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Egypte/Tunisie

Les bouts de baguette des militaires et les dimensions sociales de la révolution.

jeudi 11 juillet 2013, par admi2


Voir en ligne : http://habibayeb.wordpress.com/2013...

Les bouts de baguette des militaires et les dimensions sociales de la révolution.
Posted on juillet 4, 2013 par Habib Ayeb

Les bouts de baguette des militaires et les dimensions sociales de la révolution.

@Habib Ayeb

Le 14 janvier 2011, j’étais avec des milliers de tunisiens devant le ministère de l’intérieur, situé au bout de l’avenue Bourguiba à Tunis. A quelques mètres de là sur la place de l’horloge, se tenaient des dizaines de militaires, dont un certains nombre de hauts gradés. Ils observaient la situation sans intervenir directement et à ce moment précis, personne ne savait de quel coté ils penchaient.

Pendant que les manifestants criaient « dégage, dégage » en fixant des yeux le ministère en face, un militaire haut gradé (probablement un général) s’est avancé vers les manifestants en grignotant tranquillement un bout de baguette et s’est faufilé au milieu de la foule. Une fois entouré par les manifestants, il s’arrêta un moment, repri une bouché de baguette, regarda au tour de lui et lança à voix basse « tenez bon, n’ayez pas peur, l’armée est avec vous », avant de repartir rejoindre ses collègues. Le « message » mystérieux traversa immédiatement la foule, accompagné de dizaines de questions : qui était ce militaire ? De qui précisément émanait le message ? Le militaire était-il envoyé par Rachid Ammar, chef des armées ? Etait-ce un geste personnel d’un homme ou un message codé envoyé par une armée qui aurait déjà décidé de se mettre du coté du peuple ? Etait-ce un piège ? Une provocation pour mieux justifier une répression ? En quelques minutes, j’ai entendu toutes ces questions et bien d’autres, ainsi que les multiples réponses, suppositions… Et la foule reprendri ses cris « dégage, dégage… »

On sait, depuis, la suite des évènements et le rôle que l’armée a joué pour forcer Ben Ali à abandonner le pouvoir et pour « faciliter » une transition, somme toute, pacifique. On sait aussi comment les tunisiens, toutes tendances confondues, ont « célébré » et remercié les militaires. Malgré toutes les dérives et la lenteur de la transition et ses moments les plus difficiles, Rachid Ammar reste encore, aux yeux d’une grande partie de la population, un leader et un « libérateur du peuple ». Certains n’ont pas hésité à le comparer à un De Gaule…

Quelques jours après, je me suis rendu au Caire et précisément à Midan tahrir où j’ai assisté/participé à deux ou trois grandes manifestations – « millionnaires » – avant et après la chute de Moubarak. Je me rappelle encore des cris de la place « El Gueich we Echa3b Eid Wahda » (littéralement, l’armée et le peuple, une seule main), ce qui me semblait une erreur et une aberration. Si je comprenais ce genre de « débordements », induits par l’enthousiasme et la volonté collective d’amadouer l’armée et d’éviter tout affrontement avec elle, cette formule m’a semblé et me semble toujours une erreur politique. L’armée et le peuple peuvent évidemment se retrouver sur des intérêts communs, mais ne seront jamais « une seule main ». La prise du pouvoir par l’armée (rappelez vous du SCAF) et la répression féroce, qu’elle n’a pas hésité à exercer contre les manifestants en allant jusqu’à arrêter des jeunes femmes pour vérifier leur virginité… On se rappelle aussi comment les militaires ont tout fait pour éviter à Moubarak, leur homme, un véritable procès. On sait comment ils ont joué et négocié avec les Frères Musulmans avant de leur céder le pouvoir, en contre partie du maintien de l’ensemble des privilèges politiques et financiers dont ils bénéficient depuis le coup d’Etat (révolution ?) de Nasser…

On connaît la suite de l’histoire, depuis le 14 janvier en Tunisie jusqu’à hier soir au Caire. Des kilomètres d’articles, de livres, de films, ont été « publiés » sur le sujet qui a aussi fait objet de des centaines de rencontres académiques, médiatiques ou « militantes ». Pourtant, à l’exception de quelques rares « analystes » et « politiques », personne n’a parlé de « coup d’Etat » pour évoquer le rôle de l’armée tunisienne et de l’armée egyptienne dans la chute des dictatures de Ben Ali et de Moubarak. Mais nombreux ont souligné et souvent condamné, à juste titre, la prise du pouvoir par l’armée egyptienne et sa politique répressive exercée contre celles et ceux même qui criaient à la veille et au lendemain de la chute de Moubarak « l’armée et le peuple, une seule main »…

Depuis hier soir, on assiste à un scénario comparable à ce qui s’est passé le 11 février 2011. Dans les deux cas, l’armée force le président en exercice à abandonner son poste. Dans les deux cas, l’armée se justifie par le « devoir » de protéger le « peuple » et la « nation ». Dans les deux cas, Midan Tahrir a fait la fête jusqu’au petit matin.

Mais cette fois ci, quelque chose marque une différence. Avant même l’annonce de la destitution du président élu Morsi, beaucoup d’egyptiens, de tunisiens et d’observateurs « étrangers », ont parlé de « coup d’Etat ». Sur d’autres places du Caire, des milliers d’egyptiens ont scandé, en vain, leur soutien à Morsi au nom de la « légitimité ». A cela, plusieurs explications. La plus importante à souligner est qu’indiscutablement rien ne permet de comparer Morsi à Moubarak. Certes les Frères Musulmans et Morsi, arrivés au pouvoir par une élection « démocratique », ont commis des erreurs politiques et stratégiques monumentales. Certes, ils ont réussi, en très peu de temps, à décevoir ceux-là même qui avaient voté pour eux, il y a à peine quelques mois, les poussant à se ranger dans l’opposition. Certes, Morsi a fait l’erreur « fatale » de n’avoir pas compris l’ampleur de la contestation qui a réussi à réunir des millions (pas moins d’un egyptien sur quatre) dans les places et les rues de toute l’Egypte, le 30 juin 2013. Cette erreur politique lui coûte aujourd’hui son poste, grâce/à cause de l’armée qui a tiré la « bonne » leçon de la manifestation monstre du dimanche dernier (30 juin).

L’armée en profite, encore une fois, pour revenir au devant de la scène. Ce sont là les arguments de celles et ceux qui parlent, depuis hier, de « coup d’Etat ».

Pourtant, sans faire aucune comparaison ni rapprochement entre un Morsi élu et un Moubarak, dictateur qui « s’est élu tout seul », je ne vois pas une différence politique fondamentale entre le rôle joué par l’armée Egyptienne hier et celui joué par la même armée le 11 février 2011. Dan les deux cas, l’armée a pris « sa » décision de changer les règles du jeu, en forçant le pouvoir à laisser sa place. Ni hier ni aujourd’hui, l’armée ne s’est découverte une « âme » révolutionnaire. Ni hier ni aujourd’hui, l’armée n’abandonne ses privilèges. Ni hier ni aujourd’hui l’armée n’a l’intention de « donner » le pouvoir au peuple en révolution. Ni hier ni aujourd’hui l’armée ne semble avoir compris qu’on assiste à de véritables processus révolutionnaires profonds, longs et complexes qui se nourrissent depuis des années et pas seulement depuis 2011, des privations politiques, sociales et économiques, dont souffre une large partie de la population. Aujourd’hui, comme hier, l’armée egyptienne tentera d’imposer sa propre vision, sa propre stratégie et sa propre « lecture » de l’histoire et de la société.

Au mieux elle se contentera d’un transfert « bien négocié » du pouvoir à des « civiles ». Au pire, elle retentera de jouer directement, comme elle l’a fait au lendemain de la chute de Moubarak, avec les conséquences et les résultats qu’on connaît.

Dans tous les cas, hier l’intervention de l’armée ne mettra pas fin aux processus révolutionnaires en cours. Qu’elle cède le pouvoir ou qu’elle s’accroche, on assistera, sans aucun doute, à de nouvelles manifestations et à de nouvelles mobilisations contre le pouvoir qui se sera installé.

Pourquoi ?

La réponse, est dans une « bonne » analyse du tammarod (le mouvement de rébellion, qui a recueilli plus de 22 millions de signatures, d’après ses « animateurs »). Il faudra certainement plus de temps et plus de recul pour proposer de vraies analyses qui en abordent l’ensemble des dimensions. Mais il me semble déjà possible de proposer quelques pistes de réflexion. Les 22 millions de signataires, dans un pays qui –ne – compte – que- 82 millions de citoyens, dépasse très largement « l’élite » egyptienne et même l’ensemble de la « classe moyenne » supérieure. Ce nombre, n’aurait jamais pu être atteint sans l’adhésion massive de millions d’egyptiens issus des couches populaires, avec ce qu’elles comptent de paysans, de chômeurs, de travailleurs à bas revenus, d’exclus et de marginalisés. J’oserai même penser que la majorité des signataires mobilisés dans ce mouvement contestataire est certainement d’origine « populaire ». Nombre d’entre eux avaient de toute évidence voté pour les FM et pour Morsi.

Mais ce qui me semble aussi important à souligner et à bien analyser, si l’on veut comprendre ce qui s’est passé ces trois derniers jours, c’est l’origine de la déception de ses millions d’egyptiens qui sont descendus dans la rue le 30 juin. Depuis le milieu des années 2000 et jusqu’à aujourd’hui, en passant par janvier et février 2011, la contestation sociale ne s’est jamais arrêtée et n’a cessé de s’accroitre jours après jour et semaine après semaines. Si l’on se limite à la période post-Moubarak, des centaines de grèves et de sit-in ont été organisés chaque semaine du Caire au dernier village egyptien (on assiste à la même chose en Tunisie). Les contextes changent d’un lieu ou d’un secteur à un autre, mais les demandes sont toujours les mêmes : revenus, travail, services, ressources, logements, infrastructures, hôpitaux, écoles et Dignité. Tous les gouvernement successifs ont tenté de les interdire, de les réprimer ou d’y répondre avec des concessions provisoires et ciblées, sans réussir à les arrêter, bien au contraire.

J’ai eu la chance d’être en Egypte, il à peine quelques semaines, et j’ai pu constaté, non sans surprise – je dois l’avouer –l’ampleur de la mobilisation pour Tamarrod, notamment dans les petits villages ruraux. J’ai passé plusieurs jours à sillonner le Delta et le Fayoum, pour les besoins d’un travail en cours, et j’ai pu réaliser ainsi combien ce mouvement dépassait très largement les centres urbains, les classes moyennes aisées et les « élites ». Je ne me rappelle pas d’une seule fois où les personnes rencontrées (sur rdv ou spontanément), notamment des paysans, n’aient pas exprimé leur insatisfactions et leur mobilisation contre le pouvoir des FM et de Morsi, alors même qu’un grand nombre d’entre eux avaient voté pour ces derniers lors de toutes les élections organisées depuis 2011. Ces personnes ne sont pas devenues moins – ni plus – religieuses. Mes interlocuteurs ne se sont pas découverts des « tendances » rebelles et encore moins révolutionnaires. J’oserai même affirmer qu’ils n’ont pas de revendications particulières concernant les libertés politiques et individuelles.

Non, ils ont juste l’impression d’avoir été oubliés dès le lendemain des élections. Ils vivent moins bien et gagnent leur vie beaucoup plus difficilement qu’avant. Ils se sentent tous, ou presque, encore plus exclus qu’avant. A chaque fois, ils se sont précipités pour nous montrer leur « feuille » d’adhésion à tamarrod. Ce sont ces gens là qui ont remplis les rues et les places egyptiennes le 30 juin. Ce sont ces gens là, qui participent à maintenir et à nourrir le processus révolutionnaire, parce qu’ils sont convaincus de leur droit à une vie « digne »… parce qu’ils ont des demandes sociales et économiques qu’ils savent incontestables… parce qu’ils mettent un contenu clair dans le mot « droit ».

Que certains politiciens, observateurs, journalistes, militaires, experts et chercheurs ne les voient pas et les ignorent intentionnellement ou non, ça n’a rien d’étonnant ni de surprenant… Mais on peut toujours compter sur toutes celles et ceux qui militent pour l’ensemble des droits politiques, certes, mais aussi/surtout économiques, sociaux et environnementaux pour empêcher des dictatures de s’installer durablement dans cette nouvelle Egypte. S’ils continuent à les ignorer, les responsables d’aujourd’hui, en uniforme ou en « civile », n’auront jamais la paix des « vainqueurs ».

Comme hier, il y aura de nouveaux 14 janvier, de nouveaux 11 février et de nouveaux 3 juillet en Egypte, en Tunisie et fatalement ailleurs.

Même si ça lui ressemble fort par beaucoup d’aspects, ce qui s’est passé hier n’est un pas un coup d’Etat militaire. Les militaires n’ont pas choisi d’agir, ils y ont été forcés et obligés par les millions d’egyptiens qui ont manifesté et manifestent encore massivement depuis dimanche 30 juin 2013.

Ce qui s’est passé hier n’est pas la « seconde » révolution. Ce qui s’est passé hier, c’est juste le processus révolutionnaire qui continue beaucoup plus pour de véritables droits justes que contre Morsi, hier, ou Ghannouchi, demain.

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