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CA 322, été 2022

Eymoutiers : Un immeuble ouvert pour les réfugiés

samedi 23 juillet 2022, par Courant Alternatif

Nous avons évoqué à plusieurs reprises dans Courant Alternatif les squats de Limoges et les actions en faveur des sans-papiers par le collectif Chabatz d’entrar (1). Nous allons évoquer ici une action en cours menée par Montagne Accueil Solidarité avec le soutien de Chabatz d’entrar.


L'occupation

Le samedi 9 avril, plusieurs dizaines de personnes se sont retrouvées sur le marché d’Eymoutiers (2) pour se diriger ensuite vers un immeuble occupé depuis plus de deux jours. En officialisant cette occupation, ils demandent la réquisition de ce bien vacant au profit des réfugiés laissés à la rue par les dispositifs habituels, et appellent au soutien de la population.

L’appel lu au mégaphone après une série de chansons de lutte sur le marché disait ceci :
« En 2021, pour la première fois à Eymoutiers, une famille s’est retrouvée à la rue, expulsée du CADA, avec deux enfants malades. Elle a dormi sous une tente pendant plusieurs jours faute de solution d’hébergement malgré l’urgence...
Cette situation ne doit pas se reproduire. Nous, association Montagne Accueil Solidarité et collectif Chabatz d’entrar, demandons la réquisition de tous les immeubles vacants pour héberger des réfugiés et des sans-abris.
Alors que des personnes sont à la rue, 1 logement sur 10 est aujourd’hui inoccupé en France. Cela représente 10 fois plus de places d’hébergement que de personnes dans le besoin. C’est inadmissible, indigne et révoltant, dans un pays classé 6e puissance mondiale.
L’État ne respecte pas ses propres lois :

  • loi Besson 1990 « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation »
  • loi droit au logement opposable DALO 2007

En conséquence, nous occupons depuis le 6 avril 2022 un immeuble que nous avons trouvé ouvert. Cet immeuble est vacant depuis plus de 6 ans et appartient à l’ODHAC 87 (Office public de l’habitat). Nous demandons à cet organisme une mise à disposition de ce bâtiment.
Cette occupation permet à plusieurs familles fortement fragilisées qui fuient la guerre et les persécutions d’avoir un toit.
Aujourd’hui plus qu’hier, les Françaises et les Français réalisent à quel point la solidarité et un accueil digne sont essentiels à notre humanité. Nous affirmons notre soutien à tou.te.s les réfugié.e.s quelles que soient leurs origines. »

Après la lecture de cet appel, le groupe rassemblé sur la place du marché est parti à pied en direction de l’immeuble en question. Une banderole a été accrochée sur la façade et le groupe a investi les lieux, accueilli par ses premiers habitants (présents depuis plus de 48h, papier officiel en faisant foi affiché sur la porte !)
Les occupants appellent à la solidarité pour éviter toute expulsion illégale. Ils invitent la population à les soutenir en venant sur place et en apportant des biens de première nécessité : matelas, matériel de cuisine, nourriture, etc. Ils disposent d’une dizaine de logements, celles et ceux qui souhaitent venir dormir pendant les prochains jours pour contribuer à éviter une éventuelle expulsion seront accueillis avec plaisir !

Historique : des premières rencontres de résidents du CADA jusqu'à l'occupation

Tout commence par l’installation du CADA d’Eymoutiers en avril 2014, suivie un an après par celui de Peyrelevade (19) puis par le CAO de Peyrat-le-Château fin 2015. A chaque fois des associations, des élus et des particuliers se mobilisent pour aller à la rencontre des résidents de ces centres.
A Eymoutiers, des personnes hébergées par le CADA s’intègrent dans les activités associatives et nouent des liens avec des habitants et le milieu associatif. La situation des demandeurs d’asiles qui sont déboutés devient rapidement un sujet de préoccupation.

L’association Montagne Accueil Solidarité est créée officiellement à Eymoutiers début 2015 autour de cette problématique. Une première famille se retrouve à la rue dans l’été 2015, il n’y a pas de place au 115, MAS les héberge et les accompagne dans leurs démarches. A l’automne ils obtiennent une place au 115. Une deuxième famille l’est quelques mois après. MAS médiatise leur situation et sollicite la mairie qui accepte de mettre un premier appartement du contingent municipal à sa disposition.
En avril 2016, MAS organise les Rencontres du droit d’asile à Eymoutiers qui connaissent un grand succès et une belle fréquentation. Elle réalise alors qu’il faut proposer une prise en charge juridique aux personnes déboutées et que certains résidents du CADA sont aussi demandeurs de conseils. Face à ce constat, un groupe local de la Cimade est créé.

Pendant cinq ans l’association MAS héberge ainsi 92 personnes (adultes et enfants). Pratiquement chaque famille accompagnée et mise à l‘abri a retrouvé une situation stable (administrative, travail, logement, apprentissage de la langue française), tous les enfants ont été scolarisés. MAS a toujours réussi à trouver une solution pour ne pas laisser des gens à la rue, mais il est vrai que cela tenait parfois du miracle, idem pour les finances ! Ces dernières années, les conditions d’accès à un titre de séjour sont devenues de plus en plus longues et difficiles. Ce titre de séjour conditionne souvent la sortie de l’hébergement et de l’accompagnement.
Fin 2020, l’association perd la mise à disposition de quatre appartements en quelques mois car les propriétaires veulent remettre leur bien en location et à l’été 2021 une famille de neuf personnes, qui doit quitter le CADA, se retrouve pendant une semaine, sous tente, avec deux enfants malades avant qu’une solution soit trouvée dans les réseaux de soutien. La décision d’occuper un immeuble vacant est prise lorsqu’une deuxième famille de six personnes avec des enfants en bas âge est expulsée du CADA en plein hiver et que nous n’avons qu’une solution très temporaire à proposer.

Quelques jours avant, le conseil départemental annonce dans son magazine : « La Haute-Vienne terre d’accueil et de solidarité [...] pourra mettre une trentaine de logements à disposition. L’ODHAC réserve de son côté des logements qui pourront accueillir une centaine de réfugiés ». Cette générosité ne concerne évidemment que les ukrainiens.
Début avril 2022, une occasion fortuite permet à des membres de l’association de visiter un immeuble, 29 rue de la République à Eymoutiers. Il appartient à l’ODHAC. L’immeuble est vacant depuis six ans, mais en bon état de conservation et il est décidé de l’occuper le 6 avril 2022.

Projet dans l'immeuble de l'ODHAC

Au départ de l’occupation, la mairie d’Eymoutiers a proposé une médiation avec l’ODHAC. De ce rendez-vous est ressorti une menace d’expulsion mais la porte reste ouverte pour une possible convention entre l’ODHAC et l’association pour pérenniser l’utilisation du lieu et mettre les familles en sécurité.
Description de l’immeuble : il est situé dans le centre d’Eymoutiers à 45 minutes de Limoges (gare TER à 5 minutes). Il comporte 11 logements T1 et T2 vacants depuis au moins six ans. L’école et le collège ainsi que la maison médicale sont accessibles à pied.
Les habitants : ce lieu accueille des familles et des personnes célibataires qui ne trouvent pas de solution d’hébergement d’urgence indépendamment de leur situation administrative. Un espace commun avec un accès Internet est aménagé dans l’immeuble.
MAS propose à l’ODHAC de signer une convention précaire de type commodat (3), et en présente les avantages :

  • nous veillons au bon entretien de ce bâtiment ;
  • la fondation Abbé-Pierre nous soutient pour cette action et est prête à nous aider financièrement. Nous sommes toujours en cours de finalisation des documents ;
  • les frais suivants seront pris en charge par l’association MAS : électricité, eau, assurances, Internet.
  • le petit entretien du bâtiment sera assuré par l’association. Un premier état des lieux montre d’importantes traces d’humidité dans les appartements du rez-de-chaussée dues à l’absence de chauffage et d’aération et des volets sont bloqués par le lierre jusqu’au premier étage ;
  • le gardiennage du bâtiment et le suivi de son entretien seront une garantie de restitution de l’immeuble dans l’état actuel ;
  • cet immeuble financé par des fonds publics retrouvera sa destination première de logement ;
  • pour les habitants, la signature d’un accord amiable permettra d’assurer une sécurité et une stabilité indispensable à la construction de leur avenir.

La menace d'expulsion :

L’ODHAC a fait réaliser, dès les premiers jours de l’occupation, un constat d’huissier et assigné en justice l’association MAS pour demander l’expulsion des occupants. Les propositions de convention d’occupation énoncées par MAS n’ont pas reçu de réponse de la part de l’ODHAC. Par contre l’audience a été fixée au mercredi 29 juin devant le tribunal administratif.
Depuis le début de l’occupation, le nombre d’habitants de l’immeuble a augmenté : ils sont actuellement 24 habitants dont 14 enfants (de 3 semaines à 17 ans). Une cinquantaine de personnes, habitants, soutiens de MAS et de Chabatz d’entrar sont donc venus dès le début de la matinée devant l’ODHAC pour forcer une reprise du dialogue. Effectivement une délégation a été reçue par les responsables de l’ODHAC pour une discussion d’environ une heure. Mais pour le directeur de l’ODHAC « Il n’est pas question de louer un bâtiment à des familles qui ne sont pas en règle vis-à-vis de la loi. Nous comprenons la situation des familles, mais moins l’attitude de MAS, car il y a tout de même violation de domicile et c’est pour cela que nous avons porté plainte devant la justice. »
Pour le directeur de l’ODHAC, ce qu’il souhaite c’est que la situation de ces familles soit réexaminée par la préfecture et ainsi il pourrait rechercher des solutions pour celles qui seraient régularisées. Evidemment MAS conteste ce point de vue en argumentant sur le fait que cet immeuble était vide depuis six ans, que l’ODHAC n’avait aucun projet sur ces locaux (ils prétendent l’avoir mis en vente) et que les habitants de l’immeuble sont parfaitement intégrés dans le quartier et la ville.
Après le compte-rendu de la délégation, ce rassemblement s’est déplacé devant le tribunal. Les arguments légitimes sur les droits humains ont été évoqués face aux arguments formels sur les droits des propriétaires. Le délibéré sera rendu le 21 juillet.

Alain, 1er juillet

Notes
(1) Finissez d’entrer, formule d’accueil et collectif regroupant de nombreuses associations et individus.
(2) Petite ville de la Haute-Vienne, porte d’entrée de la « montagne limousine ».
(3) Un commodat, également appelé prêt à usage, est un acte juridique par lequel une personne prête une chose gratuitement à une autre, qui s’engage à la lui restituer. Le Comité des Sans-Papiers de Limoges a d’ailleurs signé l’hiver dernier deux commodats avec le diocèse de Limoges pour le prêt de logements.

P.-S.

Avec l’aide d’articles parus sur https://labogue.info

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