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CA 329 avril 2023

Cisjordanie : pogroms et nouvelles formes de résistance

mercredi 19 avril 2023, par Courant Alternatif

L’occupation de la Cisjordanie dure depuis 56 ans. Environ 800 000 Juifs israéliens (12 % de la population) vivent au-delà de la « ligne verte », la frontière internationalement reconnue, celle de l’armistice de 1948-49.


Si une partie des colons sont des banlieusards, attirés par des conditions de vie privilégiées (grandes demeures à bas prix, routes de contournement, eau en abondance …), une bonne moitié sont des fanatiques religieux. Leur lecture de la Bible hébraïque, lecture ethniciste et territorialiste, s’est largement imposée parmi les Juifs religieux : « Dieu a donné cette terre au peuple juif ». Il n’y a donc pas à discuter. Les Palestiniens sont des intrus et pour plaire à Dieu, il faut les expulser ou les enfermer.

Colonie juive en Cisjordanie

{{Uriner dans la piscine du haut du plongeoir

L’expression est de Sylvain Cypel, auteur de Israël contre les Juifs. Elle traduit bien le comportement actuel d’une majorité d’Israéliens. Le sionisme, idéologie colonialiste et raciste, a abouti à une hégémonie durable de l’extrême droite dans tous les secteurs de la société israélienne : chez les religieux et les colons bien sûr mais aussi chez les Séfarades, les Russes, dans l’armée … Les violences contre la population palestinienne n’ont jamais cessé. Dans le camp de Jénine, à l’époque de Sharon, l’armée israélienne a expérimenté des méthodes nouvelles : faire écrouler les bâtiments avec les tanks et emmurer les habitants. Dans la vieille ville d’Hébron, les colons déversent leurs ordures dans la rue palestinienne et éduquent leurs enfants à caillasser les écoliers palestiniens.

Tout ceci n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est que les colons se sentent aujourd’hui suffisamment forts et ne se cachent plus. Ils sont au pouvoir directement avec des postes clés. Tous les jours, un Palestinien (de préférence un enfant) est tué. L’armée épaule ouvertement les colons quand ils attaquent les paysans ou construisent une nouvelle colonie. L’impunité et notamment l’absence de sanctions et de protestations leur fait penser que tout est permis.

Ce qui s’est passé à Huwara est un pas supplémentaire. Un véritable pogrom avec, comme autrefois en Russie, une complémentarité entre les émeutiers qui pillent,    tuent, brûlent tout et l’armée qui les protège et interdit toute riposte. Avec en sus des ministres appelant ouvertement au meurtre. Bezalel Smotrich, ministre des finances, a appelé à raser Huwara. Du coup, une nouvelle Nakba (la catastrophe, le nettoyage ethnique programmé) est à l’ordre du jour.

{{Vivre, c'est résister

Les Palestiniens ont essayé et continuent d’essayer toutes les formes de résistance. Et il est clair qu’ils n’ont aucun interlocuteur côté israélien. Ce qui est à l’ordre du jour contre eux, ce sont les bombardements, les assassinats, l’emprisonnement massif, les vols de terre, les destructions de maison. Pourtant la société palestinienne vit toujours. La population continue d’éduquer les enfants, de produire quand c’est possible, de faire la fête.

L’Autorité palestinienne est majoritairement perçue pour ce qu’elle est : une entité collabo qui applique avec zèle la seule chose qui a été signée à Oslo : que l’occupé assure la « sécurité » de l’occupant. Elle a tué des opposants (Nizar Banat), elle persécute la société civile rebelle (notamment le théâtre de la liberté de Jénine), elle combat le pluralisme de la société palestinienne. Elle est intervenue violemment contre le cortège des obsèques d’un militant du Hamas, tué par l’armée israélienne, et accusé d’un attentat contre deux colons. Beaucoup de partis politiques sont discrédités. On perçoit un « dégagisme » certain contre eux dans la population.

{{Une armée toute puissante

En 56 ans d’occupation, l’armée israélienne est devenue extrêmement puissante. Sa technologie lui permet de tout contrôler, d’espionner les téléphones de surveiller à coup de drones les moindres mouvements dans la société.    Sa puissance de feu est sans égal. Elle a « légalement » le droit de torturer et de tuer. Toute occupation a entraîné des formes de collaborations. Contre les Palestiniens, tous les moyens sont bons. Un pêcheur gazaoui, fait prisonnier en plein travail, racontait la proposition que les services de sécurité lui avait faite : « tu sais, ta mère a un cancer et on interdit les médicaments anticancéreux à Gaza. Mais si tu nous aides, elle pourra être soignée ... ». Si les services secrets ont repéré qu’un Palestinien est homosexuel ou qu’une Palestinienne a eu des relations hors mariage, le chantage peut en faire des collabos. Du coup, les exécutions ciblées de combattants se sont multipliées.

Checkpoint à Hebron

{{Lutte armée ?

Un sondage en Palestine montre qu’une majorité assez nette de la population soutient la lutte armée. Et lors de chaque attaque israélienne, la foule présente aux obsèques des combattants assassinés était impressionnante. Même des personnalités politiques palestiniennes connues comme Leila Shahid ont fait leur éloge. Deux partis politiques palestiniens ont une branche armée offensive : le Hamas et le Jihad Islamique.

Contre le Jihad, l’armée israélienne a toujours utilisé les pires méthodes : 49 morts à Gaza l’an dernier lors de bombardements massifs sur Gaza. Merav Michaeli, dirigeante du parti travailliste, réputée moderniste et féministe, a déclaré alors : « où qu’ils soient, les membres du Jihad islamique doivent être anéantis ». Le Jihad qui est un parti à la fois nationaliste et religieux, a la réputation d’être incorruptible et unitaire. Malgré de très nombreuses pertes, sa détermination est intacte.
Mais c’est hors des partis que de nouveaux groupes sont nés, le plus célèbre étant « La Tanière des Lions ».

On sait peu de choses sur ces groupes. Pour eux la clandestinité la plus totale est une obligation. On ne leur connaît aucun « leader », un peu comme dans le mouvement de révolte en Iran. Tout leader connu serait immédiatement abattu. Ce sont des jeunes. Ils ont des groupes à Naplouse, Jénine, Jéricho, sans doute aussi ailleurs. Ils ne sont affiliés à aucun parti politique. L’Autorité palestinienne a essayé de les acheter en leur offrant des postes en échange de l’abandon de la lutte armée. Ils ont refusé. Leur armement est léger. Ils n’attaquent que l’armée et les colons. Bien sûr, leurs chances de remporter une victoire contre l’armée israélienne est très faible.

Tanière des lions

Je terminerai à leur propos en citant des paroles de mon père, ancien du groupe Manouchian : « nous savions que si nous ne combattions pas, nous étions condamnés à mort. Et si nous combattions, nous étions aussi condamnés à mort. Alors nous avons choisi de combattre. »

Pierre Stambul. Mars 2023

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