lundi 17 juin 2024, par
Le désastre sanitaire auquel l’île de Mayotte est confrontée depuis des semaines avec l’épidémie de choléra trouve son origine dans la brutalité même dont l’État français et ses supplétifs « mahorais » font preuve à l’égard des couches les plus pauvres de la population, « comoriennes » ou pas, littéralement harcelées par un ensemble de mesures discriminatoires et de menées répressives relevant d’une logique érigée en mode de gouvernement : celle de la contre-insurrection, telle qu’elle s’est employée et s’exerce encore à défaire partout où ils se manifestent mouvements anticolonialistes et révoltes sociales.
Au moyen d’une politique parfaitement assumée de harcèlement systématique, jalonnée d’opérations policières et médiatiques de grande ampleur (Shikandra en 2019, Wuambushu en 2023, Place nette depuis avril 2024), le complexe procolonial articule appareil d’État, extrême-droite, classe politique et milices locales, au sein d’une double entreprise de démolition / démoralisation, propre à saper les bases matérielles et existentielles des « étrangers » (ou pas), désignés comme la cause première de tous les malheurs « mahorais ».
Dans ce cadre, le préfet de Mayotte, la ministre déléguée à l’Outre-mer et Marine Le Pen rivalisent d’infâmie quant au sort qu’ils infligent et réservent aux ressortissants des trois autres îles de l’archipel et plus généralement aux « étrangers » venus d’ailleurs.
Le premier, François-Xavier Bieuville, ancien poulain de l’escroc LR Patrick Balkany (qui le désignait pour lui succéder – sans suite – à l’Assemblée nationale en 2017), est en poste depuis février 2024 et menace d’emblée d’un « choc d’autorité et de sécurité » visant à « faire du Wuambushu tout le temps », phraséologie très attalienne que Frédéric Sautron, sous-préfet « en charge de la lutte contre l’immigration clandestine », étaye à propos de la mise en œuvre d’un « rideau de fer » maritime autour de Mayotte : « Ce sont plusieurs briques pour renforcer notre rigidité » [sic].
La seconde, Marie Guévenoux, ancienne collaboratrice parlementaire du post-fasciste Alain Madelin et ministre déléguée à l’Outre-mer, performe ainsi la névrose gouvernementale (pléonasme) : « En termes maritimes, ce sont neuf intercepteurs, deux vedettes, en termes d’aviation, c’est un avion civil déployé en ce moment, mais également militaire, avec dans le cadre de Place nette, un bâtiment de haute mer, le Champlain, qui est situé dans le canal du Mozambique… Il faut aussi qu’on se projette sur l’avenir avec des moyens technologiques, des radars, des drones, des caméras. C’est ce qui va permettre l’établissement de ce qu’on a appelé le rideau de fer maritime » (Mayotte la 1ère, 3 mai 2024).
En visite-spectacle dans l’île les 20 et 21 avril derniers, escortée notamment par une soixantaine de « mamans » issues du Collectif des citoyens de Cavani [1], la dirigeante du RN n’a plus qu’à déployer en terrain déjà conquis la rhétorique du grand-remplacement (« Par l’envoi de plus en plus de clandestins… on veut vous pousser à quitter Mayotte. Ensuite, ils s’installeront définitivement à votre place »), sur le mode belliqueux de l’agression diplomatique (« tordre le bras aux Comores [afin de] les obliger à reprendre leurs ressortissants »), non sans surenchérir par la suppression du droit du sol en France (cf. « Le sang, le sol, etc. », oclibertaire, 15 février 2024) et la création d’un « centre de rétention flottant » (Ouest-france.fr, 20 avril 2024) – et pourquoi pas d’un bagne sous cloche au fond de l’Océan Indien ?!… À noter la présence initiale au sein de la liste RN pour les Européennes 2024 de Saidali Boina Hamissi, adepte de la rhétorique génocidaire à destination des résidents comoriens de Mayotte qu’il qualifie de « vermines » et de « cafards », sans doute en hommage aux Interahamwe rwandais de 1994… – Il sera discrètement évincé de la liste par un Bardella en quête de respectabilité (52,42 % aux Européennes du 9 juin).
Last but not least, l’épurateur en chef du Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer déclare à propos des expulsions de « Comoriens » en situation « irrégulière » :
« Ça ira mieux à l’école, ça ira mieux à l’hôpital, ça ira mieux pour consommer de l’eau, ça ira mieux pour tous les services publics » (Mayotte la 1ère, 25 juin 2023).
Et de fait, système scolaire, infrastructures sanitaires, réseau d’approvisionnement en eau potable et administrations constituent autant de fronts d’une même guerre : celle que mènent aux « Comorien·nes » et « Africain·es » les politicien·nes « mahorais·es », conjointement aux Collectifs, Forces vives ou Forces du Peuple, tous sous-traitants indigènes du gang élyséen qui joue de leur concurrence sur le marché populiste du 101ème département français.
Safina Soula, leader du Collectif des citoyens de Mayotte 2018, incite depuis des années à combattre « les inscriptions frauduleuses d’enfants en situation irrégulière qui constituent le motif principal de la saturation des écoles » [2]. Comment ? Dès 2003, des « Mahoraises » font irruption dans les classes de deux écoles maternelles afin d’en expulser des enfants considérés comme « étrangers »… au village. Une dizaine d’établissements voient leur portail cadenassé ; des maires sont sommés de rayer des listes d’inscription scolaire les « Comoriens », etc. En 2012, des écoles du sud de l’île sont à nouveau investies par des commandos de « Mahoraises » afin d’en chasser les élèves jugés « sans-papiers ». Dans tous les cas, la préférence nationale est clairement invoquée : « On est Françaises, on devrait avoir la priorité [d’inscrire nos enfants d’abord] » [3]).
Quant aux députés de Mayotte, ils feignent à dessein d’accuser l’État français de mener une politique scolaire qu’ils pourraient plus ouvertement qualifier d’immigrationniste tant leur argumentaire fallacieux s’apparente en tous points à celui de l’extrême-droite. Ils exacerbent ainsi les contradictions à l’œuvre au sein d’une institution dont les invitations hypocrites à la « réussite » sont d’autant plus décevantes pour les élèves en situation « irrégulière » qu’elles se soldent bien souvent par une impossibilité structurelle à poursuivre des études hors du département, prélude à la désespérance fatale d’une précarité vécue dans l’amertume de la clandestinité. À la duplicité déjà insoutenable d’une scolarisation sans régularisation, ils opposent la perspective d’une discrimination pure et simple à la scolarisation.
La députée LIOT Estelle Youssouffa considère ainsi les enseignants métropolitains affectés à Mayotte comme étant responsables d’un endoctrinement démagogique à destination des élèves sans-papiers originaires de l’Union des Comores : « Ils sont éduqués par le chevalier blanc de service, l’enseignant qui vient se faire de l’humanitaire à coup de primes à Mayotte plutôt que d’aller le faire en Afrique ; qui le [l’élève clandestin] bassine de grandes idées en lui disant ‘t’auras tes papiers, t’auras tes papiers, t’auras tes papiers’ ; il va à la préfecture et là, on lui dit ‘mais non, en fait, vous ne remplissez pas les conditions’… » [4]. Ici, la figure du Blanc est en quelque sorte inversée par l’effet d’un dédoublement interne qui signale assez le « système de dominations post-impériales enchâssées » en vigueur à Mayotte [5] : si elle semble mobilisée pour le rapport d’inégalité socio-économique qu’elle incarne, en résonance avec la tradition critique de l’anticolonialisme politique, c’est pour mieux réaffirmer le principe de préférence procoloniale qu’elle aurait la bêtise – ou la perfidie – de trahir, à l’avantage de ces « Comoriens » que « le gang » révèlerait à leur devenir de « bêtes sauvages » (ibid.)...
Dans une tribune en date du 7 juin 2024, le député LR Mansour Kamardine s’oppose à la construction de nouveaux établissements scolaires, voués selon lui à « accueillir toujours plus d’enfants immigrés » : « Plus l’on accueille les enfants dans les écoles, plus leurs familles viennent les déposer sur nos rivages ». Pour ce grand-remplaciste obsessionnel [6], « construire plus d’écoles [vise à] toujours accueillir plus d’enfants comoriens, de sorte que d’ici à dix ans, nos écoles seront peuplées à plus de 90% d’enfants de parents étrangers tous en provenance d’un même pays et d’un même peuple : le peuple d’Anjouan [sic] » (mayottehebdo.com) – une île comorienne que le député « mahorais » connaît bien puisqu’il y a célébré son grand-mariage coutumier…
C’est dans ce contexte particulièrement délétère, sur fond de postes d’enseignants de plus en plus difficiles à pourvoir, qu’établissements et transports scolaires sont fréquemment la cible de jeunes pauvres, lesquels se perdent dans l’agression – socialisation par les « bandes » et méthamphétamine aidant – de tout ce qui incarne la communauté scolaire dont ils ne sont pas ou plus, de tous les symboles en miroir de leur exclusion et de leur(s) misère(s) : élèves, personnels, bâtiments. À cet égard, soyons clairs : si ces « bandes » – selon la langue fourchue de tous les procureurs en herbe de la pacification marchande – fonctionnent comme le vecteur initiatique d’une socialisation ritualisée par l’appropriation (cambriolages), l’antagonisme (caillassages, rivalités entre quartiers ou villages) et l’appartenance (violence interne au groupe : marquages du corps, parenté à plaisanterie), elles viennent aussi et surtout pallier au démantèlement que le dénuement, les décasages à répétition, les foyers démembrés par les expulsions, infligent à la jeunesse de Mayotte, clandestine ou pas [7] ; jeunesse promise corps et âmes au régime répressif et rétentionnaire, bref républicain, de la destruction, prise en tenaille à la croisée du discours sécuritaire et de la haine de classe : 45 % des 18-29 ans sont actuellement concernés à Mayotte par des troubles psychiques, notamment anxio-dépressifs [8]
L’extrême-droite y incite, flics et Forces vives le font : ils œuvrent à l’unisson en faveur d’un programme gouvernemental d’annihilation progressive de tous les cadres et moyens, aussi précaires soient-ils, par lesquels « Comoriens » et « Africains » en situation dite « irrégulière » – ou pas – tentent de survivre à Mayotte.
D’une part, la poursuite des « décasages » dans le cadre de l’opération Place nette (dès le 19 avril 2024, plusieurs centaines de destructions dans le quartier de Doujani 2) s’est accompagnée ces derniers mois du démantèlement policier d’un campement de migrants africains aux abords du stade de Cavani [9] ; réfugiés dont plusieurs centaines errent désormais dans les rues de Mamoudzou à la recherche d’un nouvel abri de fortune, exposés à la vindicte de nervis sous-traités par quelque « collectif d’habitants » (incendie de leurs effets personnels, ratonnades, agressions en tous genres…).
D’autre part, des groupes de « Mahoraises » bloquent régulièrement depuis Wuambushu l’accès aux administrations publiques, notamment et surtout au Bureau de l’immigration de la Préfecture, afin d’entraver les personnes identifiées comme « Comoriennes » ou « étrangères » dans le renouvèlement de leur titre de séjour, les exposant d’autant plus à la sanction permanente de contrôles pratiqués tous azimuts par la police, et les acculant de fait à l’usure d’une clandestinité qui les maintient hors des domaines du droit et de l’assistance.
Épuiser autant que possible la reproduction même des conditions d’existence, de manière à démanteler les réseaux de sociabilité, à entraver l’accès aux ressources de première nécessité, à vulnérabiliser les corps étrangers ainsi livrés à l’anomie de la vie nue : déraciner pour mieux clandestiniser, et vice-versa. Telle est enfin la perspective inavouée d’un front connexe à celui de l’habitat : celui de la subsistance.
Depuis plus d’un an, plusieurs opérations conjointes du Département, de l’ONF et de la DAAF (Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt) en lien avec la Gendarmerie, participent d’un « Wuambushu agricole et forestier » [10]. Dès les 30 et 31 mai 2023, préfet en tête, 18 hectares de cultures dites sauvages sont ainsi détruits au sein de la réserve forestière de Majimbi. À chaque fois, plusieurs prétextes sont avancés : déforestation, commercialisation illégale, usage de pesticides nocifs… Chapelet de tartuffes ! En vérité, cette instrumentalisation répressive de l’écologie cherche à saper les bases matérielles nécessaires à toute forme de survie, voire de résistance. Il s’agit là de priver de leur subsistance (banane, manioc, etc.) celles et ceux que la pression policière des rafles et autres ratissages ont contraints de se replier dans les collines reculées de l’île. Annoncé par Darmanin lors de sa visite à Mayotte les 24 et 25 juin 2023, un « deuxième type d’opération » se déploie depuis quelques mois, en rapport avec la pêche illégale : traquer, affamer et réduire ; ou comment harponner « du Comorien » sous couvert d’une protection de l’environnement – « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien » (Macron, juin 2017)…
En juin 2023, Darmanin prétend pallier aux effets de la sécheresse à Mayotte, qui connaît les restrictions d’eau les plus importantes de son histoire. Outre un blocage démagogique des prix sur l’eau, associé à une distribution rationnée de bouteilles à l’hôpital et dans les écoles, avant qu’elle ne s’impose au quotidien pour plusieurs dizaines de milliers de personnes [11], le boucher de Sainte-Soline évoque alors une troisième retenue collinaire (pourquoi pas une mégabassine ?) ainsi qu’une usine de désalinisation pour la fin 2024 (!?) – ce projet potentiellement écocidaire, qui impliquerait une destruction de la mangrove à Ironi Bé, ne ferait qu’aggraver la dégradation déjà bien avancée d’un écosystème propice à limiter l’érosion, les inondations, de même qu’à fournir à plusieurs espèces marines le site privilégié de leur reproduction. Darmanin prend surtout bien soin d’en appeler au « comportement citoyen » de chacun·e, injonction typique d’une individualisation culpabilisante des causes comme des effets de la pénurie en eau, propre à masquer tant l’inadaptation d’infrastructures souvent vétustes que les racines systémiques du réchauffement climatique [12]. D’un coup de menton paternaliste d’inspiration très coloniale : « On respecte les arrêtés de Monsieur le Préfet. » [13] ; tandis que certain·es parmi les plus précaires en sont réduits à consommer l’eau plus ou moins saumâtre des rivières, dans une île où la typhoïde est « 50 fois plus importante qu’en métropole, rapportée à sa population » [14]. Quant à l’eau courante (dont la fourniture est toujours plus qu’aléatoire), elle s’avère bien souvent impropre à la consommation, en raison d’une prolifération alarmante de bactéries pathogènes, ce dont témoigne une épidémie récurrente de gastro-entérite dans l’île.
Si plusieurs établissements scolaires sont parfois contraints de fermer, faute d’eau potable à distribuer aux élèves, la spéculation sauvage dont l’eau en bouteille fait l’objet rend cette dernière plus inaccessible encore pour une grande partie de la population. Parmi eux, les personnes en situation « irrégulière », frappées de plein fouet par les « décasages », les rafles policières, la marginalisation forcée, l’insécurité sanitaire et sociale, dans un contexte où « c’est un peu la guerre pour avoir accès à l’eau potable » (france24.com, 16 septembre 2023). Déjà en 2016, une crise importante en matière d’approvisionnement en eau était imputée par une grande partie de la classe politique mahoraise à la surpopulation, supposément provoquée par l’immigration comorienne, entraînant à l’époque la formation de plusieurs milices villageoises, s’employant à « décaser » les « clandestins ». Aujourd’hui encore, préfecture et milices instrumentalisent la pénurie en eau contre les « étrangers ». Si les flics n’hésitent pas à traquer les personnes « sans-papier » près des points d’eau potable, ainsi transformés en guet-apens, la situation faite aux migrants africains témoigne de ce nouage xénophobe entre immigration et ressource en eau : « Depuis quelques jours, c’est l’accès à l’eau que ces demandeurs d’asile et réfugiés ont perdu. ‘Avant, elle était accessible à quelques mètres mais maintenant la rampe de robinets a été saccagée. Dès qu’on essaye de la réparer, on nous en empêche car certains ne veulent pas qu’on soit ici. Les gens doivent aller à une autre fontaine mais on s’y fait attaquer. C’est une chasse à l’homme’, raconte Pascal, qui s’est lui-même fait agresser ‘par un groupe de jeunes’ Mahorais, une nuit, près de son campement. » [15].
Comme le souligne l’OMS [16], il existe pourtant « un lien étroit entre la transmission du choléra et un accès inadapté à l’eau potable ». À cet égard, la coresponsabilité objective de la Préfecture et des Collectifs dans l’émergence et dans la propagation de l’épidémie demeure évidente, du simple fait d’exposer finalement l’ensemble de la population au danger d’une épidémie meurtrière par un double régime de négligence intentionnelle (abandon des infrastructures dédiées) et/ou d’entrave délibérée (accès discriminatoire à la ressource) de nature à mettre gravement en péril la santé publique.
Destruction continue de l’habitat précaire, sous le prétexte à présent plus ironique que jamais de son insalubrité ; dispersion de familles entières au hasard des collines et des rues en l’absence d’un relogement pérenne ; exposition de plus en plus massive de personnes, et notamment d’enfants, à la violence chronique du harcèlement policier, de la clandestinité ; accès discriminatoire à un réseau d’eau potable aussi scandaleusement déficient que les infrastructures d’assainissement… Dans le contexte plus général d’une paupérisation croissante de pans entiers de la population, « étrangère » ou pas, la circulation actuelle du choléra dans l’île révèle donc un terrain d’autant plus morbide (au sens de coordonnées favorables à la survenue comme à la circulation d’une épidémie) qu’un racisme sanitaire se manifeste depuis plusieurs mois à l’encontre des « Comoriens » et « Africains », entravés par les Collectifs ou par la police [17] dans leur accès à des structures de soins, elles-mêmes déjà en crise [18], non sans rapport avec Wuambushu et Place nette, comme pouvaient déjà le constater 170 membres du personnel de santé hospitalier et libéraux de Mayotte dans la tribune libre qu’ils adressent dès le 3 avril 2023 aux autorités afin d’exprimer leur inquiétude prémonitoire quant au désastre que la première opération ne manquerait pas de produire [19].
En plus d’une surcharge des dispensaires et maternités, déjà imputée par la propagande procoloniale aux « Anjouanaises » venues accoucher à Mayotte afin que leur progéniture bénéficie du droit du sol (déjà très limité, en passe d’être abrogé par une loi « Mayotte » actuellement en préparation"), on ne s’étonnera pas que le choléra soit désormais expliqué par les flux migratoires en provenance de l’Union des Comores (déjà une centaine de morts) et de l’Afrique de l’Est – au détriment, bien entendu, de la misère sociale et du changement climatique, lequel augmente l’intensité et la fréquence des inondations, cyclones et sécheresses (non sans conséquence sur un accès perturbé à l’eau potable), particulièrement prononcés à Mayotte au cours de ces dernières années.
Qu’à cela ne tienne, Safina Soula, Mansour Kamardine et Estelle Youssouffa n’hésitent pas à amalgamer immigration et choléra. La première déclare à propos des migrants africains : « Nous ne connaissons pas leur passé sanitaire, peut-être apportent-ils des maladies » [20] ; quant au député LR, il affirme : « Le risque d’importation est réel compte-tenu de l’arrivée quotidienne de kwassas transportant des clandestins » [21] ; la députée LIOT martèle enfin : « On a toujours des arrivées de kwassa-kwassa qui sont d’ailleurs chargés de malades du choléra qui débarquent des Comores. Et maintenant il y a une souche qui s’est installée à Mayotte avec des dizaines de malades » [22].
Le point que Santé publique France publie en date du 15 mai 2024 offre une image beaucoup moins fantasmée de la réalité : entre le 18 mars – période à laquelle émerge l’épidémie à Mayotte – et le 15 mai, « 85 cas de choléra ont été signalés à Mayotte », dont « 68 acquis localement et 17 importés des Comores ou des pays du continent africain ». En outre, le quartier populaire de Koungou où est décédée le 8 mai dernier une enfant de 3 ans, illustre à quel point les opérations de « décasage » et autres chasses aux « clandestins » qui ont particulièrement frappé cette commune depuis Wuambushu, n’ont eu pour effet que de l’exposer plus encore à l’épidémie, par le démantèlement répété d’un milieu urbain aux infrastructures déjà fragiles. Comme le rappelait en 2020 le biologiste Robert Wallace : « Il n’y a pas d’agents pathogènes indépendants du capital à ce stade » [23].
À force de destructions, de diabolisations, de discriminations, la peste gouvernementale, réactionnaire et procoloniale n’en finit plus de s’acharner sur le support obsessionnel de ses fantasmes projetés : Comorien·ne, Africain·e – « barbare » (Mansour Kamardine, lefigaro.fr, 28 avril 2023), et même « barbares en culotte courte » (E. Youssouffa, Sud Radio, 24 janvier 2024). Or, « bien des croisades ont fini par des épidémies » [24].
Gamal Oya, 15 juin 2024.
Correction sur le droit du sol effectuée le 17 juin.
[1] milice pogromiste dont les migrants africains sont encore et toujours la cible dans les rues de Mamoudzou (suite à la destruction de leur campement aux abords du stade)
[2] (lejournaldemayotte.yt, 22 août 2023)
[3] (cf. Laurent Decloitre, « Les feux de la haine à Mayotte », Libération, 13 novembre 2003
[4] (CNews, 13 février 2024)
[5] Cf. l’enquête ethnographique menée durant les années 2010 par Myriam Hachimi Alaoui, Élise Lemercier & Élise Palomares, « Les unes contre les autres. Ethnographie intersectionnelle du mouvement des “femmes leaders” à Mayotte », communication donnée dans le cadre d’un symposium sur les féminismes noirs en contexte (post)colonial français à l’EHESS en mars 2020 [canal-u.tv/chaines/ehess].
[6] Mansour Kamardine : « Les Mahorais ont peur… de perdre leur culture remplacée par la culture anjouanaise…, de voir arriver à la tête de leurs communes, de leur département et au parlement des élus sans doute français mais issus dans leur immense majorité de l’immigration, c’est-à-dire cette population même avec laquelle ils refusent de partager un même destin depuis plus de deux siècles… (mayottehebdo.com, 7 juin 2024).
[7] (relire à ce propos Rémi Carayol, « Tous sans-papiers, tous délinquants ? », Kashkazi, 2007, n°67)
[8] (cf. Castelliti & Witter, « Mayotte, une île en pleine dépression », afriquexxi.info, 19 juin 2023) – « une pathologie coloniale en marche » selon le cardiologue comorien Anssoufouddine Mohamed (africultures.com, 6 mai 2023),
[9] (cf. « Mayotte : d’une abjection », oclibertaire, 8 février 2024)
[10] (Le Journal de Mayotte, 2 juin 2023)
[11] À cet égard, le marketing humanitaire de la philanthropie patronale bat son plein : le groupe Ogeu, propriétaire de la marque Quézac, répond à un appel du Medef par l’envoi à Mayotte de 750 000 litres d’eau pompés en Lozère (midilibre.fr, 1er mars 2024)
[12] À noter qu’une enquête pénale est ouverte depuis février 2024 afin d’identifier la chaîne de responsabilités à l’origine d’un tel dysfonctionnement du service de distribution d’eau potable : État, collectivités locales et Société Mahoraise des Eaux (filiale du groupe Vinci) sont ainsi dans le collimateur de la Justice à la suite de la plainte déposée par une trentaine d’usagers (lemonde.fr, 27 février 2024). Fille de l’ancien leader départementaliste Younoussa Bamana et très récemment favorable à l’option RN en vue des législatives de juin-juillet 2024 (« seul parti que nous n’avons pas encore essayé » - Mayotte la 1ère, 11 juin 2024), quelle action Anchya Bamana a-t-elle bien pu mener de 2017 à 2020 en qualité de présidente du Comité de l’Eau et de la Biodiversité, organisme en charge de la gestion des ressources en eau de Mayotte ?
[13] (Mayotte la 1ère, 25 juin 2023)
[14] (rfi.fr, 8 août 2023)
[15] (infomigrants.net, 7 juin 2024)
[16] (lemonde.fr, 9 mai 2024)
[17] D’une part, intensification des contrôles d’identité aux abords des centres de santé, arrestations en milieu médical, etc. D’autre part, blocages de Centres médicaux, du Centre de consultation et de soins de Jacaranda, occupation dissuasive du parvis d’entrée du Centre Hospitalier de Mamoudzou, à l’initiative de Collectifs « mahorais ». Un authentique apartheid sanitaire, associé pour ce qui concerne le CHM à des cas rapportés de triage en fonction de la nationalité des patients… Obstructions et pratiques désapprouvées (plus ou moins ouvertement) par la plupart des personnels de santé (politis.fr, 23 mai 2023), tandis que la Préfecture tendrait plutôt à les relativiser… Pour autant, ces entraves aux soins ne sont que la manifestation ostentatoire d’une discrimination bien plus insidieuse : outre le fait que 45% des habitants de plus de 15 ans déclarent par exemple avoir dû renoncer à des soins en 2019, la Protection Universelle Maladie n’est pas appliquée dans l’île. Quant à l’Aide Médicale d’État, elle ne concerne tout simplement pas les personnes « sans-papiers » à Mayotte
[18] Pénurie de soignants, résiliations de contrat, annulations d’arrivée, etc. À titre d’exemples, le service des Urgences ne compte actuellement que cinq médecins pour 37 postes, quand 3 postes seulement de psychiatres sont pourvus sur les 11 prévus au Centre Hospitalier de Mayotte – dont une seule pédopsychiatre pour toute l’île. Quant au nombre global de lits hospitaliers disponibles, il reste très en-deçà de la moyenne hexagonal (à peine 40%)
[19] Comme le signale à juste titre Anssoufouddine Mohamed, commentant L’odeur de Mayotte, ouvrage publié en 2022 par la psychiatre Patricia Janody : « La pratique hospitalière est tributaire de l’idéologie, de la violence au quotidien et de la gouvernance policière » (africultures.com, 6 mai 2023
[20] Mayotte la 1ère, 19 janvier 2024
[21] Mayotte la 1ère, 22 février 2024
[22] europe1.fr, 4 mai 2024
[23] acta.zone, 13 mars 2020
[24] Cf. Germain Latour, Légitime défense ou les bas-fonds de la peur, Le Sycomore, 1983