humains, quelques autres primates et singes, chez une espèce de musaraigne, l’éléphant et quelques espèces de chauve-souris. Bref, pas très courant, mais chez l’être humain, cela concerne une bonne partie de la population : en France par exemple, on estime à 15,5 millions le nombre de femmes ayant leurs règles [1]. En moyenne, une femme a ses règles durant 38 ans, et, si l’on considère un cycle de 5 jours en moyenne, cela représente près de 2280 jours de règles pendant la vie d’une femme [2]. L’endométriose, quant à elle, est une maladie chronique qui touche près de 10 % de la population en âge de procréer (soit 1,5 et 2,5 millions de femmes en France) ; et pour laquelle les retards de diagnostics s’élèvent entre 6 ans et plus. [3]

Longtemps catégorisée comme une maladie bénigne, l’endométriose connaît ces dernières années une médiatisation de plus en plus importante, la dernière annonce en date étant la « Stratégie Nationale de Lutte contre l’Endométriose » annoncée le 11 janvier 2022 (à quelques mois des élections présidentielles) par Macron. Cette maladie, longtemps reléguée au banc des oubliés, bénéficie-t-elle d’avancées réelles dans le domaine de la prise en charge et de la recherche, ou connaît-elle majoritairement des effets d’annonce ?

L'endométriose, maladie gynécologique chronique

L’endométriose est une maladie provoquée par la migration de cellules de l’endomètre en dehors de l’utérus. L’endomètre ? C’est la couche de l’utérus, qui sous l’action des hormones, se gorge en sang par la multiplication de vaisseaux sanguins (ce qui permet l’éventuelle implantation et développement d’un embryon), puis est éliminée tous les mois lors des règles, par le vagin. Parfois, des cellules de l’endomètre peuvent migrer de leur zone d’origine et aller s’implanter sur ou dans d’autres organes que l’endomètre. Généralement, cette migration se fait à proximité, dans les zones génitales. Dans 5 % des cas cependant, la migration peut être extra-génitale (les cellules se déposent alors dans les poumons, sur les reins, dans le système digestif, etc.). [4] L’hypothèse la plus retenue dans la communauté scientifique pour expliquer l’apparition de lésions d’endométriose est la théorie du docteur Sampson, qui parle de « règles rétrogrades » : il y aurait un reflux de tissu de l’endomètre dans les trompes lors des règles. [5] La cause de la migration de ces cellules n’est pas encore bien expliquée : elle pourrait être due à des dérèglements de la production des hormones œstrogiennes ou du fonctionnement du système immunitaire (plus particulièrement du système inflammatoire). Il semble également exister des prédispositions génétiques à l’endométriose. Plus récemment, des chercheurs semblent montrer qu’il pourrait exister des causes environnementales au déclenchement ou à l’extension de l’endométriose (action de la pollution et de toxines). De manière générale, on considère que l’endométriose est une maladie plurifactorielle. [6]

Mais pourquoi j'ai mal ?!

L’endomètre, bien qu’en dehors de l’utérus, reste soumis aux hormones et connaît la même activité cyclique que l’utérus. Ainsi, lors de la chute de la quantité de l’ensemble des hormones qui régulent le fonctionnement de l’appareil reproducteur féminin, ce qui provoque le déclenchement des règles, les foyers d’endométriose se mettent à saigner également. L’impossibilité d’évacuer le sang ainsi formé est à l’origine d’un phénomène inflammatoire qui provoque de fortes douleurs. Les douleurs provoquées par l’endométriose sont également des douleurs qui accompagnent la maladie de manière plus ou moins directe : douleurs et difficulté à uriner ou déféquer, douleurs lors des rapports sexuels, douleurs abdominales et pelviennes qui peuvent irradier dans différentes régions (jusqu’aux jambes par exemple), etc. Ces douleurs, avant ou pendant les règles, ne sont pas calmées par des antalgiques ou antispasmodiques légers, mais nécessitent l’utilisation d’antalgiques puissants ou même parfois de composés de type morphinique. Les traitements consistent en un accompagnement de la douleur à l’aide de ces traitements, mais peut également passer par une intervention chirurgicale pour éliminer certaines lésions ou nodules, et enfin par la prise d’un traitement hormonal (pas très pratique lorsque l’on refuse la soumission de son corps à ce diktat). Les traitements alternatifs non médicamenteux, intervenant dans la prise en charge de la douleur (yoga, relaxation, etc.) sont également préconisés. En définitive, la Haute Autorité de la Santé (HAS) et l’Académie de médecine préconisent la mise en place de traitements pluridisciplinaires mêlant tous les aspects abordés ci-dessus.

Est-il normal d'avoir mal ?

« La douleur est un signe d’alerte physiologique mais de nos jours, il n’est pas normal qu’une douleur se prolonge. C’est un devoir pour le médecin comme pour les autres personnels soignants d’évaluer et de soulager la douleur des patients. » (Santé Publique France) [7] Belle théorie… mais en pratique ? Il a été montré que les soignants véhiculent l’idée que les femmes supportent mieux la douleur que les hommes. Cependant, il s’avère que les femmes possèdent un seuil de tolérance à la douleur qui est plus bas que chez les hommes, ce qui est encore mal expliqué (différence hormonale, normes imposées…). Les médecins prescrivent plus d’antalgiques aux hommes (qui cachent souvent leur douleur ou cherchent à se soigner par d’autres moyens), et plus de tranquillisants aux femmes (qui associent la douleur au symptôme d’une maladie et non comme un simple inconfort à supprimer ; et qui sollicitent plus facilement et plus régulièrement les médecins, verbalisent la douleur et peuvent l’associer à un contexte psycho-social). Les plaintes en lien à la douleur, ainsi verbalisées par les femmes, sont associées à des syndromes d’anxiété ou de dépression et ne sont pas traitées comme les symptômes d’une maladie. Cela a pour conséquence des retards ou des erreurs de diagnostic et donc une absence de traitement de certaines maladies chroniques comme l’endométriose. [8]

Ainsi, la mauvaise prise en charge de la douleur chez les femmes d’une manière générale, associée au fait que l’endométriose est une maladie liée aux règles, et à tous ses tabous (sujet si large qu’il mériterait un article pour lui tout seul), tout cela s’inscrivant dans un registre plus large de violences en santé des femmes et en gynécologie, peut expliquer les idées véhiculées par le corps médical : il est classiquement rapporté par les femmes atteintes d’endométriose que les médecins considèrent qu’il est « normal » d’avoir mal pendant ses règles, reflétant une banalisation de la douleur. La position d’autorité conférée par le rôle de sachants, de figure d’autorité et d’experts des médecins dans le domaine médical, peut lier la parole et contribuer à ce que les femmes intègrent cette normalité de la douleur, alors même que leur ressenti leur indique un mal réel. [9]
La censure et la stigmatisation exercées autour des règles, la pression sociale et sociétale (la femme doit être l’égale de l’homme et doit être tout aussi productive que lui) contribuent également à ce que les femmes touchées par l’endométriose refusent d’aller consulter un médecin et pratiquent une auto-médication, qui se révèle insuffisante et ne traite pas les causes profondes d’endométriose. Le retard de diagnostic entraîné s’élève à 7 ans dans le monde. [10]
La douleur entraînée par l’endométriose, non soignée, provoque chez les femmes atteintes, de nombreuses conséquences psycho-sociales. Elles peuvent ainsi altérer la vie sexuelle, provoquer l’incapacité au travail (ou à se rendre à l’école) sur de plus ou moins longues périodes, affecter la vie familiale, sociale, professionnelle, ce qui provoque des déséquilibres émotionnels et psychologiques à des degrés divers et altère la qualité de vie des patientes. [11]

Endométriose et classes sociales ?

Plusieurs points de réflexion peuvent émerger en réfléchissant au lien entre classes sociales et endométriose. La prise en charge médicale des patient.es dépend de leur capacité à s’assurer : les dépenses liées à l’endométriose (rendez-vous médicaux, transports, traitements, arrêts maladie…) qui ne sont pas pris à 100 % en charge par l’assurance maladie, peu-vent représenter un poste de dépense important. Certaines femmes, en raison de ressources insuffisantes, se trouvent probablement dans l’incapacité de se soigner convenablement. N’oublions pas toutes les travailleuses, qui, pour diverses raisons, ne peuvent pas s’arrêter de travailler (perte de salaire, jours de carence, risque de perte de l’emploi, pas de papiers…) et qui doivent subir des douleurs parfois totalement paralysantes, ne permettant pas de rester debout pendant plusieurs heures d’affilée ? La maladie, par son caractère invalidant, vient ainsi s’additionner à des contraintes déjà fortes dans la vie de certaines femmes.

Une maladie « oubliée » et peu étudiée ?

Il faut attendre le 2 septembre 2020 pour que l’endométriose apparaisse dans les programmes de médecine du 2ème cycle. Elle est abordée sous deux axes : diagnostic de l’endométriose, complications et prise en charge. L’Académie de médecine préconise également la formation continue des médecins déjà en poste, mais également de tous les acteurs en lien avec la santé : « infirmière sco-laire, médecin traitant, radiologue, sage-femme, obstétricien, urologue, chirurgien digestif, médecin de la douleur, psychiatre etc ». [12] La maladie a connu récemment une forte médiatisation, accompagnée du travail de plusieurs associations de prévention ou de patientes, qui ont contribué à mettre la maladie sur le devant de la scène. On peut par exemple citer les « EndoMarch » organisées de-puis 2014, la campagne nationale de sensibilisation à l’endométriose depuis 2016, les journées mondiales et européennes pour l’endométriose, etc. On observe ainsi une demande sociétale de plus en plus forte pour augmenter la recherche et la prise en charge dans le domaine. [13]

Cette mise en avant de la maladie contribue à faire évoluer les pratiques médicales. Cela a également provoqué une expansion de la recherche dans le domaine (comment détecter la maladie de la façon la plus efficace possible, comment traiter la maladie et empêcher sa progression, peut-on la guérir plutôt que la soulager, comment gérer les impacts émotionnels et psychologiques, etc.), le nombre d’articles portant sur l’endométriose ayant été multiplié par 7 entre 1980 et 2016 (en France et dans le monde). Mais paradoxalement, les financements alloués à ces recherches n’évoluent pas. Malgré la belle vitrine affichée par l’Europe par exemple, dont la Commission parlementaire européenne sur les droits des femmes et l’égalité des genres a, le 12 décembre 2016, « adopté une résolution sur la promotion de l’égalité des genres dans la recherche clinique et en santé mentale qui appelle à débloquer des fonds pour promouvoir la recherche sur les causes de l’endométriose et ses traitements possibles » [14], il n’existe pas de financements dédiés à la recherche spécifique sur cette maladie, les recherches menées portant sur des appels à projet généraux ou des financements de thèse classiques. La plupart des financements proviennent de campagnes de récolte de fonds menées par des associations. [15]) Ainsi, les jolies annonces de Macron lors de son allocution ne sont pas cohérentes avec ce qui précède. Quel que soit le point de vue que l’on exprime vis-à-vis de la re-cherche, il paraît tout de même très hypocrite d’assurer des effets d’annonce sans a minima faire semblant de mettre en place les financements nécessaires pour assurer une prise en charge réelle de l’endométriose. Les 3 centres de prise en charge de la douleur qui existent depuis 2016 ont été abandonnés en 2019 au profit de « filières de soins » spécialisées dans l’endométriose, projets mené par 3 régions pilotes uniquement !
Que dire des textes votés à l’Assemblée nationale le 13 janvier 2022, qui doivent permettre de reconnaître l’endométriose comme une affection longue durée, et ainsi assurer la prise en charge (de quoi : des traitements ? des jours d’arrêts ?…) à 100 % par l’assurance maladie, textes qui ne sont que des recommandations !

En conclusion, le champ des réflexions portées sur l’endométriose soulève des questions qui s’étendent à des domaines beaucoup plus larges de la santé des femmes, souvent oubliée ou négligée. Les remarques portées sur cette maladie sont symptomatiques d’une société patriarcale qui, via le domaine de la santé, contribue à l’oppression des femmes au travers de la douleur et de la maladie.

Pauline, février 2022

Notes

[11) Rapport d’information (…) sur les menstruations, L. Romeiro Dias et B. Taurine, Assemblée Nationale, n°2691, 13 février 2020 (1)

[2ibid

[3Rapport : L’endométriose pelvienne, maladie préoccupante des femmes jeunes, G. Crepin et C. Rubod, Académie Nationale de Médecine, 21 novembre 2021

[4L’endométriose extragénitale, M. Nisollea et al., Journal de Gynécologie, Obstétrique et Biologie de la Reproduction, vol. 36, p.173-178, 2007

[5Le rôle de la génétique et de l’environnement dans le développement de l’endométriose, M. Ballester et al., Revue Médicale de Liège, vol. 67, p.374-380, 2012
et Hommes et femmes sommes-nous tous égaux face à la douleur N. Jaunin-Stalder et C. Maz-zocato, Revue Médicale Suisse, n°348, 11 juillet 2012

[6Le rôle de la génétique et de l’environnement dans le développement de l’endométriose, op. cit
et Hommes et femmes sommes-nous tous égaux face à la douleur op. cit

[7La prise en charge de la douleur, Fiche 17, Ministère des solidarités et de la Santé

[8Hommes et femmes sommes-nous tous égaux face à la douleur, op. cit.

[9Rapport : L’endométriose pelvienne, maladie préoccupante des femmes jeunes, op. cit.

[10Rapport : L’endométriose pelvienne, maladie préoccupante des femmes jeunes, op. cit.

[11Rapport : L’endométriose pelvienne, maladie préoccupante des femmes jeunes, op. cit.

[12Rapport : L’endométriose pelvienne, maladie préoccupante des femmes jeunes, op. cit.

[13(Prise en charge de l’endométriose, Méthode Recommandations pour la pratique clinique, Haute Autorité de Santé, décembre 2017 et État des lieux de la recherche sur l’endométriose en France, M. Kvaskof, Inserm, 28 avril 2019

[14État des lieux de la recherche sur l’endométriose en France, op. cit.

[15État des lieux de la recherche sur l’endométriose en France, op. cit. et EndoFrance, association française de lutte contre l’Endométriose

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