manifestations antinucléaires 13 octobre
Porter un message clair dans ces manifs : Ni rose ni vert arrêt immédiat !
jeudi 4 octobre 2012, par
Nous assistons en direct à un psychodrame médiatisé à dessein à propos du traité européen et du refus d’EELV d’appeler à le voter tandis que ses ministres vont devoir faire la preuve de leur solidarité gouvernementale. Pendant ce temps, des manifestations antinucléaires se préparent. Ne seront-elles qu’un soutien critique au gouvernement ou bien seront-elles marquées par un rejet franc et massif du nucléaire rose ou vert ?
Comment interpréter ce psychodrame ? Une partition bien huilée entre deux acteurs/auteurs de la même pièce pour donner l’impression qu’EELV n’est pas encore absorbée par le PS, qu’elle garde une capacité de critique et d’indépendance, calmant ainsi ceux qui, à la base ou dans les milieux écolos, commençaient à douter sérieusement de la pertinence de l’accord passé avec les socialistes ? Un soupçon d’impertinence à propos du traité européen, mais qui n’ira pas jusqu’à décrédibiliser (contrairement à ce qu’exprime l’éditorial du Monde du 25 septembre) une image de responsabilité et de capacité à assumer le pouvoir patiemment tricoté au fil des ans ?
Ou bien alors une crise réelle qui va s’accentuer dans les semaines et mois à venir, et qui n’est maîtrisée ni par les uns ni par les autres ? Une crise dont on avait déjà senti la présence lorsque la base avait imposé E. Joly contre N. Hulot et les futurs apparatchiks gouvernementaux alors que le parti écolo subissait une hémorragie militante conséquente.
Il est à noter que cette « crise », réelle ou mise en scène, intervient quelques jours après la quasi-standing ovation que les écolos dans leur presque totalité ont accordée à F. Hollande lors de la récente conférence environnementale. Cet étalage d’autosatisfaction accréditait ainsi, aux yeux du grand public, que l’extraction du gaz de schiste n’aurait pas lieu, que Fessenheim allait fermer… dans six ans, et que 800 000 logements écolos allaient voir le jour, autant d’affirmations mensongères mais rendues crédibles par une façon d’utiliser des mots en faisant croire qu’on en utilise d’autres ! Ainsi, ce qui est condamné ce n’est pas le gaz de schiste mais la fracturation hydraulique (et encore !) ; Fessenheim fermera peut-être, mais non sans avoir absorbé des millions pour la mettre aux normes et rendre ainsi possible sa prolongation ; et puis les formules utilisées, comme « transition énergétique » qu’il faut traduire par « promotion du nucléaire ». Quelques jours plus tard, deux ministres PS assistaient aux journées parlementaires d’EELV à Nantes pour démontrer l’entente cordiale censée régner.
Après cela, il fallait bien un point de discorde pour ne pas donner l’impression d’une totale inféodation !
C’est dans ce contexte politique bien particulier que vont se dérouler les prochaines mobilisations antinucléaires, contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et contre les projets concernant le gaz de schiste.
Des manifs instrumentalisées
Le 13 octobre, à Laval, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Paris, Metz, Lille et Narbonne auront lieu des manifestations organisées par le réseau Sortir du nucléaire et des associations locales, et soutenues par EELV, pour exiger les arrêts de la construction EPR de Flammanville, de sa ligne THT Cotentin-Maine, et des réacteurs de plus de trente ans, en particulier celui de Fessenheim.
Changer d’ère et sortir du nucléaire, disent-ils. Oui, mais quand ?
Doit-on y être présents ou non ? Beaucoup de camarades sont assez réticents. Le risque existe, en effet, de servir de marchepied à des forces que nous combattons et de ne pas y être assez nombreux pour éviter toute récupération. Nous pencherions plutôt, quant à nous, pour tenter une présence visible et claire afin de ne laisser aucun terrain entièrement libre à ces forces qui œuvrent de fait à la poursuite de la production nucléaire.
Le clivage qui oppose les tenants de l’« arrêt immédiat » à ceux qui prônent un arrêt « progressif » est ancien dans le mouvement antinucléaire. Il rebondit aujourd’hui tout simplement parce que, après Fukushima, l’« arrêt immédiat » est devenu une revendication tellement évidente que les tenants de l’arrêt progressif (avec toutes ses variantes) sont obligés d’intégrer cette donnée en se livrant à toutes les contorsions politiciennes et linguistiques possibles.
Le terme « immédiat » étant devenu symbolique, il suffisait de le détourner. C’est ainsi qu’est né ce concept tordu de « décision immédiate » qui permet de l’assortir de toutes les variantes : certes, « décision immédiate de sortie immédiate », mais aussi « décision immédiate de sortie dans… » 10, 20 ou 30 ans, ou encore décision de commencer immédiatement à sortir…
Seulement voilà, l’« arrêt immédiat » que nous mettons en avant ne peut être réduit, et ce depuis longtemps, à une simple question de date ! Cet « arrêt immédiat » n’est pas un fétiche, il est devenu le symbole d’un clivage politique plus général entre une écologie sociale et de classe qui s’insère dans une perspective anticapitaliste et antiproductiviste et les tenants d’un néocapitalisme vert pour lesquels les questions énergétiques peuvent servir à relancer une fois encore une économie de marché en crise.
SI LE JAPON L’A FAIT…
Nous savons bien qu’on n’arrête pas une centrale en appuyant simplement sur un bouton. Nous savons aussi que si on arrêtait toutes les centrales il n’y aurait pas assez d’électricité pour faire fonctionner la société telle qu’elle fonctionne actuellement. Mais, justement, nous ne voulons plus qu’elle fonctionne ainsi ! Et les « économies d’énergie » prônées par les écolos ne sont que pures paroles si on ne précise pas ce qu’on veut garder et ce qu’on veut supprimer, ou du moins si on n’en débat pas. L’arrêt immédiat est donc un marqueur politique, et non une revendication précise comme une augmentation de salaire de 3 ou 5 % ! Un marqueur politique, parce que nous savons bien que derrière le « progressif » se cache très mal la volonté 1. de ne pas toucher à l’appareil productif et aux rapports sociaux qu’il engendre et 2. de laisser le temps nécessaire aux grands groupes capitalistes pour se recycler progressivement dans le renouvelable industriel avec autant de bonheur qu’ils l’ont fait dans le nucléaire.
On peut toujours trouver des slogans ou des marqueurs politiques insuffisants, n’allant pas assez au fond des choses ou cachant mal un soutien au « Vieux Monde ». Il est sans doute possible de faire subir à l’« arrêt immédiat » ce sort-là sort et de couper des têtes. Mais nous pensons qu’il va falloir échapper au « plus radical que moi tu meurs » stérile et démobilisateur pour celles et ceux qui se retrouvent à compter les points. Nous devons éviter que chacun ne se positionne qu’en se différenciant du voisin sans imaginer des mobilisations ni proposer des objectifs à court et moyen terme. Il est temps de formuler des « discours » audibles, compréhensibles par des gens qui, simplement, s’interrogent, se méfient du nucléaire, et pourraient peut-être se retrouver dans des formes de mobilisation à inventer aussi « pour eux », afin qu’elles deviennent ensuite « avec » eux. Et qui permettent d’établir des rapports de forces sur le terrain et pas seulement sur celui des idées, si pertinentes soient-elles.
Rappelons-nous qu’en 2002 des manifestations antinucléaires étaient organisées dans cinq ou six villes de France. Elles avaient été dans l’ensemble un double succès, principalement à Nantes et à Toulouse. Double parce que, d’un côté, elles avaient réuni plus de gens que prévu et parce que, de l’autre, nous avons assisté à l’émergence d’un fort courant « arrêt immédiat » qui marquait déjà des clivages qui n’ont fait que s’accentuer ensuite. On ne sert certes pas deux fois la même soupe, mais on peut s’inspirer de la recette. Il y aura sans doute moins de monde qu’en 2002. Mais rien ne nous empêche de réactualiser le « Ni rose ni vert arrêt immédiat du nucléaire » qui avait servi alors de ralliement et d’être vigoureusement présents dans les manifs du 13 octobre afin de donner un corps et une perspective aux différents regroupements, tentatives de coordination et réunions qui parsèment l’agenda des milieux antinucléaires s’opposant aux écolos de gouvernement, et qui, surtout, entendent lier entre elles des luttes proches. Des liens qui ne sont pas seulement géographiques, mais logiques et cohérents, parce que les motifs qui les font naître s’auto-entretiennent les uns avec les autres : ainsi, d’un côté, les grands projets d’aménagement du territoire comme l’aéroport de Nantes (NDDL), les lignes ferroviaires à grande vitesse, les lignes à haute tension, le Grand Paris, la métropolisation du territoire sur de grands pôles urbains, etc., font le pari de la disponibilité indiscutable et à coût réduit d’une croissance continue de la production électrique ; de l’autre, les lobbies du nucléaire, des parcs d’éoliennes, du gaz de schiste font de la croissance continue de ces « besoins », tout aussi indiscutés et indiscutables, des prétextes pour développer de nouvelles activités génératrices d’électricité et de profits pour les groupes capitalistes concernés.
L’abandon du nucléaire et d’autres équipements et projets nuisibles doit se comprendre en termes de mobilisation et de coûts politiques pour ceux qui les défendent et les implantent. La classe dirigeante n’est pas à une contradiction près. Alors qu’elle cherche à nous accabler et à nous discipliner sous le fardeau de la « dette », la poursuite du nucléaire comme le démarrage de grands projets plus ou moins pharaoniques ne peut se réaliser que par un surcroît d’endettement alors que, paraît-il, les caisses sont vides, par de nouveaux emprunts massifs garantis par l’Etat français et peut-être demain par le super-Etat européen…
Cette mobilisation antinucléaire doit aussi se comprendre comme un moment d’affirmation et d’extension d’un courant d’opinion encore diffus, mais qui s’oppose de plus en plus à la logique productiviste, qui rejette le chantage à l’emploi et à la « bonne santé » des entreprises pour accepter n’importe quoi dès lors que cela relancerait la machine à fabriquer des profits (voir l’article sur l’Italie dans ce numéro). Un mouvement qui, en creux ou explicitement, dessinerait un courant refusant de se laisser imposer des décisions dangereuses et mortifères permettant ensuite de justifier un Etat sécuritaire et une course sans fin au consumérisme, à la rentabilité et à notre adaptabilité optimale aux sources et mécanismes de la réalisation des profits, parce que, n’est-ce pas, « on n’a pas le choix » ! ; un mouvement qui, à partir des luttes de site, des mobilisations solidaires et des refus déterminés manifestés dans de multiples initiatives locales, repose, précisément, la question du choix de société, de ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, de ce qu’il est convenable et souhaitable de faire et ce dont il est préférable de se débarrasser sans attendre.
OCL