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Serbie : Un mouvement social de grande ampleur

dimanche 6 avril 2025, par Courant Alternatif


Voir en ligne : Radio "Vive la Sociale"

La Serbie connaît depuis plusieurs mois une puissante mobilisation sociale, qui se propage peu à peu à d’autres pays des Balkans, mais les médias l’ignorent. Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans [1], en décrit et analyse les caractéristiques dans cette version condensée d’une interview réalisée le 3 mars pour l’émission "Vive la sociale" [2]

Pouvez-vous pour commencer nous faire un bref historique de ces mobilisations ?

La Serbie connaît actuellement le plus fort mouvement social de son histoire récente, en tout cas depuis la chute de Milosevic en octobre 2000. Il a commencé de manière presque anecdotique en réaction à l’effondrement, le 1er novembre dernier, de l’auvent extérieur de la gare de Novi Sad, la grande ville de Voïvodine, qui a provoqué la mort de quinze personnes. Cette catastrophe a très vite été perçue par la population comme le symbole de la corruption généralisée du pouvoir en Serbie, puisque cette gare située sur la ligne à grande vitesse qui devra relier Belgrade à Budapest venait d’être refaite par la société chinoise qui réalise cette ligne, et qu’il y avait donc eu malversation dans le contrat. Les habitants se sont mobilisés rapidement pour dénoncer la corruption. Après de premières manifestations à Novi Sad dès le mois de novembre, le mouvement s’est un peu étendu, dans les semaines qui ont suivi, à certaines universités et écoles supérieures de Belgrade. Puis des violences commises par des individus anonymes, sans doute des séides du pouvoir, ont eu pour effet de radicaliser le mouvement, d’amener d’autres étudiants à se mettre en action, et dès le début de décembre des dizaines de facultés et d’écoles supérieures étaient occupées — aujourd’hui on en compte à peu près une soixantaine.

Ce mouvement a pu se construire à partir de ces facultés occupées, dont l’action est dirigée par des plénums étudiants, avec une très forte exigence de démocratie directe et d’égalité dans la prise de parole. Il n’y a pas de porte-parole, pas de leader, c’est vraiment un mouvement qui part et qui se structure depuis la base. En même temps, l’action symbolique consiste à se rassembler tous les jours à 11h52 pour observer le silence pendant quinze minutes, ce qui bloque parfois des routes, des carrefours, dans toute la Serbie. Et là ce sont toutes les catégories sociales qui se retrouvent dans les grandes villes. C’est très impressionnant ce grand silence qui s’installe pendant quinze minutes.

Il y a eu ensuite deux choses. D’une part, pour faire tenir le mouvement dans la durée, les étudiants ont multiplié les actions et les grands rassemblements. Le plus important a été le blocage pendant 24 heures, le 25 janvier, de Autokomanda, le principal carrefour routier d’entrée dans la capitale. Puis il y a eu des rendez-vous nationaux hors de Belgrade (d’abord à Novi Sad, puis à Kragujevac, puis le 1er mars à Niš, dans le sud du pays, et le prochain c’est le 15 mars à Belgrade), l’idée étant que le mouvement couvre tout le pays. Ces rassemblements où se retrouvent des dizaines ou des milliers de personnes en fonction des endroits durent très longtemps – 46 heures à Niš par exemple, avec tout un programme pour occuper cette longue durée. A côté de cela il y a des marches, des actions où l’on va le plus souvent à pied d’une ville à l’autre, parcourant parfois des centaines de kilomètres - à Niš au moins cinq colonnes ont convergé de différents points du pays, celle partie de Belgrade a fait 240 km, surtout à pied mais en partie aussi à vélo.

« il faut que ça cesse » (La corruption)

Alors pourquoi le faire ? Pour occuper le terrain, pour tenir dans la durée, mais aussi, dans un contexte de black-out médiatique de la part des médias contrôlés par le régime, pour manifester phyiquement la présence du mouvement dans les petites villes et les villages. Et partout la population les accueille, souvent avec des stands de nourriture, des cuisines populaires improvisées, avec des banderoles du type « Les paysans nourrissent les étudiants qui défendent la liberté ». On voit souvent des scènes étonnantes, comme dans les petits villages des banderoles « Bienvenue aux libérateurs », une symbolique rappelant la libération de 1945.

Outre les étudiants, d’autres catégories sociales se sont mobilisées, dont les enseignants du secondaire, les avocats qui ont observé une grève d’un mois qui a totalement bloqué l’appareil judiciaire, mais aussi les paysans – et les tracteurs des paysans, c’est pratique pour bloquer les routes et éventuellement pour prendre position autour des facultés. Quand il y avait des actes de violence (il n’y en a plus depuis un mois), on a vu des tracteurs venus protéger des plénums étudiants avec dessus des coeurs rouges et l’inscription "Répandons l’amour" !

Il y a eu plusieurs appels à la grève. Une grève générale a été observée en janvier, où pratiquement tous les cafés, tous les commerces se sont arrêtés. Un des gros problèmes pour faire grève, c’est que la Serbie est un pays presque entièrement désindustrialié du fait des politiques néolibérales de ces dernières décennies ; donc, hormis le secteur public, il n’y a pas beaucoup d’endroits où il soit vraiment possible de faire grève. Néanmoins un nouvel appel à la grève a été lancé pour le 6 mars. Dans le secondaire, les enseignants sont dans l’ensemble très mobilisés, selon des modalités très différentes selon les lieux : depuis la fin janvier certains collèges ou lycées sont occupés, ailleurs il s’agit plutôt d’une grève perlée avec quinze minutes d’arrêt des cours, et dans certaines zones rurales les enseignants se disent solidaires de la grève sans s’autoriser à la faire, car il est très compliqué pour les élèves de se rendre dans les établissements depuis qu’il n’y a plus de transports scolaires gratuits. Donc ce mouvement a le soutien de l’immense majorité des citoyens, ne serait-ce que parce que tout le monde a un enfant, un voisin, qui est étudiant. Ansi ce sont toutes les catégories sociales qui sont très rapidement touchées.

Qu’est-ce qui motive un tel mouvement ?

J’ai évoqué la corruption mais il faut dire un mot du régime qui est au pouvoir. Le président Alexander Vučić vient de l’extrême droite nationaliste ; il a été ministre de l’information à la fin du régime de Milosevic, puis en 2008 il a quitté le Parti radical serbe d’extrême droite, provoquant une scission dans le but de transformer en parti conservateur théoriquement proeuropéen, de "centre droit". Ce nouveau parti, baptisé Parti progressiste serbe (SNS), a réussi quelques années plus tard à prendre le pouvoir. Vučić est devenu vice-premier ministre en 2012, premier ministre en 2014, président de la République en 2017. Aujourd’hui son parti, avec ses petits alliés qui en sont les cache-sexe, a la majorité absolue à l’Assemblée nationale et contrôle toutes les communes du pays - pas une commune n’échappe à son emprise. Il a un positionnement officiellement proeuropéen, défend l’intégration de la Serbie dans l’UE, mais dans le même temps il entretient de bonnes relations avec la Russie et Poutine, a des liens étroits avec Victor Orban et une très grande admiration pour Donald Trump - pour qui il a appelé la diaspora serbe à voter (une diaspora nombreuse et de plus concentrée dans les Etats stratégiques de la Rust Belt) ; donc il se positionne clairement dans la reconfiguration des extrêmes droites européennes et mondiales à laquelle nous assistons aujourd’hui. Par ailleurs, il a conservé la même pratique et la même culture du pouvoir que le Parti radical serbe dont il est issu : monopole sur les médias, contrôle strict sur la justice, mais aussi contrôle de l’ensemble de la vie sociale. Concrètement, si vous n’avez pas la carte du parti, vous aurez du mal à inscrire vos enfants à l’université, à obtenir l’emploi auquel vous aspirez, et si vous lancez une petite activité, commerce, café ou autre, vous aurez automatiquement droit à un contrôle fiscal. Il y a aussi bien sûr achat de voix, voire fraude. Ce contrôle social, la population s’y soumet par nécessité, mais le rejette massivement.

Face à cela, les revendications des étudiants ont l’extrême intelligence d’être d’une simplicité biblique : ils demandent que toutes les documents sur l’appel d’offres et la réalisation du chantier de la gare de Novi Sad soient rendus publics. C’est simple, mais impossible à satisfaire pour le pouvoir, car ça reviendrait à révéler comment la chaîne de corruption remonte jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, jusqu’au président lui-même. En outre, les étudiants ont toujours refusé de rencontrer le président ("rien à discuter, nous voulons simplement le respect de la loi et de la Constitution") et ont même choisi de ne pas le nommer. Et ils se disent opposés non pas au "régime", pour ne pas personnaliser leur combat, mais au "système", ce qui désigne quelque chose de beaucoup plus large : cette forme de privatisation de l’État, cet ensemble de relations de corruption systémique entre les institutions, les partis politiques, les milieux économiques et les milieux criminels qui caractérise la Serbie depuis le début de la transition, au début des années 2000 — et cela quel que soit le parti au pouvoir. Donc ce que veulent les étudiants, c’est une sorte de "reset" généralisé de l’ensemble du fonctionnement politico-social du pays.

S’il y a un refus d’avoir des représentants, c’est à la fois pour des raisons pratiques (éviter qu’ils soient attaqués par le régime, ou éventuellement achetés), mais aussi pour des exigences très radicales de démocratie directe. Les étudiants font savoir partout qu’ils n’ont pas de leaders — c’est assez à contre-courant de ce qu’on entend actuellement en Europe...

Quelles sont les réactions de l’extérieur ?

Du côté des partenaires occidentaux de la Serbie, il y a une sorte de malaise. En témoigne l’assourdissant silence de l’Union européenne sur le sujet. Alors que la Serbie est candidate à l’entrée dans l’UE et que la lutte contre la corruption fait partie de ce qu’on demande normalement aux pays candidats, plusieurs dirigeants européens ont préféré exprimer leur soutien à Vučić.
Il y a plusieurs raisons à cela. L’Allemagne cherche à exploiter le lithium de Serbie. La France elle aussi s’intéresse au lithium, mais en plus elle vient de vendre douze avions Rafale à la Serbie, pour la bagatelle de 3 milliards d’euros. On ne sait pas comment la Serbie va payer cette facture ni à quoi ces avions vont servir, mais elle a ainsi acheté la bienveillance de la France pour un certain temps.

Au-delà des cas allemand et français, il y a deux grandes raisons qui expliquent ce silence des Européens. La première, c’est une fausse vision stratégique. Au lieu de dire à la Serbie (seul pays candidat de l’UE qui n’applique pas les sanctions) qu’elle devrait s’aligner sur les politiques européennes, on la courtise pour essayer de la détacher de Moscou. L’UE renonce ainsi à défendre l’Etat de droit et par là se décrédibilise encore plus. Et, dernière raison, la peur du vide : on préfère à l’inconnu un salaud qu’on connaît et qu’on sait comment contrôler. Du coup, les valeurs qui devraient être au cœur de l’identité européenne — l’État de droit, l’égalité, la responsabilité des politiques élus — ne font pas partie du discours de l’UE. Les étudiants serbes les défendent dans la rue, peut-être... mais ils n’attendent plus rien de l’UE.

Juin 2024 manifestation contre Rio Tinto qui compte exploiter un gisement de lithium en Serbie

Il n’y a pas de revendications sur d’autres plans, notamment économiques ?

Parallèlement au mouvement étudiant, les citoyens se mobilisent sur beaucoup d’autres luttes. Depuis plusieurs années il y a d’énormes mobilisations contre l’exploitation du lithium par Rio Tinto en Serbie occidentale, qui sont portées plutôt par les paysans de la région. Il y a aussi d’autres manifestations environnementales, notamment pour la défense de l’eau.

Il faut bien comprendre la situation des Balkans : la transition néolibérale qu’a connue la Serbie depuis la chute de Milosevic, dans les années 2000, a entraîné une large désindustrialisation du pays, et aujourd’hui on assiste à une pseudo-réindustrialisation avec l’arrivée d’ateliers de main-d’œuvre au service de grands groupes internationaux, qui bénéficient d’aides publiques dépassant parfois la masse salariale, mais où les conditions de travail sont si mauvaises qu’elles ne fixent même pas les gens. Donc la population balkanique émigre massivement, vers l’Allemagne qui a un besoin énorme de main-d’œuvre dans tous les secteurs, mais aussi vers l’Autriche, les pays scandinaves, le Canada... Donc en réalité les Balkans sont d’abord des fournisseurs de main-d’œuvre, que celle-ci travaille sur place ou à l’étranger.

Et en même temps ils sont exploités comme réserve de ressources naturelles : lithium, cuivre, mais aussi eau, car les Balkans sont un château d’eau. Ces dernières années plusieurs micro-barrages ont été construits pour la production électrique, avec des financements européens et au nom de la transition verte, mais en réalité il s’agissait de recyclage d’argent sale, avec une production énergétique quasiment nulle. Par contre ces projets se sont partout heurtés à de très vives résistances citoyennes, en Serbie, en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro, en Macédoine... les gens disant : on nous a pris notre dignité en fermant les entreprises et maintenant on veut nous prendre l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons. C’est une lutte existentielle pour les dernières ressources communes.
Ces mobilisations environnementales sont donc très fortes, et elles convergent avec les mobilisations des étudiants, même si ceux-ci s’en tiennent à une revendication très simple par souci de représenter l’ensemble des gens mobilisés. Et puis dans les grèves qui se généralisent il y a aussi des revendications catégorielles. Je dirais que la formulation d’un discours commun à toutes ces revendications n’est pas encore abouti mais qu’elles sont toutes présentes, qu’elles cohabitent.

Qu’en est-il du secteur agricole ?

Il était très important autrefois, aujourd’hui il connaît une dérégulation massive. Dans le cadre (théorique et très illusoire) du processus de rapprochement avec l’UE, le marché serbe a été totalement ouvert aux importations et notamment aux produits agroalimentaires de l’UE, sans que la réciproque soit vraie. Du coup vous trouvez dans les supermarchés du beurre allemand ou des légumes hollandais moins chers que ce qui est produit localement. Une concurrence totalement déloyale, et faussée en réalité.

Est-ce que l’inflation joue un rôle dans cette mobilisation massive ?

Il y a toujours eu une inflation importante, qui tend un peu à baisser comme partout en Europe. Plusieurs pays des Balkans connaissent depuis quelques semaines un mouvement intéressant de boycott des supermarchés. Parti de Croatie, il a gagné la Slovénie, la Bosnie, la Macédoine, le Monténégro et enfin la Serbie. Là aussi on est dans l’expression d’un malaise multiforme, sans qu’il y ait pour l’instant de mise en commun de toutes ces revendications. Mais ces colères convergent, forcément.

Est-ce que ces mouvements sont aussi tirés par les étudiants ?

Oui et non. Dans le cas des consommateurs protestant contre l’inflation, non. Mais on a pu voir des choses étonnantes. En Croatie par exemple, il y a eu d’énormes cortèges étudiants de soutien à leurs collègues serbes, avec, symbole fort, des banderoles écrites en caractères cyrilliques [3].

Manif étudiante contre Vucic

Ce qui prouve bien que les mouvements sociaux sont capables de dépasser les nationalismes.

Tout à fait. La démonstration est faite dans la rue. En Slovénie aussi (membre de l’UE depuis 2004), après que le maire de Ljubljana a apporté un soutien choquant au régime serbe, il y a eu d’énormes manifestations à Ljubljana et à Maribor, avec des banderoles en cyrillique qui proclamaient "Un seul monde, un seul combat". Ce sont des choses très profondes. Mais il y a aussi des motifs de colère et des mobilisations propres à certains pays. En Bosnie-Herzégovine, des mouvements un peu similaires sont en train de se développer, nés à la suite des catastrophiques inondations et glissements de terrain de novembre dernier, qui ont révélé l’impéritie des responsables politiques. Au Monténégro, l’élément déclencheur a été la tuerie de masse du 1er janvier à Cetinje, un fait divers révélateur d’un désarroi social très profond mais aussi de la dégradation des services publics, aucun policier n’étant alors présent dans la ville. C’est effectivement une sorte de colère qui s’étend à tous les Balkans avec comme point commun une exigence de justice, de prise de responsabilité des politiciens. On verra bien jusqu’où ces mouvements peuvent converger et se développer.

Comment expliquer que ce sont les Balkans qui s’insurgent actuellement alors que c’est le calme plat ailleurs en Europe ?

Il n’y a pas de réponse simple et définitive à cela. Dans le moment d’explosion des mouvements sociaux, il y a toujours une part de hasard. La catastrophe de Novi Sad est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase des colères accumulées. Mais il y a dans ce mouvement une dimension existentielle de gens acculés, qui n’ont pas d’autre possibilité que de se révolter. Un slogan très présent dans tous les rassemblements, c’est "La révolution ou l’exil" : soit on obtient gain de cause, soit on partira tous. Et ce n’est pas une parole en l’air, car si ce mouvement devait échouer, il faudra vraiment s’attendre à ce que toute une génération quitte la Serbie pour aller refaire sa vie ailleurs. Ensuite, qu’est-ce qui rend ce mouvement possible, pourquoi trouve-t-il aussi rapidement un écho dans la société ? Peut-être parce que dans les Balkans la société est un peu moins atomisée, plus solidaire que dans d’autres pays d’Europe. Mais il y a aussi, il faut le reconnaître, une grande intelligence des étudiants. Le fait de parcourir le pays à pied pour briser le silence des médias et se faire entendre dans tous les villages et villes du pays, ça a aussi pour conséquence de casser l’irréalité des réseaux sociaux. Ce n’est pas la même chose de "liker" un post de manif étudiante que de préparer à manger pour ces étudiants qui arrivent chez vous le soir, de les loger, les soigner. Ça donne une réalité nouvelle aux choses.

Les énormes manifestations en Grèce de commémoration de la catastrophe ferroviaire de Tempé, est-ce une simple coïncidence ?
Là, c’est l’écho. Certes, l’accident de Tempé, c’est aussi une affaire de corruption et de réduction des services publics. Mais les grandes manifestations d’il y a deux ans, lorsqu’il s’était produit, étaient retombées, et là, c’est de voir ce qui se passe en Serbie qui a redonné du corps au ventre aux Grecs. Il y a donc une sorte d’émulation qui a sûrement joué un rôle. A Belgrade on est allé manifester devant l’ambassade de Grèce. Donc, oui, il y a une sorte d’écho, de solidarité qui se joue d’un pays à l’autre de la région.

Et la diaspora serbe ?

La diaspora serbe est très mobilisée. Elle a manifesté un peu partout en Europe, aux États-Unis, au Canada, à Tunis... [4]

Quelle réaction peut-on s’attendre à voir venir du côté du pouvoir ?

Vučić a joué la carte de la répression au début, puis a arrêté en voyant qu’elle était contre-productive. Ensuite il a fait sauter un fusible avec la démission du premier ministre (mais en fait tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du président), et ça n’a rien changé. L’hypothèse d’élections anticipées ayant été écartée, on s’attend maintenant à un changement de gouvernement avec la même majorité parlementaire, ce qui ne va rien changer non plus. Aucune des initiatives du régime ne marche, la seule carte qui lui reste, c’est l’essoufflement. Si ça devait finalement se produire, la répression pourrait revenir. Mais pour l’instant on n’en est pas là.

Peut-il compter sur la fidélité des forces de l’ordre ?

Dans une certaine mesure, oui. Mais il est très clair que beaucoup de policiers se sentent solidaires de ce mouvement, car tous ont un proche ou une jeune voisin qui est étudiant. Après, il y a les sbires du régime, les unités spéciales de la police, les services secrets. Là il y a des batailles assez complexes qui se mènent, car je ne crois pas que Vuvic ait le contrôle complet de l’État profond. C’est un peu l’inconnue de l’équation de ce qui est en train de se passer aujourd’hui.

Et les syndicats ?

Le problème, c’est qu’ils ne sont pas bien forts. Dans les ateliers de main-d’oeuvre qui ont remplacé les grandes entreprises quasiment disparues, aucun syndicat n’arrive à s’implanter. Dans les entreprises rachetées par les Chinois, comme les aciéries de Smederevo, c’est presque impossible de créer un syndicat indépendant. A côté du syndicat officiel, qui survit toujours, il y a des syndicats plus combatifs, mais ceux-ci sont très peu implantés dans le secteur privé. Ils le sont dans le secteur public. Les enseignants sont déjà en grève, la santé pourrait se mobiliser. Il y a eu en outre quelques petits mouvements, quelques heures de grève à l’aéroport de Belgrade. Les travailleurs de la culture sont aussi très mobilisés, mais ce ne sont pas eux qui peuvent bloquer un pays...

Mais est-ce que la faiblesse des syndicats n’a pas favorisé la consolidation du mouvement, du fait qu’ils n’ont pas les moyens de le contrôler ?
C’est vrai que les syndicats en Serbie ne seraient pas en mesure de négocier la fin d’un mouvement. Mais ce mouvement est d’abord porté par les étudiants, qui ont ces bastions que sont les facultés occupées, dont ils assurent le contrôle. Ce sont aussi ces points d’ancrage matériels qui permettent au mouvement de tenir. La répression violente, ce serait par exemple si la police essayait d’entrer dans une faculté, ce qui n’est pas envisageable, sauf dans une logique de durcissement extrême du régime.

Vive La sociale- 3 mars 2025

Notes

[1Dérens vient en outre de faire paraître Les Balkans en cent questions - Carrefour sous influence, aux éditions Taillandier.

[2Sur Fréquence Paris Plurielle (106.3 MHz ou rfpp.net). L’émission est ré-écoutable à l’adresse vivelasociale.org/les-emissions-recentes.

[3En Serbie comme en Croatie, on parle en réalité une même langue, le serbo-croate, avec des variantes. Mais elle s’écrit en caractères cyrilliques en Serbie, latins en Croatie.

[4A Paris, on manifeste toutes les semaines devant l’ambassade de Serbie. Pour des informations précises, consulter le site du Courrier des Balkans.

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