Accueil > Courant Alternatif > *LE MENSUEL : anciens numéros* > Courant Alternatif 2022 > 325 décembre 2022 > Notes sur l’Iran, de la fin du XIXème à 1979

CA 325 Décembre 2022

Notes sur l’Iran, de la fin du XIXème à 1979

mercredi 21 décembre 2022, par Courant Alternatif

Le soulèvement iranien continue d’illuminer l’automne 2022. Face à lui, une déclinaison régionale de la calamité capitaliste, opérant depuis 1979 sous la forme politique d’une république islamique. Nous proposons de revenir ici sur les dynamiques sociales du xxe siècle ayant précédé l’arrivée du pouvoir religieux. Nous retranscrivons ici quelques notes de lectures dont celle d’un livre paru en 2019, La révolution Iranienne de Tristan Leoni.


*** Front commun en Perse

Le territoire qui nous occupe, connu sous le nom de Perse avant de s’appeler Iran, est un lieu stratégique d’échanges entre plusieurs mers et continents. Il est de ce fait la proie précoce, au xixe siècle, de la domination commerciale et des ingérences politiques des puissances russes et britanniques.

Au tournant du xxe siècle, la modernisation progressive du pays sur le modèle occidental et son insertion progressive dans les circuits capitalistes internationaux créent les conditions de la révolution de 1905, dite constitutionnelle, donc essentiellement politique, durant laquelle des fractions de la société aux intérêts divergents, clergé, commerçants du bazar et nouvelle bourgeoisie libérale, se dressent contre le chah, que ce soit pour contrer la mise au pas capitaliste ou l’orienter dans un sens qui leur soit plus favorable, mais toujours sur le dos de la majorité de la population, alors paysanne. Déjà, le rejet du despotisme dynastique et de l’impérialisme étranger sert de plus petit dénominateur aux luttes révolutionnaires.

*** L’Iran sur la voie de la modernité

La consolidation au cours des décennies suivantes d’un État-nation centralisé, bureaucratique, adapté à la poursuite du développement capitaliste, ébranle les prérogatives des classes dominantes traditionnelles. A partir de 1921, après un coup de force soutenu par les britanniques, le premier chah de la dynastie Pahlavi entreprend une série de réformes d’ampleurs bousculant les monopoles cléricaux et l’ordre patriarcal : promulgation de codes juridiques pour remplacer la charia, transfert de compétences des religieux vers les tribunaux civils, enseignement laïc mixte, mesures facilitant l’entrée des femmes dans l’espace public et le salariat. Le port des vêtements traditionnels est interdit, parmi lesquels le voile. Sur le plan économique, l’État s’engage financièrement dans l’industrialisation en s’appuyant chaque fois davantage sur la rente pétrolière.

A partir de 1951, un démocrate nationaliste, Mohammad Mossadegh, mène en tant que premier ministre une série de réformes sociales progressistes, dont une réforme agraire et un programme anti-corruption, autant d’étapes qu’il juge nécessaires à la mise en place d’un capital national. Avec la nationalisation du pétrole, jusqu’alors aux mains des compagnies britanniques, il franchit le pas de trop et sera chassé par un coup d’État orchestré depuis les États Unis.

Si jusqu’au début des années 1960 la majorité de la population vit au rythme d’une économie largement agraire, le second chah Pahlavi accélère l’industrialisation et la tertiarisation au moyen de la dite révolution blanche. Il mène une importante réforme agraire, finance la création de grands projets industriels - notamment agroalimentaires et pétrochimiques – et d’infrastructures, accompagnés de plans quinquennaux et soutenus par des mesures protectionnistes.
Beaucoup de paysans ne peuvent rembourser les dettes contractées pour la modernisation de leur activité. Ruinés, ils n’ont d’autre choix que de se faire embaucher dans les grandes exploitations agricoles et les usines. Un exode rural massif s’amorce. La désorganisation des campagnes est telle que la production des denrées de base chute, provoquant pénuries et disettes.

*** La contestation religieuse

A l’occasion du référendum de 1963, le chah tente de mobiliser la nouvelle paysannerie propriétaire ainsi que le prolétariat, et en son sein la minorité de femmes éduquées ou salariées. Une partie du clergé appelle à l’abstention et à la protestation tandis qu’une figure fait son apparition, celle du religieux Khomeyni. Le chah dénonce la « réaction noire ». Les manifestations sont brutalement dispersées. Dans les urnes, le programme du chah est largement approuvé. De nouvelles protestations se heurtent à une répression violente. Khomeyni, alors promu ayatollah par ses pairs, devra s’exiler et tisser son réseau depuis l’étranger, il retombera dans l’oubli du plus grand nombre jusqu’en 1978.

S’il met en œuvre des mesures libérales ou progressistes, le régime du chah n’en constitue pas moins une dictature féroce. Alors que la répression touche principalement la gauche, que l’opposition libérale et laïque est défaite, les organisations religieuses servent de repère face à la destruction des structures villageoises. Les mosquées et les cérémonies religieuses demeurent les seuls lieux d’expression publique. Se substituant à la critique militante, de nouveaux écrits voient le jour sous la plume de religieux et d’intellectuels, associant dénonciation de l’Occident et recherche d’une identité qui s’opposerait à la modernité. Ainsi Ali Shariati, sociologue et philosophe formé en France, ressuscite l’âge d’or du premier imam Ali et théorise un « socialisme pratique basé sur le théisme ». Avec lui, le retour à l’islam authentique devient un moyen de résistance à l’impérialisme. Ses œuvres finissent par être autorisée par le régime pour contrer le marxisme.

*** De la crise à la révolution

Pendant ce temps, le chah poursuit l’intégration du pays aux marchés mondiaux. Mais au tournant des années 1970, les difficultés économiques s’accumulent. Le pays ne parvient plus à valoriser la masse des capitaux issus de la rente pétrolière et entre dans une crise où se mêlent surproduction, inflation, et endettement, sur fond de corruption et développement du marché noir. La réponse du gouvernement sous forme de politique austéritaire aggrave la situation. Jusqu’en 1979, les grèves se multiplient dans tous les secteurs, réclamant des hausses de salaires et de meilleures conditions de travail. Les pratiques d’indiscipline, de coulage des cadences, de blocage et de sabotage se développent alors que les travailleurs gagnent en assurance et en défiance vis à vis des autorités. La contestation se répand dans les villes où les quartiers ouvriers insalubres côtoient les projets urbanistiques pharaoniques de l’État, où les réseaux d’eau, d’électricité, d’assainissement, de transport sont dépassés par l’explosion démographique, où la spéculation renchérit les loyers. Les accrochages avec les autorités sont monnaie courante, les expulsions et destructions de logements se heurtent aux multiples résistances et solidarités de quartier.

A la veille de la révolution, nous l’avons vu, la question religieuse n’est pas au cœur des conflits. Cependant, de nouveaux schémas politiques et identitaires sont en place. L’année 1978 verra s’amplifier un vaste mouvement de grèves, de manifestations et d’émeutes, une lutte de classes au cours de laquelle les religieux ne s’imposeront qu’aux dépends des autres tendances.
A suivre…

Paul
24 novembre 2022

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette