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Chantiers Navals de Saint-Nazaire
19 jours de grève de la faim pour… leur salaire !

mardi 13 mai 2008, par Courant Alternatif

Du 14 mars au 1er avril, 3 travailleurs grecs de la sous-traitance du Chantier Naval « Aker Yards » de Saint-Nazaire ont mené une grève de la faim pour le paiement de leurs salaires. Ils ont obtenu satisfaction sur l’intégralité de leurs revendications, mais le décès de l’un d’entre eux à son retour en Grèce est venu endeuiller cette victoire. Petit retour sur une lutte qui dépasse largement une situation particulière et un contexte local, pour concerner l’évolution du droit du travail en Europe.


Les conflits dans la sous-traitance aux Chantiers Navals de Saint-Nazaire sont récurrents, depuis la mise en place de la stratégie « Cap 21 » par « Alstom Marine », à partir de 1997, pour faire baisser les coûts salariaux, notamment par l’appel à la sous-traitance étrangère. Les fameux « montages exotiques » et la sous-traitance en cascade ont été notamment exposés dans le film documentaire « Un monde moderne » d’Arnaud Soulier et Sabrina Malek lors de la construction du Queen Mary II en 2003, qui avait été perturbée par de multiples conflits, dont une grève victorieuse de près de 300 travailleurs indiens.
Comme le montrait l’interview de l’Union Syndicale Multiprofessionnelle-CGT dans CA 177 de février 2008, les choses n’ont pas changé avec « Aker Yards », le nouveau propriétaire.
Régulièrement, on découvre de nouvelles situations d’exploitation de travailleurs bulgares, roumains, polonais, grecs… recrutés par des « négriers des temps modernes » qui bafouent les droits élémentaires des salariés, et le code du travail français qui, (pour combien de temps encore ?), les régit.


« L’esclavage moderne »


Boris, Nicos et Léonidas furent embauchés comme peintres, par un recruteur turc de la société allemande « Elbe », pour le compte d’une autre société allemande « Freese », elle-même sous-traitante directe de « Aker ». Ils étaient donc intégrés à une équipe de travailleurs turcs, bulgares et grecs, en mission de finition sur le dernier paquebot livré à la société italienne MSC, principal commanditaire des Chantiers ces dernières années.
Recrutés sur une base de 2 000 euros par mois avec hébergement, ils ont commencé à déchanter, avec d’autres, quand le camping dans lequel ils occupaient un bungalow leur a annoncé que leur loyer n’était pas payé… Devant des horaires de travail atteignant 56 heures par semaine, ils ont exigé de ne plus travailler tous les samedis, et leur contrat de travail ainsi que leurs bulletins de salaire. Tout cela a duré jusqu’en février, ou après des promesses sans suites et des menaces, ils ont été purement et simplement licenciés oralement. Cependant, là où ils chiffraient le montant de leurs salaires à 8 000 euros, la société « Elbe » ne leur en concédait que 1 900 et un billet de retour, prétextant que leur période d’essai de 6 mois n’était pas arrivée à échéance au moment de leur licenciement. Et rien n’y fit, malgré l’intervention de l’USM-CGT et différentes tentatives de conciliation avec l’Inspection du travail. Refusant de partir sans leur dû, ils ont tenté différentes démarches jusqu’au 14 mars où ils ont entamé leur grève de la faim.


Un mouvement autonome de solidarité


Comme lors de la grève de la faim, menée par des travailleurs polonais en 2005, un mouvement de solidarité regroupant des militanEs politiques, associatifs, syndicaux s’est mis en place pour soutenir leurs revendications, avec une première épreuve de force avec le maire socialiste de St-Nazaire, qui refusait que la grève de la faim se mène à la Mairie le week-end du deuxième tour des municipales, et assurant que tout serait réglé grâce à ses interventions dans le dossier pour le lundi 20 mars.
Une soixantaine de militantEs se sont alors relayés et investis pour assurer une présence auprès des grévistes jour et nuit, faire signer des pétitions, produire et coller tracts et affiches, assurer les contacts avec la presse, l’ambassade de Grèce, mettre sur pied un réseau d’interprètes, impulser des rassemblements et des manifestations, assurer le suivi médical avec un toubib militant… Tout cela a permis de construire un mouvement de solidarité indépendant des forces politiques et syndicales institutionnelles, qui, à l’exception du PC et de la CGT, voulaient toutes que le dossier soit renvoyé devant les Prud’hommes. Or pour plaider aux Prud’hommes il faut des pièces et des éléments, et en l’occurrence nos trois camarades n’avaient ni bulletins de salaire, ni contrats de travail pour attester de leur bonne foi, et une action en référé n’avaient quasiment aucune chance d’aboutir. D’autant que l’USM-CGT sait d’expérience qu’un jugement au Prud’hommes n’est en rien une garantie de paiement : ainsi le cas de cet ouvrier polonais, qui bien que reconnu dans ses droits, attend toujours en 2008 le paiement de ses salaires de 2005…

La construction d’un rapport de force.


La position du comité de soutien était qu’à défaut d’un paiement par « Elbe » sur lequel nous n’avions que peu de moyen de pression (pas de siège social ici), le donneur d’ordre, à savoir « Aker-Yards » devait payer et assumer l’indigence de son sous-traitant. L’intervention de la Préfecture dans le dossier n’a en rien permis d’influer, jusqu’à l’entrée en scène de l’ambassade de Grèce qui a situé cette lutte sur un terrain diplomatique et politique, à faire pâlir d’effroi le sous-préfet, inquiet pour sa carrière.
« Aker-Yards » craignait qu’une lutte trop médiatisée et victorieuse aboutisse à une multiplication des conflits sur le site, et a passé son temps à pondre des communiqués accusant la CGT d’instrumentaliser Boris, Nicos et Léonidas, tout à la fois pour tenter de discréditer la CGT, et faire traîner le conflit.
Cependant le 18 mars, les trois grecs ont vu arriver en renfort 48 ouvriers polonais d’un autre sous-traitant du chantier « Cegelec » en grève sur une question de taux horaire inférieur au SMIC, et qui sont également venus occuper l’Hôtel de ville. La crainte du nombre a fait que le conflit avec les travailleurs polonais s’est très vite réglé, et que nos camarades grecs se sont à nouveau retrouvés seuls.
Les ouvriers étrangers sont continuellement sous pression de leurs employeurs, qui n’hésitent pas à utiliser différents moyens de pression pour les exploiter, et dans tous les cas les tiennent le plus possible dans l’ignorance de leurs droits. On a ainsi vu une manifestation d’ouvrier d’ « Elbe », soutenir leur patron contre ces trois Grecs qui voulaient être payé alors qu’ils étaient ivrognes et n’avaient jamais travaillé… Les ficelles étaient tellement grosses, que même la presse locale a laissé entendre combien ces manœuvres sentaient la manipulation. La même entreprise « Elbe » qui a fini par produire en Préfecture des contrats de travail signé de Boris, Nicos et Léonidas pour attester de son bon droit… Sauf que maîtrisant mal le grec, le faussaire qui avait fabriqué les dits contrats a posteriori avait confondu la signature du titulaire du papier d’identité avec la signature de l’autorité qui l’avait délivré… Et l’on pourrait multiplier les anecdotes de ce type…
C’est officiellement la crainte d’ « Aker » de voir les festivités de livraison de son paquebot perturbées par une manifestation, qui a finalement poussé la direction du Chantier à régler leur dû à nos trois camarades, sans autre forme de négociation que la remise d’un chèque de 7 300 euros le 1er avril, somme qui venait s’ajouter aux 700 euros versés directement par « Elbe » 3 jours avant pour mieux faire oublier l’histoire des faux contrats…
Ceci dit, est-ce un hasard, se tenait également le 1er avril une réunion en Norvège des actionnaires d’ « Aker » pour la recapitalisation du groupe, et une image entachée par un conflit de ce type n’était pas du meilleur effet.
Dans les autres points à souligner, le mouvement de solidarité ne s’est pas épuisé au fil des trois semaines, il se serait même plutôt radicalisé… Il n’y a pas eu de mouvement de rejet de cette lutte sur le site des Chantiers, malgré les efforts des « ressources humaines » d’ « Aker » pour discréditer ce combat : par exemple les affiches sont restées sur le site des Chantiers, contrairement aux affiches électorales fréquemment arrachées. Par ailleurs, l’écho donné à cette bataille par le député PS au Parlement européen, pour le coup plus indépendant que son collègue maire des pouvoirs économiques locaux, (et aussi plus présent sur le terrain, il faut le dire, même si c’est loin de permettre une quelconque réhabilitation du PS…), et la menace de l’ambassade de Grèce d’entamer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, ont certainement aussi pesé dans le rapport de force.

Une victoire endeuillée


Boris, Nicos et Léonidas ont donc recommencé à s’alimenter sous contrôle médical le 1er avril. Une seule ombre dans leur victoire : ils ne sont pas parvenus à obtenir leurs bulletins de salaire, alors qu’ils exigeaient une reconnaissance de leur travail, et de leur lutte, au-delà du simple paiement.
Ils sont restés encore une dizaine de jours à St-Nazaire, le temps de se rétablir toujours entourés des membres Comité de solidarité, et de régler les derniers détails pour leurs billets d’avion. Nous avons appris la mort de Nicos, par arrêt cardiaque dans son sommeil deux jours après son retour chez lui, sans que des liens directs avec sa grève de la faim de 19 jours puissent être établis à ce jour, et le Comité et l’USM-CGT restent en contact avec l’ambassade de Grèce dans l’espoir de plus d’informations sur ce décès qui nous a bien sûr profondément touchés.

D’autres luttes à venir.


Cette bataille, selon des modalités de lutte discutables et discutées ici, montre le niveau d’affrontement entre capital et travail pour la reconnaissance des droits des travailleurs et l’obtention de leur dû. Pour une victoire consacrée à Saint-Nazaire au prix d’une mobilisation importante, et grâce à la détermination sans faille de 3 travailleurs en lutte pour leur dignité avant tout, combien de situations similaires cachées ou ignorées, ou encore acceptées au nom de la survie économique ?
La mise en concurrence au niveau européen des travailleurs ne fait que commencer, et de Traité de Lisbonne en directive Bolkenstein, la fin du droit du travail garanti dans le cadre des états nationaux approche, comme nous le montre le communiqué de presse de l’union syndicale solidaire en encadré.
Il faudra autre chose que des colloques internationaux et des résolutions de salon pour s’y opposer. En Mai, fais ce qu’il te plaît…

OCL St-Nazaire.
Le 20 avril 2008

P.-S.

Le droit européen contre l’Europe sociale

Coup sur coup, en quelques semaines, la Cour européenne de justice vient de rendre trois arrêts redéfinissant les rapports entre le droit européen et le droit du travail existant au niveau national.
Après l’arrêt Viking concernant la Finlande et l’arrêt Vaxholm-Laval pour la Suède, c’est maintenant au tour de l’Allemagne d’être touchée avec l’arrêt Rüffert .
Les arrêts Viking et Laval-Vaxholm condamnaient l’action collective des travailleurs pour empêcher une délocalisation dans le premier cas, un dumping salarial dans le second. L’arrêt Rüffert condamne le Land de Basse-Saxe pour avoir voulu appliquer à une entreprise polonaise une loi obligeant les entreprises de travaux publics à appliquer la convention collective du secteur dans le cas de passage de marchés publics. L’entreprise polonaise avait refusé de le faire en ne payant à ses ouvriers que 50 % du salaire minimum prévu par la convention collective.
Dans les trois cas, l’argumentation de la Cour est la même. Elle considère que l’égalité de traitement entre les salariés constitue une restriction de la « libre prestation de service » garantie par l’article 49 du traité instituant la Communauté européenne, article repris intégralement dans le traité de Lisbonne.
Le dumping social est explicitement justifié :« imposer aux prestataires de services établis dans un autre État membre, où les taux de salaire minimal sont inférieurs, une charge économique supplémentaire qui est susceptible de prohiber, de gêner ou de rendre moins attrayante l’exécution de leurs prestations dans l’État membre d’accueil (...) est susceptible de constituer une restriction au sens de l’article 49 CE » (point 37, arrêt Rüppert).
La libre prestation de services l’emporte sur les droits des salariés et les normes sociales nationales. La Cour peut, au nom de la liberté du commerce, limiter l’action syndicale et les droits des salariés. C’est le détricotage des droits sociaux qui est ainsi programmé.
Dans cette situation, il est de la responsabilité du mouvement syndical en Europe, et, plus largement, celle des mouvements sociaux et citoyens, de construire les rapports de forces nécessaires pour bloquer les processus en cours et imposer une législation européenne qui permette l’harmonisation par le haut des droits sociaux.
L’Union syndicale Solidaires sera porteuse de cette perspective lors des prochaines rencontres des mouvements sociaux en Europe et en particulier lors du Forum social européen qui se tiendra en septembre à Malmö.

Union Syndicale Solidaires
Le 4 avril 2008

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