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L’Etat des Gauches au Liban

lundi 19 avril 2010, par Courant Alternatif

Bien que ses responsables s’efforcent de présenter au monde un visage moderne du Liban, celui-ci reste un pays caractérisé par un système politique et judiciaire arriéré encore bati sur un féodalisme, principalement réligieux ou régional, comme il l’était sous l’Empire ottoman.
De plus, le Liban est également soumis à une grave crise économique essentiellement causée par la politique des gouvernements successifs visant à abandonner l’industrie et l’agriculture au profit de la conversion de l’ensemble du pays au secteur du tertiaire et au tourisme. La balance des paiements est ainsi en permanence déficitaire.
Au sein de la corruption politique et économique perpétrée depuis le début du XXème siècle par la droite libanaise, qu’elle soit musulmane ou chrétienne, l’idée de changement est, dans les esprits, directement lié à la gauche. Par de nombreuses causes internes et externes, cette gauche vit, elle aussi, une crise aiguë qui s’est intensifiée durant la guerre civile et qui culmine ces dernières années.


Les forces de gauche au Liban

La plus ancienne des organisations politiques de la gauche libanaise est le Parti Communiste Libanais. Il avait été fondé sous le nom de Parti Populaire, puis a pris celui de Parti Communiste Syrien (avant la séparation du Liban et de la Syrie) pour rejoindre le camp de l’Union Soviétique. Après un travail « caché » de longue alène, le parti communiste libanais devenu officiel s’est illustré par de nombreuses actions sociales s’attirant ainsi la sympatie de la population. Sa popularité va s’accroitre jusqu’aux années 60’ et 70’ où il contrôle étroitement les syndicats et unions étudiantes. Au début de la guerre civile (1975) il est encore l’un des partis les plus influents mais son rôle dans le conflit sera rapidement marginalisé notamment après le retrait de son allié Abou Ammar principal soutien politique et financier de la gauche libanaise. A ce stade, déchiré par des divergences internes, le Parti communiste se fractionne petit à petit via plusieurs phases de scission - dont les trois plus récentes datent de ces dernières années- sous pretexte de choix politiques divergents mais également d’accusations de vol et de corruption. Le Parti souffre aujourd’hui d’un irrémédiable émiettement - débuté au milieu des années 80 suite aux tensions au sein de l’Union Soviétique - accompagné d’une forte corruption qui ne cesse d’éloigner les dirigeants et la base populaire. Enfin, ce qui a anéanti les dernières forces de ce Parti, sont les assassinats de ses dirigeants ainsi que d’intellectuels communistes (Mehdi Amel, Mir El Ayoubi, Hussein Mrouwi, Michel Waked, Souheil Tawila...) perpétrés principalement par les forces religieuses et ce dans l’ensemble des régions du Liban.
Dans les années 90 la corruption continue au sein du PCL dont les dirigeants qui s’opposent à l’autocritique et à la révision des erreurs, ne soutiennent pas les différents mouvements syndicaux de plus en plus vastes et actifs. Par la suite, ces dirigeants ne s’opposeront d’ailleurs même pas à la destruction de ces syndicats par les services de renseignements libanais et syriens.
Après l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri le 14 février 2005, les libanais se divisent en deux camps, les pro-syriens dénommés « mouvement du 8 mars » (à cause de leur manifestation ce jour) et les anti-syriens (qui sont en fait des pro-américains déguisés) dits « mouvement du 14 mars » (ceux-ci s’étant mobilisés une semaine plus tard). Au milieu de l’agitation, le PCL est un peu perdu : il a du mal à choisir son camp et n’a même pas la volonté de créer une troisième sphère d’influence. Ceci a eu pour conséquence directe de démotiver ses membres notamment les jeunes dont la déception a été amplifiée par les carences dans la formation politique et idéologique et surtout par l’absence de formation militaire nécessaire dans un pays occupé et en conflit tel que le Liban. De plus, la vente et le vol des biens du PCL ainsi que le déficit financier qu’il subit à cause du manque d’auto-contrôle n’arrangent pas la situation. Affaibli, le PCL n’essaye pas de peser dans les institutions de l’Etat ni même de faire de la propagande médiatique et son histoire s’achève avec une perte d’influence spectaculaire et une décrédibilisation totale : le peuple ne lui fait plus confiance.
Parmis les Partis néoformés dissidents du PCL, le Parti de la Gauche Démocratique fondé en 2004 a suscité un grand nombre d’interrogations. Les leaders de cette tendance sont Nadim Abdel-Samad et Elias Attallah anciens leaders du PCL, un jeune intellectuel nommé Zyad Majed et un journaliste (assassiné en 2006) Samir Kasir. Ce parti a créé un nouveau courant au Liban celui de la Gauche Modérée bien démarquée des principes marxiste-léninistes. Il s’est entre autre illustré par sa participation à la « révolution du Cèdre » (1) bénificiant de l’appui des Etats-Unis, mais également de la France. Le manque de clarté dans la position de ce parti au cours de la guerre de Juillet 2006 opposant le Liban à Israël a suscité des tensions au sein de ce parti ; la confusion -et les démissions- atteignant son comble lors de la décision des dirigeants de s’abstenir de soutenir la résistance.

Parmis les partis scissionnés de gauche, il y a « l’Organisation Communiste du Travail », organisation issue du nationalisme arabe et ayant adopté la doctrine marxiste au milieu des années 60. Connu pour son radicalisme et sa lutte armée ce Parti était extrêmement influente dans la lutte contre le fascisme et le sionisme. Lorsqu’au début de la guerre civile libanaise, son leader Mohsen Ibrahim, un homme charismatique et de notoriété historique, a annoncé la dissolution de l’OCT, ses principaux dirigeants se sont engagés dans d’autres partis libanais politico-religieux et sectaires dans un but purement arriviste leur permettant d’assurer leurs intérêts propres et leur maintien sur la scène politique libanaise. Quant aux militants de base de ce parti en voie d’extinction, ils se sont retrouvés marginalisés de la vie politique.

Les organisations palestiniennes de gauche rassemblée au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) peuvent être considérées comme faisant partie de la gauche libanaise, notamment par leur implication -reconnue au niveau populaire- dans l’histoire du pays. Au Liban, le groupe le plus présent est le « Front Populaire pour la Libération de la Palestine » (FPLP) dirigé par George Habache. Il s’agit d’une organisation marxiste, radicale et révolutionnaire ayant évolué du nationalisme arabe vers l’internationalisme. Connue pour des opérations secrètes au niveau mondial, cette organisation a attiré les jeunes libanais en demandent d’actions contre l’impérialisme. Mais l’assassinat par le Mossad de l’un de ses principaux dirigeants, Wadi Haddad, ainsi que la chute de Beyrouth en 1982 a entrainé le départ de la majeure partie des membres libanais de l’OLP.

Citons encore les diverses organisations dites nassériennes (en rapport à l’idéologie « socialiste arabe » du président Egyptien Gamal Abdel-Nasser), difficiles à cerner politiquement à cause de leur proximité à l’idéologie nationaliste arabe et leur rejet du marxisme. La principale de ces organisations, l’Organisation Populaire Nassérienne a été fondée par Maarouf Saad dont l’assassinat en 1975 par la droite libanaise est une cause indirecte de la guerre civile. La famille Saad a hérité de ce Parti qu’elle continue à diriger et qui reste influent sur la scène de Saïda. Parmi les partis proches des nationalistes arabes et du parti d’Abdel Nasser, il y a également le « Mouvement Populaire » fondé par l’ancien député Najah Wakim, ce mouvement n’a pas pour objectif d’apporter une idéologie au peuple, mais son leader, ancien député, défend aprement les droits des pauvres contre la politique de capitalisme de monopole de Rafic Harirri. Ce mouvement est encore jeune et en manque de projet clair ainsi que d’une structure efficace.
Il faut mentionner le parti le plus actif et présent sur la scène politique libanaise : l’« Union de la Jeunesse Démocratique Libanaise » (UJDL) -membres de la « Fédération Internationale de la Jeunesse ». Proche du PCL, l’UJDL lui est en partie indépendant et se présente comme libertaire. Impliqué dans les mouvements sociaux, même si ses membres sont peu nombreux et encore jeunes (agés de moins de 30ans pour la grande majorité), on le retrouve partout et c’est le Parti de gauche le plus actif et visible médiatiquement.

les problèmes de la Gauche libanaise

La crise qu’endure actuellement les partis de la Gauche libanaise repose d’abord sur une cause externe : l’absence d’une solidarité internationale qui assurerait une couverture financière et un appui politique. Auparavant ce rôle était rempli par l’URSS ou encore la Libye ou l’Egypte, mais actuellement, il n’existe plus aucun soutien. Les partis de Gauche se retrouvent marginalisés dans un pays continuellement sous influence voire domination d’Etats étrangers (voisins ou éloignés). D’autre part, cette crise est aussi liée à des causes internes telles que la main-mise sur le pays de partis religieux sectaires majoritaires au Liban, qui défendent uniquement leurs intérêts (voire ceux d’une famille) sans se préocuper de l’intérêt national. Ainsi, les partis laïcs se retrouvent impuissants face au prosélytisme religieux et sectaire pratiqué par l’ensemble des autres partis. De plus, les médias sont au Liban dirigés par les leaders de ces partis religieux et encouragent les ségrégations, l’isolement et la haine de l’autre ; ils militent contre les partis de gauche discréditant et calomniant les laïcs, les athées, les organisations anti-religieuses et également les défenseurs des idées socialistes. La gauche vit de surcroît une crise interne : elle est dévorée par la corruption, ne fait preuve d’aucune auto-critique à cause de la bureaucratie et est paralysée par la centralisation de toutes les décisions. De plus on asiste à une marginalisation par les dirigeants du rôle des jeunes dans les partis politiques ainsi qu’à l’exclusion de toute personne manifestant des opinions divergentes. Autre problème, mais non des moindres, tous les biens des partis politiques appartiennent à des personnes physiques à cause des règles de fonctionnement réactionnaires des partis libanais -datant de l’empire Ottoman- qui interdisent toute possession matérielle et manipulation financière aux partis. On peut également ajouter aux causes de la crise de la gauche les divers assassinats de dirigeants communistes ainsi que l’organisation économique libanaise orchestrée par la Banque Internationale et appliquée par Rafic Hariri. Celle-ci a mené à la destruction de l’industrie et de l’agriculture -au profit du tertiaire- et par voie de conséquence à la disparition des syndicats qui y étaient représentés. Rien ne peut être attendu du côté de l’Université libanaise qui a été saisie par les dirigeants sectaires et religieux, lesquels tuent dans l’oeuf toute action à visée nationale. Enfin, la gauche libanaise ne possède à ce stade, aucun média qui lui est favorable ni personnalité charismatique qui créerait une dynamique et qui s’imposerait comme une figure d’union pour la gauche.

Y a t-il une solution ?

Nous ne pouvons aujourd’hui proposer qu’une seule piste de solution à la gauche libanaise à savoir, une réforme de son mode de fonctionnement fondé sur une auto-critique et surtout l’analyse de la situation libanaise. En effet, tout doit être remis à plat afin de pouvoir espérer une positionnement cohérent et d’union. Il faut pouvoir mettre à jour tous les dérèglements et malversations dus à la corruption omniprésente et avoir une vision claire sur tout ce qui se passe sur la scène libanaise, comme par exemple, la position des partis sectaires et religieux, l’alliance avec la Syrie, la position de l’Iran, le rapport avec la Palestine et le rôle joué et à jouer par les partis de Gauche dans tout ça. Il faudrait également créer des organisations convenant aux jeunes afin qu’ils ne soient plus attirés par les dirigeants sectaires et religieux qui les séduisent par le travail et l’argent. Tout ceci, toujours, en parallèle d’un contrôle des actions des dirigeants actuels et anciens responsables de vol, de dissimulation de crimes ; qui méprisent les luttes passées, leurs acteurs et le sang versé ; achètent les oposants et sont prêts à tous les revirements de ligne politique si cela peut satisfaire leurs intérêts personnels et rapporter de l’argent.
La Gauche libanaise semble en demande d’un cadre communiste solide au niveau mondial, elle compte toujours sur la renaissance d’un Parti Communiste qui purgé des erreurs du passé, reprendrait son rôle formateur et protecteur, proche du peuple et des plus démunis qui se rapprocherait des campagnes et ne focaliserait pas sa présence dans les villes. Elle espère ce Parti Communiste qui permettrait la réconciliation de tous les acteurs de la gauche libanaise sans entrenir la guerre froide à laquelle ils sont soumis depuis la guerre civile pour des raisons personnelles et des arrangements pourris.
Espérons la construction d’une gauche saine pour un pays sain qui défende les pauvres et les opprimés et lutte contre le capital qui a détruit la classe moyenne libanaise ainsi que la situation économique. Car en bénéficiant de l’absence de toute opposition organisée, le projet Hariri soutenu par le pétro-dollar a transformé le Liban en une jungle de blanchissement d’argent, de prostitution et de comissions dans l’immobilier et dans les casinos au détriment de plus de 70% de la population du Liban.

Khodor salami


(1) nous ne nous étendrons pas dans cet article sur cette « révolution » qui pourrait à elle seule faire l’objet d’un article entier.

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