CA 348 mars 2025
mercredi 26 mars 2025, par
Plus de quarante ans après la mise en place par l’UE d’une gestion commune des pêches, visant notamment à préserver les ressources et garantir un accès équitable, le constat certes prévisible, n’en n’est pas moins amèr. La ressource diminue encore, la petite pêche locale et artisanale faisant vivre des communautés côtières est moribonde et l’industrie augmente encore ses recettes. L’idée de ce texte est de revenir sur ces décennies de PCP. Cette dernière ayant fait l’objet de maintes réformes, ce texte n’a pas vocation à établir un bilan exhaustif, mais plutôt de donner quelques clés de compréhensions de la destruction lente mais sure des activités de petite pêches en France.
La politique commune des pêches est initiée par l’UE en 1983. Il s’agit alors d’adapter la politique agricole commune (PAC), qui a fait ses preuves au services de l’industrialisation de l’agriculture, au secteur halieutique. L’objectif principal pour l’Union Européenne lors de la 1ere PCP est de favoriser l’accès des européens à des produits de la mer européens à faible coût afin de faire face à la concurrence internationale... En pratique, cela consiste à favoriser la surpêche pour faire baisser le prix de vente au consommateur. Cela se fait, non sans douleurs, tant et si bien que le Groenland, dont la pêche est alors une des principale source de revenus, vote sa sortie de la CEE en 1982, de peur de perdre la main sur la gestion de ses ressources halieutiques. Car en effet la spécificité de la PCP a sa création (et c’est toujours le cas) est qu’elle acte le fait que le poisson devient une « ressource commune ». La gestion de cette ressource doit donc être « collective » et sort alors du giron des compétences nationales. L’UE devient donc le chef d’orchestre et les décisions, sur la captures des ressources halieutiques sont alors prises à l’échelon européen par les différents ministres en charge de la pêche.
Si la détermination des quotas est révisée annuellement, les grandes orientations de la PCP sont, elles, ajustées tous les 10 ans. Mais le constat est clair : avec la politique européenne de pêche, le nombre de navires est en chute libre, le nombre d’emplois l’est de fait aussi et la concentration au profit de l’industrie est nette, ce qui renforce au passage (et volontairement pour éviter toute organisation trans-nationale de la profession) un sentiment de nationalisme au sein des communautés de pêcheurs. Accuser le voisin espagnol, anglais ou irlandais, petit pêcheur lui aussi, de pillage ou de favoritisme dans la détermination des quotas, alors qu’il subit comme les pêcheurs français les mêmes politiques, devient plus facile que de remettre en cause la politique du « tout industriel », qui déroule le tapis rouge aux multinationales du secteur. Bref plus facile de s’attaquer à l’étranger qu’au capital...
En parallèle de ce système européen très complexe, difficile à suivre et en constant changement, un autre système spécifiquement français distribue les quotas selon le principe des « antériorités de captures ». En France, les quotas sont attribués à un navire et non à un pêcheur. La répartition française annuelle des quotas décidée par l’UE, se base sur les antériorités de pêches d’un navire. Pour faire simple, si un navire a bien pêché les années précédentes, il se verra attribué, un quota au moins similaire, mais éventuellement plus conséquent. Cela pose évidemment des problèmes pour les jeunes sortis d’école de pêche qui souhaiteraient acquérir un petit navire ou s’installer dans le secteur de la petite pêche côtière. En effet, lors de la revente d’un navire, si le vendeur n’a pas fait de démarche particulière pour conserver ses quotas, ceux-ci reviennent à l’acheteur en suivant le navire, mais à un prix très élevé, inaccessible pour la majorité des jeunes pêcheurs. C’est donc au final souvent des filiales de la grosse industrie qui rachètent le navire et récupèrent les quotas, qui seront par la suite transférés d’une manière ou d’une autre sur un navire de la même entreprise. Si ce même jeune décide d’acheter un bateau d’occasion sans antériorités de pêche, il devra alors négocier avec les autorités compétentes (souvent proches des industriels...) pour récupérer des queues de quotas, souvent sur des espèces peu exploitables ou peu valorisables. Résultat : il est très difficile pour un nouveau pêcheur de s’installer dans la petite pêche côtière, car le système est encore une fois adapté pour concentrer les possibilités de pêche sur ceux qui en ont les moyen : les industriels.
On l’aura compris, cette gestion européenne entraine donc une concentration des capitaux liées à la pêche vers les multinationales qui détiennent les plus gros navires usines et utilisent au fil des avancées technologiques des méthodes de pêches permettant de contrôler et prévoir au maximum la rentabilité d’une sortie en mer. Jusqu’alors, la pêche restait une des seules activités professionnelle dont la rentabilité dépendait grandement de facteurs non maîtrisable (la capture ou non de poissons). La seul activité de « cueillette » industrielle en quelques sorte... Aux premières places, et pour ne citer qu’elles, on retrouve deux multinationales hollandaises :
Le problème que pose cette concentration d’entreprise au sein d’un même groupe est double. D’une part cela concentre une grande parti des quotas dans les mains d’une poignée d’industriels européens installés sur toute les façades maritimes européennes. D’autre part ces industriels exploitent des chalutiers pélagiques géants ciblant principalement des « poissons fourrages » (maquereau, hareng, sprat, etc.) pour en faire de la farine de poisson pour l’alimentation de l’agro-industrie (aquaculture principalement) et non pour alimenter le marché de l’alimentation humaine. Par ailleurs ces poissons pélagiques sont situés en bas de la chaîne alimentaire et sont en partie à la base de l’alimentation de nombreux poissons côtiers (exploités eux par la pêche côtière), d’oiseaux et de mammifères marins. Leur sur-exploitation entraîne de fait des modifications dans les écosystèmes et la chaîne trophique. (1)
Face à ce rouleau compresseur industriel imposé par l’Europe et le gouvernement français, on comprend bien que la pêche côtière, artisanale ou pas, ne fait pas le poids. Pour ne prendre l’exemple que de Marseille, le nombre de navires armés à la pêche professionnelle a perdu 45% de sa flotte en 20 ans. Si cela ne concerne pas que les artisans, le nombre de petits pêcheurs locaux, a de fait énormément diminué (2). Les raisons sont multifactorielles, mais si la PCP a eu évidemment un impact important, les pêcheurs de méditerranées sont aussi énormément contraints par l’accroissement des activités touristiques côtières et le développement de réserves naturelles. Si les artisans continuent à vendre leur poissons sur le Vieux Port de Marseille, lieu à fort attrait touristique, c’est que cette activité « typique » doit rester présente pour l’image de la ville. En effet, si une minorité de marseillais pouvant encore vivre proche du port continuent à se fournir sur cette place de vente quotidienne et historique, les vendeuses de poissons sont surtout livrées à la merci des smartphones des touristes, qui photographient cette scène locale typique et pleine de vie... mais combien sont-ils ces touristes à repartir avec une lotte ou un calmar dans la main ?
Si cet exemple n’est pas unique et que l’on peut le retrouver avec ses spécificités locales au Pays Basque, en Bretagne ou sur les côtes de la Manche, le statut de la petite pêche, qui ne représente, de par son échelle, aucun danger, ni pour la ressource, ni pour l’industrie, est devenu avec le temps une activité touristique. On peut noter d’ailleurs que certains acteurs touristiques sur la bande côtière ont développé un marché nouveau en proposant des sortie en mer en pleine saison touristique pour « voir comment se pratiquait la pêche avant ». On arrive donc au summum du délitement de cette activité, ou la pêche professionnelle émerge aussi comme un acteur de l’industrie touristique, au lieu de nourrir sainement les gens fréquentant le littoral. Le consommateur, friand de produits de la mer, même quand il habite sur la bande côtière, se contentera majoritairement de poissons issus de l’industrie et parfois provenant de l’autre bout de la planète (3).
Il faut le reconnaître, dans ce contexte européen, les perspectives aussi bien à court et qu’à long terme ne sont pas faciles à appréhender, que ce soit sur le plan de l’avenir des ressources halieutiques que sur celui de la survie de cette petite profession. Et pourtant, grèves de la pêche, blocages de port, manifestations ; ces mobilisations ont jalonné son histoire, que ce soit pour se plaindre des charges croissantes (carburants principalement), de la casse orchestrée de la flotte, de la concurrence non équitable des pêcheurs industriels danois ou hollandais ou même plus récemment contre l’installation de champs d’éoliennes off-shore sur des zones de pêche et dont on ne connaît que trop peu l’impact sur les ressources marines.
Ces mobilisations bien que souvent spectaculaires (4), restent des actions défensives et n’auront jamais empêché la pêche, et surtout la petite pêche, de couler au profit de la pêche industrielle. On notera aussi que la profession reste assez mal organisée. Les syndicats sont peu présents et les quelques organisations professionnelles (comité national et comités régionaux des pêches) restent aux mains de directions souvent proches des plus gros industriels, et ne se contentent de toute façon que de défendre des intérêts économiques au sein même du système qui les détruits. Ce secteur de la petite pêche cherche çà et là à s’organiser, en créant ses propres labels ou ses propres associations de pêcheurs localement. Mais là encore, si cela permet une survie et une valorisation non négligeable de leur production à petites échelles (et c’est déjà bien), ces initiatives sont bien souvent et malheureusement issues d’un besoin économique de survie et ne sont aucunement des organisations offensives contre l’industrie et l’UE, sources de leurs disparitions.
Pour conclure cette rapide présentation, s’il est primordial de soutenir les petits pêcheurs dans une dynamique de viabilité des petites communautés locales et de lutte contre les politiques européennes en matière de gestions des ressources marines, il serait par ailleurs très mal venu de mythifier le pêcheur artisan. En effet, sans généraliser à toute la profession de petit pêcheurs et pêcheurs artisans, un patron pêcheur, même précaire et en cour de disparition, reste un patron. La dérive capitaliste, sur fond de communautarisme liée à l’exploitation des ressources, même à petite échelle reste bien observable dans les petits ports et au sein des micro-entreprises du secteur. En soi, cette profession n’est pas indemne des dynamiques visibles dans l’ensemble de la société française et dans de nombreuses professions en difficultés, et pêcher « correctement » en respectant la ressource n’empêche pas d’exploiter salement des matelots.
Arturo, fevrier 2025
Notes
(1) https://europe.oceana.org/wp-conten...
(2) https://www.paca.developpement-dura...
(3) Les principaux poissons consommés en France sont toujours le saumon, le thon, le cabillaud et le lieu d’Alaska, espèces issues de l’aquaculture ou de pêcherie loin des côtes française. Par ailleurs, pendant que la pêche s’effondre en France, le pays reste un gros importateur de produit de la mer. En 2021,En 2021, 2 117 milliers de tonnes de produits de la mer ont été consommés par les Français, alors que la production française (pêche et aquaculture) représente un tonnage d’environ 400 000 tonnes. https://www.planetemer.org/infos/ac...
(4) comme en février 1994 ou la manifestation nationale des pêcheurs français contre la baisse du prix de vente et la concurrence européenne est fortement réprimée par la police et aboutit au final à l’incendie, a priori accidentel, du parlement de bretagne.