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Un été chaud pour la filière Nucléaire

lundi 10 novembre 2008, par Courant Alternatif

Cet été, l’industrie nucléaire française et européenne a généré beaucoup de problèmes de pollution et a connu de nombreux incidents, parfois graves. Nous revenons ici sur ce mauvais « feuilleton de l’été » de l’énergie atomique, afin d’apporter des éclaircissement sur ce qui s’est passé et aussi de tirer un bilan partiel de la situation nucléaires en France.


Bande annonce :
fin juin en Allemagne vers la ville d’Asse

Des incidents dans ces centrales ont eu lieu en Ukraine et en Slovénie, sans qu’il soit possible d’en savoir plus. En Allemagne, une ancienne mine de sel, contenant plus de 100 000 fûts de déchets radioactifs, se trouve aujourd’hui inondée. Cette mine était présentée comme stable et quasi étanche, or elle abrite maintenant un véritable « lac » souterrain dans lequel baignent les déchets. Il y a donc une possibilité de contamination des nappes phréatiques des environs par des produits radioactifs qui vont se dissoudre dans l’eau. Comme quoi on n’aura pas besoin d’attendre plusieurs siècles ou millénaires pour prouver l’impossibilité du stockage souterrain des déchets nucléaires ! Pendant ce temps, en France (à Bure notamment), les expérimentations pour le stockage souterrain se poursuivent ...

Premier épisode :
7 et 8 juillet à la Socatri.

L’usine Socatri, filiale d’Areva, se situe sur le site du Tricastin, à Bollène, dans le Vaucluse. Elle est à proximité de la centrale du Tricastin, au sud de l’usine Eurodiff d’enrichissement de l’uranium. La Socatri est une usine de traitement des déchets : elle fait essentiellement du tri et du conditionnement. Son principal fournisseur est l’usine Eurodiff.
Dans la soirée du 7 juillet, une cuve contenant des produits radioactifs déborde, apparemment lors d’un transfert vers une autre cuve. Le débordement déclenche une alarme vers 19h, mais personne n’en tient compte. Un rejet accidentel d’eau radioactive hors de l’usine est détecté plus tard dans la nuit, officiellement vers 5h30 le 8 juillet. L’information ne sortira de l’usine qu’en début d’après-midi ... pour les agents de l’Etat, et vers 16h pour les média. La Socatri rejette normalement ses déchets liquides dans un canal dont le débit est assez élevé pour permettre une dilution des matières radioactives et elle respecte ce faisant les fameuses « normes » de pollution qui lui sont imposées. Mais ici la fuite est telle que d’autres canaux aux alentours recevront une partie des rejets radioactifs, sans compter tout ce qui a pu se déposer sur le sol. Enfin, il est à noter que la nappe phréatique n’est qu’à trois à quatre mètres de profondeur, donc elle a probablement été contaminée aussi. Le chiffre de 360 kilos d’uranium est avancé, avant d’être revu à la baisse par Areva : aujourd’hui l’estimation officielle est de 75 kg d’uranium qui seraient sortis du site de l’usine. Quoi qu’il en soit, cela représente une contamination des dizaines de fois supérieure au maximum autorisé sur une année, ce qui n’est pas rien... Remarquons que l’uranium n’est pas que radioactif : il a aussi une forte toxicité chimique. En plus, il doit être dissout dans l’acide, ce qui signifie que la pollution due à la « fuite » a aussi généré une forte acidité au moins pendant les premières heures.
Une nouvelle cuve fuyant dans un bassin non étanche a également été découverte le 10 juillet. Le vendredi 11 juillet, l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) décide de suspendre les activités de l’usine. La Socatri était déjà connue pour avoir plusieurs fois dépassé les normes de rejets radioactifs gazeux sur le tritium et le carbone 14. Le 6 août, un nouveau rejet « hors norme » a encore eu lieu...

Les fuites en tout genre sont le propre (si j’ose dire !) de toute industrie, chimique, nucléaire, métallurgique, etc. Aucune installation n’est « parfaite » (mais qu’est ce que ce terme pourrait vouloir dire ?). En plus, la production de marchandises génère en même temps des rebuts et des substances nocives. Il y aura donc toujours des rejets, qu’il soient « normaux » ou accidentels. Dans les deux cas, ils posent le même problème : ce sont des produits inutiles, souvent toxiques et qui doivent être « éliminés ». Pour cela, les balancer à l’extérieur est un moyen simple et efficace de s’en débarrasser. Cependant, afin de rassurer le quidam, et d’éviter des pollutions trop visibles, des normes de rejets ont été établies. Ces normes ont plus pour objet de permettre la continuité de l’activité industrielle que de garantir une faible toxicité, et l’industrie nucléaire en est un bon exemple ! Les centrales nucléaires ont en effet des autorisations de rejets bien supérieures à leurs « besoins » usuels de façon à pouvoir polluer un peu plus en cas d’incident, sans que cela ne puisse leur être reproché. Le problème n’est donc pas de savoir si la norme a été dépassée ou pas, ni même si la norme est vraiment « adaptée », comme le clament les écologistes réformistes. Pour nous le vrai problème est d’en finir avec ces pollutions et avec les entreprises qui les rejettent. La question écologique rejoint alors la question sociale, puisque c’est la finalité de toute activité humaine et les formes de leur réalisation qui se retrouvent au premier plan.

Second épisode :
FBFC-CERCA, le 17 juillet

L’usine FBFC-CERCA (Franco-Belge de Combustible Nucléaire et Compagnie pour l’Etude et la Réalisation de Combustible Nucléaire) se situe à Romans-sur-Isère dans la Drôme. Cette entreprise est une filiale d’Areva, et possède une seule usine, à Romans, alors que son siège social est à Lyon dans les bureaux d’Areva. Cette usine produit, comme son nom l’indique, du combustible nucléaire pour les réacteurs nucléaires civils français et belges (l’entreprise est le premier producteur mondial de combustible). L’entreprise CERCA fabrique également du combustible hautement enrichi en uranium 235 (jusqu’à 93%) pour les réacteurs de recherche, et peut-être aussi pour l’armée (même si cette information a été démentie, il est possible que du combustible pour sous-marins nucléaires ait été produit dans cette usine). Le terme de « réacteur de recherche » désigne ici tant les réacteurs servant à tester de futurs types de centrales civiles pour la production d’électricité, que les réacteurs spéciaux utilisés dans la recherche scientifique « non nucléaire » (par exemple pour l’imagerie utilisant des neutrons). Mais des réacteurs de recherche peuvent avoir aussi des objectifs militaires...
Une fuite est découverte le 17 juillet dans une goulotte en béton. Des boues se sont déposées dans une canalisation, sur quelques dizaines de centimètres de haut et plus de 20 mètres de long. Ces boues contiennent une petite quantité d’uranium radioactif, mais comme la rupture du tuyau a l’air assez vieille (peut-être dix ans !), il est difficile d’évaluer la pollution globale, qui varierait entre 200 et 700 grammes d’uranium. Un scandale avait déjà eu lieu une dizaine d’années auparavant lorsque la CRII-RAD s’était rendue compte que les rejets liquides de l’usine étaient directement balancés dans les égouts de la ville. Les produits radioactifs finissaient alors dans les boues de la station d’épuration municipale, qui sont parfois utilisées comme engrais par les agriculteurs. Après cela, l’entreprise s’est équipée d’une station de traitement pour rejeter un minimum de déchets radioactifs, qui vont ensuite, via un collecteur spécial, dans l’Isère. Le tuyau cassé fait partie de ce dispositif. Mais l’eau rejetée dans les égouts de la ville est toujours légèrement radioactive, ce qui conduit à une pollution qui n’est pas négligeable (un volume de 34 600 mètres cubes a ainsi été rejeté durant l’année 2006). Par ailleurs, l’activité rejetée dans l’Isère est loin d’être négligeable : la radioactivité alpha (la plus dangereuse par inhalation ou ingestion) est bien supérieure à celle d’une centrale nucléaire !
Pour plus d’informations sur l’usine FBFC-CERCA, on se reportera à un article ultérieur en préparation par des militants Anarchistes-Communistes de la région, qui sont allés plusieurs fois à Romans s’informer et discuter de la situation avec les habitants du quartier populaire de la Monnaie.
Le même jour, lors de prélèvements de contrôle sur le site du Tricastin, une pollution déjà vieille des nappes phréatiques est mise en évidence. Cette pollution provient apparemment d’un ancien tumulus de terre contenant 760 tonnes de matériaux radioactifs. Il semblerait que la CRII-RAD, au courant depuis des années, n’ait révélé cette information qu’à ce moment là.

Troisième épisode : le 23 juillet, à la centrale du Tricastin.

Ce jour là, une centaine de travailleurs sont contaminés par des poussières radioactives respirées pendant qu’ils travaillaient dans le bâtiment réacteur. L’incident a été classé au niveau 0, car, dixit l’ASN « [ils] présentai[ent]t une contamination interne à des niveaux qui n’excèdent pas, selon EDF, le quarantième de la valeur limite annuelle réglementaire qui est fixée à 20 mSv dans le cas d’un travailleur ». On retrouve ici cette sacro-sainte norme, en delà de laquelle « tout va bien ». Mais les radiations ignorent les normes, et toute dose peut avoir des effets sur l’organisme. La notion de dose admissible (qui est dix fois supérieure pour un travailleur du nucléaire que pour un individu moyen) permet donc à l’industrie de l’atome d’irradier ses travailleurs sans qu’ils meurent trop vite. De sorte que leur lent empoisonnement n’est pas trop évident et peut être caché ou nié de façon à rester « socialement acceptable », comme ils disent. La recherche d’une contamination minimale des salariés est souvent sincère, mais fondamentalement vaine car elle ne remet jamais en cause la soumission aux exigences du nucléaire. Le travailleur sera de toute façon irradié, « sacrifié » pour que cette industrie puisse continuer de tourner malgré tout, jusqu’à la catastrophe... et même la catastrophe ne l’arrêtera pas, comme on a pu le voir après Tchernobyl !


Quatrième épisode :
la centrale de Saint-Alban (Isère), fin juillet.

Une quinzaine de salariés avaient été légèrement contaminés le 20 juillet, mais nous n’avons malheureusement pas d’autres informations sur cette contamination. Le 28, un incendie se déclare dans la salle des machines. Il sera apparemment maîtrisé sans difficultés, mais a quand même entraîné une énorme fuite d’huile de l’alternateur : que serait-il arrivé si cette huile avait eu la mauvaise idée de s’enflammer, sachant que l’alternateur est situé lui aussi en salle des machines ?

Cinquième épisode :
le 23 août
à Fleurus (Belgique)

Une fuite « anormale » d’iode 131 (radioactive) a lieu à l’usine IRE (Institut des RadioElements) située à Fleurus. Cette usine isole, purifie et conditionne des radionucléides pour la médecine : soit pour des examens (diagnostic médical avec marqueur radioactif), soit pour le traitement (radiothérapie). Normalement les rejets gazeux sortent par une cheminée équipée de pièges à iode, mais suite à une panne des systèmes informatiques (un « bug »), un relâchement d’iode artificielle a eu lieu d’une radioactivité totale de 45 Gbq. Pour avoir une idée de ce que cela représente, il suffit de savoir que c’est supérieur aux rejets annuels cumulés de l’usine pour les années 2006 et 2007... Ca fait beaucoup, surtout en un week-end ! Les autorités belges ont alors déconseillé pendant quelques jours de consommer des fruits et légumes locaux, et de boire l’eau de pluie (de l’iode ayant pu se déposer dessus). On notera que pour ce qui concerne la France, la pollution s’est encore une fois arrêtée aux frontières...
La prise de pastilles d’iode n’a pas été jugée nécessaire. De toute façon, elle n’aurait servi à rien, car pour pouvoir être efficace elle devrait avoir lieu dès le début, et non pas quelques jours après ! Comme cela a déjà été dit pour les centrales nucléaires françaises concernant les comprimés d’iodes stockés par les mairies et les pharmacies, la prise d’iode doit se faire quelques heures avant la présence d’iode radioactive dans l’atmosphère, c’est à dire avant l’accident. Or en général celui-ci ne peut être prévu à l’avance ... à moins par exemple de se trouver dans une situation « délicate » comme ce fut le cas au Tricastin (cf épisode suivant du feuilleton). Mais dans ces moments là les pouvoirs publics préfèrent ne rien faire, pour ne pas affoler la population.
Il est à noter qu’en France aussi une usine du CEA produit aussi des radionucléides médicaux. Les matières radioactives utilisées et les produit fabriqués sont presque les mêmes. A la question « un tel accident peut-il arriver en France ? », l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) répond : « non, car le procédé utilisé en France est différent du procédé utilisé en Belgique ». Nous voilà rassurés !
Le lendemain (24 août), un important incendie a eu lieu à la centrale nucléaire de Vandellos II en Catalogne. Apparemment, cela n’a pas entraîné de rejets radioactifs particuliers.

Sixième épisode :
retour au Tricastin
le 8 septembre

Comme nous l’avions signalé dans le précédent CA (n°183, octobre 2008) ; un problème d’apparence banale mais potentiellement catastrophique est découvert le 8 septembre, pendant une opération de rechargement du coeur. Le rechargement du coeur consiste en diverses opérations de maintenance, et le remplacement d’un tiers des crayons combustible. En effet, le combustible nucléaire séjourne trois cycles (environ trois ans) dans le réacteur avant d’être trop usé et remplacé par du neuf ; chaque année, un tiers des assemblages sont ainsi remplacés. Hélas lors de l’enlèvement des éléments internes supérieurs du réacteur, EDF s’est rendue compte que deux assemblages combustibles étaient restés accrochés à ces structures (voir l’illustration jointe trouvée sur le site de l’ASN). Le tout est donc resté suspendu, immergé dans l’eau, pendant que les nucléocrates cherchaient une solution pour décrocher les deux assemblages. Qu’on se rassure, ils sont surveillés en permanence par des caméras (pour les regarder tomber ?), et l’accès au réacteur a été réduit.
Contrairement au cas d’une industrie classique, il n’est pas possible ici d’envoyer un ouvrier regarder ce qui se passe puis décrocher les assemblages à l’aide d’un outil quelconque : la radioactivité est trop élevée (i.e. un individu placé à un mètre de l’assemblage à l’air libre mourrait en une minute ...). Il faut donc utiliser des appareils contrôlés à distance, qui résistent aux radiations, et surtout savoir quoi faire avec : il ne faudrait pas qu’en essayant de dégager un assemblage le deuxième tombe au fond ... Un test a été effectué, dans un centre de recherche spécialisé, avec un premier outil spécialement conçu pour ce genre de problèmes, mais il ne fut pas probant.

Quels sont les risques au juste ? Un crayon est un empilement de pastilles d’uranium enrichi, (et pour le combustible Mox, de plutonium également), recouvert d’une fine -et donc fragile- gaine de zirconium. Le tout fait environ 4 mètres de haut pour quelques centimètres de diamètre. Cette gaine de zirconium est la fameuse (et fumeuse) « première barrière » qui est censée nous protéger de la radioactivité. Sa rupture, si le crayon glisse, se casse, etc, entraînerait le dégagement dans l’enceinte du réacteur de produits de fission et de combustible : xénon et iode radioactifs principalement, mais aussi oxydes d’uranium et de plutonium. Un incident quelconque lors de la manoeuvre, même une éraflure sur un crayon, aurait donc des conséquences certaines en terme de pollution radioactive. Mais le problème peut être bien pire : si un crayon se brise, les pastilles vont tomber au fond du réacteur, et former un tas. Il sera difficile, voir impossible, d’aller récupérer les pastilles tombées au fond ! Il y a alors un risque de criticité : une réaction en chaîne peut se produire à cause de l’accumulation « en tas » du combustible (voir encadré sur la criticité). Au fond du réacteur, il n’y a en effet pas de barres absorbantes pour bloquer la réaction en chaîne. Dans ce cas, une véritable explosion nucléaire n’aurait probablement pas lieu, vu la trop faible concentration de matière fissible. En revanche, il y aurait un gros dégagement de produits de fission, une très forte radioactivité ainsi qu’un échauffement important et le réacteur risquerait d’être bien endommagé. De plus, si cela se produisait il serait extrêmement difficile de stopper la réaction en chaîne ... Il n’y aurait plus qu’a attendre qu’elle s’arrête toute seule. Néanmoins, parce que nous ne donnons pas dans le catastrophisme, nous finirons en remarquant qu’un pareil incident s’est déjà produit trois fois aux USA, et lorsqu’il est arrivé qu’un assemblage tombe au fond de la cuve, il n’a pas été détérioré.
Un incident du même type avait déjà eu lieu à Nogent-sur-Seine en 1998, où un assemblage était resté accroché aux structures supérieurs du coeur. Mais ici, le fait que les assemblages du Tricastin contiennent du Mox aggrave les risques liés à la pollution et à la criticité. La solution trouvée fut de solidariser l’assemblage avec la structure, puis d’écarter le tout afin de pouvoir travailler dessus tranquillement pendant que l’on finissait de décharger le réacteur. La même chose a été faite dans le cas présent. A la fin du mois d’octobre, les assemblages ont été « sécurisés », c’est à dire rendu solidaires des structures supérieures pour qu’ils ne puissent pas tomber. Il ne reste plus qu’a les transporter ailleurs pour les décrocher, et comprendre ce qui s’est passé.

Le prochain épisode :
très bientôt
dans vos journaux
préférés...

Le nucléaire : une industrie comme les autres ?
Les problèmes posés par le nucléaire le rendent à priori semblable à toute autre activité industrielle dans le monde du capital : travailleurs exploités jusqu’à la maladie ou la mort, consommation aberrante de ressources, production de déchets et pollutions en tout genre. On note d’ailleurs une très grande proximité avec la chimie par les possibilités de catastrophe énormes (Seveso, Bophal), la très forte et très toxique pollution, les déchets « ultimes » dont on ne sait que faire et enfin les effets sur les êtres vivants : cancers, malformations et autres joyeusetés. Officiellement, la différence viendrait de la « culture de sureté » qui caractériserait cette industrie.
Nous savons tous que le nucléaire n’est pas plus sûr que le reste, mais voilà l’occasion de revenir sur ce mythe et d’étudier un peu le rôle de l’autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), parfois dénommée « gendarme du nucléaire ». En effet, ce qui caractérise profondément l’industrie nucléaire aujourd’hui en France, c’est son caractère procédurier et de ce fait très bureaucratique. Ceci est bien sûr nécessaire pour minimiser le risque d’accident grave. En schématisant un peu, les travailleurs suivent des procédures et des règles de conduites mises au point par les spécialistes du nucléaire, puis chaque problème rencontré fait l’objet d’un rapport et d’une analyse approfondie (suivant la procédure) : c’est le REX, ou REtour d’EXperience. De nouvelles directives sont alors édictées, et une procédure d’amélioration est engagée. De temps en temps, l’ASN vient vérifier la conformité aux normes, le respect des procédures et qu’il n’y ait pas trop de dysfonctionnement. Dans le cas contraire, l’autorité fait des demandes d’actions correctives (ceci peut faire intervenir le CEA, L’IRSN, etc). Concrètement, qu’est-ce que cela peut donner ? Par exemple, en 2007 un organisme de contrôle a noté qu’il manquait quelques documents de vérification périodique du pont roulant du bâtiment réacteur. En 2008, l’ASN remarque que EDF n’a rien fait et écrit au directeur de la centrale (extrait) : « Je vous demande de mettre en place une organisation qui garantisse le respect intégral des prescriptions réglementaires sur les matériels de levage de votre établissement. Vous vous attacherez en particulier à prendre en considération de manière plus efficace les observations et réserves, même mineures, émises par l’organisme de contrôle, et vous veillerez à obtenir des autorités compétentes les dérogations formelles en cas d’impossibilité de réalisation de certaines vérifications. » Certaines associations écologistes regrettent que l’ASN, « gendarme du nucléaire » n’ait aucun pouvoir de sanction, qui donnerait ainsi plus de poids à ses recommandations. Nous ne pensons pas que d’éventuelles sanctions rendront le nucléaire plus sûr.
Sans faire le jeu des nucléocrates, on pourrait penser que tout cela a plutôt bien marché jusqu’à présent car il n’y a pas eu d’accident très grave en France. Mais cela ne veut pas dire que le nucléaire soit exempt de toute reproche. Comme nous l’avons vu, chaque incident, accident, ou « bizarrerie » est décortiquée, analysée, puis éventuellement des actions correctives sont menées pour empêcher que le problème ne survienne une seconde fois. Bien sûr en pratique la mise en place de modifications n’est pas systématique et dépend du bon vouloir des directions, des moyens disponibles, etc. Mais il faut bien comprendre que les solutions trouvées ne font souvent que déplacer le problème : au final, il y aura toujours des gens pour bouffer des rayonnements !
Un exemple simple permettra d’illustrer ceci. A la fin des années 1990, un arrêt d’urgence intempestif d’un réacteur a lieu dans une centrale (intempestif signifie que l’arrêt n’était pas nécessaire, mais les dispositifs de sécurité automatique l’ont quand même déclenché). Or il se trouve qu’une grappe de contrôle, qui normalement descend dans le coeur pour stopper la réaction en chaîne, est restée en position haute. Ce problème est potentiellement très grave, car si plusieurs grappes refusaient de descendre en situation accidentelle, c’est Tchernobyl assuré ! Une étude minutieuse a montré que des vis s’étaient légèrement desserrées, bloquant la grappe en position haute. Suite à cet incident (qui, en tant que tel, n’avait pas posé de problème particulier) ces vis sont toutes resserrées à chaque arrêt de tranche dans toutes les centrales. Très bien, nous dira-t-on, ainsi par une simple opération, on évite un accident majeur. Nous avons deux remarques. La première est que l’on évite certes un type d’accident, mais un seul, or les accidents possibles sont innombrables, et ne peuvent être tous prévus à l’avance. La seconde montre bien le caractère intrinsèquement meurtrier de l’atome. Pour resserrer les vis, il est nécessaire que des travailleurs soient à proximité de matériel radioactif. Leur contamination est donc la condition de notre sécurité : ils sont « sacrifiés », et de cela nous ne voulons pas. D’autant que ce sacrifice peut très bien se révéler insuffisant, et la catastrophe survenir quand même ...
Du point de vue d’un gestionnaire du système marchand, l’avantage de cette méthode est évident : quelques cancers, quelques malformations foetales peut-être, en échange d’un risque moindre d’accident majeur (« socialement inacceptable », comme ils disent maintenant). Et de l’électricité en abondance, pour faire tourner la machine capitaliste. De notre point de vue au contraire, la production effrénée de marchandises souvent inutiles ou nuisibles ne justifie pas qu’on détruise la vie d’individus. Nous ne pensons pas en gestionnaires du monde, mais en membres de la communauté humaine, solidaires de tout les êtres humains. Et la seule solution pour empêcher un accident grave de se produire est d’arrêter immédiatement et définitivement l’industrie nucléaire. Cela implique également de vouloir en finir avec toute forme de domination et d’exploitation.
On notera que nous avons ici choisi un exemple extrême, où le rapport « coût-bénéfice », pour parler comme un gestionnaire, semble très favorable. Bien souvent, ce qui est « gagné » d’un côté est tout simplement perdu de l’autre. Ainsi lorsqu’on filtre une eau d’égout pour en retirer des matières radioactives, qui seront conditionnées puis mise en décharge à proximité d’une rivière ou d’une nappe phréatique : on a déplacé le problème, mais il reste entier ! Ceci nous amène naturellement au problème des déchets. Peut être y’a-t-il là une différence majeure entre le nucléaire et les autres industries. En effet, les produits chimiques, poussières et autres déchets ultimes de l’industrie ont une « durée de vie » qui se compte en siècles ou, au pire, en millénaires (certains organochlorés par exemple). Il serait parfois possible de les transformer, mais ces processus sont coûteux et complexes à mettre en oeuvre. Or les déchets nucléaires durent beaucoup plus longtemps : il faut attendre leur désintégration, processus que l’on ne peut accélérer. Ainsi la durée de demi-vie du plutonium, déchet radioactif très toxique, est d’environ 24000 ans. Cela signifie qu’au bout de cette période, la moitié du plutonium existant aujourd’hui se sera désintégré en autre chose (moins dangereux pour sûr, mais probablement toxique quand même). On en déduirait un peu vite que tout aura disparu en quelques milliers d’années, ce qui est faux. En fait, la quantité de plutonium est divisée par deux tout les 24000 ans, et c’est tout. Prenons un exemple : imaginons que l’on rejette dans la nature une masse d’un kilogramme de plutonium. Comme un microgramme de cette substance suffit à déclencher pour sûr un cancer, on peut donc estimer qu’il y a la de quoi rendre malade un milliard d’êtres humains (Pour information, les stocks français à la Hague sont estimés à environ 500 tonnes ...). Au bout de 24000 ans, il n’en restera plus que 500 grammes, soit de quoi empoisonner encore un demi milliard de personnes ! Le problème n’aura donc pas « disparu » !! Et au bout de 240 000 ans, il en restera encore 100 grammes (cent millions de cancers), et ainsi de suite. Comme disait le collectif Irradiés de tous les pays, unissons-nous ! : « ce qu’aucun tyran n’avait jamais réussi : imposer sa domination pour 24000 ans, le nucléaire y est parvenu ». Les déchets radioactifs sont l’unique héritage du nucléaire, et pour une durée qui, à notre échelle, se confond avec l’éternité...

Et demain,
quelle(s) catastrophe(s) ?

EDF a aujourd’hui l’idée délirante de prolonger la durée de vie de ses centrales jusqu’à 60 ans. Rappelons quand même à nos chers nucléocrates que, selon leurs dires, elles étaient conçues pour durer 25 à 30 ans ! Il s’agit ici simplement de rentabiliser au maximum un capital -les réacteurs existants- pour en tirer le plus de bénéfices possible. Et tant pis pour les futurs irradiés. Car les centrales vieillissent, et vieillissent mal. Les accidents de cet été en ont encore apporté la preuve. Il est maintenant clair que les nucléocrates vont « pousser » les centrales jusqu’au bout, et tant pis si ça pète : ce sera le signal d’arrêt, mais trop tard. De toute façon, les gestionnaires de catastrophe se préparent déjà au pire... et, depuis dix ans, les experts français expérimentent sur les biélorusses -victimes de Tchernobyl- les modalités de la survie en milieu contaminé, c’est à dire inhabitable. Pour empêcher l’Explosion nucléaire, une seule solution : l’Explosion sociale et révolutionnaire !

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