CA 344 novembre 2024
dimanche 24 novembre 2024, par
Du taudis au Airbnb, avant d’être un message collé dans les rues marseillaises au moment des commémorations de l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne, c’est le titre du nouveau livre de Victor Collet, paru aux éditions Agone au printemps 2024. Le sous-titre, Petite histoire des luttes urbaines à Marseille, donne la tonalité de l’ouvrage. Déjà, dans son précédent livre Nanterre, du bidonville à la cité, Victor Collet retraçait les luttes qui ont traversé le bidonville de Nanterre au gré de l’évolution de la ville, en faisant dialoguer les archives et les mémoires sur l’histoire de l’immigration et de Nanterre, au regard du présent. Des cités de transit aux cités HLM, il faisait état de la transformation de la figure de l’étranger, enlisée dans ce qu’on appelait alors la « crise des banlieues ». Cette fois, c’est à Marseille et plus précisément à Noailles que Victor a posé son analyse au cœurs des luttes urbaines. Au plus proche du terrain, il poursuit les étapes de la gentrification, depuis le drame du 5 novembre 2018 qui a coûté la mort de huit personnes jusqu’à l’explosion des locations saisonnières ces dernières années dans le quartier. Le constat est lourd au lendemain des effondrements, avec 40 000 logements insalubres et le délogement de milliers d’habitants du centre-ville, pris dans la panique de « la crise des périls » comme le nomme Victor Collet et qui a laissé beaucoup de logements vides.
Le livre nous décrit les rouages de la reconversion des marchands de sommeil à la faveur d’une marchandise à touristes, où la fin du confinement sonne le début de la rentabilité pour des tas d’investisseurs immobiliers lâchés au cœur des quartiers insalubres de la ville. Une aubaine pour ces promoteurs et acheteurs qui n’ont plus à s’embarrasser d’un permis de louer et proposent des baux « mobilité » en toute légalité, sans avoir à s’encombrer de la fiscalité.
Au fil du récit, des paroles vives sont mises en dialogue avec l’analyse de ces processus de pourrissement, gentrification, airbnbisation. Victor donne la parole aux habitants et militants qui ont vécu de plein fouet la transformation du centre-ville, gangrené par le Airbnb rapidement, insidieusement, en faisant disparaître les habitants. D’autres protagonistes voient leur paroles également prises dans le récit : techniciens des services d’hygiène de la mairie, politiciens et autres investisseurs immobiliers ; mais aussi à travers les commentaires des touristes laissés sur la plateforme Airbnb. Marseille devenue ville branchée, Noailles est labellisée « quartier rebelle », et les portes antisquat cotoyent les meublés touristes.
Du taudis au Airbnb nous raconte comment le trauma du passé voudrait être vite effacé par un volontarisme du présent. La description vivante aux multiples voix que propose Victor Collet nous montre aussi comment la ville se bat contre son décor. Face au cynisme d’une ville effondrée qui voit l’explosion du marché des locations saisonnières et le fleurissement des concept stores, les luttes contre la plateforme ces dernières années n’ont eu de cesse de s’inventer : du saccage des logements proposés, au vol des boîtiers à clefs, aux affichages de rue : « Du taudis au Airbnb », « Ici un habitant disparaît toutes les cinq secondes » ou encore « Nos morts. Vos profits », pancarte accrochée sur les grilles de la « dent creuse » rue d’Aubagne. Et cette « dent creuse » justement, où il est question de construire un mémorial imaginé par une agence d’architectes qui propose l’aménagement d’un jardin partagé, un espace municipal et un lieu de recueillement, avec une livraison prévue pour la commémoration du 5 novembre 2025. The show must go on.
Cette année, la commémoration du 5 novembre aura le souffle de la bataille puisque deux jours plus tard, le 7 novembre, va commencer le procès pour juger les responsables des effondrements. Du 7 novembre au 18 décembre, les familles et proches des victimes, mais aussi des voisins et habitants constitués en partie civile et qui ont vécu la violence des évacuations forcées et les galères des délogements seront entendus. Face à Marseille Habitat ; aux techniciens de l’habitat indigne et aux experts des services des périls ; face aux élus de l’époque Gaudin et Muselier, dont Xavier Cachard alors vice-président de la région PACA et propriétaire d’un appartement au n° 65 de la rue d’Aubagne tout en étant l’avocat du syndic de l’immeuble ; face aux marchands de sommeil et aux syndics véreux, c’est tout un système de l’habitat indigne qui va être mis au banc des accusés. En espérant que ce procès fasse tomber quelques têtes et déboulonne l’insalubrité systémique de la ville. D’ici là, on conseille de lire Victor Collet, qui parle de l’intérieur des luttes et propose de manière précise et sensible une analyse des différentes composantes des mouvements, des enjeux et des rapports de force. L’écriture pour Victor Collet est un pas de côté, pour permettre un regard critique sur les mobilisations urbaines dont la portée va au-delà de Marseille, puisque Airbnb transforme nos villes plus vite que les plans de réhabilitation, menaçant les solidarités, tuant les sociabilités. Porter le droit à la ville contre la sidération et le cynisme, voilà ce que nous propose cette petite histoire des résistances urbaines.
Manon