Notre-Dame-des-Landes
Quelques analyses au sujet de l’accord du 8 mai 2012 après la grève de la faim
dimanche 17 juin 2012, par
« Moratoire sur l’aéroport » : une farce qui ne nous fait pas rire
Quelques analyses au sujet de l’accord du 8 mai 2012 après la grève de la faim
On a beaucoup entendu parler ces derniers temps de l’accord obtenu le 8 mai
2012 à la suite d’une grève de la faim de 28 jours menée par des
agriculteurs/trices en lutte contre le projet d’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes. Certain⋅e⋅s fantasment cet accord comme un « moratoire
sur l’aéroport » (Anne-Sophie Mercier : Moratoire sur l’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes dans Le Monde du 9 mai 2012) et beaucoup crient victoire.
De notre côté, nous éprouvons le besoin de préciser ce que cet accord change
vraiment et surtout ce qu’il ne change pas. Nous tentons quelques pistes
d’analyse de la situation dont il provient et de celle qu’il fait naître.
Commençons par des faits. Les responsables des collectivités locales PS
s’engagent à ce qu’il n’y ait pas d’expulsions pour les onze exploitants
agricoles installés sur la zone concernée et qui ont refusé l’accord amiable
avec Vinci. Ils s’y engagent jusqu’au rendu des recours déposés avant le 4 mai
2012 auprès des juridictions françaises (Conseil d’État et Cour de Cassassion).
Après un coup de gueule du comité de soutien aux grévistes de la faim, les
responsables concernés répondent sur une feuille volante, sans signature (et
donc sans valeur officielle), que l’accord concerne aussi « les habitants de la
zone de la DUP [Déclaration d’Utilité Publique] installés sur la zone avant le
déclaration d’utilité publique, ayant refusé à ce jour [du 4 mai] les
procédures amiables ». Il ne précise pas de durée de gel des expulsions pour
ces habitant⋅e⋅s. L’accord ne concerne pas les recours déposés par les
opposant⋅e⋅s devant le tribunal administratif ni ceux devant les juridictions
européennes. Il n’arrête pas les procédures d’expropriations des propriétaires :
la machine est en marche et les élus PS ne donnent qu’un sursis d’exécution.
L’accord ne concerne pas les occupants sans droit ni titre. Au final, cet
accord s’appliquerait uniquement à environ un tiers des habitant⋅e⋅s de la
zone. Selon la version optimiste, portée par les grévistes de la faim et leurs
soutiens, la suspension de ces expulsions vaudrait jusqu’en 2014.
Pour le comité de soutien aux grévistes de la faim, c’est « notre première
victoire » et « une immense victoire idéologique et médiatique » (Geneviève :
Face aux erreurs et à l’intox : ce qui a été obtenu par les 28 jours de grève
de la faim et de mobilisation du comité de soutien, blog des soutiens de grève
de la faim, http://parolesdecampagne.blogspot.fr/). Pour l’autre partie, les
pontes PS locaux : « nous avons fait un geste réel concernant le traitement
humain de l’étape délicate des expulsions, étape ultime des expropriations
légales. Mais passés les quelques recours engagés, la construction de
l’aéroport se poursuivra » (Jacques Auxiette, président de région Pays de la
Loire et signataire de l’accord, dans Presse Océan du 12 mars 2012). Ils
précisent en outre que « les procédures à l’encontre des occupants très
récents, – je pense aux squatteurs –, ne seront pas ralenties. »
Il nous semble que par cet accord, le pouvoir concède un « geste » uniquement
symbolique. C’est bien sûr un répit appréciable pour certain⋅e⋅s. Mais
suspendre les expulsions des exploitant⋅e⋅s agricoles et des habitant⋅e⋅s
légaux sur la zone concernée par la DUP même jusqu’en 2014 ne gène en rien les
prévisions de l’État et d’AGO. D’après le planning en notre possession, les
seuls gros travaux prévus avant cette date concernent les échangeurs du barreau
routier, qui ne sont pas situés sur ce périmètre. Les travaux prévus sur la
zone de la DUP consistent en forages, fouilles archéologiques, études
environnementales, etc. Bref, les mêmes « travaux préliminaires » qu’ils font
depuis des années, malgré la présence des habitant⋅e⋅s qui ne constitue pas un
obstacle puisqu’à grand renfort de gendarmerie mobile ils ne se privent pas
pour envahir la zone ou ravager les terres. Somme toute un accord qui ne remet
en cause ni les gros travaux, ni les études préliminaires, ni les
expropriations qui continuent à être menées, ni la majorité des expulsions.
Par contre il nous semble que cet accord sert les intérêts du PS. Il peut ainsi
se montrer à l’écoute du peuple qui l’a élu sans pour autant se fâcher avec ses
petits amis patrons, que ce soient ceux de Vinci (concessionnaire de
l’aéroport) ou ceux des nombreuses entreprises qui voient dans ce projet une
source de profit. Mais surtout, il nous semble qu’il s’agit d’une manœuvre pour
tenter d’intégrer la contestation pour mieux la museler. Reprenant sa stratégie
habituelle, la gauche au pouvoir tente d’intégrer les éléments « raisonnables »
de la contestation pour les identifier comme des « partenaires sociaux ». En
faisant cela, elle cherche à établir la différence entre les « bon⋅ne⋅s
opposant⋅e⋅s », celles et ceux avec qui on peut discuter puisqu’on fait
semblant de les entendre, et les « mauvais-es », celles et ceux qu’on peut
réprimer allègrement parce qu’on les a dépeint aux yeux de tout⋅e⋅s comme des
éléments perturbateurs. Le but est clair : briser une solidarité des
opposant⋅e⋅s, afin de ne plus risquer de se trouver face à un bloc uni par un
intérêt commun. Cet accord n’est pas une concession mais une manœuvre politique
: alors que la droite se place généralement dans l’affrontement direct et clame
haut et fort qu’elle ne cédera rien, il est de bon ton à gauche de montrer que
l’on fait des « efforts » de compréhension, qu’on entend le petit peuple dans
ses revendications et qu’on est prêt à s’asseoir autour de la table pour en
parler, entre gens respectables. À nos yeux, il s’agit uniquement d’une manière
pour le pouvoir de reprendre la contrôle de la situation : « si vous êtes bien
gentil⋅les⋅s et que vous ne faites pas de vagues, peut être pourrons nous
concéder quelques miettes ».
Nous conclurons en criant que la farce ne nous fait pas rire. Il est certain
que cet accord tombe à pic pour le PS : commencer un mandat par une grève de la
faim, de surcroît dans le fief du premier ministre, c’est mauvais pour l’image
de marque. Malgré le sursis accordé à certain⋅e⋅s, nous restons dans la même
situation de tension qu’auparavant face à ce projet imposé par la gauche. Si le
PS s’est retiré cette épine du pied, celle qui est dans le notre est encore
bien plantée.
Hors pistes
un groupe en luttes contre l’aéroport et son monde
né dans le mouvement d’occupations
Juin 2012