Accueil > Courant Alternatif > *LE MENSUEL : anciens numéros* > Courant Alternatif 2023 > 332 été 2023 > La situation en Iran et dans l’exil iranien (2)

CA 332 été 2023

La situation en Iran et dans l’exil iranien (2)

Interview d’un camarade iranien

mercredi 16 août 2023, par Courant Alternatif


Nous avons réalisé en janvier 2023 une interview de B, camarade libertaire iranien vivant à Lyon. Nous l’avons complétée récemment. Nous vous en présentons ici la deuxième partie. La première partie est parue dans le numéro de juin.

Le texte entre [] correspond à nos ajouts.

Les oppositions de l'exil (suite)

Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OPMI)
Idéologiquement c’est un mélange d’anti-impérialisme marxisant et d’islamisme des Frères Musulmans en version chiite. Ils ont été formés par les Frères Musulmans égyptiens (sunnites). Khamenei l’actuel guide suprême, a lui, traduit et diffusé certains de leurs livres.
L’OMPI (créée en 1965) était puissante en Iran avant la révolution et à ses débuts. Elle a été très liée au régime de la république islamique d’Iran avant de s’en séparer (attentats, assassinats de personnalités politiques religieuses…) et d’être brutalement réprimée en 1981-1982.
Des dizaines de milliers d’entre eux [dont le couple dirigeant Massoud et Maryam Rajavi] se sont exilés et se sont réfugiés en Irak. Ils ont pu y créer une ville avec un camp militaire, avec des armes lourdes (camp Ashraf). Ils ont combattu du côté irakien durant la guerre de 1980-1989 contre l’Iran.
Après la première guerre du Golfe (août 1990-février 1991) et l’embargo pétrolier contre l’Irak, ils ont permis à l’Irak de contourner l’embargo sur les ventes de pétrole, en créant à Dubaï des sociétés qui vendaient clandestinement le pétrole irakien.
Ils se sont ainsi enrichis et sont devenus une véritable puissance financière. Ils ont investi dans l’immobilier dans de nombreuses villes d’Europe (à Paris, leur colonie est derrière le Stade de France) et ont créé en 2013 une petite ville à eux en Albanie (Ashraf 3) qui leur sert de quartier général.
Actuellement, c’est une véritable secte politico-religieuse dirigée par Maryam Radjavi, la veuve du dirigeant historique.
Comme les monarchistes, ils peuvent organiser des réunions internationales avec des personnalités connues, comme Mike Pompeo (ancien directeur de la CIA et Secrétaire d’État de Trump) qu’ils paient 25 000 $ par conférence.
En Europe, ils ne participent à aucune des manifs communes de l’exil. Ils organisent leurs propres rassemblements en payant des exilés de Lyon (200 € généralement) ou de Suède (ils arrivent à remplir 5 bus) pour faire foule en agitant leur drapeau dans leurs rassemblements à Paris.
Leur idéologie paramilitaire, leur fonctionnement sectaire, leur islamisme réactionnaire – après 40 ans d’exil à Paris, leurs femmes n’ont toujours pas le droit d’enlever leur voile – ne peuvent pas plaire à une révolte qui a pour mot d’ordre « Femmes, Vie, Liberté ».
Ils pensent que leur argent les rend puissants, mais comme disait en substance Victor Hugo, « Personne ne peut arrêter une idée dont le temps est arrivé ».
L’OPMI prétend être très présente en Iran – plus de 40 000 –, mais c’est faux car personne ne les a vu dans la révolution. Comme en plus ils se sont battus du côté irakien pendant la guerre, ils sont très mal vus par la population.

La gauche et les républicains
Il n’existe plus d’organisations de gauche réellement actives dans l’exil, qu’il s’agisse du Tudeh [parti communiste créé en 1941, suite à l’occupation anglo-soviétique de l’Iran] ou de l’extrême-gauche. Les militants ont vieilli, et il n’y a pas eu de renouvellement. Il existe des petits groupes mais leur activité est surtout théorique.
Avec la révolution, des personnalités de l’exil ont été contentes d’être invitées et de courir les plateaux télé. On les trouve sympathiques, on peut les soutenir, mais ce n’est pas une organisation. Car la politique ce n’est pas cela : c’est de la pratique, c’est créer un comité, organiser quelque chose de concret.
Des jeunes ont tenté de créer un mouvement politique de gauche il y a deux ans, mais il y a eu de nombreux débats et désaccords. C’est le problème de la gauche : on continue sur nos désaccords et l’ennemi en face va peut-être gagner.
J’ai récemment participé à une rencontre en ligne. Il y avait 5 000 inscrits et cela a beaucoup parlé de Karl Kautsky... J’ai pris la parole pour dire que l’important n’est pas de revenir sur les débats d’il y a un siècle mais d’agir sur la réalité actuelle. Les tendances qu’on trouvait dans cette discussion étaient celles de l’altermondialisme, de l’éco-socialisme, des insoumis. Ce n’est plus une gauche léniniste, mais plutôt proche de ce qui existe en Amérique Latine avec Lula.

Les organisations politiques de gauche en Iran
Le mouvement déclenché en septembre est la continuité d’un mouvement social inscrit dans la durée fait de mobilisations, de révoltes avec des morts. Il est profondément révolutionnaire, mais il manque une traduction politique pour créer un rapport de force politique dans le pays.
Le problème, c’est qu’il n’y a plus rien comme partis politiques de gauche (ou de droite) en Iran. En 40 ans de dictature, le Tudeh a été exterminé, les groupes d’extrême-gauche ont été laminés.
Durant le mouvement, les républicains, les progressistes, les intellectuels, les gens de gauche qui restent ne se sont pas exprimés et n’ont pas participé, du fait de la répression. Mais en revanche les travailleurs iraniens (les syndicats sont interdits) se sont mis en grève et ont manifesté.
Face à ce vide politique, il commence à exister des discussions pour créer des comités de quartier. Des appels et des textes ont circulé entre des petits groupes de lutte auto-organisés pour se réunir et créer quelque chose.
Certains pensent à maintenant à recréer des organisations politiques, mais le problème c’est qu’elles seront clandestines avec tous les problèmes que cela pose.
Mais je n’ai pas eu d’informations plus récentes (fin mai).
Dans les relations entre l’exil et l’Iran ma position est claire : je suis contre toutes les organisations qui sont à l’extérieur de l’Iran et donnent des ordres aux iraniens, car c’est celui qui se révolte dans la rue qui a le droit de penser l’avenir, c’est lui qui est face aux balles, pas moi. Donc moralement ou politiquement, je n’ai aucun droit de leur dire quoi faire.

Plusieurs manifestations ont eu lieu à Lyon. Comment cela s’est-il mis en place ?

Entre septembre et janvier, des manifestations mensuelles ont été organisées à Lyon réunissant 200 à 300 personnes. Une manifestation nationale s’y s’est déroulée en janvier 2023 suite au suicide de Mohammad Moradi, étudiant iranien à Lyon. Elle a réuni un millier de personnes.
Dès le deuxième jour de manifestation en Iran, on s’est dit qu’il fallait manifester. La première manif lyonnaise a été organisée par quelques individus, puis d’autres iraniens nous ont rejoints.
Dans nos rassemblements, où le monde pouvait venir, il y avait un micro libre car les gens ont besoin de parler même s’ils disent n’importe quoi ou si ce ne sont pas mes idées.
Ainsi, je suis contre le drapeau monarchiste mais je ne me vois pas leur interdire. Parce que dans la politique et la réalité cela va changer. Car celui qui vient avec le drapeau monarchiste aujourd’hui, peut changer d’idée avec les discussions.
L’équipe était plutôt de gauche. Il y a un groupe d’étudiants et d’anciens étudiants iraniens de Lyon avec lequel nous avons eu beaucoup de problèmes car il a essayé d’imposer toute une série d’interdictions au collectif.
Lors de notre premier rassemblement, une vieille dame de « Femmes Solidaires » (une association féministe réformiste et laïque) a pris la parole pour défendre le mouvement des femmes iraniennes contre l’oppression religieuse tout en critiquant les courants pro-voile en France.
Ils ont dit qu’elle était d’extrême-droite et qu’il ne fallait pas parler de la question du voile en France dans nos manifs, pas plus que de la fermeture de l’ambassade d’Iran en France, ni du gel des avoirs des Pasdarans à l’étranger.
Après des discussions houleuses, ils sont partis.
C’est un problème d’une partie de la gauche iranienne, qui croit encore que le régime iranien est anti-impérialiste et anti-américain, alors qu’il a des relations suivies avec les USA mais des intérêts différents. Ils sont aussi libéraux que les dirigeants américains. Ses élites continuent d’envoyer leurs enfants étudier aux USA. C’est le cas de Masume Ebketar, ancienne porte-parole des étudiants durant la prise d’otages de 1979, deux fois vice-présidente de l’Iran (1997-2005 et 2013-2017) dont le fils a étudié aux États-Unis à partir de 2015. C’est aussi le cas du neveu de Khomeini qui y vit.

En France qui vient dans les manifs ?

Ce sont majoritairement des iraniens et quelques français. Des gens normaux, des familles, des militants, beaucoup de femmes.
Il y avait rapidement une forte présence monarchiste, qui donnait l’impression d’une force organisée, et qui a attiré du monde car les gens se disaient « si le fils du Shah peut faire tomber le régime, je le soutiens même si je ne suis pas monarchiste ».
La gauche et le républicains iraniens ne comprennent pas qu’il faut s’organiser et avoir des propositions face à ces organisations riches, dont la plus présentable est la monarchiste. Ceux-ci mettent en avant comme modèles les monarchies démocratiques et constitutionnelles qui existent dans le monde (anglaise, belge…) et marquent des points.

Quel a été le soutien de la gauche française au sens large ?

Un retour en arrière s’impose. Je suis arrivé en France en 2013 et j’ai rencontré en manif des membres du Parti de Gauche (ancêtre de LFI) avec qui j’ai milité sur les questions internationales.
En 2019, j’ai participé à la réunion destinée à établir la stratégie électorale de LFI, afin de conquérir les quartiers populaires et aussi les jeunes urbains.
Pour moi cela voulait dire conquérir les bobos du canal St Martin et les jeunes des cités. Cette stratégie ignorait les travailleurs.
Le guide suprême de LFI m’a répondu que la question ne se posait pas car les travailleurs et les syndicalistes étaient obligés de voter Mélenchon. Alors que non, les travailleurs votent pour le FN.
Il y avait une ligne pro-russe pro-Chavez et Lula et quand Obono et les autres sont arrivés, il y a eu en plus une ligne décoloniale, islamistophile. Et, LFI a participé à la manif contre l’islamophobie, fin 2019. Je n’y trouvais plus ma place car je veux défendre les droits humains de manière universelle. Je les ai donc quittés en gardant des contacts.
Quand le mouvement a commencé en Iran, j’ai contacté Manuel Bompard. Comme les députés de droite organisaient une réunion avec les monarchistes à l’Assemblée, il fallait donc que la gauche prenne position rapidement pour soutenir la révolte et organiser des réunions avec la gauche iranienne.
Bompard n’a jamais répondu et LFI n’a jamais soutenu les manifestations des opposants iraniens en France car ils sont dans une démarche clientéliste électoraliste.
Selon nous, il fallait d’une part, geler les avoirs des Pasdarans et du régime et d’autre part obtenir la fermeture de l’ambassade d’Iran. Celle-ci sert à surveiller et à espionner l’exil et les services secrets font pression sur les familles en Iran.
Mais une partie de la gauche refuse ce genre d’initiatives car elles sont aussi portées par les États-Unis, et pour eux, tout ce qui semble venir des État-Unis est forcément mauvais. On l’a également vu pour les sanctions contre la Russie.
Sandrine Rousseau (EELV) et Manon Aubry (LFI) ont été huées le dimanche 2 octobre 2022 à une des manifs de soutien à la révolution. C’est normal car elles ont choisi d’être du côté de l’islam politique et cela les iraniens de l’exil n’en veulent pas.
À Lyon, le maire a refusé de venir aux rassemblements (alors qu’il était très présent pour l’Ukraine). C’est normal car il est très proche de Piolle, le maire de Grenoble. Leurs idées sur l’islam et sur le voile les empêchent donc de venir à une manifestation d’iraniens qui soutiennent les femmes qui refusent l’obligation du port du voile. Cependant des élu-es vertes ont été présentes. La question est donc complexe.
Les trotskistes du NPA ont participé à certaines manifestations et ont aussi organisé des réunions publiques de soutien.
Les libertaires n’ont rien organisé et on ne les a pas beaucoup vu dans les manifs. Il sont dans la même problématique que la gauche. Avant ils disaient « Ni Dieu, ni maître » mais actuellement, ils acceptent les dieux et les maîtres. Comment peut-on être chrétien et anarchiste ? Pour moi c’est inacceptable tout comme être pro-islam et anar.
Plus largement, c’est une position néo-colonialiste de certains militants qui pensent que l’émancipation, ce n’est pas pour les femmes des quartiers et des banlieues. Pour moi, toutes les femmes, de tous les pays, de toutes les cultures veulent l’émancipation. Qui veut être prisonnière de quoi que ce soit ?
On ne pas dire que la liberté c’est bien pour moi qui vit en France et la refuser à un iranien ou un sénégalais qui devrait continuer avec sa culture. S’il y a dans un certain nombre de pays africains des actions terribles contre les femmes, il faudrait laisser faire parce que ce serait leur culture ?
Depuis quand la culture est quelque chose qu’on met plus haut que le droit universel à la liberté ?
C’est un problème de l’anarchisme actuel et il n’y a pas de débat sur ces questions. Or comment peut-on vivre en tant que militant politique sans pouvoir lire, débattre, critiquer ?

Olive Oyl et Eugene the Jeep

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette