mercredi 4 mai 2016, par
EDITO PAGE 3
MOUVEMENT SOCIAL
PAGE 4 Loi travail : aléas nec mergitur
PAGE 6 Lacrymos, grenades offensives et voltigeurs
PAGE 7 Les réformes du travail en Europe (suite)
PAGE 8 Plus de deux semaines de grève générale à Mayotte
IMMIGRATION : CALAIS
PAGE 10 L’impasse calaisienne
PAGE 14 Accord UE - Turquie : externaliser pour mettre fin au droit
d’asile
VERTEMENT ÉCOLO PAGE 15
BIG BROTHER PAGE 16
EDUCATION
PAGE 18 Quand le patronat se pique de pédagogie, c’est Taylor qui
frappe à la porte de la classe ...
NUCLÉAIRE
PAGE 20 Grand jeu de Monopoly chez les nucléocrates
SOCIAL
PAGE 22 Linky, Restons cons, refusons les « compteurs intelligents »
L’ÉCONOMIE EN BRÈVES PAGE 23
AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
PAGE 24 Notre-Dame-des-Landes - l’État se prend les pieds dans le
tapis
INFOS DIVERSES PAGE 26
INTERNATIONAL
PAGE 28 Plus que jamais, boycottons les produits israéliens !
PAGE 30 Situation des luttes en Espagne : impasse politique et reflux
social
Le printemps social reste à construire ! A l’heure où cet édito est écrit, et même si la manifestation du 28 avril va sûrement rassembler du monde, le mouvement contre la loi Travail n’est pas encore assez fort pour peser dans le rapport de force et espérer une victoire qui serait pourtant nécessaire. Car pour le moment, les « troupes » semblent encore très dispersées, la faute à un calendrier social que l’on ne comprend pas : les cheminots font grève le mardi 26 avril mais repartent travailler le lendemain, pas d’appel à la reconduction de la grève, appels dispersés à la convergence à l’occasion des Nuits Debout ou encore du 1er mai ... un dimanche ! Directions syndicales et leaders médiatiques soufflent le chaud et le froid et rien ne s’enflamme.
Depuis le 9 mars, début réel de la mobilisation à l’issue d’une pétition internet, ce sont les jeunes qui ont pris la tête de la contestation de la Loi El Khomri. Prenant conscience du devenir professionnel que le gouvernement leur réserve à base de « flexi-précarité », ils sont en première ligne et se mobilisent chaque semaine devant les lycées, dans les universités mais aussi grande nouveauté, sur les places des Nuits debout. En face, l’État à la sauce PS tombe le masque de la social-démocratie pour montrer son vrai visage : celui d’une bourgeoisie au service de la course frénétique du Capital, incarnée entre autres par le MEDEF qui demande toujours plus « d’ efforts » pour réduire les quelques droits des travailleurs afin de les pressurer un peu plus. Ce hold-up libéral n’est pas que français mais concerne l’ensemble des travailleurs européens à qui on demandera de plus en plus à faire des contrats « zéro-heure » (voir p 7). Et pour les socialistes, l’heure n’est plus au dialogue social (à part avec la CFDT qui a choisi son camp) car il n’y a plus de compromis possible, l’affrontement de classe devient inévitable et les premiers coups sont donnés comme toujours par l’État qui a ordonné une répression brutale et calculée dès les premiers soubresauts estudiantins pour espérer casser toutes velléités (voir p 6). Mise à part, une affiche d’un syndicat de la CGT qui condamne et dénonce les violences policières, les syndicats ne se mouillent pas trop et laissent les jeunes se faire taper et embarquer dans les manifs.
Devenues des points de fixation et de réappropriation politiques, les « Nuits debout » sont la nouveauté de ce mouvement. Parties d’une idée du journal Fakir, des intermittents en lutte et d’altermondialistes comme ATTAC, ces assemblées générales sous le modèle de ce qui s’est déjà fait en Espagne avec les Indignados ont réussi à prendre racine place de la République à Paris, depuis le 31 mars puis en province même si l’ampleur est moins importante qu’à la capitale. Ces occupations de places sont devenues la tribune de tous les mécontentements pour le meilleur comme parfois pour le pire. En effet, les débats très longs qui s’attardent beaucoup sur les modalités de ce nouveau démocratisme (signes de main multiples, commissions tout aussi multiples, etc) ne doivent pas occulter la lecture de classe, essentielle pour essayer de construire un réel mouvement de contestation. Lutter contre la loi « Travaille » reste une priorité et un objectif intermédiaire mais indispensable pour recréer un rapport de force, seul capable d’abroger la loi et pourquoi pas de changer la société. Il ne s’agit pas ici de minimiser les autres aspirations et les autres luttes mais de jouer stratégique et de construire un réel mouvement de base et de classe qui mettra à mal le libéralisme, le sexisme, le racisme, le productivisme, etc, etc.
Car pour le moment, force est de constater que tout le monde reste à sa place (voir notre analyse plus fine p 4) et il n’y a pas encore de débordements de la base. Les directions syndicales (sans exagérer leur importante vu le taux de syndicalisation en France) font leur job en contrôlant le salariat qui reste encore bien sage et cloisonné. Que font les salariés et les syndicats qui ne sont qu’à leur 4eme grande grève et qui organisent leur journée de mobilisation comme sur du papier à musique : le 9, 31 mars, 9 avril et 28 avril ? Deux journées par mois, est-ce suffisant quand des jeunes occupent la rue et prennent les coups ? Les centrales syndicales diluent leur responsabilité derrière des excuses bidons : les vacances scolaires par ci, la tenue du congrès de la CGT entre le 18 et le 22 avril par là ou encore les luttes sectorielles dans le rail ou chez les intermittents. La grève spécifique des cheminots, par rapport à la casse de leur statut le mardi 26 avril aurait du se généraliser à la casse générale du droit du travail et même se reconduire jusqu’au moins la manifestation du jeudi. Il y a encore du boulot !
Et pourtant, des tentatives de convergence existent. Début avril, des jeunes de la Nuit debout sont allés soutenir les cheminots à la gare Saint Lazarre pour contrarier un comité d’entreprise relatif à la réforme du rail. Des cheminots, des intermittents, des Goodyear, etc sont aussi invités aux AG étudiantes. Une commission « convergence des luttes » a vu le jour place de la République et appelle les étudiants et les salariés à se réunir en fin de manif pour échanger et discuter. Enfin, quand il y a besoin de coup de main au métro Stalingrad pour protéger les sans-papiers installés là, des centaines de personnes se mobilisent pour contrer les tentatives d’expulsion de la police. Les liens se tissent mais cela reste compliqué. Or cette convergence des luttes est essentielle pour que ce mouvement devienne un réel mouvement social. Les ingrédients sont là : quand on voit 9 anciens salariés de GoodYear se faire condamner par l’État « socialiste » à de la prison ferme pour une action de résistance contre leurs patrons-voyous ; quand on voit le scandale des « panama papers » où des patrons et des politiques planquent la thune qu’ils se font sur notre dos ; quand on voit la chasse faite aux sans-papiers partout et particulièrement à Calais qui est devenu un camp (voir dossier p 10-14). Mais il manque un liant pour que tout cela monte et s’agrège en une révolte généralisée contre cet état d’urgence économique, politique, policier dans lequel on veut nous mettre et nous discipliner. La grève générale au delà d’un mot d’ordre doit devenir une réalité comme à Mayotte qui est en lutte depuis des semaines sans que personne n’en parle (voir p 8).
« La route reste longue et semée d’embûches » peut-on deviser et il suffit de s’intéresser à ce qu’on fait les camarades espagnols depuis 2011 (voir p 30) ou encore de se rappeler du CPE, il y a 10 ans qui a mis des mois à obtenir l’abrogation de la loi (qui était même promulguée quelques jours avant). Rappelons-le aussi, il est inutile de succomber au discours citoyen des élections à venir car là encore nos camarades à l’international peuvent témoigner de l’issue fatale de ce genre de processus. Que ce soit en Espagne avec Podemos, en Grèce avec Syriza et peut-être demain avec un hypothétique Front de Gauche, la traîtrise politique est au bout de ce chemin. Reste l’État et sa répression aveugle qui veut effrayer et diviser les opposants entre violents et non violents pour mieux étouffer la colère sociale qui pourtant à tous les droits de s’exprimer de toutes les manières possibles. Une chemise arrachée ou un distributeur de billets esquinté ne sont pas grand chose à côté de la violence d’un licenciement, de la précarité et de la pauvreté. Ainsi la lutte qui reste à construire doit éviter ces écueils et monter en puissance. Pour paraphraser Thatcher, il y a aussi dans notre camp aucune alternative possible car une défaite de plus replongerait le mouvement social dans des années d’atomisation et de répression. Aujourd’hui, là où on habite et où on travaille ou pas, c’est le moment de se rassembler et de lutter ensemble pour nos intérêts et pas les leurs et pour finalement mettre en pratique un communisme de base sans ordre venant de Moscou ou d’ailleurs mais pourquoi pas en s’inspirant des luttes en cours dont ce modeste journal essaye de s’en faire l’écho.
OCL- Lille, le 27 avril