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CA 320 mai 2022

Socialistes, une longue agonie

lundi 2 mai 2022, par Courant Alternatif


Si on en croit les signataires des appels aux manifestations antifascistes entre les deux tours, nous serions au seuil d’un « péril fasciste » auquel nous devrions faire front en étant massivement dans la rue (tout en votant Macron, naturellement !). Eh bien, si on en juge par le « succès » de ces manifestations, je crois que le plus sage aurait été de nous exiler en vitesse avant le deuxième tour. Et, en attendant, de profiter de nos derniers bons moments.

Au lendemain du premier tour, au milieu d’un océan de larmes qu’il convenait de ne pas retenir sous peine de passer, au mieux pour un inconscient, au pire une ordure crypto fasciste, il y eu quand même quelques petits plaisirs qui, s’ils ne changeaient pas le monde, faisaient quand même du bien là où ils passaient :
la chute relative de la maison Zemmour, la gueule des journalistes de C-news quand on crut que Mélanchon allait dépasser Le Pen n’étaient qu’une mise en bouche… Le pompon ce fut assurément les 1,7 % d’Anne Hidalgo ! Quelle joie de voir la dernière représentante de la sociale démocratie française terminer derrière un PCF qu’elle avait eu pour objectif de laminer depuis l’union de la gauche en 1981… et y était parvenu ! Autre succès à mettre à son actif pendant la même période, la remise en selle d’une extrême droite redevenue alors fantomatique après l’aventure OAS des années 1960, à seule fin de diviser la droite classique et faire ainsi croire qu’il existait une majorité de gauche dans le panorama électoral hexagonal.

Premier épisode, l'union sacrée

2022 est, pour le PS, le dernier épisode d’une très longue histoire dont on peut espérer qu’elle sera la dernière. Tout commence en 1905 avec la création de la SFIO (section française de l’Internationale ouvrière — la deuxième) de Jean Jaurès. Il s’agit alors d’une rupture avec la conception de l’autonomie ouvrière représentée par le courant syndicaliste révolutionnaire de la CGT qui adoptera en 1906 la Charte d’Amiens considérant que les exploités doivent gérer eux-mêmes le processus révolutionnaire vers une société sans classe et qu’il n’est nul besoin de parti pour la représenter ni de parlement. Mine de rien, la porte est alors ouverte à une conception à ce point avant-gardiste du parti qu’elle permit, un peu plus tard, aux plus radicaux, de s’engouffrer sur le chemin totalitaire du bolchevisme.

Les élections législatives de mai 1914 donnent une victoire de la gauche – 102 députés sur 600 pour la SFIO( [1]. Trois mois plus tard c’est la guerre et la quasi-totalité des socialistes soutiennent l’union sacrée faisant fi des grandes déclarations internationalistes/pacifistes qui faisaient florès avant-guerre dans les milieux socialistes et anarchistes, en laissant ainsi sur le carreau et en proie à la répression quelques admirables résistants que furent les animateurs de La Vie ouvrière et de La Bataille syndicaliste, les Monatte, Griffuelhes, Rosmer ou Péricat etc….

L’idole des roses , Jean Jaurès, ne dut qu’à un Villain nationaliste revanchard qui le trucide le 31 juillet 1914, de n’avoir pas eu à prononcer lui-même cette reddition trois jours plus tard : « En présence de l’agression, les socialistes rempliront tout leur devoir. Pour la Patrie, pour la République, pour l’Internationale ». Le vénérable Édouard Vaillant le fera à sa place permettant au député du Tarn de conserver une auréole de pacifiste internationaliste alors qu’il avait mainte fois affirmé qu’en cas de conflit avec l’Allemagne il défendrait la patrie [2]

Deuxième épisode :<br> Le congrès de Tours, décembre 1920. Le réformisme s'installe

L’enthousiasme patriotique faiblit au fur et à mesure que les massacres se multiplient. Les peuples veulent la paix et le font savoir. Le vent tourne et une minorité de socialistes lorgnent du côté de Zimmerwald et de Kienthal où quelques pacifistes de tous les pays veulent arrêter les massacres. Mais les parlementaires PS votent quand même une nouvelle fois les crédits de guerre (certains comme Guesde, Thomas ou Sembat seront même des ministres d’union nationale). Ce n’est qu’une fois la guerre terminée, en 1919, que le parti perd un tiers de ses députés qui rompent avec la seconde internationale jugée trop guerrière. Parmi ces derniers, d’authentiques opposants de la première heure à l’union sacrée, mais aussi des opportunistes, comme Marcel Cachin ou Frossard, qui en furent de fervents partisans, mais qui sentent le vent tourner lorsqu’ils voient se développer à l’est de l’Europe des soulèvements révolutionnaires et qu’en France les grèves se multiplient. Inévitablement la scission se produit lors du 18e congrès de la SFIO, à Tours, l’année suivante. Mais au débat sur réformisme et révolution, sur union sacrée et pacifisme internationaliste, se substitue celui concernant l’adhésion ou non à la troisième internationale de Moscou qui tient lieu de clivage entre révolutionnaires et contre révolutionnaires. La défaite prolétarienne de 1914 est passée par là, il n’est plus question d’autonomie ouvrière. Il s’agit maintenant de soutenir la « patrie des travailleurs ». L’imposture fonctionne et la motion en faveur de l’adhésion regroupe trois fois plus de militants que celle qui y est opposée, portée essentiellement par les élus. La messe est dite, la majorité fonde le PC [3] et la minorité reste la SFIO.

Léon Blum résume bien la position de cette dernière : La révolution ? « Elle viendra à son heure historique ». Ce qui ne serait qu’une évidence dans la bouche d’un honnête matérialiste devient, dans celle d’un dirigeant socialiste de l’époque, une reddition en pleine campagne : le signal que la voie sociale-démocrate qui entend instiller quelques éléments de socialisme dans un capitalisme à visage humain est assumée. Si la chambre de l’immédiat après-guerre est « bleue horizon » et se charge de réprimer violemment les grèves qui éclatent un peu partout en 1920, c’est un cartel des gauches qui l’emporte en 1924. La scission de Tours a permis d’ouvrir une ère de stratégie d’alliance avec des « partis bourgeois » (surtout radicaux) qui ne sera jamais abandonnée. Mais la SFIO qui s’était contentée jusqu’alors de soutenir ces « gouvernements bourgeois » devra attendre les élections législatives de mai 1936 et le Front Populaire pour gouverner elle-même, soutenue cette fois par les communistes mais de l’extérieur, suite aux émeutes provoquées le 6 février 1934 par les extrêmes droites.

Troisième épisode : du front populaire…

Il est courant d’entendre dire que les conquêtes du Front populaire (congés payés, semaine de 40 heures, hausse des salaires…) sont le fruit d’une union entre les partis de gauche (PC, SFIO, Radicaux) pour barrer la route à la montée du fascisme en France. En fait, le programme électoral du Front en mai 36 était calqué sur celui des radicaux, fervents partisans du libéralisme et pour lesquels il n’est question que d’apporter « une solution aux injustices sociales les plus criantes […], sans toucher aux structures de la société ». Il est reconnu que ce sont les masses, les ouvriers qui, sitôt les parlementaires élus, se sont engouffrés dans la brèche en occupant les usines (plus que la rue) en obligeant les élus à légiférer au-delà de ce qu’ils avaient prévu, face à une remise en question de fait de la propriété des moyens de production par les comités de grève qui poussent comme des champignons. Le gouvernement de Blum, formé seulement le 4 juin, signe le 8 les accords de Matignon en échange de la reprise du travail. Socialistes, staliniens et radicaux, adversaires farouches lorsqu’il s’agit de concurrence électorale, se mettent d’accord très rapidement pour mettre au pas des grévistes : « il faut savoir terminer une grève » est dans toutes les mémoires.

S’ouvre ainsi le mythe d’une séquence « révolutionnaire » ouverte grâce à la bonne ligne politique unitaire des partis de Front populaire. Une explication qui pourrait signifier qu’un péril fasciste bien contenu peut, par réaction, entraîner des effets positifs et que l’action électorale ouvre des voies inattendues à l’émancipation sociale. Heureusement (ou malheureusement) elle est un peu courte.
En effet, suite au 6 février 1934, partis et syndicats de gauche toujours divisés, appellent la semaine suivante, chacun de leur côté, à des manifestations dont l’objectif est plus de piquer des manifestants à la boutique voisine que tailler une croupière au fascisme montant. Or, le 12 février, contre toute attente, oubliant les consignes de leurs dirigeants qui se détestent, les manifestants, communistes et socialistes compris, se rejoignent et se mêlent aux cris de « Unité-unité ».

Aux pleins pouvoir à Pétain

Dès lors la donne change : dans les mois qui suivent le PC abandonne sa stratégie « classe contre classe » qui lui interdisait toute alliance avec les radicaux. Ces derniers acceptent le contact avec les rouges, et les sociaux-démocrates sont prêts à gouverner soutenus par tout ce beau monde qui se doit de ne pas laisser le terrain de la lutte ni dans les rues ni dans les usines. La parenthèse « gouvernement de front populaire » n’est donc pas le fruit d’une initiative heureuse de la gauche dans laquelle le peuple s’est engouffré, mais la conséquence (malheureuse à nos yeux) de l’unité qui s’est faite à la base, entre prolétaires et essentiellement ouvriers. Une unité, nous l’avons vu, qui a été surtout faite pour arrêter la grève et prévenir toute tentative d’ « aller plus loin ».
Les gouvernements de front populaire durent moins de deux ans de mai 1936 à avril 1938. 1er septembre 1939, c’est la guerre, le pays est en état de sidération, le prolétariat est totalement désarmé, la SFIO qui a fait ce qu’il fallait pour cela, se délite [4]. En juillet 1940 ce sont 170 parlementaires SFIO qui votent les pleins pouvoir au maréchal Pétain contre 36.

Clap de fin : De Guy Mollet à François Mitterrand

Après la guerre la SFIO se reconstitue et participe à différents gouvernements. Nous retiendrons les œuvres de Jules Moch célèbre pour avoir mobilisé des milliers de gendarmes et de CRS contre 15000 grévistes mineurs retranchés dans les galeries faisant 6 morts, des centaines de blessés et 3000 licenciements [5], alors qu’il était ministre de l’intérieur en 1947.
Mais la grande figure de la SFIO c’est, sur cette longue période, Guy Mollet qui en devient le patron de 1946 à 1969, soutenu par la gauche du parti. Retenons simplement son bilan lors qu’il fut premier ministre pendant 14 mois (1956-1957) : en octobre il joint la France à l’expédition militaire menée par la Grande-Bretagne et Israël contre l’Egypte de Nasser sur le canal de Suez. Le 12 mars 1956 il obtient des pouvoirs spéciaux permettant, entre autres, de créer une justice militaire qui se passe d’instruction et attribue aux militaires des pouvoirs de police en légalisant les camps d’internements.
Finalement, en mai 1958, en pleine crise algérienne, il se rallie au général de Gaulle et lui vote les pleins pouvoirs (ce qu’il n’avait pas fait en 1940 pour Pétain !).

Le reste de l’histoire vous la connaissez. Une première chute en 1969 avec les 5% de Gaston Deferre à la présidentielle. La SFIO est morte, vive le parti socialiste qui nait en 1971 au congrès d’Epinay ! : Mitterrand, nouvel adhérent du PS, en prend la direction avec comme perspective une union de la gauche avec le PCF … sur la base d’une rupture avec le capitalisme… Hugh !

Cette belle histoire qui prend fin aujourd’hui, n’est pas, comme le prétendent les trotskistes, une affaire de trahison. Ce n’est pas l’histoire d’une dérive qui conduit de l’idéal révolutionnaire à une suite de répression des révoltes ouvrières, à des alliances avec la bourgeoisie et des compromissions avec les formes les plus autoritaire de pouvoir, faute de n’avoir pas choisi la bonne ligne pour le parti ou de s’être fait avalés par une éternelle volonté de pouvoir qui concernerait les humains. Leurs actes sont inscrits (comme le montre cet article) dans les choix faits dès le début : refus de l’aventure révolutionnaire (nous employons ce terme positivement contrairement à eux), la nation comme élément constitutif de l’appartenance et de l’identité au lieu de la classe, la représentation parlementaire et syndicale au lieu de l’autonomie ouvrière.

Le match ne fait que commencer.

JPD

Hors série n° 2, Le mythe de la Gauche, une siècle d’illusion social-démocrates

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P.-S.

Numéro spécial : Le mythe de la gauche : un siècle d’illusions social-démocrates
-* Qu’est-ce que la social-démocratie ?
-* La religion de l’État et de la Science
-* La IIème Internationale face à la 1ère guerre mondiale
-* Rosa Luxemburg : la crise de la social-démocratie
-* Alsace, novembre 1918 : les soviets écrasés par les sociaux-démocrates
-* 1919 : le prolétariat allemand "trahi" par les sociaux-démocrates
-* 1936 : le Front populaire contre les occupations d’usine
-* 1940 : les socialistes disent "oui" à Pétain
-* Du colonialisme de "progrès" à la répression sanglante
-* Social-démocratie face au mouvement corse
-* Nucléaire et social-démocratie : un double langage exemplaire
-* Intégration à la mode social-démocrate
-* La tentation néo social-démocrate

Notes

[1A noter qu’il n’y a alors que 11 millions d’inscrits, que les femmes ne votent pas et que l’abstention/blanc-nul est de 26 % comme 108 ans plus tard !)

[2voir Jean-Pierre Hirou, Parti socialiste ou CGT (1905-1914) ; de la concurrence révolutionnaire à l’union sacrée. ed. Acratie, 1995.

[3(A noter que sur les 24 membre du comité directeur du nouveau parti, 13 le quitteront ou en seront exclus très rapidement

[4Pour la petite histoire et comme clin d’œil au présent : il se forme une petite fraction « radicale » qui considère l’Allemagne et l’Italie comme des nations prolétaires opprimée par la France et la GB. Le nazisme idéologie des pauvres ?

[5Il y a 10 ans chacun des 17 grévistes licenciés encore vivants obtenaient une indemnisation de 30 000 euros pour licenciement illégal… C’est la ministre de l’Économie de Sarkozy, Christine Lagarde, future patronne du FMI qui s’est pourvu en cassation pour « assassiner » une seconde fois les mineurs. L’acharnement de l’avocat mantois Tiennot Grimbach valut en définitive aux mineurs d’être réhabilités… en 2014

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