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Courant Alternatif 303 octobre 2020

Que se passe-t-il donc au Mali ?

dimanche 18 octobre 2020, par OCL Reims


Un peu d’histoire
Le Mali est un pays très pauvre, 120ème PIB mondial, 188ème en terme de PIB par habitant, il est classé 182ème en terme de développement (le tout sur 212 pays). C’est un pays enclavé entouré de pas mal de pays (Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, Algérie, Mauritanie et Guinée) et en grande partie désertique. C’est un grand pays, il fait deux fois la France, pour environ 20 millions d’habitants dont 2,5 millions à Bamako (si on peut se fier aux statistiques), la capitale.
C’est pourtant un pays qui a un certain rayonnement en Afrique de l’ouest, notamment parce que c’est le berceau du plus grand empire qu’ait connu la région, l’empire du Mali, aux 13ème - 14ème siècles. Cette tradition restée très forte explique peut-être qu’au-delà de ses 13 langues reconnues (en plus du français, langue officielle), ce pays pouvait s’enorgueillir jusqu’à très récemment d’une grande paix civile, sauf en ce qui concerne les touaregs, bien sûr.
Devenu indépendant comme tout le monde en 1960, son premier président a été Modibo Keïta, qui a tenté de construire l’indépendance du pays et notamment de prendre des distances avec la France et d’oeuvrer pour le panafricanisme. Il a donc été renversé par un coup d’Etat en 1968, par Moussa Traore dont la dictature a duré jusqu’en 1991. On peut parler alors d’une révolution ou en tous les cas d’un début de guerre civile, le principal pont de Bamako s’appelle encore le pont des Martyrs, en hommage aux étudiants contestataires qui y sont morts, qui s’est achevée par un coup d’Etat (eh oui, déjà !) qui a mis fin à la dictature et instauré une période de transition en promettant de rétablir la paix et de mettre en place des élections, ce qu’il a fait, élections auxquelles l’auteur du coup d’Etat ne s’est même pas présenté (si si !).
Dès le départ, la démocratie a été entachée par la corruption, qui existait bien sûr du temps de la dictature, mais qui s’est en quelque sorte démocratisée. Ceci dit, des efforts de développement ont été entamés (construction de routes, de ponts, mise en place d’un réseau d’eau potable dans les villes, implantation d’écoles, de dispensaires, etc.). Le président, Alpha Omar Konaré, a fait ses deux mandats, puis c’est l’auteur du précédent coup d’état, très populaire à l’époque, Amadou Toumani Touré (ATT pour les Maliens), qui s’est présenté et a été élu en 2002. Néo-colonie sous la tutelle de la France, le Mali avait quand même conservé de son histoire récente l’absence de base militaire française et le refus de signer les accords concernant les sans papiers.
Dès le départ aussi, le problème du Nord, c’est-à-dire en fait le problème touareg, s’est posé. En effet, l’animosité entre les touaregs et les autres peuples du pays a toujours été importante, du fait notamment d’un passé esclavagiste et de razzias, du fait aussi de la traditionnelle opposition entre nomades et sédentaires, et dès que la poigne de la dictature se desserre, cette animosité s’exprime. De plus, cette région est la plus pauvre et la moins développée. Des accords ont alors été conclus, incluant des touaregs dans l’armée et à des postes importants.
Enfin, la Libye a commencé à avoir une influence grandissante sur le pays, les investissements de Khadafi étant très recherchés. L’Arabie Saoudite aussi a étendu son influence, c’est le roi Fahd qui a construit le 2ème pont de Bamako. Beau concentré de géopolitique, le 3ème et dernier pont est chinois.

Le terrain de jeu de la France
Pour être complet, il faudrait dire terrain de jeu de la France et de l’Algérie, pays avec lequel il y a une frontière importante. Une frontière dans un désert peuplé de nomades est une frontière qu’utilisent les terroristes et les bandits quand ils sont pourchassés. L’Algérie s’est débarrassée d’une partie de son problème terroriste et de son problème touareg sur le nord du Mali.
En 2011, quand Nicolas Sarkozy s’est amusé à jouer le chef de guerre en Libye, le gouvernement savait très bien qu’il allait ainsi déstabiliser l’ensemble de la région. Notamment une partie des touaregs au service de Khadafi partent avec armes et bagages et se replient sur le nord du Mali, région nettement moins bien armée et plus pauvre qu’eux. Ce qui était prévisible arriva, début 2012, le MNLA (mouvement national de libération de l’Azawad, séparatistes touaregs) s’allie avec Ansar Dine, Mujao et Aqmi (groupes djihadistes/trafiquants touaregs en partie venus de Libye et d’Algérie) pour attaquer l’armée malienne, et ils gagnent.
Le président ATT était de plus en plus critiqué pour sa gestion de cette affaire, et soupçonné de connivence avec les touaregs. Notamment, il avait nommé ambassadeur en Arabie Saoudite un des chefs rebelles. Un mouvement de contestation de l’armée (mené par les femmes des militaires) a commencé après le massacre d’Anguelhok où plus de 100 militaires ont été égorgés. En mars 2012, à un mois de la fin du mandat d’ATT qui ne se représentait plus, il est renversé par un coup d’Etat mené par des sous-officiers. La rébellion touareg s’empare du nord qui est conquis au début de l’été, le MNLA proclame l’indépendance de l’Azawad, mais est chassé de Gao par les islamistes. Ces derniers entament leur progression vers le sud. Entre temps, la France avait positionné ses troupes au Niger pour protéger ses mines d’uranium., qui sont à la frontière avec le Mali.
En janvier 2013, les djihadistes prennent Konna, c’est-à-dire que la voie vers Bamako est ouverte. La France décide alors d’intervenir. C’est l’opération Serval devenue ensuite opération Barkhane. Ibrahim Boubakar Keïta (IBK pour les Maliens) est élu en août 2013. C’est lui qui vient d’être renversé.

Une exaspération croissante contre la présence militaire française et la corruption
L’intervention militaire française a d’abord été accueillie avec soulagement. La population n’avait pas du tout envie d’être sous la coupe des bandits djihadistes. Il faut bien voir que ce sont avant tout des bandits dans le sens classique du terme, des trafiquants, et c’est ce qui fait leur richesse. Le vernis religieux légitime la terreur qu’ils exercent sur la population. Et le courant de l’islam auquel ils prétendent se référer ne colle pas du tout avec la pratique religieuse telle que la conçoit la majorité de la population, une pratique rigoureuse en ce qui concerne les piliers de l’islam, mais fortement teintée de traditions proprement africaines et plutôt tolérante, en tous les cas conciliante dans son esprit.
Dans un premier temps, la France (et les troupes tchadiennes) ont remporté des victoires contre les rebelles et ont commencé à reprendre le nord. Mais dans le même temps, des négociations ont commencé avec les groupes du nord, dont la France n’est pas officiellement partie prenante mais est quand même la cheville ouvrière, les « accords d’Alger  », signés en 2015. Ils sont terriblement compliqués. Un article recense 9 groupes armés signataires, 6 qui auraient souhaité y être inclus et 7 groupes djihadistes... Tous ces groupes un peu mouvants s’interprètent en terme de clans et de types de trafics bien sûr.
La France a visiblement cherché à jouer son propre jeu et à négocier séparément avec les touaregs. Le filon d’uranium du Niger ne s’arrête sûrement pas à la frontière, pas plus que le pétrole algérien. Le tout avec son habituel mépris colonial et l’habileté d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. L’armée malienne a été interdite d’entrer à Kidal et même les personnalités politiques nationales doivent demander l’autorisation pour pouvoir y aller. Lorsque Macron est allé présenter ses vœux aux militaires français au Mali, non seulement il n’a demandé aucune autorisation de survol, mais il n’a même pas prévenu les autorités indigènes.
Ces humiliations très mal vécues ont renforcé la méfiance vis à vis d’accords qui ressemblent beaucoup aux précédents : promesses de morceaux de pouvoir aux chefs rebelles, et argent à empocher sous couvert d’aide au développement. Ce qui permet auxdits chefs de mieux asseoir leur pouvoir, et encourage à la création de nombreuses factions armées pour récupérer les miettes distribuées.
Et c’est un des motifs de la colère des Maliens qui assistent à la désagrégation de leur pays avec la constitution de groupes armés ethniques, les uns catalogués islamistes les autres loyalistes, mais là n’est pas vraiment le problème, le problème c’est la multiplication des conflits interethniques ou intervillageois. Le gouvernement est accusé d’avoir financé des milices qui ne font qu’aggraver le problème. Il y a eu des scandales de villages encerclés appelant l’armée à l’aide en vain, celle-ci n’arrivant pas à obtenir d’ordres d’intervention. Massacres sous l’oeil de l’armée française. Les peuls notamment ont été laissés complètement à l’abandon, du fait qu’il existe aussi des groupes peuls djihadiste. Les populations déplacées ne survivent que grâce à l’aide que collecte la population, notamment à Bamako.
Des protestations importantes contre la corruption ont eu lieu à travers tout le pays. Ce qui scandalise évidemment beaucoup dans ce contexte, ce sont les soldats mal armés et mal nourris du fait de la corruption de leurs généraux. Alors qu’il y a des cérémonies pour chaque soldat français tué, le gouvernement prétend ne pas avoir le budget pour le rapatriement des corps des nombreux soldats maliens morts au combat. Le fils d’IBK notamment, que son père a placé à la tête de la commission de défense, est accusé d’avoir détourné l’argent destiné à l’armement. Des vidéos ont beaucoup tourné sur les réseaux sociaux le montrant en train d’organiser des fêtes luxueuses pendant que les soldats meurent.
Il faut souligner à ce sujet le rôle des réseaux sociaux. Bien sûr, ils sont présents essentiellement en ville et surtout dans les classes moyennes, mais ils se sont beaucoup généralisés. En effet, les communications téléphoniques sont très chères, et un réseau comme whats app par exemple permet aux émigrés de communiquer gratuitement avec leur famille. De plus, il permet d’envoyer des images, ce qui est quand même très pratique quand la population est faiblement alphabétisée. Donc, beaucoup de nouvelles, vraies et surtout fausses, de discours, de débats, de prêches, circulent sur ces réseaux. Bien sûr, les campagnes ne sont pas équipées, mais elles ont des radios locales assez vivantes. Et l’avantage des réseaux et des radios, c’est que ça permet de communiquer en bambara ou autre, donc de rendre infos et débats accessibles à tous et toutes.

Un pouvoir très contesté
Les dernières élections présidentielles, en 2018, ont été marquées par des fraudes massives et ont été contestées dans la rue pendant un moment. Les élections législatives en mars dernier aussi. L’opposant malheureux d’IBK en 2018, Soumaïla Cissé, député du nord, a été enlevé pendant sa campagne électorale. On ne l’a toujours pas retrouvé aujourd’hui. Une trentaine de résultats ont été invalidés au profit du pouvoir, ce qui a mis le feu aux poudres. A nouveau, un mouvement de protestation s’est développé, mais cette fois-ci avec l’appui de l’iman Dicko, un iman très influent dans le pays qui avait soutenu IBK en 2013 (mais pas en 2018). Ce mouvement est unifié sous le nom de « M5-RFP » ou Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques, le 5 juin étant la première date d’une série de manifestations. Le M5-RFP réclamait la dissolution du Parlement malien, la formation d’un gouvernement de transition dont il désignerait le Premier ministre, ainsi que le remplacement des neuf membres de la Cour constitutionnelle, accusée de collusion avec le pouvoir. Le 10 juillet, il a appelé à la désobéissance civile et les manifestants ont occupé des lieux symboliques du pouvoir. La répression a été sanglante, plus d’une vingtaine de morts, dont certains tués jusqu’à l’intérieur de la mosquée de l’iman Dicko.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.(Cédéao) est venue tenter une médiation, et notamment demander qu’ils retirent leur revendication de dissolution du parlement. Il faut dire que beaucoup de ces chefs d’Etat sont en train de tenter un renouvellement de leurs mandats au-delà des limites posées par leur constitution. Mais enfin, pour vous donner une idée de l’ampleur de la crise, c’est un peu comme si l’Union Européenne s’était sentie obligée de dépêcher une délégation auprès des gilets jaunes pour qu’ils cessent d’exiger le départ de Macron....
Et donc, alors que la situation semblait bloquée, le 29 août, ce coup d’Etat. Condamné par la « communauté internationale », il a, vous vous en doutez, été accueilli plutôt favorablement par la population. Visiblement bien préparé, il y a eu zéro mort. Organisé depuis Kati, principal centre militaire du pays, il a été mené par des colonels.
Ils ont annoncé qu’ils allaient amorcer une transition démocratique dont ils ne pouvaient pas présenter le contenu tant qu’ils n’avaient pas discuté avec les représentants politiques et ceux de la « société civile ». Entretiens qu’ils ont commencé très vite. Ils refusent le terme de coup d’Etat, et se se présentent comme le « comité national pour le salut du peuple ». Ils récusent tout lien avec le M5-RFP mais précisent leur accord avec les critiques qu’ils ont apportées au pouvoir.
Leur marge de manœuvre est étroite au vu de la présence de l’armée française. Ils ont notamment dû annoncer qu’ils respecteraient les accords d’Alger et ils ont relâché IBK, dont chacun sait qu’il est gravement malade depuis un moment et probablement au bout de sa vie. A noter que la France avait réclamé sa libération mais oublié de réclamer son retour au pouvoir. Les ministres et hauts fonctionnaires les plus connus pour leur corruption sont par contre toujours détenus.
Et la guerre « contre le terrorisme  » dans tout ça  ? Les avions et armes qui étaient bloqués à Kati, très très loin du nord donc, sont maintenant opérationnels sur le front. Il semblerait que l’armée malienne aie remporté quelques victoires dans le nord. Il se raconte à Bamako qu’au lieu d’attendre les ordres des Français, maintenant l’armée malienne est renseignée par les Russes, ce qui lui permet de mener ses propres attaques. Et de gagner. Il est exact qu’un des mutins revenait d’un stage de formation en Russie. On peut bien sûr avoir des doutes sur les capacités de cette armée très décriée, mais c’est chez eux et ils connaissent le terrain.
La Cédéao a annoncé des sanctions et notamment la fermeture des frontières, ce qui peut faire très mal à un pays enclavé. Mais il n’est pas certain qu’elle aie les moyens de sa politique  : le Mali est le principal exportateur de mouton d’Afrique de l’Ouest, et cette décision peut créer des pénuries alimentaires importantes dans les pays de la Cédéao.
Pour le moment, la réaction de la France est plutôt modérée. Elle se mord sans doute les doigts d’avoir porté IBK jusqu’au bout. Et peut-être y voit-elle l’occasion de se dégager de ce bourbier ?

En tous les cas, ce n’est pas dictature contre démocratie. Par contre, on peut se demander si la démocratie est quelque part dans cette histoire. L’avenir est difficile à prévoir. Au-delà des péripéties institutionnelles (modalités de la transition, date des élections...), la question est plutôt de savoir si le Mali va pouvoir reprendre son destin en mains, régler pacifiquement tous les mini-conflits qui risquent de dégénérer en guerre civile, et surtout se mettre à l’abri de bandes armées riches et bien équipées qui arrivent par vagues, comme dégât collatéral de cet autre terrain de jeu des grandes puissances que sont le Proche Orient et la Libye.
A suivre donc...
Sylvie, le 20 septembre 2020

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