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CA 329 avril 2023

Tour d’horizon de la mobilisation contre la réforme des retraites

Dossier "mouvement contre la réforme des retraites"

samedi 8 avril 2023, par Courant Alternatif

Dans cet article, nous proposons un bilan d’étape du mouvement social en cours qui s’appuie sur les remontées de terrain de nos camarades qui y participent pleinement. Bien entendu, les choses sont très mouvantes et chaque jour apporte son lot de nouveautés. Peut-être qu’à la lecture de ces colonnes, tout sera fini dans un sens ou dans un autre. Mais une chose est sûre, il y aura des conséquences politiques et sociales. Gagner est une priorité pour contrer la volonté de Macron/Borne -représentants d’une bourgeoisie politique et économique aux affaires- d’en finir avec ce qu’il subsiste encore du mouvement ouvrier au sens large. Mais déjà lutter, nous permet de nous retrouver dans la rue, de discuter, de s’organiser, ce qui renforce à terme la conscience de classe et le rapport de force nécessaire qui va avec. Il y a moyen de gagner !


Dans cet article, nous proposons un bilan d’étape du mouvement social en cours qui s’appuie sur les remontées de terrain de nos camarades qui y participent pleinement. Bien entendu, les choses sont très mouvantes et chaque jour apporte son lot de nouveautés. Peut-être qu’à la lecture de ces colonnes, tout sera fini dans un sens ou dans un autre. Mais une chose est sûre, il y aura des conséquences politiques et sociales. Gagner est une priorité pour contrer la volonté de Macron/Borne -représentants d’une bourgeoisie politique et économique aux affaires- d’en finir avec ce qu’il subsiste encore du mouvement ouvrier au sens large. Mais déjà lutter, nous permet de nous retrouver dans la rue, de discuter, de s’organiser, ce qui renforce à terme la conscience de classe et le rapport de force nécessaire qui va avec. Il y a moyen de gagner !

Petit panorama en guise d’introduction

Enclenchée le 19 janvier, la lutte contre la réforme des retraites semble connaître un second souffle depuis le jeudi 16 mars et l’utilisation du 49-3 pour imposer le texte à l’Assemblée nationale. Avant cette date, le mouvement était certes massif vu le nombre de manifestant-es dans les rues mais rien ne débordait de la sacro-sainte intersyndicale qui s’est imposée dès le début de la bataille et qui dictait les modalités de manifestation et de grève. La journée du 7 et du 8 mars ont été en deçà des annonces : il n’y a pas eu de « France à l’arrêt » -selon l’expression de la CFDT qui ne veut pas entendre parler de grève générale- ni de grève féministe massive. Le coup de chaud qui a fait bouillir la cocote est venu du « coup de force démocratique » de Macron/Borne qui a fait spontanément sortir les jeunes dans la rue. Chaque mouvement social proposant de nouvelles modalités d’organisation, les manifestations de 18h rythment l’actualité depuis plus d’une semaine (à l’heure de l’écriture de ces lignes) et semblent ne pas s’essouffler. Bien sûr, il ne faut pas oublier la grève de certains secteurs depuis le 7 mars comme les cheminots, les raffineurs, les éboueurs, les énergéticiens qui ont fourni un terreau – et des sacs poubelle dans les rues – propice à l’enflammement social.

La seconde étincelle a été allumée par Macron lui-même qui, lors de son allocution télévisée, a traité tout le monde de fainéants et d’illégitimes. Bien lui en a pris car le lendemain, la journée du 23 mars a été un grand succès. Les cortèges partout en France sont devenus débordants : des émeutes dans les grandes villes, des blocages impromptus dans les villes dites moyennes mais à chaque fois une vrai volonté de rester ensemble pour faire plier cette foutue démocratie représentative qui ne cesse d’humilier la démocratie populaire. Pareil pour les grèves qui se sont renforcées en particulier dans les raffineries où certaines unités de production sont à l’arrêt, ce qui commence à provoquer une pénurie. Néanmoins, d’autres secteurs en grève semblent fléchir comme les éboueurs ou les cheminots. Or, il est vital que le rapport de force contre l’économie capitaliste persiste pour ne pas tomber dans une lutte purement citoyenniste contre une déviance de la démocratie. La réforme des retraites reste une mesure du capital contre le travail pour essorer un peu plus nos forces de travail. L’ennemi c’est l’État, les flics mais surtout les patrons !

Afin de rendre compte de ces évolutions et comme chaque ville et région ont leur spécificité militante, nous proposons ci-dessous quelques aperçus du mouvement dans différents coins du territoire. Le propos se structure autour de trois interrogations : les manifestations importantes depuis le 19 janvier surtout dans les villes moyennes, quelle composition dans les cortèges ? Quid la grève, existe-t-elle et comment s’organise-t-elle ? Quelles réactions depuis l’usage du 49-3 ?

A Lille, enfin ça se réveille grâce aux jeunes

En tant que métropole régionale, Lille a fait le plein de manifestant-es dès la première journée de mobilisation. Je ne rentrerai pas ici dans la guerre des chiffres entre les syndicats et la préfecture mais une chose est sûre, il y avait beaucoup de monde qui défilaient paisiblement derrière les différentes boutiques syndicales, tout étant très codifié avec la CGT toujours devant.    Cette tranquillité a d’ailleurs surpris les plus radicaux qui espéraient la formation rapide d’un cortège offensif ou de tête, chacun l’appellera comme il voudra. Pendant 2 mois, on a beaucoup attendu et marché avec une composition assez classique : les services publics au sens large, l’énergie, les entreprises du coin mais à noter pas de cortège par corps de métier comme lors du dernier mouvement de 2019 par exemple. Dans ces conditions et du fait de l’attirance régionale, il est très difficile de dresser un panorama local de la mobilisation. Qui plus est, aucune AG interpro n’a été organisée, les initiatives sont venues des autonomes avec, au début du mouvement une AG de lutte régulière qui s’est ensuite transférée vers un groupe municipaliste libertaire : l’Offensive. A chaque réunion, une petite centaine de participant-es avec beaucoup de blabla politique, en particulier celui de la LFI mais peu de secteurs mobilisés sont venus avec un programme d’action. Le bilan a été plus positif dans les villes moyennes autour. Prenons l’exemple de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais qui a été une ville où la progression du nombre de manifestant-es a été la plus forte. Pour y avoir grandi, rien de social ne se passait dans cette ville et là, surprise, des milliers de gens dans la rue avec les personnes travaillant pour les administrations ou les services publics mais aussi des employés du privé car il y a plein de boîtes de logistique et aussi la verrerie d’Arques-Arc international. Le point de bascule remonte aux gilets jaunes en 2018 où les premiers barrages sont apparus dans cette localité. Par cet exemple, ce mouvement social est différent des précédents et les médias se sont largement penchés sur la « revanche des villes moyennes »

Enfin des jeunes à Lille

Les choses se sont un peu précisées le 7 mars avec l’annonce de la mise à l’arrêt de la France voulue par l’intersyndicale. On nous avait laissé poiroté quasi un mois pendant les congés scolaires, la rentrée sociale devait être chaude, elle fut tiède. Deux ou trois points de blocage économique dans l’agglomération lilloise qui ont moyennement marché sauf en périphérie au niveau des zones logistiques – Lille est une plaque tournante avec plein de camions qui passent. Chez les cheminot-es, après une première semaine de grève reconductible bien suivie, les taux de grévistes se sont affaissés mais il subsiste toujours un noyau dur qui porte le mouvement localement - surtout Sud Rail et quelque CGT de l’union locale de Lille mais l’Union départementale est aux mains des stals qui passent leur temps à expliquer que ce n’est pas le moment de bouger. Comme à l’accoutumée, ce sont les cheminots qui ont ouvert leur AG à l’interpro. On a commencé à voir des secteurs en lutte prendre la parole et proposer des choses mais le problème c’est que tout reposait sur la volonté d’un petit nombre. Ce volontarisme s’est retrouvé dans la suite des blocages de la mi-mars. Nous étions peu nombreux, une cinquantaine, à essayer de bloquer les entrées de la ville. Les barrages filtrants n’ont pas tenu longtemps. Du côté des facultés et des lycées – Lille est aussi une grosse ville étudiante – rien de bien folichon. La faculté de sciences politiques a bloqué mais à cause du recours au travail distanciel et aux fermetures administratives décidées en amont, personne ne reste vraiment sur le blocage et personne ne peut rentrer pour occuper un amphi, installer une AG. Quant aux lycéens à part quelques actions sporadiques à partir du 7 mars, les esprits étaient plutôt occupés par les épreuves anticipées du bac. Un mot sur les personnels de l’éducation et surtout les profs, ils ne sont pas du tout rentrés dans la lutte hors les grosses journées de mobilisation. Le mot d’ordre de grève des surveillances est arrivé très tardivement ce qui n’a pas laissé le temps de s’organiser et la conscience professionnelle est restée majoritaire ce qui a fait échouer le blocage du bac.

Pressé d’en finir et persuadé que la démocratie représentative allait taire la contestation, le gouvernement a finalement redonné un souffle au mouvement avec l’utilisation du 49-3. La CFDT qui promettait d’arrêter le mouvement si le Parlement votait la loi n’est pas rentrée chez elle. L’intersyndicale tient, ce qui n’était pas franchement réjouissant mais heureusement les bases se sont réveillées. Le salut à Lille est venu des jeunes. Au soir du 16 mars, enfin une manifestation dynamique et sauvage avec une détermination affichée face aux flics qui empêchent l’accès au centre-ville bourgeois. Le verrou de la Grand-Place – point central et symbolique de la ville - a sauté grâce à l’ingéniosité des jeunes manifestant-es. Les réseaux sociaux aidant, par petit groupe, les personnes se rassemblent et provoquent une course effrénée des flics qui ont répondu comme à leur habitude par la matraque et le gazage. Finie l’entente cordiale du début du mouvement où de la bouche même d’un policier nous virant d’un point de blocage déclarait que nous étions dans le même bateau et qu’eux aussi ne voulaient pas bosser jusque 64 ans … Depuis, Lille est devenue émeutière comme d’autres grandes villes. Mais au-delà du focus médiatique sur ces « violences urbaines » il est à noter que dans les villes moyennes aussi, le débordement a eu lieu. A Saint-Omer, les blocages ont été plus ciblés autour du ramassage des déchets et de la logistique et cette fois-ci sans la négociation avec l’Etat et les patrons. A Calais, la manifestation du 23 mars a fini sur l’autoroute du littoral et le blocage a duré une bonne heure, il existait déjà des barrages filtrants depuis le 7 mars mais cette fois-ci c’est la spontanéité de la foule qui l’a emporté. A Dunkerque, les dockers se sont enfin mis en grève le 23 mars bloquant l’aciérie d’Arcelor Mital. Pour l’anecdote, c’est le port en France qui a la réputation de ne jamais bloquer car le syndicat majoritaire n’est pas la CGT mais le CNTPA-CFDT. Cela faisait 30 ans qu’ils ne s’étaient pas mobilisés

Voilà l’état de la mobilisation et de la réflexion sur le mouvement lillois encore en cours. Une AG interfac vient d’avoir lieu ainsi que l’annonce d’une nouvelle grosse journée nationale, le mardi 28 mars. La reconductible n’a pas pris mais les journées saute-mouton ne semblent pas épuiser la contestation. Le calendrier social s’accélère et semble prendre le dessus sur le calendrier politique mais il faut se méfier des solutions démocratiques qu’on nous propose et qui risquent d’affaiblir notre camp. Le pouvoir est dans la rue, pas dans le conseil constitutionnel ni un référendum d’initiative populaire. Battons le fer tant qu’il est chaud !

A Boulogne-sur-mer, voilà le printemps …. bisous, c’est bloqué !

Comme partout ailleurs, à partir du 19 janvier les manifestations de rues ont été plus fournies qu’à l’habitude. On y a observé une plus forte présence des salariés du privé. Essentiellement ceux des entreprises de l’agroalimentaire, de la métallurgie, du Btp et du transport, se succédant au gré des dates du calendrier établi par l’inter-syndicale. Par contre, les jeunes scolarisés, aussi bien les lycéens que les étudiants furent les grands absents de ces défilés très encadrés et animés syndicalement. La surprise, car il y en eut une, et une mauvaise, fut l’interdiction faite à la demande des patrons du secteur de laisser le cortège traverser la zone industrielle portuaire. Si l’intersyndicale dit sa surprise et son mécontentement auprès de la sous-préfète, elle se résigna à suivre sagement les ordres qu’on lui a transmis … La tentative de déborder le cordon policier et syndical tourna court, mais on sentit qu’il y avait parmi les participants des attentes qu’il faudrait satisfaire …

Boulogne-sur-Mer, Capécure, mars 2023

Il a fallu attendre la nuit du 7 mars pour que la mobilisation prenne un tour plus offensif. Une opération de blocage des accès de la zone portuaire et de coupure de l’alimentation oscilla entre piquets de grève déterminés et barrages filtrants. Malheureusement, la manifestation pourtant fournie ce jour-là encore passera au large illustrant le distinguo martelé par les cadres syndicaux locaux entre d’un côté « la manifestation » et de l’autre « les actions » … D’autres interventions syndicales nocturnes autour des lieux de production et des axes de circulations s’en suivirent … A l’annonce du recours au 49.3 un rassemblement devant la sous-préfecture s’est spontanément transformé en libre déambulation dans les rues du centre ville, cela resta bon enfant. Dans l’un des principaux lycées de l’agglomération, les personnels réunis (plus de 40) ont voté à la quasi-unanimité, la grève le lundi 20 mars, jour d’épreuves de bac. Les grévistes ont tenu un piquet devant le lycée, un tract a été distribué aux élèves et parents, un mail a été envoyé à tous les personnels.

La volonté d’éviter les débordements est affichée et revendiquée par les bureaucrates locaux qui n’ont pas hésité à dénoncer face caméra « les violences commises » lors des actions du 7 mars. Après l’annonce du 49.3, les actions de blocage sur le port et les zones industrielles vont se multiplier mais leur impact se mesure à la distance prise les acteurs avec l’encadrement syndicale en contact permanent avec la flicaille … 

Dans le Val de Marne, il n’y a pas que Paris dans la vie

Les manifestations sont fortes sur Paris mais il faut noter une certaine déception sur les manifs du samedi censées amener des non-grévistes selon l’intersyndicale nationale, la CFDT en tête. Les cortèges syndicaux CGT, SOLIDAIRES, FSU et CNT ont été agressés par des individus, dont certains ont clairement été identifiés à l’extrême droite. Aucun des SO de ces 4 orgas n’a livré de manifestants aux flics. En banlieue, des manifestations locales dans les quartiers prolétaires ont eu lieu et d’autres initiatives se sont multipliées comme des retraites aux flambeaux,    des projections de films en soutien au mouvement, diffusion de tracts, d’affiches etc. Ici et là, des comités de lutte unitaires se sont créés, mais ils restent peu coordonnés à l’échelle départementale. Les conflits internes au sein de la CGT – à cause de leur congrès fin mars et de la succession de Martinez -    ralentissent les liens entre secteurs professionnels et interprofessionnels. Même si, sur le terrain, il existe un soutien des piquets de grève dont celui des éboueurs d’Ivry, ce qui permet un relatif dépassement du localisme.

Ivry mars 2023

La grève reconductible est minoritaire et peu suivie chez les bus de la RATP, contrairement au mouvement contre les retraites de 2019. Cela peut s’expliquer par une conjonction entre la répression subie par la CGT RATP et l’existence d’une prime d’assiduité, signée par FO et l’UNSA, qui pousse les personnels à rester au travail. Les AG restent faibles numériquement. Les comités locaux interpro n’existent pas dans toutes les villes. Certains syndicats n’y participent pas comme la CFDT, l’UNSA ou la CFTC ; ou font tout pour les freiner comme FO. Il y a une tendance à la lutte par procuration, si l’on observe les actions hors-grève qui n’ont qu’un élargissement relatif. Sans doute, payons nous la faiblesse des collectifs syndicaux ou autonomes, tant sur les lieux de travail que sur les territoires. La réorganisation permanente du travail, le COVID, ont renforcé l’isolement des uns et des autres.

Depuis le 49-3, le mouvement qui semblait s’essouffler est reparti, en particulier chez les jeunes. Nous sommes peut-être dans une crise de légitimité du régime et de grandes interrogations quant au côté « démocratique » de cette société. Il semble que le mouvement se développe plus sous la forme de piquets de grève, de blocages et de manifs spontanées.

Ailleurs en banlieue parisienne, ça bouge aussi

Comme partout,    depuis le 19 janvier, les cortèges sont très fournis, avec des jeunes de plus en plus nombreux notamment depuis la rentrée des vacances d’hiver. Les blocages de lycées et de facs se sont accélérés à partir du 6-7 mars. Des lieux qui ne bougent pas habituellement se sont lancés comme la fac de Saint-Quentin-en-Yvelines. Dans les villes de proche ou lointaine banlieues, des retraites aux flambeaux nombreuses ont été organisées, en particulier dans des villes rarement dynamiques comme Rambouillet, Les Mureaux. Mais comme partout des manifs globalement assez peu dynamiques, avec une vision très citoyenne de la lutte. Cela a bien sûr pris une autre tournure après le 49.3 avec des manifs plus offensives car immédiatement réprimées, parfois avec le soutien des syndicats qui sortaient le ballon malgré le grabuge pour couvrir les manifestant-es.

La grève est – ou était – forte dans les transports (RATP, SNCF, parfois transports scolaires et boîtes locales), mais décroissante et tendant à se faire principalement sur les grosses journées. Les cheminot-es ont du mal à faire venir les gens en AG. Malgré la grève décroissante, il existe des actions intéressantes comme l’envahissement des voies et le sabotage à la gare de Versailles-Chantiers. Ou encore la grève « sauvage » - c’est à dire sans déclaration d’intention - au technicentre de Châtillon. Idem dans l’éducation, où la reconductible est le fait d’une poignée d’acharnés, même sur la séquence du 7-8 mars où seuls quelques rares bahuts ont reconduit massivement. Concernant la grève de surveillance du bac, le rapport de force n’était pas suffisant faute de nombre chez les grévistes même dans les lycées les plus mobilisés du 93. Les piquets de grève ne bloquent rien, le courage manque aux profs et aux élèves pour que le risque soit pris. Notons tout de même quelques évacuations au flashball de « vrais » blocages. Dans l’énergie, la grève tient bon chez les électriciens et les gaziers, avec des piquets et des actions de coupure, parfois en commun, pour s’entraider : les électriciens coupent chez les gaziers. Difficile toutefois de faire le lien avec des professions qui restent souvent dans l’entre-soi de leur piquet, même si de beaux moments ont eu lieu, comme à Beynes (78) avec une paella géante des grévistes gaz-électricité et des cheminots et profs qui s’y sont joints. Les éboueurs tiennent le haut du pavé grâce aux blocages ou filtrages des incinérateurs et des dépôts de camions-bennes. Au quotidien, des renforts venus de l’AG interpro et des étudiants viennent renforcer la grève. 

Les AG n’ont décollé vraiment qu’après le 31 janvier dans le 93 – avec beaucoup de profs dedans - ou les 7-8 mars ailleurs. Depuis des actions quotidiennes sont lancées comme : les blocages de périph,    le filtrage sur des zones industrielles comme à Gennevilliers, Limay-Porcheville, des manifs hors du calendrier de l’intersyndicales,    des irruptions dans des centres commerciaux, des soutiens aux grèves et sur les piquets, des péages gratuits pour caisse de grève, etc.

A Saint-Nazaire, focus sur la mobilisation de l’éducation

Ville ouvrière s’il en reste, c’est une sous-préfecture habituée des fortes mobilisations sociales. L’année 2023 n’échappe pas à la règle, avec une intersyndicale locale qui structure le paysage de la contestation selon un certain verticalisme : pas d’initiative qui n’ait suivi la chaîne hiérarchique depuis le national, en passant par les Unions départementales. Le cadre « unitaire » exceptionnel de cette année a renforcé ce travers. Mais les habitudes d’action directe de certains secteurs    - le plus souvent affiliés à la CGT ports et docks, raffinerie, métallos, SNCF, énergie -    font que la base pousse également. Ainsi depuis février, les initiatives se sont multipliées, avec entre autres des actions de blocage de sites industriels ou de rond-points. Il y a aussi des velléités de grève reconductible, dans lesquelles les profs ont fini par trouver une place spécifique.

Dans le secteur de l’éducation, une vingtaine de personnels du premier et du second degré sont partis en grève reconductible après la mobilisation du 31 janvier,    pour s’organiser et mobiliser dans les écoles, participer aux distributions de tracts et aux collages d’affiches pour appeler aux différentes manif « nationales ». Dans un premier temps, c’était des appels à rejoindre les actions des secteurs qui débrayaient et bloquaient les sites au petit matin comme par exemple : les raffineurs de Donges qui bloquent les voies ferrées devant la raffinerie le 8 février ;    un blocage de la zone portuaire le 16 février pendant les vacances scolaires ; un blocage de la zone industrielle qui dessert le site d’Airbus le 8 mars. En parallèle, ce collectif organise différentes initiatives pour financer la caisse de grève locale avec des projections de film, la vente de bouffe et de boisson pendant les manif ou les meeting, etc. A force de bosser ensemble, ce noyau militant « enseignant » mais pas que - car il compte aussi des AESH, des AED ou des animateur·es de l’éducation populaire - a fini par prendre ses propres initiatives.

Le 9 mars, c’est le blocage d’un dépôt Kéolis qui compte des lignes de cars scolaires et de transports de la presqu’île qui a servi de test pour une première action éduc. Nous étions une trentaine, autour de feux de palette à bloquer 62 lignes de bus, en grande connivence avec les chauffeurs très satisfaits de l’initiative et qui nous ont demandé de rester jusqu’à 9h, ce qui correspond à la fin des prises de service du matin. Fort de cette première, et à nouveau en reconductible depuis le 7 mars, nous avons ensuite bloqué le rond-point qui dessert la cité scolaire et un collège de la ville, le mardi 14 mars et le mercredi 15 mars. Le jeudi 16, nous avons filtré l’un des principaux rond-point d’accès à la ville, pour proposer à l’intersyndicale la perspective d’une journée « ville morte », où chaque secteur prendrait en charge l’une des « portes » de la ville. Rejoint entre autre par les territoriaux et la CGT-spectacle, l’appel de l’éduc en lutte pour un rassemblement devant la sous-préfecture le soir du jeudi 16 mars (jour du 49-3) est relayé par la CGT toute entière. Nous étions plus de 500 pour ce rendez-vous presque spontané, qui s’est terminé par une marche sur la Chambre de commerce et d’industrie, haut siège du patronat local.

Blocage d’un dépôt de car scolaires

A nouveau sur notre rond-point le vendredi 17, de nouvelles personnes en recherche d’actions nous ont rejointes, et c’est un nouvel appel à rassemblement à la Gare le samedi 18 qui a regroupé autant de personne et permis une déambulation dans la principale zone commerciale de la Ville. Lundi 20 mars, l’appel à la grève des épreuves de spécialité du bac a été entendu, et comme l’initiative était portée par un nombre conséquent de lycées dans tout l’hexagone, 4 des syndicats nationaux de l’éducation, dont le SNES ont fini par appeler à la grève de la surveillance des épreuve, contre la réforme des retraites et le bac Blanquer combattu depuis 2019. Lundi 20 mars, nous reprendrons pied sur le rond point pour appeler la population à la grève jusqu’à la manifestation du 23 et après s’il le faut ! convaincus que nos initiatives, si elles ne perturbent pas le quotidien de l’économie locale, ne nous permettrons pas de gagner grand-chose.

Pont de Saint-Nazaire 22 mars 2023

Il y a plusieurs points importants à remarquer dans ces actions. Elles ont été facilitées car il existe localement depuis 2019 un fonctionnement en intersyndicale ouverte (CGT éduc’action, FSU, SUD éducation, non syndiqué·es) qui regroupe une quinzaine de personnes qui agissent en confiance, et sur une politique commune d’une éducation au service de l’émancipation politique et sociale (pour faire vite). La grève reconductible, même très minoritaire, a permis de dégager le temps nécessaire pour structurer des initiatives de façon autonome et collective, pour prendre aussi confiance dans nos capacités, et finalement agir. La paupérisation des profs fait que nombre n’hésitent plus à faire le saut d’action un peu plus offensive que la ballade syndicale. Qu’un secteur comme l’éduc, très modeste au regard des bastions syndicaux ouvriers locaux, puisse être reconnu et accepté par les autres corporations est aussi intéressant. Si j’étais optimiste je dirais que c’est une voie pour reconstruire une identité de classe… L’autre fait notable c’est que dans toutes les initiatives prises, la sympathie à l’égard du mouvement reste massive. Même sur les barrages filtrants où les gens étaient bloqués plus d’une heure, la plupart nous remerciaient d’être là, nous encourageaient à continuer, versaient pour la caisse de grève éduc locale ! Reste à les convaincre de nous rejoindre dans l’action. On y re-travaille dès demain !

NB : Si vous avez 3 sous pour notre caisse de grève (SEA4O-Solidarité éducation active 44 Ouest) c’est ici https://www.helloasso.com/associati...

A Limoges et dans le Limousin, le réveil du 49-3

Les manifestations à Limoges ont été très fréquentes depuis le 19 janvier mais si les manifestations ont été imposantes lors des journées nationales, à d’autres moments, elles furent très modestes, en particulier lorsqu’une partie seulement des syndicats appelaient. Les manifestations s’organisent très spontanément et sans séparation du cortège en plusieurs parties. Sur les manifs de journée nationale, c’est la banderole intersyndicale qui est en tête, mais sur d’autres cela peut être variable. Il y a donc un cortège mélangé avec de temps en temps des pôles de regroupements par syndicat, par boîte ou par couleur politique, mais avec une grande fluidité et une majorité de non encarté-es. Des anciens Gilets Jaunes y participent aussi mais avec leur étiquette syndicale ou politique, et pour ceux qui n’en ont pas, il n’y a aucun signe distinctif, même pas le gilet. A part les salariés et retraités, on a vu aussi défiler des artisan-nes, des agriculteur-rices, et des lycéen-nes. Les étudiant-es ont été quasiment invisibles - à part une poignée de syndiqués FSE (fédération syndicale étudiante) jusqu’à l’occupation de la fac de lettres et les soirées depuis le 49-3. Les lycéen-nes, pas très nombreux non plus, mais dynamiques se regroupent derrière les banderoles de la « Jeunesse révolutionnaire » qui est un regroupement hétéroclite de maoïstes, de NPA, de LFI, de JC et d’inorganisés plus libertaires. Les deux député-es LFI de la circonscription veillent à entretenir de bons rapports avec cette jeunesse. Les manifestations ont également été imposantes par moments dans la plupart des autres villes de la région, en particulier à Guéret, Brive et Saint-Junien.

Limoges cortège lycéen

Par contre, il n’y a eu aucune tentative d’appeler à des AG interpro. Très peu de grèves reconductibles et de blocages (sauf ponctuels). Seuls deux blocages durent : celui de la fac de lettres et celui d’une plate-forme logistique de Legrand - l’équipementier électrique. Même à la SNCF, il n’y a pas de grève reconductible car les cheminots CGTistes locaux préférent une grève « intermittente », ce qui met en rogne les minoritaires de SUD et de FO. La situation à EDF semble un peu meilleure au niveau de la grève mais sans effet visible.

Depuis le 49-3, il y a eu des manifestations tous les jours, mais essentiellement en nocturne. La première, le jeudi 16 mars au soir, a rassemblé plusieurs centaines de personnes spontanément à la préfecture. Celle de samedi 18 après-midi, sur appel intersyndical n’a rassemblé que 2 000 personnes au maximum. Les manifs du soir (20h-22h) rassemblent principalement des étudiant-es, mais ça reste très modeste au niveau des effectifs avec 250 personnes au maximum mais quelques effets significatifs comme des poubelles renversées, des feux de cagettes.

A Quimper, un débordement libérateur de l’intersyndicale

Historiquement, les manifestations à Quimper sortent rarement du cadre imposé par l’intersyndicale. Depuis deux semaines, un petit groupe essaye de faire finir le parcours en manifestation sauvage. Cette démarche a été plus ou moins suivie selon les moments mais elle est plus qu’appréciable car issue de la base, en dehors des ordres des centrales syndicales.    Les tentatives de débordements ont été    souvent suivies par le cortège FO et Sud territoriaux ; mais il s’agit principalement de gens non encartés, de quelques gilets jaunes et du petit groupe CNT local. Notre tract OCL - appelant à sortir des lignes - a globalement été bien apprécié. Rien de bien exceptionnel, vu de l’extérieur, mais c’est déjà une petite révolution à Quimper. Au point même que l’intersyndicale a été obligée de modifier le parcours habituel lors de la mobilisation du    mercredi 15 mars. Nous avons pris une direction contraire qui passe devant les bureaux du MEDEF en périphérie de la ville, très proche de la voie rapide. Ce genre de parcours aurait été refusé dans n’importe quelle ville moyenne, vu le risque de débordement et de blocage mais ici,    la préfecture a accepté sans sourciller, et d’ailleurs personne n’est monté sur la rocade !

Ceci dit, à l’arrivée au MEDEF, le groupe partant en sauvage habituellement a empêché la prise de parole de l’intersyndicale pour gueuler des slogans plutôt fun. De plus, une porte laissée ouverte a permis d’envahir partiellement le siège du patronat local. La CGT et surtout la CFDT n’ont pas trop apprécié de se faire couper l’herbe sous le pied, mais l’action inopinée « d’envahissement » a été fort appréciée par l’ensemble des manifestant-es, ce qui a empêché les cris courroucés des leaders syndicaux qui sentent frémir leur base qui en a marre de ces manif-randonnées bi-hebdomadaires.

Vu en manif à Quimper

Depuis l’annonce du 49-3, les étudiant-es en beaux-arts de Quimper - déjà en lutte pour le maintien du financement public de leur école - se sont greffé au mouvement. Ils occupent leur école et organisent une AG ouverte à tous, peut être le début de quelque chose. De plus, des actions de blocage sont de plus en plus souvent organisées comme celle du 20 mars au niveau d’un entrepôt Amazon et d’un site de retraitement des déchets dans le cap Sizun. Même si cela tient sur peu de monde, il y a une réelle envie de chercher et trouver des nouvelles méthodes d’action.   

Ailleurs dans la région, il se passe aussi des choses assez dingues comme ce rassemblement non-déclaré a Pont-Labbé (en pays bigouden)    qui a réuni plus de 300 personnes devant le local de la député macroniste du coin. Cela faisait des générations, qu’il n’y avait pas eu de manif dans cette commune. C’est peut-être un signe assez positif d’une fatigue globale contre le mode de fonctionnement "démocratique" de la société. Par ailleurs l’interpro dans le sud-est du département, vers Quimperlé, est bien plus active et organise des blocages divers (supermarché, etc etc),

Dans l’ensemble, on ressent vraiment un enthousiasme collectif dans les manifs (qu’on partage largement d’ailleurs), les gens étant vraiment contents de se retrouver autour d’une lutte commune. Même si la majorité reste très citoyenniste, il y a une volonté de sortir des clous. Et c’est chose faite puisque lors de la manifestation du 23 mars, le cortège s’est dirigé vers la rocade et a réussi à bloquer la circulation.   

Et maintenant ? La répression va-t-elle l’emporter ?

Depuis le 16 mars, les chiens de garde du pouvoir sont sortis pour siffler la fin de la partie. Des piquets de grève comme chez les éboueurs ou les raffineurs sont évacués par les flics. Des réquisitions tombent pour remettre au travail les secteurs essentiels à l’économie - que le pouvoir nous demandait d’applaudir, il y a trois ans pendant le confinement. Malgré cette répression, des tentatives existent pour reprendre les blocages mais il y a aussi la grève du zèle où les salariés mobilisés font tout pour ralentir, saboter la machine. Les blocages deviennent plus bordéliques et plus forts. Ils ne tiennent que peu de temps mais sont mobiles et épuisent la police. Reste la rue qui ne se vide pas, tous les soirs avec les jeunes et pendant les journées nationales de mobilisation. Comme à son habitude, le système politico-médiatique tente la division entre bons et mauvais manifestants mais la ficelle est trop grosse et les images de violences policières cassent la dynamique sécuritaire. Mais quel sera le prix à payer en terme de blessés et d’arrêtés ? Il est donc essentiel de ne pas abandonner le terrain économique et de continuer à perturber les patrons partout sur le territoire.

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