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CA 328 mars 2023

La réforme des retraites : « des progrès concrets » pour les femmes ?

dimanche 12 mars 2023, par Courant Alternatif

Le 23 janvier 2023, le Haut Conseil à l’égalité présentait son rapport annuel sur le sexisme en France, c’était plutôt accablant concernant les inégalités, les préjugés et les violences subies par les femmes. Dans ce contexte, on ne sera pas étonné d’apprendre qu’avec le projet de loi sur les retraites, les femmes « sont un peu pénalisées » (1).   


*** Les femmes déjà lésées sans la réforme

D’après l’étude disponible sur le site l’INSEE (2), si le taux d’activité des femmes ne cesse de progresser, leur rémunération reste en moyenne 22 % inférieure à celle des hommes. L’étude attribue presque 1/3 de cet écart de salaire à la différence de durée de travail. Il y a en effet 3 fois plus de femmes que d’hommes en temps partiel. Pour le reste, à niveau de qualification équivalent, les métiers qu’elles exercent, dans le soin ou le social notamment, sont souvent moins bien rémunérés. Evolution de carrière limitée, interruption du travail lors de l’arrivée d’un enfant, les inégalités s’accumulent et, arrivées à la retraite, les conséquences sont sans appel : les pensions des femmes restent très inférieures à celles des hommes. D’après le panorama 2022 de la DREES (3), le différentiel entre les pensions de droit direct des femmes et des hommes est actuellement d’environ 40%. Les femmes représentent une part importante des retraités pauvres et pour beaucoup si elles évitent la pauvreté, c’est parce qu’elles dépendent de la pension de leur conjoint ou de sa pension de réversion une fois celui-ci décédé. Ainsi, l’écart de pensions entre femmes et hommes finit par être atténué par les composantes de droit dérivé et n’est « plus que » de 28%.

Rappelons que dans la méthode de calcul de la retraite, ce sont les 25 meilleures années qui sont prises en compte, il est souvent intéressant pour les femmes moins bien payées de continuer à travailler en fin de carrière. De même, il ne suffit pas d’avoir atteint l’âge de départ, mais il faut avoir tous ses semestres cotisés, ce qui n’est pas forcément le cas des femmes aux carrières souvent hachées. Ainsi les femmes se voient déjà actuellement contraintes de continuer à travailler en moyenne 7 mois de plus que les hommes avant de liquider leurs droits(4). Malgré cela, aujourd’hui, elles sont plus nombreuses que les hommes à partir sans avoir tous leurs trimestres, avec une carrière incomplète (5).

*** Avec la réforme, les femmes devront faire plus d’efforts

Si tout le monde va devoir travailler plus longtemps qu’actuellement avec la réforme, l’allongement du temps de travail est plus lourd pour les femmes. Pour l’une des générations les plus lésées, celle née en 1972, les femmes travailleront en moyenne 9 mois de plus avec la réforme contre 5 mois de plus pour les hommes. Ceci s’explique par les carrières hachées des femmes. Avec l’augmentation des annuités nécessaires, la décote sera plus marquée pour les femmes. Pour avoir des revenus décents, elles seront de plus en plus nombreuses à devoir partir plus tard, bien après les 64 ans, probablement aux 67 ans fatidiques d’annulation de la décote (que dans sa grande mansuétude le gouvernement n’a pas relevé). Et attention, pour celles et ceux qui n’obtiendront pas tous les précieux trimestres à 67 ans, cela signifiera des pensions à taux plein réduites car le coefficient de proratisation prend en compte le rapport du nombre de trimestres validés sur celui des trimestres requis.

Limoges un groupe de rosies ­ © Marie­-Julie Achard

Quand on travaille pour Macron, il y a toujours moyen de présenter les choses de manière positive : puisqu’on va obliger les femmes à travailler plus longtemps, la revalorisation de leur retraite sera plus importante que pour les hommes et les écarts de pension entre hommes et femmes vont se réduire ! Preuve à l’appui présentée par le chantre de la parité, Olivier Dussopt, ministre du Travail, d’après l’étude d’impact, pour la génération 1971 « La pension moyenne des femmes sera revalorisée de 2,2 % alors que celle des hommes le sera de 0,9 % à horizon 2030 ». Personne n’est dupe des sommes que cela représente ni de la non-compensation des disparités actuelles. Pareil pour les 1200€, soi-disant, distribués à tout va. La majorité des femmes n’y aura pas accès puisque ces 1200€ bruts ne concernent qu’une carrière pleine, à temps plein et payée au SMIC, ce qui n’est absolument pas le cas de la majorité des femmes qui arrivent à la retraite.

*** Pour les heureuses mamans

La réforme va faire perdre à de nombreuses femmes ayant eu ou adopté des enfants la bonification de durée servant à compenser la maternité et l’éducation des enfants. Cette majoration (jusqu’à 8 trimestres de cotisations par enfant dans le privé et 4 dans le public (7)), continuera d’exister. Mais comme elle sera cumulée avec le report de l’âge minimum légal à 64 ans, elle ne bénéficiera plus aux femmes qui réussissaient à partir dès 62 ans. On estime que plus de 120 000 mères partent chaque année à taux plein à 62 ans, avec la réforme, elles seraient toutes contraintes d’attendre l’âge minimum légal de 64 ans.
Quant à la prise en compte des 4 trimestres supplémentaires de congés parentaux grâce à la réforme, c’est comme pour les 1200€, quasi personne n’en bénéficiera. Cela s’appliquera uniquement dans le dispositif des carrières longues donc pour les femmes ayant commencer à travailler avant 20 ans et sous condition de ressources, soit à environ 3000 personnes par an selon l’étude d’impact du gouvernement elle-même … chiffre à rapporter aux 340 000 femmes qui partent à la retraite chaque année...

*** Et la pénibilité ?

Comme l’a dit le ministre, tout le monde devra faire des efforts : les départs anticipés pour pénibilité seront également reportés de 60 à 62 ans. Depuis la mise en place du compte de prévention professionnel (C2P), les critères de pénibilité ont été revus : 4 d’entre eux ont été exclus et les seuils d’exposition relevés. Ainsi dans le privé, le nombre de personnes pouvant en bénéficier se réduit à peau de chagrin (quelques milliers de salariés par an) et dans les métiers féminisés les seuils de pénibilité ne sont pas atteints (75 % des personnes éligibles sont des hommes).
On pense aux aides à domicile, aux femmes de ménage, aux personnels des crèches, à tous les métiers dans le domaine du soin et de l’aide à la personne, qui sont physiquement et émotionnellement usants (lever des personnes, bruits, faire face à la mort…). Interviewé sur France Inter, François Ruffin, député Insoumis, citait les chiffres du ministère du Travail : « en 1984, il y avait 12 % des salariés qui subissaient 3 contraintes physiques […] on est passé à 34 % aujourd’hui. […] il y a 40 ans, c’était 6 % des salariés qui avaient des contraintes psychiques fortes […] on est passé à 35 %. ». Toujours plus de cadences, toujours plus de flicage, l’intensité du travail n’a fait qu’augmenter.
D’après la CGT, les infirmières, qui avec la réforme ne pourront pas partir avant 64 ans, ont une espérance de vie inférieure de sept ans à la moyenne des femmes et 20 % des infirmières et 30 % des aides-soignantes partent à la retraite en incapacité. Pareil dans le secteur des auxiliaires de vie, c’est l’un des plus accidentogènes.
Ainsi, si les tenants de la réforme des retraites rappellent souvent l’allongement de l’espérance de vie et le fait que celle des femmes est bien supérieure à celle des hommes, ils ne présentent jamais l’état de santé de la population vieillissante. Actuellement, les femmes sont majoritaires parmi les bénéficiaires des minima de pension ; or si la cause principale est leur carrière incomplète, il ne faut pas oublier que dans ces minima la part de personnes en inaptitude ou invalidité est très importante.(6)

*** Des solutions ?

Dans l’immédiat, la solution simple est d’une part de lutter contre les inégalités entre hommes et femmes et d’autre part d’améliorer les conditions de travail en général et des précaires en particulier.
En effet, l’accès aux études, la répartition des tâches ménagères, le poids de la parentalité, les discriminations à l’embauche, les écarts de salaires, le plafond de verres, tous ces facteurs ont une répercussion sur la manière dont les femmes accèdent au travail. En 2011, une étude de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) montrait que si l’égalité salariale homme/femme était atteinte, les cotisations supplémentaires rapporteraient 5,5 milliards d’euros de plus.
Pour le second point, revaloriser la pénibilité du travail impacterait les métiers féminisés, faire cotiser les temps partiels sur la base d’un taux plein, augmenter le SMIC et les salaires rapporterait également des cotisations supplémentaires aux caisses de retraite.

Sur le long terme, il faut continuer à nous battre pour un projet de société anti-capitaliste et anti-patriarcale. Il faut continuer à tenter des expériences d’organisation en commun différentes. De toute évidence, le système actuel de garde d’enfants ou de soin aux personnes dépendantes est défaillant. Pourquoi ne pas mettre en place des garderies autogérées ou mutualiser la prise en charge des personnes dépendantes ?
En attendant, les femmes se mobilisent, on a par exemple vu le retour des Rosies et de leur chorégraphie en manifestation. Continuons et soyons nombreux et nombreuses en grève et dans la rue le 8 mars pour la journée internationale des droits des femmes !

ELSA

Encart 47-1 et PLFRSS

Innovant, le Conseil des ministres présente pour la première fois de la Ve république une réforme des retraites, sous la forme d’un PLFRSS soit un Projet de Loi de Financement Rectificatif de la Sécurité Sociale. Prévu pour être utilisé en cas « d’urgence », le PLFRSS permet d’utiliser l’article 47-1 de la constitution afin de réduire considérablement la durée des débats dans les 2 chambres du Parlement. En effet, l’Assemblée nationale dispose de 20 jours pour étudier le texte en commission, en débattre et procéder au vote. Si le temps manque et que le vote n’a pas lieu, tant pis, le texte est envoyé tel quel au sénat. Celui-ci a alors 15 jours pour le voter (ce qu’il fera sans doute car majoritairement de droite, c’est un soutien aux projets de Macron). Si on a lambiné ou pas voté, c’est à une commission mixte paritaire de députés et sénateurs de proposer un compromis à valider en 15 jours de navette. L’ensemble de la procédure ne peut ainsi excéder les 50 jours, (ce qui dans notre cas nous ramène au 26 mars), passé ce délai, le gouvernement peut légiférer par ordonnance ou appliquer son habituel 49-3.
Pour le gouvernement macroniste rien de surprenant à ce planning éclair, depuis longtemps le parlement ne lui sert que de chambre d’enregistrement. Quand il impose aux députés d’étudier 14 articles en une vingtaine de jours, pour Dussopt, c’est largement suffisant, cela lui laisse même le temps de jouer aux mots-croisés !
Rappelons que cette procédure spéciale existe pour permettre au gouvernement de faire voter rapidement des budgets, notamment suite à une situation imprévue. Le PLFSS doit normalement avoir une incidence financière sur l’année en cours. Ici le gouvernement donne clairement l’impression de détourner la loi à son avantage en prétextant qu’il y a urgence à savoir comment financer nos retraites. Certes il y a des dépenses à engager (les pensions versées) et des recettes à percevoir (les cotisations prélevées donc le revenu du travail et du capital) … mais l’objet de la réforme des retraites n’est pas uniquement financier. Déjà elle contient d’autres mesures (index seniors, la pénibilité etc) mais surtout quand on parle de retraites, il s’agit d’un vrai projet de société, les impacts sur l’emploi et le monde du travail sont évidents. Laurent Fabius, actuel président du conseil constitutionnel, suggère qu’il y a des « cavaliers sociaux », « hors champs financier » qui pourraient être censurés.
Quant à savoir s’il y a urgence de faire accepter ce projet de loi avant la fin de l’année, toutes les études d’impact (par exemple celles du Conseil d’Orientation des Retraites) indiquent que le système est « globalement équilibré » et que les effets des précédentes réformes doivent encore se faire sentir. L’urgence est uniquement du coté du gouvernement qui souhaite agir et surtout agir seul sans avoir à débattre avec l’opposition. Pour Élisabeth Borne, coutumière du 49-3, brider les débats parlementaires est une habitude, et avec le 47-1, elle n’a effectivement pas eu à craindre l’obstruction, RN comme NUPES ayant fini par retirer leurs 20 000 amendements, afin de pouvoir arriver, sans succès, au vote dans les délais impartis.     
Risque d’inconstitutionnalité ou pas, pour nous, renverser le gouvernement et rejeter ses réformes ne se fera de toute façon pas au Parlement, mais dans et par la rue !

Notes

1. Franck Riester, ministre des Relations avec le Parlement sur Public Sénat lundi 23 janvier
2. « Femmes et hommes, l’égalité en question » Édition 2022 réalisée avec les chiffres de 2019 et 2020.
3. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques disponible ici : drees.solidarites-sante.gouv.fr
4. DREES pour l’année 2020 départ à 62 ans pour les hommes, mais 62 ans et 7 mois pour les femmes.
5. pour la génération 1950, public sénat donne les chiffres de 32 % pour les hommes contre 40 % pour les femmes.
6. Pour les enfants nés après 2010, ces trimestres peuvent être partagés entre les 2 parents.
7. Pour la génération de 1950, les femmes représentent 63 % des bénéficiaires de minima de pension. Et 33 % de ces bénéficiaires (hommes et femmes) sont en inaptitude ou invalidité (contre 8 % pour ceux sans minimum).

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