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CA 329 avril 2023

Une réforme des retraites qui s’annonce encore plus criminelle qu’il n’y parait

mercredi 12 avril 2023, par Courant Alternatif

La réforme des retraites n’est pas une décision isolée et pour apprécier la réalité globale et les conséquences sur la population de la politique macronienne, il faut mettre en perspective un ensemble de mesures et de réformes qui entrent en résonance les unes avec les autres. Cela a déjà été souligné dans la presse pour la réforme de l’assurance chômage qui va aggraver la situation des seniors sans emploi.


Certains médias ont également dénoncé les risques pour la santé que représentent cette réforme. Après avoir déclaré qu’il n’aimait pas le mot « pénibilité » (car le travail n’est pas pénible d’après lui), Emmanuel Macron remet finalement des critères de pénibilité dans sa réforme des retraites, des mesurettes qui ne changent absolument rien, surtout pour essayer d’amadouer la CFDT.
Mais la réalité du danger est bien pire que ce que l’on a entendu jusqu’ici.

{{Une réforme des retraites qui entérine la pénibilité au travail

Cette « institutionnalisation » de la pénibilité au travail va à l’encontre de 100 ans de luttes et de 20 ans de jurisprudence favorable à la santé au travail qui a établi la fameuse obligation de résultat en matière de sécurité au travail, résumée en « obligation de sécurité-résultat ». L’obligation de sécurité est consacrée en 2002 par la cour de cassation. Il faut bien comprendre les implications de cette jurisprudence qui constate de manière incontestable que TOUT ACCIDENT DU TRAVAIL ET TOUTE MALADIE PROFESSIONNELLE DÉCOULE D’UN MANQUEMENT DE L’EMPLOYEUR, mais également que le simple fait d’exposer un salarié à un risque, est fautif pour l’employeur et permet de rompre le contrat de travail aux torts de ce dernier.

En 2015, la cour de cassation assouplit sa position avec une « obligation de sécurité renforcée », l’employeur doit pouvoir faire la preuve que tous les moyens ont été mis en œuvre pour préserver « l’intégrité physique et mentale » (code du travail) des salariés. Le travail ne doit pas abîmer, ne doit pas blesser, ne doit pas rendre malade et encore moins tuer. Nous ne devons jamais oublier que la création de la représentation du personnel a lieu chez les mineurs dans les années 1900 pour essayer de survivre dans les mines en limitant les accidents. L’obligation de sécurité est extrêmement gênante pour le patronat, car plutôt coûteuse en terme de prévention par les méthodes de travail, le nombre de personnes nécessaires pour réaliser les taches et les équipements de protection, l’ergonomie des postes de travail, les EPI, ou la mécanisation/robotisation de certaines taches.

Nous l’avions déjà dénoncé comme faisant partie des critères qui poussent Total à raffiner à l’étranger par exemple, car il est évident que les ouvriers exposés à des substances toxiques pendant des décennies, dans les raffineries, ou autres industries polluantes, seront amenés à une inaptitude précoce sur leur poste et à faire valoir un dédommagement au titre des risques professionnels, quand c’est possible… Et ce n’est, à nouveau, qu’un exemple parmi d’autres, avec le nettoyage qui oblige à respirer des particules fines ce qui débouche souvent sur de l’asthme, à minima, et tous les travaux à la chaîne et leur lot de TMS (troubles musculo-squelettiques) et autres pathologies. On peut également citer la manutention des marchandises, des conditions de travail extrêmement dangereuses et usantes dénoncées par nos camarades de Géodis notamment. Les critères de pénibilité vont complètement à l’encontre de cette évolution décisive, et même historique, de la façon d’aborder le travail dans la société depuis plus d’un siècle, qui méritait d’être consolidée et généralisée, et pas fragilisée. La prévention des risques était déjà loin d’être parfaite dans l’immense majorité des entreprises et maintenant, cette notion de pénibilité sonne comme une acceptation que « c’est comme ça, on n’y peut rien ».

{{Un concept dangereux qui flirte avec les risques professionnels

Si le concept de « pénibilité » est différent des risques professionnels, il en est tout de même très proche et ouvre la porte à un fatalisme, le travail peut abîmer. Si les risques doivent être prévenus et même supprimés, il n’est pas toujours possible d’éradiquer la pénibilité. Notamment le travail en horaires décalés qui est une des contraintes inhérentes au service public. On ne peut pas fermer un hôpital la nuit, ou faire circuler des trains uniquement aux heures de bureau. Rappelons que dans le privé, le travail en 3x8 est le plus souvent un choix de production, et pas une contrainte de fonctionnement. La valse des critères de pénibilité que nous joue Macron, n’est qu’un pansement sur la jambe de bois de la souffrance au travail.

Macron peut ajouter ou supprimer des critères de pénibilité, des réponses existent déjà en réalité, qui ne demandent qu’à être améliorés et étendues. En effet, cette pénibilité insuppressible est déjà prise en compte dans beaucoup de professions, avec une retraite à 55 ans (cheminots, RATP, électriciens, pompiers...) ou 50 ans chez les conducteurs de trains (à l’origine, avant la précédente réforme), c’est la raison d’être des régimes dits « spéciaux ».

Les organisations du travail également reflètent les acquis des luttes contre les formes de pénibilité. Comme par exemple, la grève des cheminots de 2016 pour garder leurs conditions de travail que Hollande voulait casser, qui prévoient : 20h de moins environ travaillées à l’année par rapport au régime général (1584 contre 1607), ou des temps de repos de 12h entre 2 services et jusqu’à 14h après un service de nuit, contre 11h seulement dans le code du travail et en toutes circonstances.
Le nombre de repos doubles annuel comporte un minimum dans de nombreuses professions à statut, au contraire du nettoyage, la convention collective « entreprise de propreté » (mais également dans le rail, la manutention ferroviaire) ne prévoit qu’un jour de repos par semaine à minima, donc on peut obliger ces salariés à    effectuer des horaires du genre 6h/9h – 17h/19h 6 jours par semaine !Et ce n’est pas la seule profession dans ce cas. On peut imaginer les conséquences sur la santé quand on habite loin, dans un quartier populaire, pas toujours bien desservi.

Ces différences permettent de constater l’importance des luttes dans la santé au travail également. Nombre de conventions collectives prévoient un compte temps alimenté par un pourcentage du temps effectué la nuit convertit en temps de repos compensateur de nuit (RCN), en général 1%. Tous ces acquis mériteraient d’être étendus à un grand nombre de professions et revus à la hausse dans le cadre de l’amélioration des conditions de travail et d’une lutte concrète contre la pénibilité, pas l’ajout de 2 malheureux critères avec des conditions d’attribution inatteignables. Une mesure d’équité, appelée par la population, serait également d’aligner les retraites de tous les métiers pénibles sur le modèle des régimes dits « spéciaux » plutôt que de les supprimer par une pseudo volonté d’égalité. On peut penser au nettoyage qui est un métier usant physiquement qui peut difficilement être effectué aux heures d’ouverture, les fonderies dont le haut fourneau ne peut être arrêté pour la nuit, pareil pour les raffineries etc...

On pourrait même imaginer une dégressivité des heures de travail avec l’âge pour réduire cette pénibilité et éviter les accidents qui sont plus fréquents avec la fatigue, donc avec l’âge, qui nuit à la concentration. Voilà quelles sont les mesures existantes contre la pénibilité et que nous pourrions améliorer quand la volonté du libéralisme est de tout niveler vers le bas.

{{Une réforme qui vient après la disparition des CHSCT

Cette réforme des retraites est directement aggravée par les ordonnances travail de 2017 qui ont réformé les instances représentatives du personnel et notamment, en supprimant les CHSCT. Le CHSCT (Comité d’Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail) était une instance dédiée uniquement à la prévention des risques professionnels, donc compétente pour réduire, ou supprimer les risques d’accidents ou de maladie et agir contre la fameuse « pénibilité » au travail.

Actuellement les délégués du CSE (unique instance restante) sont surchargés de travail et d’information et donc difficilement en capacité d’effectuer le travail de fond et détaillé qui était assumé par le CHSCT, qui avait également la possibilité d’aller en justice en tant que personne morale (sur les fonds de l’entreprise, sans qu’elle puisse refuser) pour contester une organisation du travail estimée génératrice de risque. Pour le coup, le risque pour le patronat était inacceptable et Macron y a mis un terme. Une instance dont le but était de protéger les salariés par l’aménagement et l’ergonomie des postes ou des procédés, mais également de pouvoir aider l’indemnisation en cas d’absence de prévention pour un danger signalé (la faute inexcusable), également en menant des enquêtes en prévention d’accident pour obliger l’employeur à prendre des mesures, ou après accident pour en déterminer les causes et les responsabilités.

Le CHSCT pouvait donc contester des organisations ou procédures dangereuses, en résumé lutter contre l’ensemble des risques capables de provoquer des accidents ou des usures du corps ou de l’esprit (« l’intégrité physique et mentale des salariés »). Mais également et surtout, il pouvait agir pour maintenir les gens dans l’emploi en pesant pour l’aménagement des postes en cas de restriction médicale et notamment après un accident du travail. Même si toutes ces possibilités existent encore avec les CSE, sa mise en œuvre est beaucoup plus complexe et ce ne sont pas les CSSCT (commission santé, sécurité, conditions de travail) qui peuvent remplacer les CHSCT puisqu’elles ne sont pas dotées des même prérogatives.

Le CSE pousse la représentation du personnel à une cogestion avec les taches précédente du Comité d’Entreprise, des Délégués du Personnel et du CHSCT réunies, ce qui oblige à rester loin du poste de travail et de perdre le contact et la connaissance des risques et des pénibilités justement. Donc une perte de connaissances et de compétences qui réduit les capacités des délégués à agir contre les risques, qui eux augmentent avec l’âge puisqu’on est moins agile, on a moins de réflexes et de concentration en vieillissant.

Sur les quelques 2000 CHSCT existants en France à l’époque, on peut estimer qu’environ 10% s’opposaient véritablement aux directions d’entreprise et effectuaient ce travail de fond de protection, prévention et maintien dans l’emploi, avec cette instance totalement dédiée à cette tache, alors il est facile d’imaginer le résultat avec une structure comme un CSE qui traite l’ensemble des problèmes des salariés… D’ailleurs, les chiffres sont parlant, le nombre de décès au travail serait passé de 550 à 733 par an    entre 2017 et 2019, soit une augmentation de plus d’un tiers.

Si les seuls décès officiellement reconnus comme accident du travail ont augmenté dans une telle proportion, qu’en est-il des accidents non mortels, mais invalidants et ayant entraîné un taux d’IPP (incapacité permanente partielle) ne permettant pas un maintien dans l’emploi ? Plus d’accidents et plus de licenciements suite à ces accidents, donc moins de cotisations et plus de personnes qui souffriront de la pauvreté à la retraite.

{{Des réformes qui, mises bout à bout, montrent leur caractère criminel

C’est là que la duplicité du gouvernement apparaît dans toute sa dimension. Après avoir supprimé cette instance, le CHSCT, le gouvernement veut ajouter du temps de travail en saupoudrant de quelques reconnaissances de « pénibilités ».

Nous nous dirigeons donc vers une augmentation déjà visible des risques professionnels par une moindre prévention et donc plus de licenciement pour raison de santé, accompagnés d’une plus grande difficulté à faire reconnaître le lien de causalité entre inaptitude et travail. Car c’est un fait, parmi les seniors qui sont sans travail, nombre d’entre eux souffrent de pathologies en lien avec leur activité professionnelle mais qui ne sont pas reconnues comme telles. Et la tendance actuelle des employeurs est de licencier les salariés au moindre problème d’aptitude. En effet, quand un salarié est apte « avec des restrictions », la loi oblige l’employeur à aménager le poste de travail, ce qui est de moins en moins respecté.

La médecine du travail et le salarié subissent, de plus en plus souvent, des pressions pour obtenir une inaptitude totale sur le poste permettant un licenciement justifié pour l’employeur, sans qu’aujourd’hui le CHSCT puisse intervenir pour un aménagement. Une autre évolution infamante actuelle du monde du travail, est le licenciement pour cause d’arrêts maladie répétés sous prétexte qu’ils entraîneraient « une désorganisation du travail », et il ne s’agit pas que de PME qui utilisent ce genre d’argument fallacieux visant à éviter la discrimination pour raison de santé. Il est donc logique de penser que les seniors seront de plus en plus licenciés, car ils ont statistiquement plus d’arrêts. Le capitalisme est en route pour licencier toujours plus de seniors et plus tôt dans leur carrière, le chiffre actuel d’un sur 2 en activité à 60 sera bientôt un souvenir.

Et pour compléter, la course à la productivité a amené son lot de dégâts humains, et notamment avec la nocivité physique et mentale du « lean management » reconnue internationalement, mais dont l’application est en constante progression. Et si l’on ajoute à cela, la réforme de l’assurance chômage qui réduit la durée d’indemnisation, on constate que le piège de la pauvreté et de la précarité se referme sur les salariés en fin de carrière, brisés physiquement et psychologiquement pour beaucoup, par le travail et qui vont être sans aucune couverture sociale.

La conséquence de cette combinaison de réformes est donc une vie professionnelle qui aura plus de risque de nous abîmer, par accident ou par usure sur une longue durée et par l’âge, avec une responsabilité de l’entreprise plus difficile à établir et une plus grande facilité à être licencié (pour des arrêts d’origine professionnels ou pas), pour finir sur une couverture d’indemnisation d’une durée raccourcie...

Ce n’est pas « un effort » qui est demandé aux travailleurs, c’est un sacrifice humain.
Nous devons TOUTES ET TOUS lutter contre cette réforme par la grève générale reconductible et reconquérir du salaire, mais également le domaine de la santé au travail par la même occasion !

Eric Bezou. Mars 2023

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