CA 315
lundi 13 décembre 2021, par
Ce genre d’affirmation ne peut provoquer spontanément qu’un immense éclat de rire. Et pourtant… On ne cesse de nous présenter sans honte le nucléaire comme une énergie non carbonée dans les médias. Nous sommes inondé·es de titres du type « Renouvelables, le pari impossible sans le nucléaire » (titre de Challenge), de discours selon lesquels nucléaire et renouvelables vont ensemble. La France fait activement campagne pour que le nucléaire soit intégré dans la taxonomie verte que l’Europe élabore sur l’énergie, avec autorisations et financements à la clef…. Et là, le rire devient jaune, très jaune.
Voir en ligne : Pour un argumentaire plus complet sur l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte
Ce genre d’affirmation ne peut provoquer spontanément qu’un immense éclat de rire. Et pourtant… On ne cesse de nous présenter sans honte le nucléaire comme une énergie non carbonée dans les médias. Nous sommes inondé·es de titres du type « Renouvelables, le pari impossible sans le nucléaire » (titre de Challenge), de discours selon lesquels nucléaire et renouvelables vont ensemble. La France fait activement campagne pour que le nucléaire soit intégré dans la taxonomie verte [1] que l’Europe élabore sur l’énergie, avec autorisations et financements à la clef…. Et là, le rire devient jaune, très jaune.
La question « peut-on se passer du nucléaire ? », elle est déjà répondue : l’énergie nucléaire représente 2% de l’énergie mondiale, 10% de l’énergie électrique mondiale. Le monde semble assez bien se passer du nucléaire. Et si on regarde un peu plus localement, il y a un truc qui a été inventé, et qu’approuvent l’ensemble des nucléocrates, c’est l’Union Européenne. Les réseaux électriques y sont interconnectés depuis longtemps. L’électricité nucléaire représente 27,5% de l’électricité européenne, moins que l’électricité d’origine renouvelable (29,7%). C’est pas moi qui le dis, c’est le forum nucléaire (et eurostat) ! Pour ce qui est de l’indépendance nationale, rappelons que l’uranium « français » est importé principalement du Kazakhstan et du Niger, deux pays bien connus pour leur stabilité politique, que la licence de fabrication des centrales PWR est américaine… Et si la France est exportatrice d’électricité, elle en importe quand même. Eh oui ! Le nucléaire n’est pas très flexible et ne peut pas assurer les pointes de consommation, et en plus ces méchants allemands avec leur électricité pourrie même pas nucléaire sont parfois moins chers que nous. L’énergie nucléaire est bien une exception française (et japonaise jusqu’à Fukushima). Une exception française qui est la fille d’une autre exception (pour une puissance moyenne), la possession de la bombe atomique.
Il y a bien une exception nucléaire. Le risque nucléaire est tout à fait particulier. Il rend la vie impossible sur des générations et des générations. On meurt encore aujourd’hui d’Hiroshima, et des personnes qui ne sont pas encore nées vont en mourir. On meurt encore aujourd’hui de Tchernobyl, et des personnes qui ne sont pas encore nées vont en mourir. Et naturellement, on meurt aujourd’hui de Fukushima. C’est un risque invisible, inodore et incolore. On dépend donc des infrastructures étatiques et technocratiques pour le connaître et le mesurer. C’est un risque statistique : vivre dans une zone contaminée, c’est augmenter le risque d’avoir un cancer, de tomber malade, et d’avoir des enfants victimes de malformations génétiques diverses (y compris cancers). Mais si vous mourez aujourd’hui d’un cancer de la thyroïde, vous n’aurez aucun moyen de prouver que ça vient du nuage de Tchernobyl, même lorsque c’est plus que probable. Il n’y a pas de gestion démocratique possible du risque nucléaire. Laisser partir la population de la zone contaminée risque de propager la contamination. Les descendants d’Hiroshima ont été victimes d’un apartheid silencieux, du fait des risques pour les générations futures. Utiliser des moyens préventifs (pastilles d’iode par exemple) suppose qu’EDF prévienne honnêtement chaque fois qu’elle frôle un gros risque et avant que l’accident n’éclate. On peut toujours croire au père Noël… Et rappelons comment ça marche : les éléments radioactifs se fixent à la place des autres dans nos corps, l’iode radioactif à la place de l’iode, le césium à la place du calcium, le tritium à la place de l’eau, etc.. Le césium 137, par exemple, met 30 ans à perdre la moitié de sa radioactivité (c’est ce qu’on appelle la période). Une bonne chance d’attraper un cancer des os et quelques dizaines d’années d’interdiction de l’élevage laitier. Plus le problème insoluble des déchets, dont certains ont une période d’une bagatelle de quelques milliers d’années. En gros, proposer le nucléaire pour limiter le réchauffement climatique, c’est avaler de la javel pure pour être sûr d’être bien désinfecté.
J’ai entendu à un débat télévisé un nucléocrate affirmer fièrement que la population était majoritairement favorable à l’énergie nucléaire, à 51% au dernier sondage qu’il brandissait. On passera sur l’idiotie de l’argument : à une époque, la majorité de la population européenne croyait que les noirs étaient cannibales. Donc, ils étaient cannibales ??? Et c’est quand nous avons cessé de le croire qu’ils ont cessé de l’être ? A ce compte-là, la terre devrait encore être plate. Comme argument scientifique, on repassera… Mais ce qui me frappe, moi, c’est que depuis 50 ans qu’on nous explique que le nucléaire est indispensable, qu’il n’est pas dangereux ou si peu, qu’on maîtrise même la catastrophe, que tous les partis politiques institutionnels y compris les Verts valident le programme nucléaire, il n’y aie encore que 51% de la population pour y croire.
Dans un premier temps, on a été prié·es de croire au progrès scientifique et à la compétence de la technocratie. Certes, c’était une technologie d’origine militaire, mais nos merveilleux savants avaient réussi à la transformer en un bienfait pour l’humanité. Les centrales étaient sûres, l’énergie était propre, et ces immenses installations, preuves de la majesté et de l’organisation de l’État, devaient nous rassurer. Les antinucléaires ont alors dépensé une grande énergie à expliquer pourquoi et comment l’accident était possible et même probable. D’où leur qualification de « catastrophistes ». Depuis, Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima sont passés par là. Le discours officiel a changé. Il paraît que le risque zéro n’existe pas, mais qu’on ne doit pas s’affoler, l’État maîtrise, des plans d’urgence sont en place pour limiter les dégâts. Évidemment, ce discours n’est apparu qu’une fois les centrales nucléaires construites. Tant que leur construction était contestée, aucun plan d’évacuation, des fois que les gens risquent d’en déduire que c’était une énergie dangereuse.
Dès le départ, le nucléaire a été présenté comme une alternative au pétrole. Euh… Avec nos 70% d’électricité d’origine nucléaire, en 2018 le pétrole représentait 44% de notre consommation finale d’énergie contre moins de 18% pour le nucléaire. Ben ouais, désolée pour ceux et celles qui croient encore aux contes de fées, mais l’essentiel de notre consommation n’est pas électrique, et c’est heureux d’ailleurs. Pour nourrir le nucléaire, il a fallu développer massivement le chauffage électrique, et aujourd’hui la voiture électrique. Rappelons qu’on perd beaucoup d’énergie en transformant de la chaleur en électricité (les centrales nucléaires sont à la base de très mauvaises gigantesques bouilloires ou cocottes minute) et encore un peu en transformant l’électricité en chaleur ou en énergie mécanique, plus les pertes sur le transport. D’après le bilan énergétique de la France de 2020, pour une consommation finale énergétique d’environ 1500 Twh, on a eu une perte en transformation (de la chaleur en électricité notamment), transports et distribution d’environ 1000 Twh. Vive la production centralisée et nucléaire d’électricité !
Ensuite on nous a expliqué que maintenant qu’on était dans l’ère nucléaire, on ne pouvait plus s’en passer. Le fameux « le nucléaire ou le retour à la bougie ». C’est sûr que quand on en est à 70% d’électricité d’origine nucléaire c’est un argument qui semble imparable. Sauf qu’on nous faisait déjà le coup avant. On peut produire de l’électricité autrement, on peut en importer. Surtout, on peut réserver l’électricité à ses usages spécifiques (ne pas l’utiliser pour le chauffage ou la bagnole), et il faut aussi déduire toute l’électricité que consomment les centrales pour leur fonctionnement. Enfin, on peut peut-être faire la chasse à certains gaspillages. Sauf que ceci n’est possible que si on sort du nucléaire. En effet, les centrales nucléaires sont assez rigides, et il leur faut une production d’électricité constante. Les pointes sont toujours assurées par d’autres formes d’électricité. Donc, le nucléaire a besoin que nous consommions constamment une masse d’électricité. Ce qui n’est pas compatible avec la chasse au gaspillage. Les antinucléaires ont alors démontré qu’on pouvait se passer du nucléaire sans attendre que les énergies renouvelables soient au point, rien qu’avec nos vieilles centrales fossiles et hydrauliques toujours présentes et en activité pour assurer les pointes. Car oui, le charbon, le pétrole et le gaz, c’est moins pourri que le nucléaire. C’est pas très propre, mais c’est une saleté qui se voit et qui ne stérilise pas des territoires pour un nombre indéfini de générations. C’est un truc qu’on peut maîtriser sans instaurer une société de surveillance généralisée. Et en plus, on a fait des progrès, on exporte des centrales thermiques très peu polluantes.
Mais les propagandistes du nucléaire n’ont jamais manqué de ressources. Le nucléaire va encore une fois sauver la planète, mais cette fois-ci du … réchauffement climatique ! Si si, vous savez, ces machins qui délivrent un panache de vapeur en continu au point de modifier le micro-climat (oui, la vapeur d’eau a un effet de serre, même s’il est moindre que le CO2), ces trucs qui ont réchauffé le Rhône d’1 à 2 degrés au point qu’on a pu y installer une ferme à crocodiles, ce combustible transporté en camions pour naviguer entre 5 étapes de fabrication à travers plus d’une dizaine d’usines en France, importé d’un voisin aussi proche que le Kazakhstan, ce truc qui nécessite des montagnes de béton et laisse des tonnes de déchets irrécupérables, eh bien il paraît qu’on peut compter sur ce truc là pour lutter contre le réchauffement climatique ! Elle n’est pas belle la vie ? Comment ça se fait ? Grâce à une formule magique : ce n’est pas un combustible fossile. Donc il n’émettrait pas de gaz à effet de serre. Il ne faudrait pas confondre le thermomètre et la température. En fait, le réchauffement climatique est à peu près proportionnel à la quantité de gaz à effet de serre ; comme on peut mesurer les gaz à effet de serre mais plus difficilement le climat, on se base là-dessus pour réclamer des mesures aux États. Mais on peut aussi réchauffer sans, ça s’appelle le réchauffement direct. La preuve ? Les centrales nucléaires ! Rappelons au passage qu’elles ont besoin d’être refroidies en permanence et donc de tonnes d’eau, et que quand le climat se réchauffe, l’eau s’évapore… Ces monstres de béton sont particulièrement sensibles aux variations climatiques en augmentation, des sécheresses aux inondations liées aux tempêtes…
Les ficelles de la propagande nucléaire à laquelle nous sommes soumis·es depuis un demi-siècle ne brillent ni par leur finesse et ni par leur nuance. Il faut dire qu’il faut vraiment de gros sabots pour essayer de faire oublier que le nucléaire est la façon la moins efficace et la plus polluante de produire de l’électricité. C’est un peu comme si on avait essayé de recycler la poudre à canon dans le moteur à explosion… Le problème c’est que ça marche, pas tellement auprès de la population qui semble remarquablement résistante comme je l’ai fait remarquer plus haut, mais comme écran de fumée pour les décideurs obnubilés par le prestige de la Science et surtout au service des industries auxquelles ça rapporte. L’EPR de Flamanville n’est pas près de produire un seul watt, mais Bouygues et autres multinationales ont déjà commencé à encaisser leurs sous.
La transition écologique, c’est faire semblant de tout changer pour que rien ne change. C’est continuer ses petites affaires en utilisant le réchauffement climatique comme argument marketing. Vous noterez dans les pubs de produits chimiques, de bagnoles, d’énergie, etc. comme tout est propre, tout est recyclable, tout préserve la planète. Et au pire, on plante quelques arbres ailleurs pour compenser la pollution ici. Ben voyons… Et pendant que les affaires continuent, bien sûr, la terre continue de chauffer et son climat de se dérégler. Ce qu’il y a de bien avec le climat, c’est que comme c’est global, c’est toujours la faute des autres. Si les Chinois·es et les Indien·nes acceptaient de crever de froid l’hiver, de ne pas manger assez toute l’année, et de marcher ou pédaler pour aller au boulot, comme ils et elles l’ont toujours fait, on serait moins emmerdé·es. Et nous, hein, on fait ce qu’on peut. Pas de notre faute si les autres ne font rien. Par exemple, ils ne nous achètent presque pas de centrales nucléaires. Rappelons quand même que notre empreinte carbone ne diminue que si l’on ne tient pas compte de notre commerce extérieur. Si on rajoute les importations, elle continue d’augmenter. Car c’est dans les pays pauvres, forcément les plus arrangeants, qu’on implante le plus polluant.
Le nucléaire illustre bien cette problématique. D’abord du point de vue de l’argument marketing. On ne peut plus décrier les énergies renouvelables, surtout dans un contexte européen où les autres sont plus compétitifs que nous (forcément, nous, on a investi tous nos sous dans le nucléaire). Donc, on explique que c’est bien mais que ça ne peut pas marcher tout seul. Le vent peut faiblir, le soleil ne pas briller, alors qu’une centrale nucléaire, c’est bien connu, ça n’a pas d’arrêt de tranche et ça ne tombe jamais en panne. Donc, on présente le nucléaire comme le complément indispensable des renouvelables. Tout juste si ce n’est pas grâce au nucléaire qu’on peut faire du renouvelable ! Et le bel argument écolo de l’énergie propre est ainsi recyclé au profit du nucléaire. Avec l’accord tacite des Verts qui ont renoncé depuis bien longtemps à réclamer l’arrêt immédiat du nucléaire et dont les rares ministres de l’écologie ont toujours signé tout ce qu’on leur demandait. Première façon de verdir le nucléaire.
Mais l’enjeu de la transition énergétique pour le capitalisme, c’est de bien faire comprendre que son système n’est pas destructeur de la planète, mais non, c’est lui qui va la sauver, surtout pas en ralentissant la surconsommation et le gaspillage, au contraire, parce qu’il est le seul capable d’apporter des solutions technologiques, et d’assurer les gros investissements qui les permettent, ce qui demande bien entendu que la croissance ne ralentisse surtout pas. Donc continuons le gaspillage, la surconsommation, la sur-extraction, pour nous permettre d’apporter des solutions miracles qui rapportent. C’est ce qu’ils et elles appellent « gagnant-gagnant ». Et de ce point de vue, le nucléaire, c’est superbe. Des investissements gigantesques, renforcés symboliquement par des constructions gigantesques qui dominent le paysage, une technologie qui exige toute une infrastructure technocratique, la santé et l’approvisionnement en énergie de la population aux mains d’une élite sans aucun contrôle démocratique, une protection juridique et policière sans faille des secrets de la cuisine, l’illusion pour cette élite de tout planifier et tout contrôler, le bonheur quoi… Et en plus, pour le côté puéril, l’élite est composée d’êtres humains quand même, un caca énorme qui va durer des milliers d’années.
On reste dans la lignée du rôle qu’a toujours joué l’énergie nucléaire dans la structuration du capital français. Bien sûr, il ne faut jamais cesser de le rabâcher, c’est la plus mauvaise façon de produire de l’énergie techniquement, une façon sale et qui dérégule le climat. Bien sûr, c’est une énergie très chère pour peu qu’on ne se contente pas de compter le fonctionnement des centrales mais aussi le cycle du combustible et surtout les déchets et le démantèlement qu’on ne sait pas gérer. Ce n’est pas grave, ce sera payé par les contribuables et les usagers. Mais quels débouchés en termes de BTP, de métallurgie, d’électronique, de services divers, de logistique, de maintenance ! Le chantier de l’EPR de Flamanville était prévu en 2007 pour une durée de 5 ans et un coût de 3,3 milliards d’euros. Aujourd’hui, l’estimation est de 16 ans et 19,1 milliard d’euros. Un gros coût pour EDF et un obstacle à l’exportation de centrales, qui de toutes façons était mal barrée. Mais ces milliards ne se sont pas évaporés dans la nature, ils n’ont pas été perdus pour tout le monde, ils sont tombés dans les poches des multinationales concernées. Bon, il y a quelques gaz à effet de serre qui n’auront pas été perdus non plus, mais ce ne sera pas compté dans le nucléaire, ce sera compté dans le bâtiment, la métallurgie, etc.
Il y a quand même quelques failles. Les comptes d’EDF ne sont pas au mieux, et il y a peut-être un moment où cette noble entreprise ne pourra plus se payer sa danseuse nucléaire. EDF est en effet très endettée. Or c’est une Société Anonyme, elle doit faire des bénéfices, même si son actionnaire très majoritaire (à 85%) est l’État (l’introduction en bourse était un coup médiatique, comme toujours, les petits actionnaires à eux tous possèdent 1,9% du capital). Si l’électricité renchérit trop ce sera un coût pour les entreprises installées en France, et ça pénalisera donc l’économie. Enfin, ce fiasco financier va rendre encore plus dure l’exportation de centrales nucléaires, marché qui ne se porte déjà pas très bien. Et s’il n’y a pas d’exportations, il n’y aura pas de diminution de coûts liée à l’augmentation des quantités produites.
Développer le nucléaire, ce qui semble bien toujours dans les intentions gouvernementales françaises, implique d’assurer une consommation de masse relativement stable d’électricité. Ça été un temps le rôle du chauffage électrique, mode particulièrement coûteux de chauffage. Ça continue d’ailleurs. Le chauffage électrique ne produit pas de gaz à effet de serre n’est-ce pas ? Sauf bien sûr si on considère la production d’électricité… C’est le principe de base du greenwashing. L’essentiel est que la pollution ne soit pas sur le lieu d’usage, ne se voie pas. Pour cet objectif, on peut augmenter dans le monde la pollution sans limitation. En plus, l’installation du chauffage électrique n’est pas chère, c’est toujours ça d’économies pour les propriétaires et les promoteurs, ce sera le locataire qui paiera ensuite la facture. Les nucléocrates ont depuis trouvé un nouveau joujou, avec l’appui des institutions européennes : la voiture électrique. Idéale ! Globalement, elle est plus polluante que la voiture thermique (métaux rares des batteries, composants électroniques, obsolescence…) et probablement plus émettrice de gaz à effet de serre. Mais pas quand elle roule dans nos métropoles. Et c’est une perche toute trouvée pour sauver l’industrie automobile. Sauver à la fois l’industrie automobile et l’industrie nucléaire, le tout en les faisant passer pour des solutions écolos. Qui dit mieux ?
L’Europe a pris des engagements pour la planète, c’est bien connu, et elle se veut un modèle de vertu en ce domaine (bon, d’accord, en fait, il y a du taf…). Ça ne va pas très bien avec le plan de relance exigé par la crise COVID. Donc ce sera un plan de relance é-co-lo-gi-que, c’est-à-dire dans la novlangue européenne de transition écologique. L’Europe va financer des trucs qui économisent du carbone et sont verts, et va même exiger un certain pourcentage d’investissements verts avant de financer les plans de relance. Reste un léger détail : se mettre d’accord sur ce qui est vert. On l’avait compris, le charbon n’est pas vert. On l’avait compris aussi, les énergies renouvelables sont vertes. Mais le reste ? La France pèse de tout son poids et a rallié d’autres pays pour que le nucléaire soit considéré comme vert. Bien sûr, il se prépare des compromis genre on accepte le chauffage au gaz (privilégié par les allemands) si vous acceptez le nucléaire.
Citons les conditions posées par l’Europe :
« Pour s’aligner sur la taxonomie, les activités économiques des organisations doivent contribuer à, au moins, l’un des six objectifs environnementaux définis par la TEG et ne pas porter atteinte aux autres objectifs :
1. Atténuation du changement climatique : l’impact d’une organisation sur l’environnement
2. Adaptation au changement climatique : l’impact de l’environnement sur une organisation
3. Utilisation durable et protection de l’eau et des ressources marines
4. Transition vers une économie circulaire, prévention et recyclage des déchets
5. Prévention et réduction de la pollution
6. Protection des écosystèmes sains
La France s’appuie sur l’idée que le nucléaire est non carboné pour l’imposer et le faire accepter en tant qu’atténuation du changement climatique. Sauf qu’il ne faut pas porter atteinte aux autres objectifs. Et là, comment dire ? En ce qui concerne l’utilisation durable et la protection de l’eau, de très grands barrages sont construits rien que pour refroidir les centrales. En ce qui concerne le recyclage des déchets, le nucléaire produit des milliers de tonnes de déchets qu’on ne sait ni traiter ni retraiter mais dont on sait qu’ils dureront plusieurs milliers d’années pour certains, et que toute tentative de traitement est elle-même productrice de déchets. En ce qui concerne la prévention et la réduction de la pollution, les centrales nucléaires sont de gros pollueurs chimiques : il faut bien détartrer les kilomètres de tuyaux des tours de refroidissement, ce qui occasionne des rejets de chlore et de sulfate au point que les préfectures doivent régulièrement accorder des dérogations à EDF. Enfin, pour la protection des écosystèmes sains, même quand elle marche bien, une centrale ça fuit, et dans son cas, ça veut dire qu’elle dissémine dans la nature un peu de césium, un peu de tritium, un peu d’iode radioactif, etc. avec les mêmes effets sur le vivant que sur le corps humain. Il faut quand même être gonflé pour oser poser le nucléaire en solution écologique !
L’enjeu est important. Il est à la fois financier et idéologique. Au niveau financier, l’Europe prévoit environ 1000 milliards de 2021 à 2027 pour financer la transition écologique. L’enjeu pour l’industrie nucléaire est de pouvoir bénéficier de cette manne. Mais l’enjeu financier va au-delà. Il y a et va y avoir des lois exigeant que dans un portefeuille d’investissements il y aie un certain pourcentage de vert. Si le nucléaire en fait partie, ça change beaucoup de choses pour pas mal de gros investisseurs. L’enjeu est aussi idéologique : si le nucléaire fait partie de la taxonomie verte, ce sera un gros argument pour les nucléocrates qui pourront se présenter en valeureux écologistes estampillés par l’Europe et Greta Thunberg. On peut même imaginer que dans un élan de défense de l’écologie on puisse dénoncer les antinucléaires qui font obstacle à la transition énergétique, voire nous obliger pour notre bien à consommer un minimum d’électricité nucléaire. On nous impose bien déjà un passe sanitaire pour notre bonne santé…. Et là quand même, c’est l’avenir de la planète qui est en jeu, il faut être civique quoi.
En conclusion, on pourrait dire : jusqu’à la lie… Le mouvement antinucléaire a perdu en France qui est maintenant couverte de centrales, pourquoi ne pas pousser le bouchon plus loin et assurer une position au niveau européen ? En même temps, c’est tellement grotesque que ça pourrait se retourner contre eux. Mais attention, la taxonomie verte doit être adoptée fin 2021 et appliquée dès janvier 2022…
Sylvie
[1] La Taxonomie définit des critères harmonisés pour déterminer si une activité économique est durable d’un point de vue environnemental, c’est ce qu’on appelle la « taxonomie verte »