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Mexique : militarisation et guerre sociale

vendredi 5 mai 2023, par Courant Alternatif


Dans notre numéro de janvier (n°326), j’ai tenté de saisir la période politique actuelle au Mexique, appelée la Quatrième Transformation ou 4T, mise en place par le gouvernement de gauche gouvernementale d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO). Trois mois plus tard, il convient de faire une mise à jour à partir de plusieurs évènements qui ont secoué le pays : d’abord en évoquant les violences des cartels de la drogue contre le mouvement social en général mais aussi en parlant des dernières mobilisations, et victoires (!) qui dynamisent un paysage politique obnubilé par les prochaines élections présidentielles de 2024.

Le 12 janvier, sur la côte du Michoacán, trois membres de la Garde communale (formée d’indigènes qui défendent leur territoire) de Santa María Ostula ont été assassinés dans les environs d’Aquila, la capitale municipale, par des tueurs à gages du « cartel de Jalisco - nouvelle génération ». La nouvelle est d’autant plus inquiétante que le cartel, l’un des plus puissants du Mexique, contrôle depuis longtemps la région, détruisant l’environnement et déplaçant les villageois pour exploiter des mines de fer. Mystérieusement, quelques jours auparavant, la Garde nationale avait occupé le village et dissous sa Garde communale. Pour ne rien arranger, le 15 janvier, deux autres militants sociaux ont disparu : l’avocat Ricardo Lagunes Gasca et le dirigeant indigène Antonio Díaz Valencia. Tous deux avaient participé à une assemblée dans l’auditorium communal d’Aquila, où ils avaient débattu de questions liées à la mine de fer de Las Encinas, propriété du producteur d’acier Ternium, qui appartient lui-même au groupe italo-argentin Techint.

Mille deux cents kilomètres plus au nord, dans la ville frontalière de Nuevo Laredo (dans l’état de Tamaulipas), le 26 février, des soldats du Secrétariat à la défense nationale (Sedena) ont criblé de balles, sans raison apparente, une camionnette qui circulait dans le sud de la ville. Sept personnes se trouvaient à bord du véhicule, cinq sont mortes, une a été blessée et une autre s’en est sortie indemne. Elles n’avaient pas de casier judiciaire. Une centaine de voisins ont alors empêché les militaires de s’emparer de la camionnette et les soldats ont riposté, mettant en danger d’autres vies civiles. Cinq jours plus tard, le vendredi 3 mars, un autre massacre a eu lieu à Matamoros, également dans le Tamaulipas, où quatre citoyens américains ont été enlevés et deux d’entre eux tués en l’espace de quelques heures.

En un an, de 2022 à 2023, l’armée mexicaine qui est très choyée par le gouvernement 4T, a gagné 11 places dans le classement annuel des armées les plus puissantes du monde, occupant une non négligeable 31eme place sur les 145 pays étudiés. Début mars, l’institution militaire a cependant fait l’objet d’un nouveau scandale lorsque la presse a révélé l’existence d’une structure secrète, le Centre de renseignement militaire, qui espionne les journalistes, les opposants et les défenseurs des droits de l’homme par le biais de Pegasus, un logiciel créé par l’entreprise israélienne NSO Group. Acquis au cours des six dernières années, ce système permet de pirater les informations des téléphones portables, y compris les messages, les fichiers et les appels. Au début de la mandature Obrador, ce dernier avait assuré qu’il ne serait plus utilisé dans le 4T. Preuve est faite du contraire.

La question des cartels mexicains est devenue un problème de politique étrangère, surtout depuis le récent procès aux États-Unis de Genaro García Luna, chef de la police fédérale pendant le mandat de Vicente Fox (2000-2006) et ensuite, chef du ministère de la sécurité publique sous Felipe Calderón (2006-2012). Autrefois tout-puissant, ce sinistre personnage avait été arrêté le 10 décembre 2019 à Dallas, au Texas, pour complicité avec les narcotrafiquants du cartel de Sinaloa, devenant ainsi le plus haut responsable mexicain jamais poursuivi aux États-Unis. Le 21 février, un jury de Brooklyn (New York) l’a reconnu coupable de cinq crimes liés à la drogue, ce qui a choqué l’opinion publique mexicaine. Cependant, les juges ont passé sous silence le fait que García Luna a été pendant des années un homme de confiance de la CIA, de la DEA et du FBI, ainsi qu’un acteur clé dans la mise en œuvre de l’initiative Mérida, le programme de coopération qui, sous couvert de lutte contre le trafic de drogue, a permis aux États-Unis d’intervenir dans les affaires intérieures du Mexique.

Côté environnement et luttes écologiques, en mars, la Commission nationale des forêts (Conafor) a indiqué qu’entre 2001 et 2002, le pays a perdu en moyenne 208 850 hectares de forêts par an. Presque au même moment, le 12, le Tribunal international des droits de la nature - une institution indépendante qui soutient les personnes et les communautés qui défendent la terre - a exigé la suspension immédiate du mal nommé Tren Maya, le mégaprojet gouvernemental qui parcourt toute la péninsule du Yucatan mais détruit les écosystèmes et dévore les terres des communautés. Après avoir entendu de nombreux témoignages sur les dommages causés à l’environnement et l’impact sur la culture des communautés mayas, le Tribunal a exhorté les autorités mexicaines à réparer les dégâts et à réaliser un audit indépendant avec la participation des personnes concernées.

Y-a-t-il d’autres nouvelles encourageantes ? Peu, mais elles sont significatives comme la grande marche du 8 mars, la plus importante de ces trois dernières années qui confirme la vitalité du mouvement des femmes. Avec celui des enseignants, c’est le mouvement social le plus actif du pays. Une victoire importante a également été remportée dans la lutte contre les entreprises minières : l’ejido de Tecoltémic, un petit village situé dans la municipalité d’Ixtacamaxtitlán, dans la Sierra Norte de Puebla, a une fois de plus vaincu légalement l’entreprise canadienne Gorrión, une succursale de l’entreprise canadienne Almaden Minerals Ltd, qui tentait d’installer une mine à ciel ouvert sur son territoire. Une autre question importante est la guerre du maïs qui oppose actuellement les États-Unis et le Mexique au sujet des importations de maïs et de glyphosate, un herbicide toxique interdit dans plusieurs pays. Bien que la position du gouvernement AMLO (initiales du président Obrador) soit plutôt tiède - il a annulé les autorisations d’importation de maïs génétiquement modifié destiné à la consommation humaine, mais a autorisé le maïs destiné à l’alimentation animale - un pas important vers l’établissement d’une politique alimentaire autonome a été franchi grâce à la pression sociale et les nombreuses mobilisations qui ont eu lieu sur ce thème.

Alors que la guerre sociale s’étiole et que les néo-zapatistes brillent par leur absence - même s’il est probable qu’ils reviennent bientôt sur le devant de la scène - la scène politique est dominée par une lamentable farce électorale en vue des élections présidentielles de 2024. D’une part, les pré-candidats du Morena, le parti au pouvoir, font déjà campagne en avance sur le temps institutionnel, et d’autre part, l’opposition est monopolisée par une alliance improbable de vieux partis corrompus, sans aucune chance de l’emporter. Malgré cela, le 26 février, des centaines de milliers de personnes - bien plus que les fois précédentes - ont à nouveau manifesté à Mexico et dans les provinces contre la tentative du gouvernement de contrôler l’Institut national électoral, une bannière qui, bien que brandie de manière opportuniste par la droite, est également le signe d’une érosion lente mais irréversible du Lopezobradorisme.

Claudio Albertani, Mexico, mars 2023

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