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CA 318 mars 2022

Grève du 13 janvier dans l’Education Nationale : un feu de paille ?

samedi 19 mars 2022, par Courant Alternatif

Tout le monde s’accorde à dire que la journée de grève du 13 janvier « pour un protocole viable » et « les moyens humains nécessaires » (communiqué intersyndical) a été un franc succès. Derrière ces mots d’ordres syndicaux pas toujours très clairs ou offensifs, il y a le personnel en colère et fatigué, mais souvent gagné par la lassitude.


Tout le monde s’accorde à dire que la journée de grève du 13 janvier « pour un protocole viable » et « les moyens humains nécessaires » (communiqué intersyndical) a été un franc succès. Derrière ces mots d’ordres syndicaux pas toujours très clairs ou offensifs, il y a le personnel en colère et fatigué, mais souvent gagné par la lassitude.

Si cette journée a été posée par les syndicats, c’est que le lait commençait à bouillir depuis un moment. Des droits de retrait, des grèves, des protestations diverses avaient eu lieu depuis que la vague omicron a submergé la France, et notamment depuis la rentrée du 3 janvier. Sans cette poussée, les syndicats auraient traîné jusqu’au 27 janvier, la grève interprofessionnelle sur les salaires, pour se mobiliser.

À l’origine de la colère, il y a évidemment eu la situation sanitaire, qui tend et épuise tous les personnels (même les chefs). Les instits ne font plus cours (trop occupés à laver les mains des gamins et à suivre leur « statut covid »), les profs des collèges et lycées font cours à des classes dépeuplées à cause de l’isolement des cas positifs ou con-tacts, les remplacements de profs absents car positifs ne sont pas assurés la plupart du temps… Dans les établissements scolaires, on a bien senti les 300 000 cas par jour, et la désorganisation était palpable. Suivre les élèves, tenir une progression, et ne serait-ce que faire cours dans cette situation, c’était une gageure. Ajouter à cela les protocoles sanitaires qui se succèdent sans aucun sens (faire sport était autorisé en intérieur, mais avec masque et « à basse intensité » !), le fait de devoir porter le masque alors que l’efficacité de ce-lui fourni par l’employeur est de zéro, les mêmes problèmes dénoncés depuis mars 2020 qui sont encore là deux ans après (pas de tests fiables réguliers, locaux inadaptés, effectifs pléthoriques), le mépris du ministre déconnecté de la réalité qui annonce son dernier protocole la veille de la rentrée dans un article payant...

Ça, c’est pour la goutte qui fait déborder. Dans le vase, le reste de l’eau était là depuis un bon moment. Les effectifs par classe augmentent en collège du fait des suppressions de poste régulières (cela accélère avec Blanquer), et en lycée, la dernière réforme (2018-2019 : suppression des classes, des filières, et refonte du bac) a normalisé le 35 élèves par classe dans nombre d’établissements, grâce aux 2 500 suppressions de poste. Tous niveaux confondus, les tendances sont un peu moins lisibles, car masquées par une grande hétérogénéité sur le territoire. En lycée, la réforme pousse les enseignants à faire ingurgiter des programmes encore plus indigestes à vitesse grand V (premières épreuves du bac en mars), et fait planer une ambiance d’hostilité, de stress et de compétition malsaine dans les salles de classe. Climat délétère renforcé à la rentrée par la tentative d’imposer les « projets locaux d’évaluation » qui ont pour but d’uniformiser et standardiser les procédures d’évaluation dans l’établissement sous couvert de transparence, mais qui cherchent en réalité à caporaliser les enseignants, à les faire fliquer par les fa-milles, élèves et chefs, et à comparer les lycées entre eux.

Pour résumer, la situation se dégrade sur tous les plans, la hiérarchie devient de plus en plus pesante, et les tensions avec les familles et élèves sont palpables. Les démissions d’enseignants titulaires sont en augmentation, et la précarité par la contractualisation gagne du terrain, ce qui est en train de faire changer la vision du métier.

Une grève massive mais sans énergie

Tout cela a fait que la grève a été très bien suivie : les syndicats annoncent 75 % pour le premier degré et 60 % pour le second degré, ce qui n’est peut-être pas si exagéré [1]. Les prévisions de grévistes pour le primaire et la maternelle (avec les déclarations obligatoires 48h à l’avance) ont motivé les collègues indécis de collège et de lycée. De même, le fait que même la CFDT et l’UNSA ont appelé à la grève (au dernier moment), a conforté les collègues dans le côté « historique » de l’événement. Fait significatif, beaucoup de "vies scolaires" (surveillant.es) étaient en grève, et de nombreuses AESH (accompagnantes d’élèves en situation de handicap) également. De l’autre côté du manche, même les syndicats d’inspecteurs et de chefs d’établissements appelaient à la grève( [2], et on a pu voir de-ci de-là un proviseur ou un principal prendre la parole dans les médias. C’est un fait assez incroyable pour des sphères si proches des hiérarchies, qui ont habituellement davantage l’oreille des décideurs. Blanquer réussit l’exploit de se mettre tout le monde à dos, même si les « alliances » qui en résultent sont contre-nature.

Toutefois, à peu près partout en France, même si les rassemblements ont pu être fournis et parfois pêchus, c’est quand même l’ambiance d’épuisement, de désorganisation et de lassitude qui domine. Beau-coup de grévistes, mais sans trop y croire, en somme. La grande majorité de ces grévistes n’a d’ailleurs pas été dans la rue. C’est une journée qui leur a servi à souffler, à rester à la maison, et parfois même à rattraper du retard dans leur travail… Si on compare le taux de grévistes avec le peu de détermination sur le lieu de travail et dans la rue, l’absence d’organisation et de volonté de reconduire, ça donne une grève individuelle et sans lendemain.

Pourtant, un certain nombre de signaux paraissaient au vert : un ministre de l’éducation décrédibilisé (une fois de plus) par le premier ministre à la télé, une couverture médiatique favorable (pour une fois), même si très axée sur le protocole covid, des parents d’élèves solidaires, et une petite provocation supplémentaire avec Blanquer qui annonce le dernier protocole la veille de la rentrée depuis Ibiza, ce qu’on apprend quelques jours plus tard … C’est qu’il n’y a ni espoir de gagner, ni perspective de lutte, ni collectif de travail pour le porter.

Le contenu de la grève

Dans les interventions lors des rassemblements, le constat est très lucide sur les dernières mutations de l’institution scolaire, qui peine de plus en plus à se parer de toutes les vertus. Blanquer est très souvent nommé sur les pancartes des manifestants, tout comme les classiques manque de moyens, manque de reconnaissance et manque de communication… La conscience d’une destruction accélérée du service public ressort assez nettement, même si le ministre cristallise beau-coup les hostilités, comme si les autres avaient vraiment fait différemment.

Les demandes, en fonction des rassemblements, font finalement une part relative à la gestion de la crise sanitaire. Elle apparaît comme la continuité du mépris, de l’absurdité et de la maltraitance, comme le prolongement d’une politique cohérente. Si on fait abstraction des revendications syndicales sur les capteurs de CO2, les masques FFP2 et les purificateurs d’air, dans les rassemblements on parle plu-tôt de l’absence de remplacements, des règles incohérentes et contradictoires, de l’absence de prise en compte de la situation concrète des écoles et des enfants, et de l’école en général… Sur le terrain, on sait bien que, quand on bosse dans des conditions de merde, c’est pas le masque qu’il faut changer.

Les suites : le ministre change de ton, youpi !

Sans surprise donc, c’est là-dessus que le ministre a « lâché » : il y aura des masques FFP2 pour les instits de maternelle, les personnels en contact avec les élèves à besoin particulier et les autres personnels qui en souhaiteraient. Il y aura une rallonge aux collectivités pour l’achat de capteurs de CO2, 3 300 profs contractuel.les recruté.es pour des remplacements, 1 500 vacataires administratifs pour aider les directeurs d’écoles et 1 500 surveillants supplémentaires. Rien sur la médecine scolaire ou professionnelle, alors que c’est un désert médical à l’échelle nationale. Dans les faits, on attend toujours concrètement la réalité de la plupart de ces annonces, et dans les en-droits où on a reçu une boîte de masques chirurgicaux, on a bien l’impression d’avoir fait grève pour des cacahuètes.

Mais les syndicats sont contents : le ministre a changé de ton. À l’UNSA on dit : « Notre impression globale c’est qu’on a répété nos revendications habituelles mais que pour la première fois on a été un peu entendu et de premières réponses ont été apportées. Mais on jugera sur pièce. » Blanquer va jusqu’à parler « d’une bonne discussion » et « d’un moment d’explication ». D’ailleurs il a retenu la leçon puisque le protocole qui sera appliqué à la rentrée de mars a été annoncé bien en avance. Waouh.

Cela dit, certains syndicats n’avaient pas besoin de plus pour rentrer à la niche et les appels à poursuivre la mobilisation se sont faits en ordre dispersé, avec des actions « y compris la grève » pour le jeudi suivant. Le 20 janvier donc, quelques rassemblements un peu dépeuplés, des retraites aux flambeaux par-ci par-là, mais tout a été misé sur le 27 janvier, pour les salaires, journée qui a bien moins mobilisé dans les écoles et bahuts. Les quelques tentatives de reconduire ont vite fait flop et chacun est retourné travailler à l’identique. Les tensions et clivages entre ceux qui sont déterminés pour gagner un peu plus (voire bien plus) et ceux qui sont dans le déni ou l’abattement n’ont fait que se renforcer.

Et maintenant ?

À partir de janvier, les dotations horaires globales (les moyens horaires par établissement) commencent à être annoncées. Comme on pouvait s’y attendre, les chiffres sont désastreux : on supprime des classes pour supprimer des postes, et donc on tasse les élèves en tentant de repousser les murs. Comme chaque année plusieurs établissements se mettent en grève, et espèrent grappiller quelques heures pour limiter la casse. Le souci c’est que les rectorats ont toujours une petite enveloppe sous le coude à refiler aux grandes gueules pour les calmer, et qu’habiller Paul, à moyens constants, c’est toujours dés-habiller Jacques. Lors des audiences avec les directions académiques, les pontes du rectorat savent très bien faire larmoyer les col-lègues mobilisés en jouant sur la culpabilité de piquer des heures aux autres. De plus, leur tempo est bien joué : une année on tape sur tel bahut, l’année suivante sur un autre, on évite ainsi que tout le monde se bouge ensemble. Or sans un mouvement généralisé, rien ne peut être gagné. Les luttes sur les moyens montrent bien que rien n’a changé, les suppressions de postes annoncées seront faites et vont encore empirer la situation. Chaque année, l’espoir de coordinations départementales (ou plus larges) de bahuts en lutte ressurgit. À voir.

Ce qui peut redonner un peu d’espoir, c’est peut-être les luttes des précaires, notamment celle des AESH [3], qui gagnent en puissance et en détermination. Citons un mouvement important à Saint Herblain (Loire-Atlantique), en décembre, concernant le manque abyssal de moyens de l’inclusion scolaire (1500 élèves non scolarisés en attente d’inclusion, 80 postes d’AESH manquants, 200 instits remplaçants manquants). Après le 19 octobre, la succession des journées nationales de grève AESH a été chamboulée et deux grosses grèves (7 et 14 décembre), portées par un collectif de personnels mobilisés dans la circonscription de Saint-Herblain et par l’intersyndicale départementale, ont fait planer l’espoir d’une généralisation du mouvement. Malheureusement, après un dernier coup d’éclat le 13 janvier, la mobilisation par la grève s’est effilochée…

Autre mouvement d’AESH : dans le Val-de-Marne où les travailleuses sont en grève illimitée depuis le 10 janvier. Le conflit a démarré autour de la signature d’un avenant de contrat qui accroît leur mobilité et leur temps de travail sans rémunération supplémentaire. Une délégation a été reçue au ministère, sans aucune perspective. La grève continue et le 17 février un nouveau rassemblement a eu lieu avec une demande d’audience à la préfecture. Le collectif est bien structuré et reçoit des messages de solidarité de beaucoup d’AESH en France. Ce mouve-ment touche au cœur de la précarité des AESH car il remet en cause leur mobilité forcée et leur statut précaire. Il sera donc très compliqué d’obtenir une victoire large sans élargissement, ce qui n’est à l’heure actuelle malheureusement pas le cas.

Le cadre des journées nationales ponctuelles (dont le 27 janvier était la dernière en date) ne contient plus la colère de ces travailleuses, qui prennent les choses en main, et espérons-le, à l’avenir, pour des victoires.

Zyg, 18 février 2022

Notes

[1Le ministère annonce respectivement 38 % et 24 %…

[230 % de grévistes chez ces derniers d’après leur principal syndicat

[3Voir Courant Alternatif de novembre 2021 sur la grève nationale des AESH

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