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Prix Nobel de littérature

José Saramago, communiste libertaire ?

lundi 21 juin 2010, par OCLibertaire

Depuis l’annonce de la mort de l’écrivain et Prix Nobel portugais José Saramago, une information est reproduite de dépêches d’agence en articles de presse rapidement torchés : José Saramago se disait « communiste libertaire ». Cette référence, il la fit effectivement connaître à l’occasion de plusieurs interviews, et notamment celle réalisée lors de la sortie d’un de ses romans, La Lucidité, en 2004, et justement publiée et reproduite dans de nombreuses revues et sites Internet de langue espagnole avec ce fameux titre : « Je suis communiste libertaire ».


Dans les faits, José Saramago a été longtemps membre du Parti communiste portugais, dès 1969 dans la clandestiité, et, même s’il avait pris ses distances avec ce courant politique, notamment vis-à-vis de Cuba, il était tout de même resté dans une certaine proximité au point de figurer encore sur la liste du PCP aux élections européennes de 2009.

En mars 2003 en effet, le gouvernement cubain arrête 75 personnes qui sont toutes rapidement condamnées à de très lourdes peines (de douze à vingt-sept années de prison pour « conspiration » et « atteinte à la souveraineté nationale »). Quatre jours après ces condamnations, trois Cubains qui avaient tenté de se rendre aux Etats-Unis en détournant un bateau étaient accusés de « graves délits de terrorisme » et immédiatement fusillés. Le 14 avril, José Saramago, soutien jusque là indéfectible de la “révolution cubaine”, publiait une lettre ouverte dans le quotidien espagnol El Pais pour expliquer que les trois exécutions l’amenaient à s’éloigner du régime cubain. « A partir de maintenant Cuba suivra son chemin, moi je reste ici […] Détourner un navire ou un avion est un crime sévèrement punissable dans n’importe quel pays du monde, mais on ne condamne pas à mort les ravisseurs, d’autant qu’il n’y a pas eu de victimes. Cuba n’a gagné aucune bataille héroïque en fusillant ces trois hommes mais a perdu ma confiance, a ruiné mes espérances, a brisé mes rêves ». Plus tard, il expliquera être toujours un ami de Cuba mais se réserver la liberté de dire ce qu’il pense, quand il le pense utile et nécessaire.

Extrait de l’interview « Je suis communiste libertaire »  :
Question : [à propos du roman La Lucidité] « … ici la critique est implacable pour les institutions, les partis, le pouvoir politique en général et les gouvernements en particulier. Si l’on ne connaissait pas votre affiliation communiste, il y a des moments où il semble que le roman a été écrit par un anarchiste.
Réponse : Parfois, je réfléchis sur le fait que je continue à être communiste. Bien sûr que je le suis et je ne m’imagine par être autre chose. Mais j’ai réalisé que je devais ajouter quelque chose quand je dis « je suis un communiste », et ce que j’ai ajouté, c’est que je suis un communiste libertaire.
Question : Il faudrait alors définir ce qu’est cela.
R : Je pense que oui, il faudrait y réfléchir. Il est clair qu’une conception orthodoxe de ce que pourrait être le communisme, poussé à son extrême comme dans le cas de l’anarchisme, conduirait à la dissolution de l’Etat. » (24 avril 2004)

Dans une autre interview, il avait déclaré : « Je dis que je suis communiste libertaire pour embêter les camarades », au moment où étaient célébrées les 20 ans de la chute du mur de Berlin.

Plus récemment, en 2008, à la question « Dans un texte sur Marcos Ana (dans une prison franquiste de 1939 à 1961) vous parliez de vaincre le cynisme, l’indifférence et la lâcheté… », il répondait : « Naturellement. En aucune manière je suis cynique. Ce que je dis, c’est que je suis par définition très sceptique. Ce n’est pas bien, je sais. J’aimerais m’enthousiasmer, mais je n’y parviens pas. Il y a une crise grave, mais nous les citoyens, nous n’avons pas les mécanismes pour influer. Mais, au moins, ils devraient dire la vérité. Figurez vous qu’António Guterres, quand il était premier ministre, a déclaré dans une interview : « La politique est l’art de ne pas dire la vérité ». Et personne ne s’est levé pour protester ! Bien que nous ne le voulons pas, les citoyens nous sommes entraînés par le courant. Ou par la débandade. Maintenant, il faut dire : je ne suis pas d’accord. Le scepticisme n’est pas la résignation. Je ne me résignerai jamais. De plus en plus, je me sens comme un communiste libertaire. Il y a trois questions que nous ne pouvons pas cesser de nous poser dans la vie : pourquoi ?, pour quoi ?, pour qui ? » (El País, 28 novembre 2008)

C’est là à peu près tout ce que l’on peut trouver de déclarations de José Saramago sur ce communisme libertaire dont il tenait à se référer depuis quelques années, sans cependant développer ou expliciter vraiment un point de vue particulier. C’était surtout un militant de gauche, pas un théoricien de la politique, mais un romancier, un poète, un traducteur, amoureux des mots, défenseur des droits humains, élevant la voix en de nombreuses occasions contre les injustices, l’Eglise, les grandes puissances économiques, il était engagé contre la politique colonialiste d’Israël et s’était aussi distingué en 2009 dans un combat frontal contre Berlusconi au terme duquel il s’était fait viré de la maison d’édition italienne (propriété de Berlusconi) qui le publiait. Homme révolté jusqu’à la fin de ses jours, sans doute un peu désespéré ces dernières années par le cours du monde, revendiquant une liberté totale d’expression et de création. Il avait porté une critique assez lucide de la démocratie représentative : « au moment précis où le bulletin est introduit dans l’urne, l’électeur transfère dans d’autres mains, sans autre contrepartie que des promesses entendues pendant la campagne électorale, la parcelle de pouvoir politique qu’il possédait jusqu’alors en tant que membre de la communauté de citoyens ? ».(Que reste-t-il de la démocratie ?, Le Monde Diplomatique, août 2004)

« Nous sommes tout enfoncés dans la merde du monde et on ne peut pas être optimiste. Celui qui est optimiste, ou il est stupide, ou insensible, ou millionnaire », disait-il en décembre 2008, pendant la présentation à Madrid des Petites mémoires, une œuvre dans laquelle il raconte son enfance entre 5 et 14 ans.

Dieu était une cible constante sur laquelle il lançait ses flèches : « La Bible est un manuel de mauvaises manières : cruautés, incestes, boucheries. Selon un scientifique qui les a compté, il y a près de 1 million 700 mille cadavres dans ce livre ». « Aussi cruels que Dieu sont les hommes qui ont inventé un Dieu à leur image et qui leur ressemble », déclarait-il.

Matérialiste, athée et même anticlérical, démocrate critiquant la démocratie existante, communiste au sens du communisme historique (ce mélange toujours étonnant et détonnant du stalinisme et des bons sentiments, d’aveuglement et d’humanisme), il rêvait sans doute, sans l’avoir longuement exposé et comme bien d’autres, d’un communisme fondamental (il s’était déclaré “communiste hormonal”) assumant en même temps le combat pour l’égalité contre le capitalisme et pour la liberté des singularités et la liberté politique que l’association des deux termes, communiste et libertaire, tente d’exprimer au mieux.

Francesco

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