CA 329 avril 2023
Touchons le fond
samedi 15 avril 2023, par
Dans le numéro de février dernier de Courant Alternatif, un article titré « La maladie infantile du trotskysme : l’État ouvrier dégénéré » signé JPD, a suscité des commentaires que l’on peut trouver intégralement sur notre site. Nous en publions ici des extraits. Le premier vient d’un membre du groupe l’Ouvrier (1) issu du trotskisme (Lutte ouvrière), qui publie chaque mois un tract/édito concernant un fait d’actualité. Il porte sur la question du rôle des groupes, partis, liaisons révolutionnaires dans la société capitaliste et de leur impact sur le niveau de la lutte des classes et sur l’idée de révolution. Un autre, signé JF, en profite pour faire le lien avec les enjeux réels du mouvement actuel contre les retraites. Enfin un dernier nous signale à quel point le film « Trotski un homme à abattre » passé sur Arte, est une ignominie.
Dans le numéro de février dernier de Courant Alternatif, un article titré « La maladie infantile du trotskysme : l’État ouvrier dégénéré » signé JPD, a suscité des commentaires que l’on peut trouver intégralement sur notre site. Nous en publions ici des extraits. Le premier vient d’un membre du groupe l’Ouvrier(1) issu du trotskisme (Lutte ouvrière), qui publie chaque mois un tract/édito concernant un fait d’actualité. Il porte sur la question du rôle des groupes, partis, liaisons révolutionnaires dans la société capitaliste et de leur impact sur le niveau de la lutte des classes et sur l’idée de révolution. Un autre, signé JF, en profite pour faire le lien avec les enjeux réels du mouvement actuel contre les retraites. Enfin un dernier nous signale à quel point le film « Trotski un homme à abattre » passé sur Arte, est une ignominie.
Revenons au texte de JPD. C’est la fin de cet article qui est à la fois le plus intéressant, et aussi le plus discutable, aujourd’hui. Car JPD implique y compris son propre courant dans la crise actuelle des organisations politiques. Pour lui, c’est le monde de la représentation qui est en crise : partis politiques, syndicats, sont désertés, tandis qu’ici ou là, à un moment ou un autre, apparaissent des mouvements refusant ces cadres, tels que Nuit Debout, ou tel collectif de travailleurs.
« TOUTES (le mot est souligné) les organisations politiques sont en crise, écrit-il, les petites comme les grandes, quelle que soit leur idéologie, tout simplement parce que, comme nous l’avons dit plus haut, c’est une forme de représentation qui sert de moins en moins la gouvernance capitaliste et qu’elles ne correspondent plus, tant idéologiquement que structurellement à la manière dont une partie de la population agit et pense. Les organisations dites anticapitalistes, libertaires compris, se prennent en plus dans les dents la quasi disparition de l’idée de révolution qui est la conséquence des difficultés que les salariés eux-mêmes rencontrent pour résister aux assauts patronaux depuis quelques décennies. »
JPD conclut son texte en affirmant que ce qui compte d’abord, c’est le niveau de la lutte des classes. Pour lui, ce niveau de la lutte des classes « ne dépend que peu de l’orientation -de tel ou tel parti ou de celle d’une quelconque avant-garde autoproclamée ». La « capacité collective à se constituer en classe pour reprendre l’offensive contre le système d’exploitation », « cette capacité ne peut pas se construire à partir du haut. En ce sens la crise du NPA est aussi la nôtre car il s’agit pour tout le monde d’aborder avec ces données la question du rôle des regroupements révolutionnaires ».
Personnellement, je suis de cet avis que le niveau de la lutte de classe ne va pas découler de l’action d’un groupe ou d’un parti ; ce qui est par contre l’avis de LO, qui ferraille pour cela en permanence à clamer la nécessité de créer un parti révolutionnaire. Mais je ne suis pas entièrement d’accord avec JPD quand il écrit que le niveau de la lutte des classes « ne dépend que peu de l’orientation de tel ou tel parti », ou avant-garde. Remettons-nous un instant dans la période où Marx lui-même était vivant. Ses idées étaient émises, relayées, transmises, par des militants, jour après jour, au plus profond des mondes ouvriers européens. Avec leur parole, avec des feuilles simples et accessibles. Remettons-nous dans cette autre période qui a précédé la Commune de Paris, sous Napoléon III. Les militants des nombreuses tendances révolutionnaires multipliaient les réunions, où ils discutaient des mille et unes questions que peut poser l’idée de changer la société, sous tous ses aspects, et ils avaient des auditeurs par milliers, par dizaines de milliers. Remettons-nous dans les années qui ont précédé la Révolution espagnole de 1936. Jusque dans les campagnes, et peut-être plus qu’ailleurs, les militants anarchistes rendaient populaire l’idée d’une autre organisation sociale, l’idée d’un travail et d’une appropriation collective.
Je veux souligner ici que l’orientation d’un parti, des groupes existants en tout cas, peut jouer un rôle et que ce rôle est essentiel. Certes, on peut me répondre que si des milliers de gens venaient aux réunions des blanquistes ou des saint simoniens, c’est que le niveau de lutte des classes avait déjà monté. Sans doute. Mais il trouvait alors des idées, il pouvait s’en alimenter. Et sans ces aliments, il n’y aurait certainement pas eu la Commune de Paris telle qu’elle a existé. Or, un tel travail, celui que L’Ouvrier a pu mener à l’époque où nous utilisions L’Espoir, un tel travail, y compris lorsque le niveau de la lutte des classes est bas, un tel travail est absolument indispensable ; pour mettre au point les méthodes de travail, pour apprendre le langage le plus approprié, etc. Cela ne s’improvisera pas le jour où le niveau de lutte des classes aura monté. Pire, il sera oublié, détourné et remplacé par d’autres pratiques, d’autres habitudes.
Je ne suis pas sûr que la question soit de parler de « révolution ». Ce que nous tentions de faire, depuis des années, c’est de parler d’une autre société, de l’opposer à celle qui nous enferme, de mettre en avant une réflexion globale sur tous les aspects de la vie que nous mène le capitalisme, de proposer une autre manière de vivre. Ce qu’il y a à travailler, c’est donc le contenu du changement que nous envisageons, et c’est aussi, c’est très important, car ignoré de toute l’extrême gauche- le langage qui permettra de toucher ceux que nous visons, pour les toucher au sens profond du terme. Dans les années 1990, j’avais expliqué, dans Une période de remise en cause, qu’il fallait cesser d’avoir en tête la construction d’un parti destiné à prendre le pouvoir, et qu’il faudrait mettre à la place l’idée d’un parti de propagande. Nous en sommes toujours là.
Verso, le 11/02/2023
Avant même de parler de révolution, de changement de société, il faudrait déjà que les travailleurs parviennent à défendre leurs intérêts individuels et collectifs dans le cadre capitaliste actuel. La situation qui s’est ouverte avec le conflit des retraites nous offre, grandeur nature, une occasion sinon unique, du moins « en or », de vérifier, confirmer ou infirmer, l’actualité de la transformation révolutionnaire. Ce qui se joue actuellement en effet étant une attaque qui vise l’ensemble de la classe travailleuse (et même au-delà, la totalité du salariat qui n’est pas exactement à 100 % prolétarien) et pas telle ou telle entreprise ou un secteur en particulier. C’est bien de l’ensemble de la « classe » (en France du moins) que dépend l’issue de ce conflit. Une victoire du mouvement de lutte actuel contre la réforme des retraites ouvrirait à la question de l’actualité de la révolution un boulevard, lui fournirait un faisceau de conditions favorables ; une semi-défaite (ou semi-victoire) lui offrirait la légitimité limitée d’une présence en pointillé, évanescente ; une défaite en rase campagne, avec la démoralisation qui s’en suivrait, risquerait bien de l’enterrer pour longtemps.
[…]L’enjeu du conflit en cours va bien au-delà de sa revendication et de sa conclusion.
« Dans le genre apologie et négation des crimes du tyran de Kronstadt et de l’Armée Rouge, le documentaire "Léon Trotsky - Un homme à abattre" sorti en 2022 est un cas d’école. 52 minutes d’éloges du gentil héros bolchevik pourchassé par le méchant Staline dont le régime totalitaire a amplement été construit par Trotsky, Lénine et leurs troupes. Pas une seule seconde l’autoritarisme de Trotsky n’est mentionné. Rien sur Kronstadt, sur la "militarisation de la force de travail" dans les usines, sur le flicage généralisé, l’emprisonnement massif, etc. Nada. Ce documentaire a été réalisé par Elin Kirschfink et Marie Brunet-Debaines. Il est coproduit par Arte-France, la RTBF, etc. et est en ligne sur la chaîne de l’Assemblée Nationale. Sur cette réalisation scandaleuse, les médias aux ordres sont restés silencieux, comme d’habitude. »
Notes :
1 – voir leur site : https://www.louvrier.org/