mercredi 24 juillet 2024, par
Beaucoup ont cru lire dans la presse que l’EPR de Flamanville avait « enfin » démarré. Alors, n’exagérons rien. L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a autorisé la mise en service le 7 mai dernier. Depuis, EDF a chargé le combustible. Avant que Flamanville ne produise son 1er kwh, il lui reste à réussir les essais, ce qui ne semble pas gagné d’avance, puis le réacteur sera couplé progressivement au réseau.
Cette saga dure depuis 20 ans : c’est en octobre 2004 que Flamanville a été retenue pour l’implantation du 1er EPR en France. L’idée était le remplacement des anciennes centrales nucléaires à l’horizon 2020. Les travaux préparatoires commencent à l’été 2006, et le décret d’autorisation de construction est signé le 11 avril 2007. Ce décret prévoit un délai de dix ans -soit jusqu’au 11 avril 2017- pour réaliser le premier chargement en combustible du réacteur. Le premier béton est coulé le 3 décembre 2007, marquant le début du chantier, pour un délai de construction prévu de 54 mois et une mise en service en 2012.
Les problèmes commencent dès 2007 : apparition de microfissures sur le béton composant le radier de l’ilôt nucléaire (alors qu’il ne supporte encore aucun poids) et non-conformités de disposition de certaines armatures en fer par rapport aux plans. En 2008 ce sont des anomalies dans le ferraillage du radier qui sont détectées. Ensuite ce sont des défauts dans le liner destiné à assurer l’étanchéité de l’enceinte de confinement qui sont détectés par l’ASN. En 2015, on rentre dans le dur : l’ASN annonce qu’Areva l’a informée d’une anomalie de la composition de l’acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville. Rien que ça ! Le président de l’ASN explique qu’« en dépit des difficultés matérielles à remplacer cette cuve, c’est une option réalisable, parce qu’elle n’a pas encore été irradiée, le réacteur n’étant pas en marche ». Cependant, l’ASN autorise en 2017 EDF à exploiter la cuve. Le couvercle de la cuve sera cependant à changer d’ici fin 2024. Donc, si on comprend bien, il était possible de changer le couvercle avant qu’il ne soit irradié, mais c’est trop dommage, on préfère attendre qu’il le soit. On est quand même sur une cuve de 425 tonnes pour 11 mètres de hauteur et 5,5 mètres de diamètre, histoire de visualiser la taille du futur déchet.
Mais les soucis ne sont pas finis. En janvier 2017, des « écarts de qualité » sont constatés sur 33 soudures du circuit secondaire principal, assurant le transfert en circuit fermé de la vapeur produite par les générateurs de vapeur jusqu’à la turbine. Ces anomalies ont été découvertes en juillet 2015, et l’ASN n’a été informée qu’en janvier 2017. Et donc nouveau report du chargement à 2024, le temps de réparer les soudures en question. Sauf que du coup, l’ASN demande à EDF de vérifier les soudures du circuit primaire. Bingo ! Comme c’est complexe et coûteux (on ne parle ni en milliers d’euros ni en dizaines de milliers d’euros là), EDF obtient l’autorisation d’exécuter un type de traitement totalement nouveau. Croisons les doigts…
En octobre 2023, certains assemblages de combustibles ont dû être retournés à l’envoyeur, présentant les mêmes défauts que ceux responsables de la panne des EPR en Chine. Mais bon, ils ont fait leurs tests à vide en décembre, l’ASN les a autorisés à charger le combustible le 7 mai, et le 8, ils commençaient à charger.
Le 16 mai, l’IRSN a involontairement confirmé une information dévoilée par Thierry Gadault dans Blast : il y a des vibrations trop importantes dans le système d’alimentation de secours des générateurs de vapeur, vibrations constatées lors des essais de mars (avant l’autorisation de l’ASN donc). Mais la solution proposée par EDF a été acceptée : mesurer les vibrations plus souvent (et non pas essayer de résoudre le problème) !
Le coût, initialement estimé à 3,4 milliards d’euros, est successivement réévalué par EDF à 4 milliards en décembre 2008, puis à 5 milliards d’euros en juillet 2010, puis à 6 milliards d’euros en juillet 2011, à 8,5 milliards d’euros en décembre 2012, à 10,5 milliards d’euros en septembre 2015, à 10,9 milliards d’euros en juillet 2018, à 11 milliards d’euros en octobre 2018, à 12,4 milliards d’euros en octobre 2019, à 13,2 milliards en décembre 2022. En juillet 2020, la Cour des comptes évalue le coût à 19,1 milliards d’euros. On passera sur l’accusation de travail au noir et l’utilisation de main d’œuvre des pays de l’est.
L’autorisation est une autorisation de charger le combustible. Ce n’est pas une autorisation de production d’électricité et de couplage au réseau. Ils doivent encore faire des essais avant.
Du coup, on hésite sur la suite. A voir la saga qui précède, on a les plus gros doutes sur la réussite de leurs essais. Il n’y a pas de raison que ça marche mieux que toutes les phases précédentes du chantier, d’autant que l’essentiel des problèmes n’ont pas été résolus. A voir l’attitude de l’ASN, les problèmes de sécurité ne l’empêchent visiblement pas de donner son autorisation. Donc, quels que soient les malheurs que rencontrent les essais, elle devrait donner son feu vert pour le couplage progressif. On peut d’autant plus le craindre qu’il a circulé dans toute la presse que ça y est, Flamanville avait démarré. Ce qui est techniquement faux.
On peut se demander pourquoi ils prennent de tels risques. Parce que là, on est à peu près au-delà de tout : attendre qu’un couvercle soit irradié pour le changer, défauts d’étanchéité, problèmes de soudure non résolus, vibrations trop importantes (c’est probablement la cause de la corrosion sous contrainte qui a mis à l’arrêt la moitié des réacteurs l’hiver précédent)… Mais il faut savoir que nous sommes gouvernés par des financiers qui ont gardé une âme d’enfant, ils sont passionnés de meccano. Et en fait, la Commission Européenne a autorisé le rachat d’une filiale d’AREVA par EDF (filiale qui regroupe les activités de conception et fourniture de réacteurs nucléaires) sous réserve entre autres des conclusions favorables de l’ASN sur les essais de Flamanville...
Si on voulait une illustration du point auquel le capitalisme nucléaire est mortifère et prend tous les risques avec nos vies et notre avenir, il suffirait donc de prendre l’exemple de Flamanville. Et cet exemple fait froid dans le dos dans le contexte actuel. Ils sont en effet incapables techniquement de réaliser la relance du nucléaire promise par Macron. Mais ils sont bien capables de démarrer tout de même des installations qui ne marchent pas et peuvent péter à tout moment.
Au fait, toujours d’après Blast, les ingénieurs n’ont pas encore réussi à mettre au point le protocole de démarrage de la turbine… Et on l’a vu, les informations de Thierry Gadault s’avèrent souvent fiables.
Sylvie