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CA 329 avril 2023

Les bénéfices honteux de la SNCF

dimanche 16 avril 2023, par Courant Alternatif

En pleine lutte contre la réforme des retraites, les cheminot-es prouvent encore qu’ils sont à la pointe du mouvement par la reconduction de la grève depuis le 7 mars. Il faut dire qu’il y a de quoi avoir la haine contre leur employeur quand on voit que la SNCF annonce un bénéfice record de 2,4 milliards. Cet argent s’est fait sur le dos des travailleurs du rail, la direction a méticuleusement cassé le statut des cheminot-es ainsi que le service public qu’ils rendaient. Heureusement la résignation n’est pas là, aujourd’hui dans la reconductible mais aussi en décembre dernier dans la grève surprise de Noël qui a réussi à gagner.


{{2,4 milliards d'€, le bénéfice du crime et de la honte

La direction de la SNCF l’a annoncé à grand renfort de publicité, l’entreprise a dégagé 2,4 milliards d’Euros de bénéfice en 2022. Un résultat obtenu par des mesures drastiques de réduction du personnel, de gains de productivité, de mise en danger des cheminots et des voyageurs. Quasiment aucun journaliste ne fait le lien avec (notamment) Brétigny dont le procès s’est pourtant achevé il y a peu de temps, ni avec les difficultés de circulation récurrentes, ou la grève des chefs de train, qui étaient en pleine mobilisation pendant cette annonce. Pourtant, les liens de cause à effet sont d’une aveuglante évidence.

{{2,4 milliards, le prix de la désorganisation du service ferroviaire

Tous les usagers le savent, actuellement, personne ne peut être sûr qu’un train va réellement partir et si il arrivera, alors qu’il y a 40 ans, la fierté des cheminots était de faire circuler les trains à l’heure à 10 secondes près. Le matériel roulant, les infrastructures, rien n’est plus entretenu comme il faudrait, et il manque du personnel pour faire circuler les trains, ce qui se voit et se subit au quotidien. Depuis des décennies, la SNCF ferme des voies ferrées à la demande des différents gouvernements. Le dernier grand axe en date, la transversale Bordeaux-Lyon, heureusement reprise par la société coopérative Railcoop.

Un réseau de voies divisé par 2 depuis 1930, en baisse constante, la disparition des gares, passées de 8000 à 3000 actuellement (en comptant les points d’arrêt), tout cela sous prétexte d’un manque de rentabilité (ce qui ne devrait pas être la préoccupation d’un service public) poussent les gens vers la route, au moment où il faudrait les attirer vers le rail. Rappelons également que la fréquence de circulation des trains n’est jamais remontée au niveau avant confinement, notamment parce que la SNCF n’arrive plus à embaucher, mais aussi parce que le politique a exigé des économies.

Et si les usagers vivent des périodes de grèves à répétition, c’est la conséquence directe de cette politique qui pour dégager du bénéfice à tout prix, empêche toute négociation avec une direction qui, elle, tire les marrons du feu, il suffit de voir les primes d’objectif de 300 000€ des cadres de Géodis (groupe SNCF) dénoncées par les grévistes en janvier 2022, fiches de paye à l’appui.
La récente grève des contrôleurs vient de cette situation de blocage d’une direction dont l’attrait pour le tableau Excel est proportionnel à la prime d’objectif et avec tout le mépris pour les agents qui accompagne la démarche.

{{2,4 milliards, le prix du risque ferroviaire

Alors que la justice vient de constater la responsabilité de la SNCF dans l’accident historique de Brétigny il y a quelques semaines, personne ne semble faire la relation entre ces 2,4 milliards et le délabrement généralisé du réseau. Pourtant, la condamnation à 350 000€ est bien due au constat d’une « carence de surveillance » et d’une « défaillance de contrôle », avec une « récidive caractérisée ». Mais, tout le monde applaudit au bénéfice annoncé environ un mois plus tard.

Les incidents se multiplient partout liés à la vétusté des infrastructures, ou à la circulation de trains d’opérateurs privés, encore moins rigoureux que la SNCF sur la sécurité. La direction de la SNCF multiplie les économies depuis 30 ans sur l’entretien préventif et en même temps, doit faire circuler des trains pour éviter les pénalités de l’état ou des régions, statistiquement, les risques ne peuvent que s’aggraver. Le président de SNCF Réseau a démissionné en 2016, après Brétigny, officiellement pour raisons personnelles. Le peuple grec a réagi différemment après la catastrophe du 28 février dernier et le lien de cause à effet avec la privatisation a été immédiatement établi

{{2,4 milliards, le prix de la souffrance des cheminots

Le nombre de cheminots salariés par la SNCF ne cesse de chuter, 119 000 actuellement, rendant les conditions de travail de plus en plus insupportables et notamment avec des contacts avec les voyageurs de plus en plus conflictuels puisque pour faire passer la pilule des multiples restructurations et de la réforme du ferroviaire, il fallait salir l’image des cheminots.
Une pression psychologique constante sur les agents pour imposer l’absurde, l’inacceptable et faire taire les récalcitrants et qui provoque des burn-out en série, des inaptitudes, voire pire avec le suicide d’Edouard Postal, le 10 mars 2017.

La SNCF pousse ses agents à la démission, à un rythme encore jamais vu, se débarrasse des travailleurs handicapés, monte des fichiers illégaux pour lister les agents « poly-absents » notamment. Globalement, l’entreprise met ses agents en souffrance, et sans que ces derniers tirent un bénéfice financier de ces mesures absurdes visant à gagner en productivité. Quelques semaines seulement après le procès en appel des conséquences de la « transformation » de France Télécom, le gouvernement reproduit et persiste dans une politique semblable à la SNCF - et dans d’autres services publics, bien entendu.

Il s’agit donc d’une récidive de maltraitance à l’encontre de salariés du service public. Aujourd’hui, le statut d’agent SNCF va disparaître alors qu’il permettait de fidéliser des agents dont l’entreprise paye la formation (80 000€ environ pour un agent de conduite), et les résultats sont les démissions et les difficultés d’embauche qui provoquent des suppressions de train, directement ou indirectement.

{{2,4 milliards, un bénéfice qui masque un déficit

Tout d’abord, une étude de 2017 estime que le coût des retards de train est de 1,5 milliard par an pour l’économie française, ce qui relativise déjà les 2,4M. Pour arriver à renouer avec le bénéfice, il a fallu descendre à 119 000 cheminots aujourd’hui et donc creuser le déficit de la caisse de retraite, faute de cotisations suffisantes pour payer les pensions des retraités, que l’état abonde à hauteur de 3,2 milliards par an. Alors que la caisse de retraite pourrait être à l’équilibre avec un nombre de cotisants suffisant si la SNCF n’avait pas privatisé des pans entiers de son activité.

À cela, il faut ajouter les 25 milliards par an que coûte l’entretien des routes, alors que le prix pourrait être bien inférieur si la SNCF n’avait pas saboté le transport de marchandises par le rail, car ce sont les poids lourds qui abîment le plus les routes. Sans compter les différentes primes récentes pour le carburant (chèque de 100€ pour les gros rouleurs etc), puisque la politique du tout routier nous a rendu totalement dépendants de la route. C’est la route qui demande un coût social exorbitant avec, pour simple exemple, entre 50 et 60 000 blessés et tués par an, contre moins de 200 pour le rail, et c’est la sécurité sociale qui prend en charge ces blessés (chiffres DATALAB). Sans compter que cette politique du tout routier va complètement à l’encontre des intérêts de la population en matière d’environnement et de réchauffement climatique.

Il est donc évident que d’un point de vue purement financier, ces 2,4 milliards de bénéfice coûtent en réalité, des dizaines de milliards à la population. Un basculement vers le rail avec plus de trains de voyageurs et de marchandises ferait baisser le prix de chaque circulation et le coût social lié aux nuisances et à l’entretien des routes, avec une caisse de retraite à l’équilibre. Pour le coup, un service public qui ne serait pas forcément bénéficiaire en lui-même, mais qui amènerait un bénéfice social général.

{{2,4 milliards, le dogme absurde d'une pseudo rentabilité du service public

Avec des conséquences, cette fois, sur la sécurité des usagers, la santé publique et le réchauffement climatique, il est évident que cette rentabilité forcée n’est pas du tout une réussite. Le dogme de la privatisation des services publics implique une réussite financière pour un gouvernement capitaliste, mais l’on voit bien que même cette dimension, censée être maîtrisée par la classe dirigeante, est en réalité un mensonge.

Il est évidemment, inadmissible que de telles transformations sociales (présentées comme positives puisque la SNCF est bénéficiaire) ne fassent pas l’objet d’un choix éclairé de la population.
La réussite d’un service public comme le rail doit passer par une plus grande fréquentation, donc attirer les voyageurs par une régularité et des conditions de transport de qualité, sans recherche de rentabilité à tout prix, pour gagner le pari de la transition écologique, complètement méprisé par le gouvernement. D’ailleurs, actuellement, les associations d’usagers reconnaissent toutes que le rail est l’avenir pour son impact environnemental inférieur à la route pour des performances et une sécurité supérieures et la population est favorable à une véritable alternative à la route pendant que le pouvoir politique sabote le rail.

Très récemment, Macron lance un grand plan pour le rail avec 100 milliards d’investissement d’ici 2040, soit 5,9 milliards/ an, ajoutés aux 15 milliards/ an actuels pour le rail, on est encore loin des 25 milliards/ an injectés dans le réseau routier. En réalité, la réforme du ferroviaire de 2018 qui prépare la privatisation par appel d’offre prive la population d’un outil d’aménagement du territoire qui permettait une transition écologique du transport. C’est pourquoi, il est indispensable que les services publics soient gérés collectivement par les travailleurs du secteur et les usagers avec une véritable vision à long terme des tenants et des aboutissants.

Eric Bezou, mars 2023

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