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CA 329 avril 2023

Sans Frontières 329

jeudi 20 avril 2023, par Courant Alternatif


Des nouvelles de la Loi Immigration

Breaking news ! Alors que l’écriture de cette rubrique se termine, le gouvernement vient d’annoncer qu’il reporte « sine die » cette réforme pour calmer le jeu parlementaire et essayer de désamorcer la crise politique autour de la réforme des retraites. La loi Darmanin est mise au tiroir mais, faisons leur confiance qu’elle soit ressortie lorsque le calme sera revenu et que la majorité présidentielle soit « consolidée ». Voici donc une présentation en l’état du projet de loi, histoire d’avoir les tenants et les aboutissants de la vision macronienne de l’immigration.

Comme nous l’avons rappelé dans nos rubriques précédentes, l’esprit de cette loi insiste sur deux visions de l’arrivée d’étrangers en France. D’un côté, la répression avec les « méchants » migrants qui se traduit par un durcissement sans précédent des conditions de demande et d’obtention d’une carte de séjour ou de l’asile avec la réduction des délais d’instruction et la dématérialisation des dossiers ; la réduction des recours notamment auprès de la CNDA ; si OQTF, une augmentation de leur application et une inscription au fichier policier des personnes visées ; enfin le recours à l’assignation à résidence en attendant la construction de nouveaux CRA. De l’autre côté, une vision purement utilitaire de l’immigration comme variable d’ajustement aux intérêts capitalistes. Les « gentils » migrants pourront obtenir une carte de séjour spéciale « métiers en tension » comme le bâtiment, l’aide à la personne, la restauration, etc. Mais cette autorisation est renouvelable tous les ans et donc peut être annulée si le patron en décide autrement.

En ce mois de mars, le projet de loi – qui avait été déjà débattu à l’Assemblée nationale – devait passer en commission au Sénat puis en séance plénière. Ce repaire de la droite Les Républicains avait préparé ses amendements pour ferrailler contre le gouvernement en accusant notamment le projet, plus précisément l’article 3, d’être trop laxiste sur les visas « métiers en tension ». Darmanin avait déjà chercher un compromis en proposant une clause de revoyure. Une chose est sûre, quand la majorité LR/Renaissance sera consolidée, un nouveau coup de massue va s’abattre sur le droit des étrangers car, rappelons que le projet de loi a été largement inspiré par les travaux du sénateur François-Noël Buffet, un LR ….

Source : La Croix, tracts de lutte contre la loi Darmanin

Et la lutte contre cette loi ?

Elle s’était amorcée mais se construisant un peu dans l’ombre de la forte mobilisation sociale contre la réforme des retraites. La Marche des solidarités (voir leur blog) animait et coordonnait la lutte. Des rassemblement ont été organisés le 27 janvier, le 1er février et le 18 mars. En plus du rejet de la loi Darmanin, c’est aussi l’occasion de dénoncer la multiplication des contrôles ciblés dans les transports en commun notamment en région parisienne dans les gares de RER ou le métro. Les locaux de rétention administrative (LRA) sont aussi vivement critiqués. Crées par le préfet, ce sont des lieux assez opaques, en plein cœur des villes, où une dizaine de sans-papiers tout au plus peuvent être retenus. Cela peut être des hôtels, des cités administratives, des commissariats. Une estimation, par épluchage des arrêtés préfectoraux compte 131 places actuellement mais l’objectif du gouvernement en 2023 est d’atteindre 300. L’enfermement peut durer 2 jours pendant lesquels l’administration cherche à obtenir une expulsion rapide. Si le délai est dépassé, la personne est envoyée dans un CRA. Ces LRA cherchent à diluer et généraliser la machine à expulsion. Feu au CRA et au LRA, ça tombe bien, certains sont des commissariats !

Source : Marche des solidarités, blog à bas les CRA qui liste les LRA sur le territoire

Des petites victoires dans les foyers de travailleurs migrants

On parle souvent de la vétusté de ces résidences souvent vieillissantes et du contrôle social de plus en plus fort des bailleurs sociaux qui veulent isoler les personnes et remettre en cause les comités de résidents et la vie communautaire qui existe dans ces lieux. Face à cela, des luttes apparaissent régulièrement et quelques issues positives en ressortent comme dans les deux exemples ci-dessous.

Dans le foyer ADOMA (ex-Sonacotra) du boulevard de la Commanderie à Paris, les habitants ont bloqué l’accès de leur résidence au personnel du bailleur social. Après une matinée de blocage accompagnée des menaces du directeur d’envoyer les flics, une discussion a été rendue possible entre les gestionnaires et les délégués des résidents. Deux points de tension ont été soulevés : la multiplication des contrôles d’huissier avec des assignations devant les tribunaux contre le partage de certaines chambrées avec des membres de la famille ou de la communauté ; l’insécurité avec l’entrée de personnes extérieures à la résidence. La discussion s’est terminée sur un accord de principe du gestionnaire qui s’engage à prévenir les personnes avant de faire débouler l’huissier et de renforcer la sécurité avec des vigiles et des caméras supplémentaires. Un suivi sera fait par le comité des résidents. Le blocage a été levé et a permis d’obtenir des choses.

A Boulogne Billancourt, 118 résidents sont menacés d’expulsion par ADOMA. C’est une vengeance de la grève des loyers de 2016 qui a duré 18 mois et pendant laquelle les travailleurs migrants avaient refusé de payer un loyer élevé pour une résidence pourrie. C’est l’un des plus anciens foyers de la région parisienne, construit pour accueillir les ouvriers de l’usine Renault. Le prix à payer ? plus de 220 euros par personne pour un lit dans une chambre triple de 16m2 et 350 euros pour une chambre individuelle de 8m2. Depuis 2016, des travaux de rénovation ont été entrepris mais les espaces communs ont été fermés et le restent encore aujourd’hui. Aussi, ADOMA n’en démord pas et veut récupérer l’argent pour un total de 1,3 million d’euros. La justice est partie pour donner raison au bailleur, les résidents ont organisé une manifestation et ont été reçu par la mairie qui veut jouer l’apaisement et la négociation. Affaire à suivre mais le rapport de force était dans la rue !

Source : le COPAF, collectif pour l’avenir des foyers, bondyblog

Énième accord franco-britannique sur l’immigration

C’est un peu toujours la même chose, ça se rencontre, ça se serre la paluche tout sourire devant les caméras et ça discute contrôle des frontières en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes. Depuis les accords du Touquet sous Sarkozy (2003), la frontière anglaise c’est le littoral français, ce qui suscite une suite ininterrompue de sommets et de rencontres pour contrôler cette bande côtière et la bunkerise. Des millions d’euros ont été dépensés pour grillager complémentent le port de Calais et le tunnel sous la Manche où désormais il n’y a plus de passage. Désormais, les migrants passent par la mer et les tentatives de traversées ont été multipliées par 20 depuis 2019. 2022 : 45 000 traversées, 2021 : 28 526 et depuis le début de l’année 2023, il y a eu d’après les chiffres officiels, 3 150 personnes qui ont tenté la traversée.

C’est dans ce contexte que le 10 mars, le premier ministre anglais Rishi Sunak et Macron se sont rencontrés officiellement à l’Élysée. C’était un peu l’opération reconquête entre les deux états après les embrouilles nées pendant le Brexit. Cette fois-ci l’objectif est clair : plus aucune traversées de la Manche. Pour se donner les moyens, le carnet de chèque anglais est de sortie avec 541 millions d’euros sur la table pour 3 ans ! Cette manne servira à : construire un nouveau centre de rétention dans le nord de la France, recruter 500 flics aux frontières british supplémentaires, créer un centre de commandement franco-britannique unifié pour coordonner les actions de récupération des embarcations. Ce dernier point est à relier au récent scandale autour du dernier « grand » naufrage dans la Manche en 2021 qui avait tué 27 migrants. Secours anglais et français s’étaient renvoyés la balle des heures à cause du partage des eaux territoriales, ce qui a laissé le temps aux gens de mourir.

Côté britannique, les conservateurs poursuivent leurs annonces fracassantes contre l’immigration. Cette fois-ci, un nouveau projet de loi a été présenté au Parlement – via la nouvelle ministre de l’intérieur Suella Braverman - pour retirer le droit d’asile aux personnes qui traverseraient illégalement la Manche sauf aux mineurs et aux personnes gravement malades, quelle bonté ! Tous les autres seraient immédiatement placés en détention puis expulsés en quelques semaines. Face aux pays pas sûrs qui empêcheraient l’expulsion, il y aurait toujours le Rwanda ou l’Albanie comme terre de déportation (voir nos rubriques précédentes). Les accords entre gouvernements respectifs sont signés et prévoient l’accueil des expulsés du Royaume-Uni. Mais pour le moment, la décision est bloquée par des recours judiciaires auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) alors que la justice londonienne avait donné son feu vert. Les élections législatives sont dans à peine un an et les conservateurs tentent tout pour barrer la route aux travaillistes qui sont promis à gouverner le pays. Mais ne nous faisons pas d’illusions car les idées une fois présentées et avancées resteront dans les tiroirs et pourront être ressorties, sans doute un peu édulcorées mais toujours aussi racistes et xénophobes.

Source : l’Obs, le canard enchaîné, infomigrants

Après St Brevin, Beyssenac, nouvelle cible des fachos anti-CADA

Beyssenac, commune de 350 habitants en Corrèze. Un centre d’accueil pour demandeurs d’asile d’une quarantaine de places doit ouvrir en avril mais l’annonce a été reprise et instrumentalisée par l’extrême droite . Un collectif d’opposants s’est formé et a organisé une manifestation le 25 février dernier. La contre manifestation a été un succès puisque 1000 personnes qui soutiennent le projet de CADA ont encerclé à peine 400 opposants. On y trouvait tout le panel de l’extrême droite française : le RN bien sûr (Gilbert Collard était attendu), des zemmouriens, des monarchistes de l’Action Française, les identitaires. Fort de ce succès, le combat semble acquis et le maire est très favorable au projet. Mais fin mars, à Saint Brévin près de Saint Nazaire, où il y a eu la même opposition contre un projet de CADA (voir rubrique précédente), la voiture et la maison du maire ont été incendiées. Il recevait régulièrement des menaces de l’extrême droite. Restons vigilants, faisons et gagnons des mouvements sociaux pour dégager ces baltringues.

Source : France 3 Corrèze

Ratonnades dans les rues de Tunis

Pour tenter de cacher la profonde crise économique et politique que connaît la Tunisie, le président dictateur Kais Saïed veut détourner l’attention en désignant les migrants subsahariens comme des boucs émissaires. Le 21 février dernier, il a déclaré que le pays était menacé par des « hordes de migrants » puis de verser dans les thèses du grand remplacement en voyant « une entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie » afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ». Ces déclarations ont provoqué une véritable chasse aux noirs dans les grandes villes du pays. En quelques jours, 21 000 immigrés subsahariens ont perdu leur emploi et leur domicile. Dans la rue, il y a eu des ratonnades et des personnes sont arrêtées – environ 800 entre février et mars - par la police et condamnés à 2 ou 3 mois de prison pour « séjour illégal ». Cette politique de persécutions a provoqué des remous diplomatiques comme on dit. La Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Burkina, le Sénégal et la Libye ont procédé à un rapatriement volontaire de leurs ressortissants. Pour les autres, c’est la peur de sortir dans la rue. Face à cela, des manifestations ont eu lieu en Tunisie mais aussi devant les ambassades tunisiennes de nombreux pays africains. Au Sénégal, les mobilisations sont les plus fortes. Une dizaines d’associations et de collectifs se sont regroupés pour lutter contre les persécutions et demander des excuses publiques au président tunisien. Des tensions sont apparues lors d’une manifestation interdite par le pouvoir sénégalais à l’appel du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp). Ce dernier souhaite aussi lancer une campagne de boycott des produits tunisiens. En parallèle, les départs de Tunisie vers l’Europe augmentent avec des subsahariens mais aussi des tunisiens. Depuis le début de l’année, 14 549 Tunisiens ont débarqué sur le sol italien. Les personnes fuient la crise économique (inflation énorme, chômage à cause de la crise du tourisme, plan de rigueur imposé par le FMI) et la répression des opposants politiques. Dans tout ce marasme, on observe une résurgence des slogans de 2011 lors de la révolution tunisienne chez les jeunes, les chômeurs, les ouvriers journaliers. Peut être un espoir !

Source : RFI

En Algérie aussi

Les migrant-es d’origine subsaharienne sont aussi expulsés chez le voisin algérien. Quasi 3 000 personnes ont été expulsées à la fin février au beau milieu du désert du Sahara, sans eau ni nourriture à quelques kilomètres de la frontière du Niger. Souvent arrêtés dans les villes du nord, les migrant-es sont emmenés au centre de refoulement de Tamanrasset, à 1 900 kilomètres de route au sud d’Alger . Des témoignages parlent d’un dépouillement de leurs affaires par les policiers
Passés la frontière, les migrants rejoignent souvent un centre de transit géré par l’OIM dans le village Assamaka soit plus de 30 kms à faire à pied sous la cagne. Mais encore faut-il se repérer, beaucoup de refoulés errent des jours dans le désert et en 2020 et 2021, 38 corps ont été retrouvés dans la zone, à quelques kilomètres d’Assamaka. Selon les chiffres de Médecins sans Frontière, entre le 11 janvier et le 3 mars 2023, près de 5 000 migrants ont connu ce genre d’expulsions.

Source : infomigrants

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