mardi 16 juillet 2024, par
Les élections européennes ne suscitent, de façon générale, que peu d’enthousiasme en France. Du moins c’est ce qui était souligné, scrutin après scrutin, par les éditocrates, les responsables et autres communicants politiques.
Rappelons que les élections européennes incitent à l’abstention, en 1979, 40% en France et 37% dans la communauté européenne, en 2009, près de 60% en France et 56% dans l’Union européenne. Un enjeu qui divise, en leur sein, les partis politiques, entre souverainistes qui en minimisent l’importance ou lui attribuent tous les maux et les européanistes qui saluent les bienfaits apportés, grâce à l’Union européenne, et la garantie d’une indépendance face aux autres blocs impérialistes : USA, Russie et Chine. Un scrutin jugé alors de peu d’intérêt par la population et qui n’enthousiasme que peu les électeurs et électrices. Les raisons sont multiples : enjeux politiques et civiques lointains, appréciations de politiques confuses ou incomprises car technocratiques et opaques, rejet des appareils politiciens...
Pourtant ce scrutin du 9 juin 2024 semble avoir fait exploser les visions et les explications sur ce temps électoral. L’Europe était bien au centre de ce moment politique, porté par les pro-européens. Le président Macron en tête est le représentant d’une droite et d’un centre. Raphaël Glucksman et les débris du Parti socialiste rassemblent une social-démocratie, puis les écologistes, grands perdants en banc à part. Malgré des divergences médiatiques ces blocs pro-européens auront en commun de cliver les débats contre les euro-sceptiques, ces extrêmes qu’ils amalgameront sans vergogne, le Rassemblement national d’un côté et la France Insoumise de l’autre, politique oblige. Ces élections ont pris de l’importance par le positionnement obligé des leaders politiques pour une présence, une représentation, vers la présidentielle française de 2027. Cela sera une étape à ne pas manquer dans ces courses électorales en ayant conscience que dans le peloton, le Rassemblement national mené par son leader J. Bardella mène largement en tête. Suite à cette échappée, le Président Macron a annulé le soir même le scrutin, en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, au grand dam de ses fidèles et de son Premier ministre, avant même l’annonce des résultats officiels. Jupiter mettait le couvercle sur la victoire de J. Bardella et effaçait par là même sa défaite et l’affront subi.
Lors d’une longue interview le 6 Juin, sur TF1 et France 2, à trois jours du scrutin européen, le Président déclare que c’est son rôle d’intervenir, vu le niveau probable de l’abstention, pour inciter le bon peuple à voter et pour combattre l’extrême droite. « J’irai voter et dimanche soir nous verrons les résultats... je sais une chose, je ne crois pas aux sondages, je crois aux élections ». Mais après sept années de mandature, l’Élysée semble avoir dédaigné les avertissements portés contre ses gouvernements, successifs : les Gilets Jaunes, la réforme des retraites, la révolte des quartiers et contre tant d’autres attaques antisociales. Jupiter n’a pas vu ou a ignoré les doléances qui alors laissaient place aux ressentiments, aux rancœurs et au désarroi. Un ras-le-bol généralisé qui se cristallisera vers un « tous / tout sauf Macron ». Cette réaction est majoritaire dans les couches intermédiaires de la petite bourgeoisie qui se sentent déclassées, à l’horizon trouble, et chez les plus défavorisés, les précaires, ces sans-dents qui ne veulent ou ne peuvent pas « traverser la rue pour un boulot ». Autant de raisons qui ont poussé des électeurs à délaisser la cause présidentielle et alimenté soit un vote de retour surtout pour le PS et Place publique 13,93%... (LFI : 9,9%, les Verts : 5,5%, le PCF : 2,36%...) soit l’abstention 48,51%. A noter aussi 1,36% de bulletins blancs et 1,45% de bulletins nuls. Soit, ont été séduits par le nouveau packaging proposé par J. Bardella et le Rassemblement national (31,37%) [1] accompagné des 5,4% de Marion Maréchal et Reconquête. On peut se rassurer sur la « montée du fascisme » en France, sans nier la dynamique de ce bloc, en ramenant ces scores au nombre d’inscrits sur les listes électorales : 15,70% pour le RN et 2,74% pour Reconquête ; des ennemis que les travailleurs doivent combattre. On peut, on doit s’interroger mais ne pas céder à la peur ou la paranoïa dans laquelle droite et gauche veulent nous enfermer pour faire oublier leurs politiques présentes ou passées.
L’ascension de ce bloc populiste et d’extrême droite est en partie due à la politique de dédiabolisation, de normalisation et son intégration dans l’arc républicain, menée par Marine Le Pen. Un cheminement favorisé aussi par le Président actuel. Cette dédiabolisation a pris son temps. Elle commence par l’exclusion du père Jean Marie, puis avec la fin du Front National, vive le Rassemblement national ! Elle connaît une apothéose avec la présence du RN lors de la manifestation parisienne de novembre 2023 contre l’antisémitisme. Une manifestation qui soutient l’État d’Israël et son droit à se défendre, après l’attaque du Hamas en Octobre 2023. Ceci permet aujourd’hui à S. Klarsfeld (le célèbre chasseur de nazis) de déclarer sur LCI le 16 juin, qu’au second tour des législatives, face à LFI, il votera pour le RN, qui a fait « sa mue » et qui « soutient les juifs » et Israël. Sur le plan économico-politique, un aggiornamento a accompagné cette normalisation du RN vers le néolibéralisme rejoignant la vision d’E. Macron pour une acceptation des trusts, des marchés et du grand capital. Pour le RN, il n’est plus question de sortir de l’Euro et de l’Europe. Plus question non plus, de parler de hausse des salaires, le libre choix est laissé au patronat de les augmenter en compensation d’exonération de charges ou de cotisations. Sur l’âge de départ à la retraite, après maintes tergiversations, il semble que ce ne soit plus une priorité... Malgré ces normalisations, le socle reste le même : lutte contre l’insécurité, contre les migrations et la préférence nationale. C’est ainsi que le RN a réussi à faire venir à lui nombre de déçus, de mécontents de la politique de Macron et à faire de ce scrutin un vote sanction qui a fait vaciller Jupiter dans son Olympe Élyséen.
Dans l’Union européenne, ce raz-de-marée tant annoncé par les oracles n’a pas été constaté. Bien sûr les résultats confirment une poussée des populistes et de l’extrême droite mais on est loin de la déferlante ce qui rend encore plus ridicule la déclamation du Président, le 6/06 : « Si demain, la France envoie une très grande délégation d’extrême droite, si d’autres grand pays le font... », appelant à voter pour sa liste : « Besoin d’Europe » menée par V. Hayer. Nous avons donc échappé à la marche sur Bruxelles par les chemises noires mussoliniennes ou l’assaut du Parlement européen par les jeunesses hitlériennes. Sur les 720 sièges, les différentes formations populistes et d’extrême droite n’occuperaient que 131 sièges. Un score toujours trop élevé bien sûr.
Sinon, à Bruxelles, le PPE (Parti Populaire Européen) intégrant les « républicains » français, se voit renforcé totalisant 186 sièges. Le SD (socialisme et démocratie), le deuxième groupe de l’assemblée semble stabilisé en ne perdant que deux sièges par rapport à 1979. Quant au groupe « Renew » -des libéraux- parmi lesquels siègent les macronistes de « Renaissance », eux, subissent une perte de 23 sièges. Les écologistes repassent de 71 sièges à 53. Les pro-européens, les libéraux et les socialistes voient leurs marges d’action politique futures rétrécies mais toujours prédominantes. C’est dans cette optique, et pour se protéger des alliances éventuelles, qu’Ursula Van Der Leyen, présidente de la Commission européenne et leader du PPE, à la question d’une coopération avec les eurosceptiques d’ECR [2] répond : « Cela dépend de la composition du Parlement européen. Cela dépend de quel parti siège dans quel groupe ». Rappelons au passage qu’elle avait au nom de l’Europe apporté un soutien inconditionnel à Israël. Qu’on le veuille ou pas, qu’on la craigne ou non, la réalité européenne démontre de plus en plus la présence de populistes, de radicaux d’extrême droite dans différents gouvernements d’Europe. De la Hongrie de Victor Orban à l’Italie de Georgia Meloni en passant par l’Autriche, la Suède, les Pays-Bas, sans que cela ne perturbe les bourgeoisies libérales aux affaires dans leur pays et à Bruxelles.
Alors que les luttes, éparses et sans lien réel entre elles, prennent de l’ampleur en Europe, l’extrême droite progresse électoralement et étend son implantation. C’est la revanche des déclassés, des déçus contre l’autre, contre l’étranger... Le Rassemblement national s’est aussi nourri et fortifié de la politique de droite menée par le gouvernement « Socialiste et Vert » de 2012 à 2017. Ce fut une attaque des retraites, la dégradation des services publics, des conditions de travail. Autant de reniements de cette gauche à qui les travailleurs avaient fait confiance. Autant d’amertume... Bien sûr cette progression a été et est soutenue, entretenue par de puissants médias derrière lesquels pointent de puissants groupes capitalistes. En période de montée des luttes, les populistes exploitent et accentuent le désarroi qui fige les classes populaires ; ce qui les propulsent et ils en profitent pour distiller leurs poisons : militarisme, nationalisme, sécuritaire, un état fort et souverain, un retour à l’identitaire et l’exclusion des autres. Des manœuvres qui servent les bourgeoisies, qui servent les capitalistes pris dans la tourmente des crises écologiques, sociales, impérialistes et politiques.
Dans cette situation trouble et troublée, cette extrême droite répond et exprime les besoins du capital et de la bourgeoisie à faire bloc. Resserrer les rangs, aboutir à une union autour d’un chef, de la nation, de l’État. Pour ce faire, elle intègre ceux, celles qui serviront la grandeur du pays, de l’Europe et la survie du capital, mais à d’autres moments politiques défavorables, elle s’en sert de repoussoir. C’est le « en même temps » du président Macron. Il célèbre Pétain et panthéonise Manouchian. Comme toujours avec les personnels politiques, la démagogie, le cynisme et l’hypocrisie sont de mise, ou au contraire, ils utilisent la fermeté, la répression légitime de l’État comme voici peu avec les 9 morts en Kanaky.
Que retenir de ce scrutin ! Que les 31,7% de votants RN n’adhèrent ni aux idées ni à l’idéal de certains au RN, et que d’autre part pour les législatives à venir, il reste l’inconnue de la réaction des 49,8% d’abstentionnistes. Ce scrutin représente une alarme vers un gouvernement qui nous conduira davantage vers le chemin de la guerre et un signal pour les travailleurs à ne compter que sur leur force et conscience de classe afin de ne pas se laisser illusionner et résister.
Decaen
17 juin 2024.
[1] Présidentielle 2022, Marine Le Pen : 41,45% et 13,288686 millions de voix. Européennes 2024, J. Bardella : 31,7% et 7,765936 millions de voix
[2] Le groupe ECR (Conservateurs et Réformistes Européens) auquel adhère Giorgia Meloni avec 73 élus. Un autre groupe, ID (Identité démocratie), 58 élus, regroupe le RN de M. Le Pen, la Ligue du Nord d’Italie...
(sources : Parlement européen le 10 juin 2024)