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La « flexisécurité à la française », une mauvaise contrefaçon

mardi 18 mars 2008, par Courant Alternatif

Encore un mot fourre-tout, dénoncé par les uns,
porté aux nues par les autres, mais dont personne ne sait au fond
ce qu’il signifie.
Il faut dire que fabriquer un mot à partir de deux contraires peut fortement porter à confusion
et un tout petit peu faire penser à « 1984 ».
Encore un mot qui a voyagé du vocabulaire
économique pour initiés au dernier slogan
à la mode à la une des journaux télévisés.


Au départ, une recette danoise

Depuis la crise du fordisme, le capitalisme tâtonne un peu dans sa gestion sociale, et ses experts recherchent tous les pays où les problèmes semblent résolus pour en tirer des modèles à suivre. Après le modèle américain, il y eut le modèle japonais, puis crise japonaise oblige le modèle allemand, puis crise allemande oblige le modèle danois (avec si ma mémoire est bonne un petit crochet par le modèle anglais). Rassurez-vous, certains proposent à l’étranger de suivre le modèle français... Les modèles sont toujours exotiques.
Essayons de résumer le propos de façon intelligible. Un des aspects de la crise du fordisme, c’est que ce type d’organisation de la production est adapté à une consommation de masse standardisée. Or, la consommation s’est différenciée et la demande est devenue très variable. Il faut donc avoir une organisation où la production soit plus flexible, au sens littéral du terme, plus souple et élastique. Ceci peut passer par l’informatique qui permet des machines à production programmable, et/ou une meilleure souplesse de l’organisation du travail. Bien entendu, la majorité des patrons ont utilisé la méthode la plus simple : virer les gens dont on n’a plus besoin momentanément et recruter des CDD et des intérimaires en périodes de commandes. Les économistes ont baptisé cette méthode « flexibilité externe (on vire au lieu de faire varier les horaires) quantitative » (on joue sur la quantité de travail et non sur la polyvalence et la qualification de la main d’oeuvre).
Il existe des économistes de gauche qui ont avancé que la précarité n’était pas la seule méthode rentable pour atteindre une production flexible. On peut qualifier cette réflexion de social-démocrate au sens historique du terme : rechercher une solution qui atténue l’exploitation tout en répondant aux objectifs capitalistes. Devant le manque d’échos de leurs propositions, ils ont évolué en suggérant que si la flexibilité externe quantitative était nécessaire aux entreprises, l’important était d’utiliser le système de protection sociale pour garantir aux salariés une sécurité d’un niveau qui leur était garanti durant les 30 glorieuses. Et ils ont trouvé un modèle : le Danemark
Le Danemark est un petit pays (moins peuplé que la région parisienne, 5,5 millions d’habitants), très homogène, très protestant et très syndiqué (80% des salariés sont syndiqués, à comparer aux moins de 10% en France), où les impôts sont très élevés pour l’Europe (beaucoup plus élevés qu’en France).
En quoi consiste le « modèle danois » ? Effectivement, la liberté de licencier y est très grande, c’est un des pays les moins réglementés de ce point de vue. 30% de la population change d’emploi chaque année, et 25% passe par le chômage. En échange, lorsqu’on gagne moins des 2/3 du revenu moyen, les allocations chômage représentent environ 90% du salaire. Là-bas, c’est le revenu élevé qui diminue les allocations, et non la durée du chômage. Mais les chômeurs de longue durée ne sont que 1%. Pourquoi les Danois ne restent-ils pas plus longtemps au chômage alors ? Parce que les contrôles y sont très stricts, et que refuser un emploi même d’une qualification différente peut conduire à la radiation. Enfin, les chômeurs danois sont tenus au bout d’un an de suivre une formation, ce qui suppose que là-bas, on leur en propose effectivement, éventuellement de longue durée. En bref, liberté de licenciement pour les entreprises, niveau d’allocations chômage élevé, fort flicage des chômeurs, et politique de formation très active. Enfin, il faut signaler que comme dans beaucoup de pays scandinaves, le taux de chômage diminue aussi parce qu’il est relativement facile d’être reconnureconnu handicapé, malade... et donc de toucher des allocations spécifiques sans être chômeur. A noter pour finir que 26 semaines de travail suffisent pour avoir droit à 4 ans de chômage (sous toutes les réserves visées plus haut).
Si tout ça « marche » (momentanément, et il faudrait demander leur avis à nos camarades danois), c’est aussi pour des raisons culturelles, historiques et financières. Culturelles : les Danois sont réputés pour leur « sens civique », à la différence des latins. Financières : tout ceci coûte cher, et l’Etat n’a pas reculé devant les dépenses d’allocations et les dépenses de formation. Historiques : une forte syndicalisation limite les conséquences de la précarité en terme de dégradation des conditions de travail.

A l’arrivée, un fast food français

Au départ, ce modèle intéressait plutôt des économistes qui cherchaient à faire des propositions alternatives à la gestion ultra-libérale. Certaines idées ont été reprises par la CGT qui a commencé à réfléchir sur l’idée d’une « sécurisation du parcours professionnel », à chercher à négocier une amélioration de la protection sociale des chômeurs et précaires en contrepartie de la précarité grandissante (droit à la formation, maintien de l’ancienneté en changeant d’entreprise...). Cette évolution de sa position n’est pas seulement à relier aux recompositions européennes, mais aussi aux tentatives de se réimplanter dans les petites entreprises du privé très touchées par la précarité (ce fut un temps aussi une des raisons de la stratégie de la CFDT).

Puis le MEDEF et un certain candidat à la présidentielle ont repris ce terme de flexisécurité, mais en le vidant de tout contenu sécuritaire (pour une fois !). A-t-on parlé d’améliorer le niveau d’indemnisation des chômeurs ? Non. A-t-on parlé d’augmenter les dépenses de formation ? Non. A-t-on parlé de supprimer la dégressivité des allocations chômages ? Non. A-t-on parlé de licencier plus facilement ? Oui. A-t-on parlé de renforcer le flicage des chômeurs ? Oui. La flexisécurité est devenue synonyme de flexibilité tout court, ou plus exactement, car ce n’était pas la significication première du terme de flexibilité, de précarisation sans contrepartie. Et de la « sécurité » danoise, on ne retient que le flicage des chômeurs (voir l’augmentation des radiations...).

Si j’ai bien compris l’accord conclu entre le patronat et une partie des syndicats, il s’agit d’inventer le « licenciement à l’amiable », ou licenciement de la seule volonté du patron sans motif, d’allonger la durée d’essai, de créer un nouveau CDD pour les cadres, le contrat de mission, qui en plus n’aura pas de durée fixée. Et du côté sécurité des salariés ? Un an de mutuelle et le bénéfice des droits accumulés à la formation maintenu pendant un an... si le nouvel employeur le veut bien. D’ailleurs, la CGT, malgré tous ses efforts, n’a quand même pas signé cet accord. Il faut rappeler que cet accord fait suite à une réforme du code du travail qui n’a pas fait du tout assez de bruit il y a un an.
Il s’et passé, et il se passe, ce qui se passe toujours quand une des parties essaie de faire des propositions de négociations dans un rapport de forces dégradé pour elle. Elle accepte de reculer d’un côté en échange d’avancées d’un autre côté. Elle n’obtient aucune avancée, par contre elle a bien le recul, mais cette fois-ci labellisé « consensuel », puisque des propositions avaient été faites.
Donc, en fait, ce n’est pas la peine de parler de flexisécurité, ce qui serait un nouveau compromis social. Il s’agit tout simplement de la poursuite méthodique des attaques contre les protections que prévoit le code du travail, de la poursuite systématique de la précarisation de l’ensemble des salariés. Nous n’avons pas besoin de refuser la « flexisécurité à la française », il nous suffira de refuser la précarisation de l’emploi. Cessons de nous laisser abuser par tous les termes à la mode, surtout lorsqu’il ne s’agit vraiment que d’un nouvel emballage pour une très très vieille recette.

Sylvie

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2 Messages

  • Bonjour

    La conclusion de l’ article m’ interpelle : "il n’y a pas besoin de lutter contre la flexicurité" mais seulement contre la précarité. Dans le même credo je pourrais dire, il n’ y a pas besoin de lutter contre la précarité mais simplement contre le capital pour l’ abattre et avec lui la précarité. Seulement la réalité n’ est jamais aussi "purifiée" et la lutte contre le CPE était un lutte contre la précarité...Etant donné que l’ UE veut légiférer sur la précarisation généralisée, cette intention va unifier la lutte des travailleurs de l’ UE contre la précarisation. L’ opposition que tu veux mettre en avant, me semble bien incohérente.
    G. Bad

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    • C’est juste que ça me dérange un peu d’utiliser le terme "flexisécurité" à propos d’une précarisation sans aucune contrepartie en terme de de protection sociale, comme ce terme voulait le signifier au départ. Adopter le terme de flexisécurité à propos de la précarisation me semble se soumettre à la langue de bois imposée par le capital pour déguiser sa réalité.

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