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CA 325 décembre 2022

Edito : La pelle ou le feu ?

lundi 5 décembre 2022, par Courant Alternatif


Éditorial de Courant Alternatif 325

Dans l’hexagone, les vagues de grèves pour les hausses de salaires de cet automne sont venues mourir sur le rempart des élections professionnelles de décembre. Si ici ou là des professions ont bien gagné quelques miettes, ce qui se rêvait un raz de marée contre l’inflation et la perte du pouvoir d’achat n’a été qu’une succession de coups de tabac sans lendemain pour la plupart, dont vous trouverez quelques échos dans la rubrique « insubordinations salariales » de ce numéro, ou dans le récit de l’occupation du Centre d’Action Social de la ville de Paris (p. 12).

La situation en Grande Bretagne , ainsi que nous l’indiquent nos camarades d’Angry Workers (pp. 32-34), nous montre cependant que les grèves laissent des traces dans le quotidien des prolétaires, et que c’est sur ces liens que pourront se fonder les bases d’un mouvement autonome du salariat à même de submerger les compromis syndicaux et la répression étatique ! C’est aussi ce que nous rappelle l’histoire récente de « l’opéraïsme italien » (p. 22). Expériences actuelles ou historiques qui nous donnent des éléments précieux pour que le mouvement social s’émancipe du double joug des partis sociaux démocrates et de leurs courroies de transmission syndicales, afin de ne pas connaître les impasses parlementaire ou étatistes qui ont pour nom ici la NUPES, là-bas le Chili de Gabriel Boric, et bientôt le Brésil de Lula.

Les plus optimistes se persuadent que ce n’est que partie remise, que les forces syndicales s’économisent pour la grande confrontation à venir sur la question de la réforme des retraites avec l’allongement du nombre de trimestres cotisés et le recul de l’âge de départ. Il est cependant fort à craindre que, en fonction du résultat des dites élections professionnelles, le président Macron nous sorte de sa manche un grand débat avec les partenaires sociaux qui auront ses bonnes grâces, et qui s’empresseront de négocier le poids des chaînes de l’esclavage salarial.

Esclavage salarial, qui sous prétexte d’humanisme va encore s’intensifier pour les populations migrantes avec le retour d’une « immigration choisie » pour les métiers sous tension , alors que « en même temps » se multiplient les constructions de centres de rétention administrative pour accélérer et multiplier les « obligations de quitter le territoire français » , et que l’Europe-forteresse laisse couler sciemment les embarcations de migrants qui fuient la guerre, la misère, et les catastrophes en tout genre que le capitalisme répand sur la planète pour les profits de milliardaires de plus en plus nombreux, et leur cohorte de laquais aux ordres (pp.4 à 9).

Mais ce n’est pas que sur le terrain du salariat que la lutte des classes s’intensifie. Ainsi que nous avons pu le voir le mois dernier avec la résistance aux « méga-bassines », il n’est pas de coin de la planète qui ne soit en résistance contre le saccage du vivant, l’artificialisation des terres, avec parfois des prises de conscience surprenantes de la part de structures institutionnelles, comme nous le montre la lutte de Marienia à Cambo au Pays basque (p. 30-31).

Quelque soit la partie du monde où se porte le regard, les populations tentent de se soulever contre tout ou partie de leur oppression. C’est bien sûr le mouvement admirable des femmes d’Iran qui relance depuis quelques mois le processus révolutionnaire confisqué par le pouvoir théocratiqueaprès 1979 (p.35-36). C’est bien sûr la population chinoise qui, lasse de la politique de répression sanitaire « zéro-covid » s’insurge contre son enfermement et ose à nouveau défier un pouvoir communiste totalitaire que l’on sait depuis longtemps n’être qu’un parti-État gestionnaire du capitalisme d’état. Ce sont aussi les mobilisations internationales des femmes contre les violences qui leur sont faites au quotidien, dans leur vie privée comme dans leur vie sociale. Elles attestent d’une résistance accrue à un patriarcat qui reste à l’offensive puisque pour certaines, il devient aujourd’hui plus désirable de se faire hommes que de viser l’émancipation féminine. Autant de sujets que nous souhaitions aborder dans ce numéro mais qui faute de place, n’ont pu l’être.

Face à ces soulèvements, à ces mouvements protéiformes gros de potentiels rupturistes, les réponses répressives s’intensifient. Au premier rang desquelles la guerre qui lamine les populations et leurs révoltes et permet aux stratèges internationaux de mettre en œuvre leurs politiques impérialistes, tel Erdogan avec le peuple Kurde et la bénédiction de l’OTAN. Au second rang on trouve bien sûr toutes les logiques policières qui s’organisent et se renforcent au nom de la sécurité et de l’anti-terrorisme (pp.18-21). La troisième ligne répressive se retrouve sur le terrain professionnel, comme dans l’Éducation nationale où la recrudescence de la « chasse aux rouges » initiée sous Blanquer se poursuit sous Pape Ndiaye, sans que cela soit surprenant pour qui connait un peu les liens étroit entre la répression et l’éducation dans ce pays (pp. 26-29), dès que les fondements idéologiques républicains sont un tant soit peu ébranlés.

Car c’est bien le contexte idéologique dans lequel baigne la population mondiale qui constitue le premier vecteur sur lequel vont s’appuyer ces forces de répression. Peur de l’Apocalypse Nucléaire. Eco-anxiété. Endoctrinement nationaliste ou religieux et retour du mysticisme irrationnel. Fascination pour le spectacle sportif anesthésiant tout sens critique. Conditionnement de la jeunesse par le biais de l’école ou du Service national universel (Où va l’école ? pp. 23-25). Angoisse sanitaire entretenue par les politiques de santé, en matière de COVID comme de bronchiolite (p. 13-14). Dépossession des savoirs des métiers comme dans le cinéma (p.16-17) générant l’anomie professionnelle et une division du travail toujours plus déstructurante.

Tous ces faits entretiennent un climat de déstabilisation permanente des populations, les plongeant dans un état de sidération qui leur fait préférer finalement la résilience, nouveau concept tendance, à la résistance rangée au musée du siècle dernier. Du moins de ce côté-ci de la planète où la satisfaction des besoins fondamentaux reste possible pour le plus grand nombre, et où la sauvegarde de l’abondance consumériste entretient l’illusion d’être encore dans un état de liberté désirable au regard du désastre ambiant. Jusqu’à quand le plus grand nombre continuera-t-il à penser qu’il a plus à perdre dans la perpétuation de la barbarie capitaliste qu’à gagner dans l’invention du socialisme ?

Pourtant jour après jour des brèches se creusent dans cet ordre dominant matériellement et idéologiquement, comme creuse la taupe de la révolution, qui tôt ou tard pourrait bien émerger ici ou là. Mais de préférence là où on ne l’attend pas dans le but de l’achever d’un coup de pelle ou d’un coup de feu !

Saint-Nazaire-Nantes
Le 26 novembre 2022

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