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CA 323 octobre 2022

Incendions et noyons le mode de production capitaliste

mardi 18 octobre 2022, par Courant Alternatif

Parler de catastrophe naturelle a le grand avantage de conforter un regard fataliste et passif hors du champ de vision des dysfonctionnements et des responsabilités humaines. Mais faire apparaître l’activité humaine « en général » jette à son tour un voile pudique sur le fait que la catastrophe « naturelle » cache presque toujours une décision prise délibérément au bénéfice de groupes sociaux appartenant à la classe dominante et non au genre humain dans son ensemble.


Je me rappelle qu’enfant, dans les années 1950, les incendies dans les Landes revenaient chaque été comme un marronnier dans la presse écrite et parlée.
Lorsque éclate le 19 août 1949 « l’incendie du siècle » 100 000 hectares ont déjà été brûlés ici et là en cette troisième année consécutive de canicule. Il laissera une trace indélébile dans les imaginaires collectifs en ravageant en une semaine 50 000 ha de bois et de landes, et en entraînant la mort de 90 personnes. La presse people de l’époque, Paris-Match qui vient de se créer, Noir et Blanc, Ici Paris et autres, rivalisent alors de photos et de dessins à la Une tous plus suggestifs les uns que les autres pour frapper les imaginaires : femmes et enfants hagards fuyant les flammes, paysans pleurant devant leur chaumière carbonisée, pompiers héroïques visages noircis tentant de faire face.
Ces images gravées en moi sont associées à celles qui, trois années plus tard, ont illustré une autre catastrophe du siècle, mais aux Pays-Bas cette fois. Dans la nuit du 31 janvier au 1er février 1953, un ouragan s’abat sur les côtes de la mer du nord provoquant un raz-de-marée et la rupture des digues protégeant les polders et la Zélande. Plus de 200 000 hectares se retrouvent brutalement sous plus de 4 mètres d’eau : 1 800 morts et 70 000 personnes déplacées.
Mêmes images, mais à la hollandaise cette fois : de pauvres gens sous un déluge d’eau tentant désespérément des colmater les brèches avec de misérables sacs de sable et des pelletées de terre ; visages horrifiés et yeux exorbités d’adultes épuisés à la vue de petits enfants emportés par les flots. Un choc des images qui ne faisait que rappeler que ces catastrophes (1) faisaient partie du grand récit de la Hollande au même titre que les tulipes et le patin à glace depuis que l’idée était venue à certains de ses habitants de gagner des terres sur la mer.
A l’époque on n’évoquait pas le changement climatique et encore moins une cause humaine, c’était le destin voilà tout ! Les solutions qui s’imposaient étaient d’ordre technologiques : quadriller les Landes de couloirs pare feux, mettre en place de nouvelles générations de digues aux Pays-Bas. La même confiance forcenée en l’avenir technologique qui fait dire aujourd’hui que « peu importe de ne pas savoir ce qu’on fait des déchets radioactifs de nos jours, la science saura bien résoudre cette question en temps utile ».

*** Catastrophe pour qui, pourquoi ?

Même si l’idée selon laquelle des activités humaines contribuaient largement aux dérèglements et aux catastrophes subies s’est imposée, l’aveuglement est toujours généralisé sur les causes réelles. On entend de plus en plus, dans la bouche de politiciens y compris écologistes et de journalistes, le concept de « catastrophe… pour la planète ». Or, Sauf à anthropomorphiser l’univers et la planète ou à y placer un quelconque démiurge à leur conception le concept même de catastrophe n’a pas de sens pour ce qui les concerne. Ni la planète ni l’univers ne voient ni ne caractérisent quoi que ce soit de catastrophique. C’est un concept qui ne vaut que pour les humains.
En réalité ce ne sont pas les incendies, les séismes, les tsunamis, les inondations ou les irruptions volcaniques qui sont en eux-mêmes des catastrophes mais leurs conséquences pour les humains dans des conditions précises.
Et si ces conséquences peuvent être subies par l’ensemble des humains, c’est tout de même avec une certaine prédilection pour les plus pauvres. Mais il est en revanche faux de considérer que ce sont l’ensemble des humains qui en portent la responsabilité.
Prenons trois exemples.

*** Foret des Landes : terre de feu, terre de profit

Jusqu’au milieu du XIXe siècle la plus grande partie du territoire landais était une zone humide, habitée et gérée dans le cadre d’un système agro pastoral basée sur une utilisation collective des landes pour faire paître les moutons. Ses habitants étaient considérés par le pouvoir central et la bourgeoisie en général comme arriérés, de mœurs bizarres, sales et sujets aux maladies propres aux marais (2).
Ce territoire est considéré comme une colonie intérieure qu’il faut valoriser. Ce sera chose faite grâce à la loi impériale de 1857 qui signe la fin de l’agropastoralisme et de l’usage collectif des terres. Le prétexte semble vertueux : il s’agit d’« arracher cette terre au désert », aux maladies et à la misère. On assèche les landes en creusant des canaux et on libère ainsi de grandes surfaces « assainies » qui sont propices à la mise en place d’une agriculture rentable qui se révèlera être une sylviculture. Des milliers d’hectares sont attribués à des investisseurs privés, en sont expropriés les populations qui n’avaient aucun autre droit que l’usage. Naît ainsi une grande forêt de pins rentable qui répond, en ce milieu de 19e siècle, aux appétits de l’industrie minière en pleine expansion et qui a besoin de quantité phénoménales de bois pour renforcer les galeries, en particulier en Angleterre.
Ainsi, pour leur bien évidemment, les populations passent d’une économie essentiellement d’autosubsistance à un mode de production capitaliste industriel qui transforme les bergers en prolétaires recyclés dans l’industrie du bois et du gemmage comme salariés le plus souvent misérables. Ajoutons à cela que la nécessaire protection des dunes côtières pour stabiliser les nouvelles plantations jette les fondations d’un autre futur fléau, l’industrie touristique sur les côtes.
Ainsi donc, ce sont bel et bien les promoteurs d’une éradication programmée du système agro-pastoral liés au capitalisme industriel dévorant tout sur son passage qui sont les responsables et les bénéficiaires de la « mise en catastrophe » d’un territoire. Et cela s’appelle une classe sociale dominante. Si les ex-bergers devenus prolétaires sont responsable de quelque chose c’est juste de ne s’être pas suffisamment soulevés.

*** La Vendée submergée, Xynthia février 2010 : le paradis des investisseurs immobiliers

La tempête Xynthia du 28 février 2010 a été accompagnée d’une inondation de zones basses urbanisées du littoral atlantique français. Environ 45 000 hectares de terres agricoles ont été submergés par de l’eau de mer en Charente-Maritime, et 12 000 hectares en Vendée, entraînant directement le décès de 41 personnes par « submersion marine ».
Jusqu’au milieu du siècle dernier les espaces à bâtir étaient limités tout au long des cordons dunaires du littoral. Au début des années 1970 le littoral vendéen entre dans une ère d’urbanisation massive. L’activité agricole traditionnelle est en perte de vitesse, des centaines d’hectares se libèrent entraînant l’entrée sur le territoire d’opérateurs immobiliers disposant de gros capitaux aux ambitions financières sans commune mesure avec celle des constructeurs précédents
Dans un premier temps limité à la rive pour engranger de premiers bénéfices juteux liées au tourisme, le processus d’urbanisation s’est ensuite diffusé aux terres des marais, au-delà du cordon dunaire dans des zones topographiquement basses. Les lotissements et les immeubles collectifs fleurissent, le plus souvent exonérés de toute régulation et de contraintes d’urbanisation.
Evidemment, comme pour les plantations de pins dans les Landes tout cela s’est fait pour le bien des « petites gens » de la population au nom du sacro-saint « développement local », une devanture vertueuse mise en avant par les groupes d’intérêts liés au tourisme qui ont investi les instances politiques et administratives locales.
Là encore il s’agit bien d’un aménagement orchestré par la classe dominante pour son plus grand profit, et non par le genre humain en général !

*** Ouragan Katrina : le rêve américain submergé

Ce n’est pas le cyclone Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en août 2005, ce sont les inondations qui ont suivi l’effondrement des levées. En réalité ce ne sont pas essentiellement les inondations qui ont suivi l’effondrement des levées qui ont dévasté la Nouvelle-Orléans, c’est la non prise en compte d’une information qui existait depuis des années, ainsi que les défaillances du système d’alerte et des secours au moment de la catastrophe. Mais avant tout, ce sont, sur une plus grande échelle de temps, des pratiques d’aménagement aberrantes, dont la toute première fut de laisser prospérer une agglomération presque entièrement située en dessous du niveau de la mer (60 cm en moyenne et parfois jusqu’à 5 mètres) pour les plus grands bénéfices de la bourgeoisie marchande américaine au détriment des populations natives.
Créée artificiellement au début du 18e siècle à cet endroit pour satisfaire les besoins immédiats de l’expansion coloniale, La Nouvelle-Orléans était une sorte de ville-entreprise conçue pour répondre aux besoins logistiques et économiques d’une économie coloniale et renforcer la confiance des investisseurs pour conserver le monopole commercial de la Compagnie du Mississippi sur les importations et les exportations. Réalisé à cet effet, l’indispensable aménagement du plus grand fleuve des États-Unis en voie navigable a empêché progressivement les alluvions qui se répandaient auparavant dans le delta de maintenir une hauteur suffisante à l’émergence des terres.
Parler de responsabilité collective pour les « dommages » que subirait la planète, c’est rendre co-responsables de ce qu’a subi la Nouvelle-Orléans les peuples autochtones et les esclaves africains ! Un comble !

*** Une écologie punitive au service du Capital

Cette obstination à rendre invisible les intérêts de classe de chaque intervention humaine dans des décisions d’aménagement mortifères du territoire présente, pour la classe dominante et pour tous ceux qui considère le mode de production capitalisme comme le moins mauvais possible, l’immense avantage de faire porter le chapeau à tout le monde, toutes classes confondues. Tous coupables, tous doivent être punis et payer leur écot en se concentrant sur des gestes individuels salvateurs.
Le réchauffement climatique et le trop plein de CO2 ne sont qu’une goutte d’eau dans ces « catastrophes » qui nous occupent. Ils s’ajoutent à des causes beaucoup plus profondes que sont les aménagements du territoire à des fins marchandes, l’artificialisation des terres.
La lutte contre les « catastrophes » qui se multiplient passe par une réappropriation des espaces par les classes exploitées et leur transformation de marchandises en lieu de vie plus que par une sobriété culpabilisatrice. Une vraie révolution vous dis-je !

JPD

Notes
1. Le 14 décembre 1287, les digues qui retenaient la mer du Nord ont cédé et l’eau a inondé le pays. Connue sous le nom d’inondation de Sainte-Lucie, Cette inondation, considérée comme l’une des pires de l’histoire aurait tué plus de 50 000 personnes.
2. On lira avec profit la brochure Une histoire sociale des Landes de Gascogne – Du système agro-pastoral traditionnel à la monoculture du pin. Pour la commander écrire à ruefurieuse@riseup.net !

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