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De foulard en niqab :
De l’oppression religieuse à l’hypocrisie républicaine

jeudi 17 juin 2010, par Courant Alternatif

L’affaire du voile, il y a huit ans déjà, puis celle, aujourd’hui, du niqab révèlent l’extrême fragilité de cet « idéal républicain  » qui nous est servi comme seul rêve possible après la «  faillite du communisme ». Qu’un grain de sable se glisse dans le consensus, et voilà balayés les grands principes de liberté par ceux-là mêmes qui les ânonnaient chaque matin. La classe politique s’affole et veut légiférer de nouveau afin de rester dans le Droit. Ce psychodrame se déroule dans un double contexte. D’une part, la mise en place d’un politiquement correct derrière lequel se cache un néo-puritanisme qui entrave toute dissidence, au nom d’une morale se parant de liberté et d’égalité mais qui n’est en fait qu’un pas supplémentaire vers une société orwellienne prétendant contrôler les corps. D’autre part, la stigmatisation de l’islamisme qui, plus que la religion, vise une population contre laquelle se mène une guerre à la fois intérieure, au nom de la sécurité et de l’ordre, et extérieure pour remplacer le vieil «  ennemi  » de l’Est.


« La société coloniale prise dans son ensemble, avec ses valeurs,
ses lignes de force et sa philosophie, réagit de façon assez homogène en face du voile… Avant 1954, plus précisément depuis les années 1930-1935, le combat décisif est engagé. Les responsables
de l’administration française en Algérie, préposés à la destruction
de l’originalité du peuple, chargés par les pouvoirs de procéder coûte que coûte à la désagrégation des formes d’existence susceptible
d’évoquer de près ou de loin une réalité nationale, vont porter le maximum de leurs efforts sur le port du voile… »
(Frantz Fanon, 1959 – L’an V de la révolution algérienne, ouvrage réédité sous le titre Sociologie d’une révolution)

L’héritage colonial

Interdire le voile/foulard au nom de la laïcité et de la libération des femmes ? L’autoriser au nom de la liberté individuelle ? Deux questions qui n’ont aucun sens quand elles sont posées dans une société fondée sur le principe même de la domination, de l’oppression et marquée par le colonialisme. Derrière le niqab, il y a la guerre d’Algérie et les charniers qu’elle y a laissés ; il y a le racisme anti-arabe, qui est une constante de la société française depuis plus d’un siècle.
Qu’une communauté, une culture, une ethnie, méprisée, exploitée, colonisée se choisisse des signes et des repères qui relèvent aussi de l’oppression n’est nullement étonnant. Le catholicisme a connu cela en son temps ! Le problème est que plus ces symboles seront combattus de manière législative par ceux-là mêmes qui furent les colons et ont été et sont toujours les dominants, et plus ils prendront de la force comme signes de reconnaissance et de résistance.
Il n’est évidemment pas question de prétendre à une quelconque responsabilité collective vis-à-vis du colonialisme. Il y a bien sûr des dissidents dans les sociétés occidentales dites chrétiennes, comme dans toutes les autres. Mais sur la question de l’impérialisme culturel, économique et politique, l’idéologie se masque si bien aux yeux des dominants qu’il y a grand intérêt à y regarder à deux fois avant de prétendre donner des leçons.
On connaît la façon dont la politique israélienne favorisait en sous-main (mais parfois ouvertement) l’intégrisme musulman au Moyen-Orient à seule fin de ne pas avoir affaire à des tendances laïques, voire socialisantes, qui auraient rendu plus difficile la justification d’une politique militaire agressive. On sait à quel point les politiques occidentales avaient besoin de se trouver un nouvel ennemi après la chute du mur de Berlin. Tout ce qui se passe ici ressemble furieusement à cela : désigner un ennemi en partie imaginaire pour éviter que ce dernier ne se transforme en ennemi bien réel qui utili-serait comme symboles de reconnaissance et de cohésion l’union des opprimés et la guerre contre le capitalisme.
Ce qui est certain, c’est que la critique du fait religieux, surtout dans sa version «  intégriste  », pour être efficace, ne peut venir que de l’intérieur de la communauté concernée. Apportée de l’extérieur, surtout de la part d’une entité dominante (le monde chrétien occidental), cette critique non seulement tombe sous le signe de la énième domination impérialiste avec son cortège de paternalisme et de pseudo-universalisme, mais encore est totalement inefficace si elle s’exerce au nom de la loi. Une critique légiférée et portée par le dominant sur des aspects de la culture du dominé ne fera qu’en renforcer les aspects les plus clos, frileux ou agressifs.
La seule chose qu’on puisse faire de l’extérieur, c’est créer un environnement favorable au développement des éléments critiques qui ne manquent certainement pas d’exister au sein même de cette communauté. Et, pour ce faire, le démarche première est de combattre, au sein même de sa propre culture, les éléments étrangement identiques à ceux que l’on voudrait voir disparaître chez l’autre. Balayer devant sa porte est la condition sine qua non à une efficacité politique minimale.

Parmi nos croisés de l’interdiction du voile au nom de la libération des femmes, combien se sont élevés contre le grignotage progressif des quelques miettes d’égalité conquises par les femmes grâce à leurs luttes, concernant les réglementations du travail, l’avortement, le sexisme, dans un contexte d’idéologie familialiste et nataliste remis au goût du jour, etc.  ? Et quand ils le font, c’est le plus souvent sous la forme d’un néopuritanisme ou d’un retour aux valeurs familiales (nous avions eu Royal et Charasse, nous avons maintenant le communiste Gerin qui se réclame de la civilisation judéo-chrétienne et Manuel Valls (1).

Les femmes utilisées comme alibi

Des monceaux d’âneries ou de déclarations hypocrites ont été débités depuis des années sur la question du voile. Députés, intellectuels, journalistes de toutes tendances se sont répandus en déclarations au nom des femmes, pour dénoncer leur oppression… chez les musulmans ; et, tout en niant traiter exclusivement du voile, ils et elles n’ont fait référence qu’à la religion dont celui-ci est un symbole. Le port du foulard Hermès, quant à lui, les dérange peu ; il symbolise pourtant, comme nombre d’autres objets, la puissance de l’argent, qui fait courir une menace autrement plus grande aux millions de personnes condamnées au chômage et aux femmes que l’on veut aliéner au « chic féminin ». De même, des féministes ont réduit leur mobilisation sur l’égalité entre les sexes à la lutte contre l’intégrisme musulman, comme s’il n’y avait que dans les cités peuplées d’« Arabes » que les filles ne peuvent pas se mettre en (mini)jupe : quid des transports en commun, par exemple ? Pourquoi croit-on que le port du pantalon est aussi apprécié par les femmes en tous lieux aujourd’hui ? L’image féminine servie par les médias, les publicitaires ou la rue paraît souvent gêner assez peu les pourfendeur-se-s d’islam, alors qu’elle vise essentiellement à émoustiller le désir masculin.

La « loi pour la laïcité » qui interdisait le foulard à l’école comme celle qui veut interdire la burqa dans l’espace public n’ont donc rien à voir avec une défense des femmes ni avec celle de la laïcité, mais sont bel et bien des lois contre l’islam, la religion des « nouvelles classes dangereuses ». En gros, on ne veut pas voir les « Arabo-musulmans » : préconiser l’interdiction (la mesure toujours la plus facile, pour les détenteurs d’un pouvoir, contre ce qui n’est pas dans leurs normes) du voile revient simplement à renvoyer dans l’ombre ce qui dérange, choque ou insupporte.

De l’école…


Dans les affaires précédentes qui concernaient le voile, il s’agissait d’une interdiction concernant un espace particulier, l’école.
Combien, parmi les pétitionnaires qui réclamaient l’interdiction du voile à l’école comme un symbole de l’oppression des femmes, se sont élevés contre les autres « signes ostentatoires » de l’idéologie dominante qui occupent la totalité du champ scolaire ? Telles l’idéologie de la hiérarchie, qui est sournoisement introduite dans l’enseignement des mathématiques ; telle la pérennisation dans les classes du planisphère autocentré sur l’Europe, alors que depuis belle lurette il en existe de plus « neutres » que l’Education nationale n’adopte pas ; tel l’infect découpage « chrétien » des périodes historiques qui est imposé aux élèves tout au long du collège et du lycée ; telle l’introduction de La Marseillaise et de l’instruction civique au nom des droits de l’Homme, mais qui omet de décrire en long et en large les crimes commis en leur nom... La liste pourrait être longue. Pourtant, ils en ont eu des occasions, nos pétitionnaires, de l’ouvrir sur ces questions, à une période où, prétendument, s’engageait un grand «  débat  » sur l’école.

L’interdiction proposée de tout signe d’appartenance religieuse à l’école repose sur une fiction caractérisée : l’école serait un lieu neutre, et sur une grande hypocrisie : on feint d’ignorer qu’elle ne l’est pas (2). L’école, depuis le xixe siècle, n’a été qu’une série de tentatives souvent réussies pour faire passer les codes, les messages dont les nouvelles formes de pouvoir avaient besoin, tout en faisant croire qu’ils avaient valeur universelle. Et finalement, l’objet premier de toute pédagogie, fût-elle libertaire, est de faire passer le mieux possible ces codes (par la force ou en s’appuyant sur la fiction de l’«  autodécouverte  »). Il est bon de rappeler ici que l’école, en France, fut la créatrice de la nationalité abstraite par l’imposition de la langue dans un pays particulièrement peu unifié de ce point de vue. Son œuvre de destruction a eu beau se draper dans le « progrès social », la « liberté » ou la « démocratie », elle a abouti finalement à casser les identités populaires considérées comme « primitives », à aider à la conquête de la campagne par les villes et à modeler un terrain favorable au développement du capitalisme. Il ne s’agit évidemment pas de porter au pinacle les anciens modèles, mais de reconnaître, et d’abord de constater, que les nouveaux introduits n’ont fait que légitimer une immonde saloperie qui se rattache davantage à un modèle aristocratique et méritocratique qu’à un modèle égalitaire et populaire.

… à la rue

Il ne viendrait pas à l’idée de ces hy-pocrites que le voile pourrait être AUSSI, pour certaines, une manifestation de révolte. Et c’est se faire une bien piètre idée du possible libre-arbitre d’une jeune femme que de la supposer à tous les coups VICTIME des pères, des frères et de la religion ! Il est de ces chevaliers et ces chevalières de la libération des autres qui ne peuvent exercer leur apostolat qu’en enfermant leur clientèle dans une supposée victimisation la plus absolue, ce qui, de fait, revient à la mépriser pour la conserver. Il serait assez plaisant de voir les filles de nos apôtres se voiler rien que pour les faire chier... ou par solidarité avec leurs amies musulmanes ! Et nous verrons bien que, de toutes les façons, la plupart d’entre elles mettront bas le voile d’ici quelques années pour expérimenter d’autres chemins de la vie ! Quant aux femmes qui portent la burqa (un nombre dérisoire, il faut le répéter :environ trois cents, selon les chiffres officiels), bien malin qui peut discerner la part de volonté de celle de l’obligation… à moins de puiser dans les réserves argumentaires de l’inconscient qui lui, de toutes les manières et heureusement, ne se légifère pas.
Il faut par ailleurs noter une évolution dans la justifications des interdictions. Sentant l’absurdité d’interdire un vêtement au nom de la défense du droit des femmes alors que celles qui le portent disent que cela relève de leur libre choix, nos croisés en arrivent à mettre en avant le sacrosaint principe de sécurité  : on défend la société contre les malfrats qui se cacheraient sous une burqa ou contre les conductrices dangereuses...

La volonté d’interdire la burqa dans la rue nous place sur un terrain beaucoup plus large que celui qui balisait l’interdiction du voile à l’école. D’une part, nous passons d’une loi concernant des enfants à une législation qui encadre des adultes. Mais surtout, elle concerne l’espace pu-blic dans sa totalité. De l’école comme lieu préservé et « neutre » (ce qui n’était qu’une fiction – voir l’encart) on passe à une tentative nouvelle de contrôler la rue et les corps. L’espace public, censé être un espace commun de socialité, devient de ce fait un espace privé de l’Etat. On ne nous dit pas encore comment nous devons nous habiller, mais comment il ne faut pas s’habiller. Mais il est même des tartufes qui voudraient voir les mômes porter de nouveau des blouses toutes identiques. Les mêmes, il y a trente ans, vitupéraient la Chine de Mao qui avait fait sienne une politique vestimentaire unique, la veste de toile au « col Mao », au prétexte que l’on forgeait ainsi une jeunesse clonée, sans individualité, et que c’était là un signe de régime totalitaire voulant contrôler tout l’espace public.
Et on notera l’étrange similitude entre ce qui est dénoncé dans le port de la burqa (un marquage du corps et de sa possession) et ce qui se dessine dans l’interdiction : un même marquage et une même possession par l’Etat et l’espace dit pu-blic.

Collectif – OCL


(1) Ce dernier est probablement l’un des pires rejetons du PS. Favorable à la loi Estrosi sur les « bandes », à une immigration choisie fondée sur des quotas et destinée à une « formation des élites », à l’allégement de la loi 1905 sur la laïcité, réclamant « plus de Blancs » dans Evry car trop de Noirs nuit à l’image de sa ville. Valls a le profil d’un transfuge de la « gauche » qui deviendra pire que Besson, beaucoup plus fascisant et nationaliste, une sorte de Fini à la française.

(2) Il y a une contradiction entre l’exigence de neutralité et de laïcité demandée aux enseignants et l’affirmation que les élèves «  doivent être accueillis avec toutes leurs différences  »

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