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Courant Alternatif 304 novembre 2020

Bilan de la marche des sans-papiers

mercredi 25 novembre 2020, par admi2

A nouveau, les sans-papiers ont fait preuve de leur détermination et de leur capacité de mobilisation dans une période marquée par une léthargie du mouvement ouvrier presque aussi importante que l’agressivité de l’offensive de la bourgeoisie. La marche, partie de Marseille, Montpellier, Strasbourg, Lille et Rennes, a convergé le 17 octobre pour une manifestation d’une journée à partir des portes de Paris, de Montreuil et d’Italie. Le pari n’a cependant pas été suffisamment réussi pour marcher sur l’Elysée.


L’acte 3 de la mobilisation

Il s’agissait de rebondir à partir des mobilisations du 20 mai et du 30 juin pour aller plus loin. En effet, alors que beaucoup de pays ont procédé à des vagues de régularisations pendant cette crise sanitaire, la France persiste à enfermer dans les CRA (Centres de rétention administrative) les sans-papiers, alors même que les vols internationaux sont suspendus. Ces deux manifestations ont été les plus importantes de la période, à la mobilisation contre les violences policières près. Quelle a été la réponse ? Rien  ! Pas un geste de l’administration et silence des médias. C’est pourquoi il s’agissait de monter un cran au-dessus.

Ce cran au-dessus, c’était tout d’abord d’organiser cette marche à travers la France, pour montrer que la solidarité existait, pour souligner le mal-logement et dénoncer les expulsions en passant par des squats et des CRA. Ce qui a été fait dans de multiples endroits. La marche est arrivée à Paris la veille de la manifestation, et une manifestation contre le centre de rétention de Vincennes a eu lieu avec succès. Evidemment, quand on marche sur de telles distances, on ne peut pas faire de détours en fonction des capacités militantes, et l’organisation des étapes a été un véritable défi logistique. A cette occasion, et dans les réunions de préparation de la marche, des contacts se sont noués entre collectifs de différents endroits, et ceci est une base précieuse pour de futures mobilisations.

Le cran au-dessus, c’était aussi d’obtenir un large soutien. Et plus de 250 collectifs et associations ont soutenu la marche. Il n’est pas si fréquent d’observer un tel soutien à une initiative prise par les collectifs de sans-papiers eux-mêmes. Le cran au-dessus, enfin, était de s’adresser directement à l’Elysée. La marche s’est accompagnée d’une lettre ouverte à Macron pour lui demander la régularisation, lettre à laquelle il n’a jamais répondu. L’idée était d’obtenir un rapport de forces suffisant pour marcher sur l’Elysée. Cela peut sembler naïf, mais il faut bien comprendre à quel point la situation de sans-papiers, sans aucun droit donc, est insupportable. Les sans-papiers se sont lancé·es dans une mobilisation énorme en région parisienne pas pour un slogan, mais pour obtenir réellement quelque chose. Et dans le contexte policier et raciste actuel, il faut viser très haut pour l’avoir.

Et c’est là que le bât blesse un peu. La mobilisation était réussie. Trois manifestations devaient converger des portes de Paris vers République, puis le cortège devait repartir vers l’Elysée (en fait Concorde) à 14 heures. La préfecture avait interdit le trajet à partir de République. Jusqu’au bout, les organisateurs ont essayé de négocier. Mais il aurait sans doute fallu des milliers et des milliers de personnes depuis les portes, or beaucoup sont venu·es directement à République. Il aurait fallu ensuite au moins 100 000 personnes. Or nous devions être environ 30 000, les organisateurs ont semble-t-il annoncé le chiffre de 50 000. Pour finir, un cortège de la marche pour l’emploi était prévu de République à Trinité, et les organisateurs ont accepté de « prêter » leur parcours, et de se mettre en queue de leur propre manifestation. Finalement, la marche a donc été jusqu’à Trinité. Le dispositif à République pour barrer les itinéraires était impressionnant.

La mobilisation était donc réussie, mais le pari pas entièrement gagné. Ce qui est amer pour des sans-papiers qui sont mobilisé·es depuis maintenant six mois sans avoir encore rien obtenu. Rappelons en outre que des sans-papiers ont été arrêtés à la manifestation contre le CRA de Vincennes. Comme ils·elles le disent eux-mêmes, le refus de la moindre réponse de la part de Macron ne provoque pas seulement une frustration, c’est une atteinte à leur dignité.

Un silence assourdissant

Premier silence, celui des grands médias. Habituel, direz-vous. Sauf que passer sous silence une manifestation interdite de 20 000 personnes (en mai), si, c’est quand même inhabituel. Sauf que passer sous silence une marche qui traverse la France depuis les quatre coins de l’hexagone, ça l’est aussi. La presse régionale, par contre, a relativement relayé le passage des marcheurs. Et pas un mot, donc, sur l’arrivée de la marche le 17 octobre : les experts étaient trop occupés à déverser leurs torrents racistes après l’assassinat ignoble de Samuel Paty. On peut remarquer là une certaine permanence historique : combien de temps a duré le silence médiatique sur la répression du 17 octobre 1961 ? C’est que le·la sans-papiers peut exister à titre de problème humanitaire, généralement sous la dénomination « migrant·e », l’immigration peut exister au titre de « problème de société » ou plutôt de « charge pour la société ». Mais l’immigré·e acteur·trice de la lutte sociale, l’immigration auto-organisée, l’immigration comme partie intégrante et vivante de notre société, ça, ça ne peut pas passer dans les médias.

Deuxième silence, celui des organisations politiques et syndicales françaises. Certes, Sud s’est beaucoup investi dans la marche, notamment au niveau logistique, et on a vu que la CGT a su faire preuve de solidarité au moment de l’arrivée. Certes, plusieurs municipalités de gauche ont très bien accueilli les marcheurs. Certes, des organisations étaient présentes à l’arrivée (de mémoire de drapeaux vus, le PCF, le NPA...). Mais tant les milieux syndicaux que les milieux d’extrême gauche ou libertaires n’ont toujours pas intégré qu’il ne s’agit pas d’une lutte particulière, de la revendication d’une certaine partie de la population, mais bien d’un enjeu central aujourd’hui.
C’est un enjeu central parce que c’est la meilleure réponse concrète et sociale au tournant raciste et notamment islamophobe que notre société est en train de prendre à vive allure. La vraie réponse aux flots racistes qui se déversent à tous les étages de notre société, c’est la lutte de ces travailleur·ses pour leurs droits. C’est un enjeu central parce que, dans le cadre d’un rapport de forces de plus en plus dégradé, il est vital de ne pas laisser une partie d’entre nous à la merci de tous les arbitraires et de toutes les répressions. Nous avons déjà du mal à défendre nos acquis sur nos lieux de travail, et ne parlons pas de revendications offensives, que pourrons-nous gagner si nous acceptons qu’une partie des salarié·es soient dénué·es des droits collectifs que nous défendons ? C’est l’occasion ou jamais de réaffirmer notre internationalisme, de réaffirmer que les exploité·es sont chez eux partout, ce sont les exploiteur·ses qui nous sont étranger·es.

Enfin, du fait de la situation de semi-apartheid dans laquelle elle se trouve, l’immigration a été contrainte de s’auto-organiser lorsqu’elle a voulu défendre les revendications qui lui étaient propres, les syndicats refusant de les mettre au centre de leur agenda. S’il est un exemple de longue date de mobilisations importantes sur leur propre calendrier, ce sont bien les luttes de l’immigration, de la grève des foyers aux nombreuses luttes sur la question des papiers. Elles·ils nous montrent qu’il est possible de s’organiser et de gagner sans se mettre à la remorque des centrales syndicales, que c’est en construisant nos propres mobilisations qu’on peut alors être soutenu·es de façon plus large. Soutenir les luttes de l’immigration a été et reste un enjeu politique central.

Il reste encore du chemin

Si la mobilisation a été importante, celle des sans-papiers était en léger recul. Les foyers notamment ne sont pas sortis massivement. Il faut dire que les temps sont particulièrement durs pour eux en ce moment, la transformation des foyers en résidences sociales fait des ravages – vie collective rendue impossible, expulsions, etc. (voir les articles de la rubrique « Sans frontières » des derniers CA). Les sans-papiers ont particulièrement souffert économiquement et sanitairement de la crise sanitaire. Ils·elles ont continué de se mobiliser pendant tout l’été. Des divergences entre collectifs sont parfois apparues durant la marche, ce qui en soi est d’ailleurs plutôt sain. Et le bilan leur permet d’avancer des propositions de fonctionnement pour régler ces divergences dans l’unité.
Il y a aussi de quoi se décourager devant le discours politique ambiant. Chacun·e sent bien qu’il va falloir un rapport de forces très important pour inverser la situation. Le temps où ils·elles pouvaient s’appuyer sur la reconnaissance pour les « invisibles », en première ligne pendant le confinement, est en train de s’éloigner. Pourtant, cette marche a montré que la solidarité restait très importante, et les marcheur·ses restent déterminé·es à continuer le combat. En témoigne la lettre de remerciements parue sur le blog de Mediapart de la marche des solidarités : « Marche des sans-papiers : cet immense merci est notre première vic- toire  ! (1) ».

La prochaine échéance de mobilisation sera le 18 décembre, qui viendrait en point d’orgue d’actions locales coordonnées nationalement. Il est envisagé notamment des occupations et des rassemblements réguliers devant les préfectures et sous-préfectures. Il se réfléchit aussi la possibilité d’une grève des sans-papiers.

Bref, après un acte 3 réussi même si le pari n’a pas été entièrement gagné, l’acte 4 se prépare déjà. Soyons prêt·es à y participer dans la mesure de nos forces.

Groupe ocl Ile-de-France

(1)  https://blogs.mediapart.fr/marche-d...

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