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Grèce

La version européenne de la doctrine du choc

L’auteur (K. Svolis) est membre du Centre Social Autonome Steki d’Athènes.Trad. J.F OCLibertaire

jeudi 25 août 2011, par admi2


[Grèce] La version européenne de la doctrine du choc

Un texte qui dresse un panorama – certes un peu sombre – de la situation dans laquelle se trouve la société grecque aujourd’hui et ce qui l’attend au cours des mois à venir, quand seront appliquées les mesures gouvernementales (dictées par la troïka UE/BCE/FMI) et adoptées par le Parlement fin juin et début juillet. Un texte qui fourni informations et considérations politiques sur ce que l’auteur identifie comme la seconde phase des mesures d’ajustement et de pillage des biens publics, et que nous publions ici comme élément, parmi d’autres, pour la réflexion.

Sans développer le sujet ici, il souligne l’importance de remettre la « question sociale » au centre du jeu et de la confrontation avec le capital, à la fois pour résister à l’offensive destructrice en cours (pour que « la société reste debout », pour éviter la guerre « de tous contre tous »), mais surtout pour que ces luttes et rébellions sociales – le refus de payer la crise – soient dès maintenant également conçues comme des alternatives concrètes et utiles pour ceux et celles qui les mènent, en rupture avec la logique dévastatrice du capital.

Si la Grèce peut être considérée comme un laboratoire des politiques capitalistes visant à tirer profit de la crise, quitte pour cela à l’approfondir encore plus, elle peut être également un laboratoire des mouvements de la résistance sociale et des formes nécessairement nouvelles que ceux-ci prendront du fait même que les anciens cadres et contextes sont en train de s’effondrer, comme se fut le cas par exemple, il n’y a pas si longtemps, dans certains pays d’Amérique latine. Une chose est au moins certaine : rien n’est déjà tracé, et plus que jamais, le chemin se construit en marchant.

[Grèce] La version européenne de la doctrine du choc

Kostas Svolis

L’aube d’une nouvelle ère obscure

Toutes les mesures d’austérité imposées au peuple grec depuis 2010 constituent un petit hors d’oeuvre par rapport au tsunami de la pauvreté et de la misère sociale qui s’annonce et que le capital, le gouvernement grec, le FMI et la direction de l’UE lui serviront comme plat principal. Le pourcentage du chômage “officiel” a dépassé les 16%, tandis que le chiffre réel est estimé à plus de 20%. La situation est vraiment dramatique pour les jeunes car le pourcentage de chômage réel concernant cette tranche d’âge atteint 40%, alors qu’il est estimé que, d’ici la fin de 2011, le nombre de chômeurs devrait dépasser 1 million. Les salaires des travailleurs sont constamment en train de baisser et on estime qu’entre 2010 et 2012 la baisse totale aura atteint 30%.

En dehors des réductions des salaires et des retraites du secteur public, il y a aussi des diminutions drastiques des salaires dans le secteur privé, par l’abolition des conventions collectives, l’abolition du coût des heures supplémentaires et l’application de modalités de travail flexible et précaire. Il est à noter que les employeurs ont le droit de payer les jeunes travailleurs (jusqu’à 25 ans) avec seulement 80% du salaire minimum. La nouvelle législation sur l’assurance sociale diminue les pensions et augmente le nombre d’années de travail requis ainsi que la limite d’âge pour le droit à la retraite (40 ans de travail et l’âge de 65 ans minimum sont exigés pour avoir les droits à une pension complète).

Dans le même temps, le poids des changements dans le système de santé grec se concentre sur les retraités et les travailleurs avec une plus grande participation dans les coûts de médicaments et les frais d’hospitalisation. Bien sûr, il est inutile de souligner que les chômeurs, les personnes socialement exclues et les immigrants n’ont aucune sorte d’accès au système de santé publique.

En outre, les petites et moyennes entreprises (PME) sont sur le bord de l’extinction totale, en particulier celles de la vente au détail. Le pourcentage d’entreprises qui ont fermé dans le centre d’Athènes a augmenté de 17% en août 2010 à 23,4% actuellement. On estime que durant l’intervalle 2010-2013 environ 200.000 petites entreprises fermeront et que la perte d’emplois consécutive atteindra les 350.000 (employeurs inclus).

De plus, la Grèce occupe toujours la troisième place dans l’UE pour ce qui est du taux d’inflation qui, au début de 2011 a été de près de 5% (tandis que dans la même période celui de la zone euro était de 2,2%). Les biens de base nécessaires à la survie sont de plus en plus chers et le taux de récession reste stable à 3,9%. L’augmentation drastique des impôts directs sur les biens de consommation populaire, l’augmentation de l’impôt sur les revenus, même les plus petits, avec l’augmentation des taux d’intérêt des prêts au logement, font baisser encore plus les revenus des gens. Il y a maintenant aussi l’imposition d’une taxe locale sur les travailleurs indépendants ainsi que sur les travailleurs précaires “autonomes” qui sont rémunérés au travers de factures de prestation de services. D’un autre côté, les personnes qui jouissent de revenus excessifs, le capital local et les compagnies multinationales continuent d’échapper avec ostentation à la fiscalité et les sommes dues aux caisses d’assurance nationale sont énormes. La réforme fiscale qui se met en place au nom de “l’investissement” génère des réductions d’impôts pour les capitalistes et a été à l’origine d’un raid fiscal sans précédent sur les personnes à revenus faibles et moyens. On estime à un montant de 600 milliards d’euros les sommes détenues par les grands déposants grecs dans les banques suisses, une somme qui représente le double du montant de la dette publique grecque !

En votant le plan d’austérité de mi-parcours et ses lois d’application, le gouvernement grec se prépare à passer à la deuxième phase de son plan qui consiste à vendre les richesses publiques du pays et à démanteler le quasi inexistant État providence. Les conséquences les plus tragiques vont dériver de la dissolution du système national de santé publique. L’objectif est de réduire les dépenses de santé de 75 millions d’euros jusqu’en fin 2012 et 150 millions d’euros de 2012 jusqu’en 2015. Inutile de dire que cette manière d’“économiser de l’argent” ne se fera pas sur la base d’une lutte contre les dépenses excessives en équipements de santé et en médicaments, ni contre la corruption et la subornation qui caractérisent habituellement les accords passés entre les directions des hôpitaux et les entreprises pharmaceutiques, ni en réduisant les énormes salaires des divers directeurs d’hôpitaux, mais sur les dépenses de santé publique du peuple grec. Les réductions de dépenses vont se matérialiser en diminuant le nombre d’hôpitaux publics de 137 à 83, le nombre de lits d’hôpitaux disponibles de 36 000 à 32 000 et la libération de 550 de ces lits à des compagnies d’assurances privées pour leur exploitation économique. Pour les cliniques hébergées à l’intérieur des hôpitaux restants, il est prévu de les fusionner, ce qui conduira à une réduction significative de la qualité du service offert par les structures hospitalières. Il est estimé qu’au cours des prochaines années, 9000 médecins seront licenciés ainsi que 26000 personnes dans les équipes infirmières. Particulièrement dans le cas des zones de la périphérie grecque, il va y avoir une désertification en ce qui concerne les services de santé publique.

Et tandis que le gouvernement grec dépense 80 millions d’euros pour la cérémonie des Jeux Paralympiques, dans le même temps il ferme plusieurs écoles d’éducation spécialisée, conduisant ainsi des milliers de personnes handicapées avec des besoins spécifiques dans l’exclusion sociale et à augmenter considérablement leurs dépenses en termes d’équipements nécessaires.

Des changements similaires sont promus dans le système éducatif à travers la fusion d’écoles qui, en particulier dans le cas des provinces de la périphérie grecque, conduira à l’exclusion des enfants, y compris dès l’enseignement primaire. En ce qui concerne l’enseignement supérieur l’indépendance académique et l’autogouvernance des établissements sont abolies, tandis que les universités sont obligées d’être gérées selon des critères de financement privé et sous la supervision de gestionnaires ignorant tout de leur contenu académique et scientifique. La qualité des études est compromise et par les réductions dans les droits des étudiants pour la restauration et le logement, ainsi que l’accès gratuit aux livres, la voie est peu à peu ouverte à l’instauration des frais de scolarité.

Et tandis que l’opérateur grec de télécommunications publiques a été complètement vendu aux Allemands, le gouvernement se prépare à vendre toutes les autres richesses publiques les plus “appétissantes”. Tout d’abord l’énergie et l’eau, l’exploitation des minerais, des plages, des terrains publics pour l’exploitation touristique et tout le reste imaginable, la rumeur parle même de sites archéologiques. En utilisant les lois express [Fast Track Law] et le Fonds pour l’exploitation privée du patrimoine de l’Etat, SA, le gouvernement grec est en mesure de poursuivre son travail de destruction, sans être embêté par les obstructions du droit constitutionnel, des procédures parlementaires, des études d’impact environnementales et de tout ce qui pourrait suspendre la profitabilité capitaliste cachée sous le joli titre d“investissements”. Les investisseurs, locaux et étrangers, sont ceux qui ont amené la Grèce à son état actuel, et maintenant ils vont être en mesure de faire d’énormes profits en achetant pour rien la richesse publique du pays à un coût et avec un risque minimum.

Le coût pour la société prendra de multiples aspects, pas seulement en termes de perte de recettes et d’augmentation du déficit public, mais aussi parce qu’en raison des privatisations, les factures vont être plus chères tandis que la qualité des services/biens fournis va empirer. Le pire de tout, est que l’exploitation aura lieu de manière prédatrice pour que le capital s’assure la plus grande rentabilité possible, ce qui ne peut que provoquer la surexploitation des ressources naturelles, la destruction de l’environnement et l’augmentation de la pollution, mettant en péril ainsi toute possibilité future pour que la société puisse satisfaire ses besoins grâce à sa relation avec la nature et l’environnement.

Dans ce qui a suivi la privatisation des entreprises d’approvisionnement en eau au Royaume-Uni, le plus caractéristique a été que le budget alloué à la réparation des réseaux a été diminué de plus de 50%, conduisant à une augmentation spectaculaire des fuites. Les prix ont augmenté de 36% en une décennie, alors que les profits des investisseurs se sont accrus de 14,7% en huit ans. Deux millions de personnes avaient des comptes impayés, l’approvisionnement en eau a été coupé pour plus de 18 500 ménages et 50.000 emplois ont été perdus.

Par conséquent, du fait de la diminution incessante des revenus du travail et des droits, de la réduction de la petite propriété et de l’emploi autonome, du pillage de la richesse publique et de la nature, la société grecque va acquérir des caractéristiques propres mais similaires à celles que l’on voit dans certaines sociétés d’Amérique du Sud. La polarisation économique entre l’extrême richesse et la pauvreté du peuple va amener une déstabilisation du tissu social et le cannibalisme social généralisé.

Le “miracle économique” qui a eu lieu au cours des deux dernière décennies et qui a conduit la Grèce à l’Union monétaire européenne et à l’Euro, était largement fondée sur le travail informel réalisé par des centaines de milliers d’immigrants qui ont travaillé dans des conditions épouvantables, avec un statut illégal (sans papiers) et avec des salaires extrêmement bas. Ce “miracle” a eu comme symbole les Jeux Olympiques de 2004, qui en dehors de l’énorme dette qu’ils ont laissés, ont aussi laissé de nombreux cadavres de travailleurs immigrés : pendant la période de construction des projets olympiques, les accidents du travail mortels ont été estimés à trois par semaine.

Actuellement, avec la crise dont souffre le pays, la population immigrante qui a soutenu le fardeau du développement économique en travaillant dans les emplois les plus difficiles et les plus mal payés (travailleurs de la construction, agriculture, travaux de l’entretien domestique, pêche, etc.) deviennent les premières victimes non seulement du chômage, mais également du cannibalisme social. L’Etat exploite à la fois la rhétorique et les attaques racistes de la droite radicale et des bandes fascistes contre les immigrés afin de canaliser l’indignation des gens vers une guerre généralisée entre les différents segments des classes inférieures. Cette guerre prend la forme du « tous contre tous », afin que l’indignation ne puisse se transformer en une force visant à renverser les classes supérieures et dirigeantes.

Le paysage décrit ci-dessus doit être complétée par la transformation de la Grèce en une digue de contention contre les flux migratoires pour le reste de l’Europe, un rôle qui lui a été imposé par le traité de Dublin II. Des milliers d’immigrants qui ont l’intention d’aller vers d’autres pays européens sont pris au piège en Grèce, alors qu’il n’existe aucune structure pour l’accueil et l’intégration sociale ni aucune perspective de travail qui leur permettrait d’assurer un minimum de niveau de survie. Toutes ces personnes s’entassent dans des quartiers d’Athènes et d’autres grandes villes déjà dégradés (en raison du désintérêt de l’Etat et de la désertification causée par la crise), essaient de survivre en créant des camps de fortune autour de Patras et d’Igoumenitsa (qui sont des ports et portes de sorties vers l’Europe), en espérant pouvoir s’échapper cachés dans les roues d’un gros camion, préférant risquer leur vie plutôt que de vivre dans la misère et la pauvreté.

Ainsi, une situation sinistre est en cours de formation dans laquelle le taux de criminalité, les drogues, la prostitution, la guerre des gangs et, bien sûr, encore un peu plus optimisé, l’oeuf du serpent, la violence fasciste et la répression policière qui seront utilisé par les dirigeants dans le cadre de l’exercice d’un contrôle biopolitique sur les différents segments de la population, les locaux “autochtones” et les immigrés, lesquels vont être jetés en dehors du tissu social en raison de la crise. En réalité, cette situation constitue une opportunité (s’appuyant sur une demande populaire de sûreté et de sécurité) pour reconstruire la légitimité du système politique qui a atteint son point le plus bas. Tout cela peut sembler trop pour la réalité politique grecque actuelle, mais cela ne doit pas être traité comme un scénario de science-fiction, car il s’agit de formes de “gestion” qui sont appliquées dans d’autres pays, comme le Mexique. Une autre façon de “gérer” la crise pourrait être l’implication de la Grèce dans “des questions et des aventures d’importance nationale”, en utilisant, par exemple, comme prétexte l’exploitation des gisements de la mer Égée ou la zone plus large de la Méditerranée orientale ainsi que la redéfinition de la politique étrangère du pays envers Israël. Dans ce dernier cas, la position du gouvernement grec envers la flottille de la Liberté vers Gaza et son obstruction a été des plus caractéristiques.

Un système politique illégitime

En ce moment, le système politique semble trop faible pour activer ce genre de mécanismes de contrôle et semble concentrer toutes ses forces à essayer d’appliquer les trois piliers du rouleau compresseur économique mentionnés auparavant.

Selon le dernier sondage, qui valide pour l’ essentiel les précédents, la quantité de votes non spécifiés atteint 35%, les chiffres des deux principaux partis politiques se situent entre 27 à 25%, ne permettant à aucun des deux d’avoir la majorité, tandis que l’opposition conservatrice devance le parti socialiste au pouvoir, et que 49,6% des personnes interrogées approuvent les manifestations publiques contre les députés qui ont voté pour le protocole et qui constituent une partie de l’agenda politique quotidien de la Grèce. Les partis de gauche ne semblent pas en mesure de bénéficier des tendances centrifuges de l’électorat et de leur faiblesse apparaît aussi structurelle que la crise qui caractérise le reste du système politique.

Le gouvernement de Papandreou – qui a été à deux doigts d’abdiquer quand il a du faire face à la colère populaire durant la grève générale et le blocus du Parlement le 15 juin – est dans des sables mouvants. Ce n’est pas uniquement dû au fait que cinq de ses députés suivent dorénavant une voie indépendante depuis que le gouvernement a prêté serment, ni à sa chute esquissée par les résultats des derniers sondages. Le problème fondamental est que le gouvernement a rompu ses relations de représentation avec sa base populaire et même avec son noyau dur que sont les travailleurs secteur public au sens large qui ont assuré au PASOK la majorité dans les syndicats, cela sans en même temps être capable de construire de nouvelles alliances avec d’autres classes sociales. Le gouvernement du PASOK reste au pouvoir seulement en raison de la forte pression qu’il reçoit des dirigeants de l’étranger et du soutien dont il jouit chez les capitalistes locaux qui contrôlent les médias. En dépit des tendances centrifuges qui caractérisent le parti au pouvoir, il n’y a pas encore de solution de rechange social-démocrate fiable en Grèce.

La question importante qui se pose est : jusqu’à quand le PASOK sera capable de gouverner et d’en subir les coûts politiques, et si le PASOK va continuer à exister, sous quelle forme et avec quel type de force électorale après les élections, quand et si elles ont lieu ? Néanmoins, le problème le plus important est : quel genre de processus et dynamiques vont se développer dans sa base sociale qui, d’une part se détache de la représentation des partis, mais de l’autre reste silencieuse et inerte ?

Le parti d’opposition conservateur, Nouvelle Démocratie (ND) a peut-être voté contre le plan d’austérité de mi-parcours, mais il a également voté pour la majorité des articles de sa loi d’application, en essayant ainsi à la fois de respecter les sentiments anti-protocole de ses électeurs et la demande des partenaires européens pour un consensus politique pour ce qui concerne les mesures d’austérité. Néanmoins cet effort fut vain, car à la fois les électeurs et les partenaires sont mécontents ! Compte tenu du fait qu’il est impossible pour ND de consentir à une coalition avec son éternel adversaire, le PASOK, sans faire face à d’énormes coûts politiques, ND est obligée d’exiger des élections mais en secret, elle ne souhaite pas la majorité – qui n’est pas désirable de toute façon.

Les forces politiques de “bonne volonté” couvrent tout le spectre du système politique, allant de la droite radicale (LAOS) et les intransigeants de la droite libérale (DE.SY.) à la dernière version la plus réformiste de la gauche (DE.AR.) et constituent la réserve du système politique dans le cas très probable où le PASOK ne pourra pas sera faire face aux tâches assignées. La possibilité d’une coalition ou d’un consensus national est très forte, que ce soit par la voie électorale ou non. Il y a beaucoup de jokers (les sondages prédisent un Parlement à 9 partis) et, par conséquent, les combinaisons alternatives se multiplient. Il va sans dire qu’un gouvernement de ce type, en particulier au nom de l’unité nationale, va imposer des mesures encore plus dures et n’hésitera pas à s’appuyer encore plus sur la force brutale exercée par les appareils de la répression.

Le Parti communiste de Grèce (KKE) reste fidèle à une politique d’isolationnisme et de retranchement sur lui-même, non seulement par rapport à d’autres formations politiques de la gauche, mais aussi à l’égard de tous les processus de fermentation et de mouvement qui se déroulent sur les places occupées. Sa stratégie se concentre exclusivement à augmenter son pourcentage électoral. En dépit de sa rhétorique révolutionnaire, il ne rate pas une occasion de faire de l’œil à la légitimité bourgeoise, ce qui lui permet ainsi d’être récompensé par les médias comme l’élément sérieux, responsable d’une Gauche fortifiée. Même à certaines occasions, lorsque (grève des marins, par exemple), il durcit son attitude, il ne fournit ni perspective ni continuité à la lutte. Etant le plus ancien de la scène politique grecque, le Parti communiste est plus intéressé à sa reproduction, plutôt qu’à un rôle potentiel comme catalyseur dans le cadre d’un mouvement subversif – position caractéristique de n’importe quelle bureaucratie.

En dehors de patauger dans les eaux boueuses du mouvement d’occupation des places, SYRIZA (Coalition de la gauche radicale) reste prisonnière pas seulement de ses contradictions et juxtapositions internes, mais surtout d’une politique qui, bien qu’elle puisse paraître mouvementiste [kinematic], cherche en fait les moyens de sauver – et non de dépasser – le système existant. SYRIZA peut être l’objet d’attaques continues de la part des médias pour sa soi-disant responsabilité politique dans les manifestations de protestation des citoyens et de la “violence” contre les membres du gouvernement (lesquels, de même que les parlementaires de PASOK ne peuvent plus circuler en public sans être soumis à des protestations des citoyens), mais en même temps, la seule proposition de SYRIZA pour sortir de la crise est un plan de régulation pour le capital économique, la renégociation de la dette et des mesures de développement économique, sans faire la moindre proposition innovante pour la redéfinition sociale de l’activité productive.

Il est à noter que, pour la première fois, la polarisation sociale et politique ainsi que les interrogations disparates sur le système politique ont été enregistrées dans les sondages, en estimant un pourcentage électoral de 1,5-2% pour ANTARSYA (gauche radicale) et 1-1, 5% pour les néo-nazis de HRYSI AVGI.

Y a-t-il un rival ?

Malgré tout, en face de ce paysage cauchemardesque, apparaissent des formes de conflits et de désobéissance populaires, chaotiques, confuses, mélangées, controversées, contradictoires, mais visibles. La question est de savoir si ces conflits et désobéissances vont se transformer en un rival de poids.

Les huit grèves générales de 24 heures réalisées depuis que le gouvernement grec a demandé un plan de sauvetage au FMI et à l’UE et la grève de 48 heures en juin, présentent une dynamique sociale considérable qui, sans aucun doute, n’est pas fondée sur des structures syndicales du tertiaire décadentes et discréditées. La GSEE (Confédération générale des travailleurs grecs) et l’ADEDY (Confédération des fonctionnaires) sont principalement constitués de fonctionnaires et d’autres travailleurs du secteur public, puisque la densité syndicale dans le secteur privé ne dépasse pas 10%. En réalité, la GSEE et ADEDY ne peuvent rien faire d’autre que de déclarer des grèves générales, sous la pression continuelle des travailleurs. Ils ont été complètement coupés des travailleurs syndicalistes et sont incapables d’organiser la moindre lutte prolétarienne sérieuse. Même dans le cas où d’importantes industries publiques ont été la cible des privatisations et où ont été menées des mouvements de grèves sur une période longue (comme les transports publics ou l’entreprise publique d’électricité DEI, etc.), les dirigeants syndicaux ont été des obstacles à toute forme de lutte et ont causé leur dégénérescence. Le plus caractéristique est que la dernière grève de 48 heures [fin juin] a été organisée sous la pression des mobilisations de la place Syntagma et afin d’éviter que la GSEE et l’ADEDY ne perdent jusqu’à la dernière once de leur prestige.

D’autre part, au cours des dernières années un certain nombre de syndicats militants de base ont été créés, principalement à l’initiative d’activistes de la gauche extraparlementaire et du mouvement anarchiste. Ces syndicats de base concernent principalement les travailleurs atypiques dans le secteur privé tels que : coursiers, serveurs, employés de télémarketing, employés de librairie et maisons d’éditions, enseignants du privé, techniciens, etc. Les caractéristiques principales des syndicats de base sont leur intense activité militante, une structure anti-hiérarchique et une claire politisation anticapitaliste contrairement à l’influence des partis qui caractérise les syndicats bureaucratiques. Ces syndicats de base sont assez petits et on pourrait dire qu’ils constituent surtout une sorte de modèle syndical à l’état brut ; ils ont néanmoins rencontrés des succès et ont réussi à obtenir des résultats significatifs. Ils se battent contre les licenciements, pour l’application des conventions collectives et pour acquérir plus de droits du travail comme des avantages pour les différentes spécialités, etc. Leur puissance réside dans le fait que lorsqu’ils luttent contre les employeurs (où leur principale arme en dehors de la grève, c’est le boycott des entreprises), ils réussissent à mobiliser, en puisant dans l’ensemble du mouvement anticapitaliste, un nombre important de supporters qui se solidarisent avec leur cause. En outre, la gauche extra parlementaire est relativement puissante parmi les enseignants du public, les médecins hospitaliers, les organismes de gestion locale (OTA )[services municipaux], les employés du ministère de la Culture, etc. Néanmoins, leur action se trouve aujourd’hui confrontée à de sérieux obstacles. D’une part du fait de l’abolition des négociations des conventions collectives qui a été votée par le parlement et d’autre part l’énorme vague de licenciements qui, en combinaison avec des chiffres croissant du chômage, rend la lutte pour les réembauches extrêmement difficile.

Il serait impossible d’omettre l’existence d’autres formes notables de la lutte sociale, qui à travers le temps acquièrent un caractère plus radical. Les exemples les plus caractéristiques sont la lutte des 300 travailleurs immigrants concernant les droits au séjour et celle menée par les habitants de la ville de Keratea contre le projet de création d’une décharge dans leur région. Ce sont des luttes organisées par les gens et dans de nombreux cas elles acquièrent un caractère conflictuel et sont caractérisées par une forte tendance à questionner l’autorité centrale et ses décisions.

L’existence d’organisations radicales de gauche, mais surtout les organisations d’un mouvement anticapitaliste plus large avec des caractéristiques distinctives, autonomes, antiautoritaires et anarchistes, constituent pour certains une grande attraction pour la question sociale, en dépit des problèmes existants et des contradictions énormes, principalement celles liées au sectarisme dans le cas de la gauche radicale et celles de la fétichisation des affrontements avec la police anti-émeute dans le cas des anarchistes. Si, sans doute, décembre 2008 a été une insurrection de la jeunesse où le mouvement anticapitaliste et anarchiste au sens le plus large a imprimé sa marque, il est temps qu’il se distancie d’avec lui-même et de ses propres “conventions”, en commençant tout d’abord par élargir sa référence sociale au-delà des jeunes. Il y aura certainement de nombreuses occasions de faire ce saut sous peu, que ce soit par les processus qui ont commencé sur la place Syntagma, ou les luttes locales et partielles ainsi qu’en résistant à la privatisation du patrimoine public.

La contribution de l’ensemble du mouvement anticapitaliste dans son sens le plus large, non seulement dans les luttes de classe et sociales à venir, mais aussi dans les formes et les structures de solidarité et liées à la reproduction sociale, pour que la société parvienne à tenir debout en ces temps de faillite et de misère sociale, sera de la plus grande importance non seulement pour la société elle-même, mais pour l’existence politique du mouvement anticapitaliste. Défendre et élargir le caractère social des biens et des ressources publics que le gouvernement a l’intention de vendre, reconstituer des parties du secteur productif afin de satisfaire des besoins sociaux et cela en dehors des critères du marché, sont autant de questions qui doivent être incluses dans notre agenda quotidien sous des prismes différents en combinant des réponses immédiates avec une perspective stratégique. En réalité, nous sommes en retard, les structures sociales de solidarité sont embryonnaires et expérimentales et fonctionnent dans un cadre de collectifs politiques, tandis que les tentatives de créer des collectifs de production sont inexistantes.

Toutes les questions sont grandes ouvertes devant nos yeux, mais d’une façon ou d’une autre, l’ombre de l’avenir nous est tombé dessus...

1er août 2011

Kostas Svolis

(L’auteur de ce texte est membre du Centre Social Autonome Steki d’Athènes)

[ Source : http://www.anarkismo.net/article/20210 ]

[ Traduction : J.F pour OCLibertaire ]

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