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Décroissants : Tout sauf le communisme et l’égalité !

mardi 9 mars 2010, par Courant Alternatif

On sait depuis longtemps que les ressources de la Terre ne sont pas inépuisables et qu’à terme leur exploitation, telle qu’elle se réalise, ne peut que conduire à la Barbarie (c’est-à-dire à la destruction de l’humain). Sans remonter à Mathusalem, cette idée était esquissée à la fois dans la critique de la société de consommation (aliénation et gaspillage) des années 60 et dans les critiques de gauche du marxisme – refusant de voir l’inéluctabilité du socialisme dans le développement de forces productives transformé en religion par les marxismes vulgaires, léniniste, stalinien ou sociaux-démocrates.


Transformer des banalités de base en concepts modernes et scientifiques

Ces critiques étaient alors minoritaires, surtout dans le vieux mouvement ouvrier, mais aussi dans celui qui s’ébauchait après 68. Ce qui leur donnait force était d’évoluer dans un contexte social et politique de large remise en cause du capitalisme, et plus généralement de l’ordre existant, à la fois comme critique du présent et comme ébauche d’un débat sur un monde à inventer.
Aux yeux de celles et ceux qui menaient ces réflexions, quelle que soit leur diversité, il s’agissait de simples évidences à creuser et à développer au sein d’une dynamique de critique sociale plus large – et non d’une idéologie qui en remplacerait une autre (la révolution, le socialisme) passée de mode. Ensuite, l’écologie politique s’est très vite embourbée dans les méandres politiciens et électoralistes, jusqu’à oublier ces fondamentaux que sont l’indissociable proximité entre l’écologie et la critique radicale du capitalisme (voir p. 15).

Rappelons ici que la décroissance comme concept est née dans des têtes d’œuf de la pensée technocratique internationale qui voulaient inclure dans les coûts d’une production le prix des destructions inhérentes, c’est-à-dire très clairement rationaliser au mieux la gestion du système de production en intensifiant l’exploitation des êtres et des ressources !

C’est alors qu’un semi-gourou nommé Georgescu-Rogen a nommé ces banalités « principe d’entropie » en utilisant l’appareillage scientifique pour les démontrer. Pour autant, le problème n’a pas avancé d’un pouce, bien au contraire, puisque la conclusion qu’il en a tiré est celle d’un changement par le biais de l’éducation, de la compréhension et d’un gentleman agreement possible entre tous et toutes pour le bien de Gaïa… lui aussi.
Ce qu’il y a de faussé dans le concept de décroissance, c’est qu’il part du postulat selon lequel nous vivons dans une société, au sens premier du terme : un groupe de gens entre lesquels existent des rapports durables et organisés, volontaires et acceptés par tous et toutes. Or ce n’est pas le cas, les humains sur Terre ont des modes de vie totalement différents (ce qui est une bonne chose), mais aussi inégalitaires (ce que nous combattons). La décroissance fait comme si ces inégalités n’existaient pas ou peu, comme si nous étions tous sur le même bateau – les riches et les pauvres, les capitalos et les paysans sans terre, les ouvriers et les patrons, les intellos et les Bororos…
Un exemple parmi d’autres : quel sens cela a-t-il de mesurer l’empreinte écologique par tête de pipe, ou pour un pays pris comme ensemble pertinent ? Pourquoi ne nous donne-t-on pas cette empreinte par classe sociale ? Ce n’est pas pour demain la veille.
Cette méthode procède d’une vision très répandue selon laquelle nos sociétés (occidentales d’abord) tendraient à devenir une grande classe moyenne de plus en plus homogène. Il s’agit là d’une production idéologique caractéristique, et mille fois décrite, de la petite bourgeoise qui ne sait voir le monde qu’à son image et qui se pense en expansion. Et c’est une des fonctions de cette « idéologisation » de l’écologie que d’avoir inventé un intérêt commun à l’ensemble du genre humain, qui transcenderait nos intérêts divergents, nos différences de niveau : l’intérêt de la planète, de la Vie et des Hommes en tant que tels. Unissons-nous, frères et sœurs !
Or s’il est vrai que la religion de la croissance ne fait qu’accroître les inégalités et les dégâts écologiques, son renversement symétrique n’importe où et sur n’importe quoi est tout aussi destructeur. Décroître, pourquoi pas ? mais alors il faudrait faire le tri entre les productions socialement utiles et les autres, celles qui ne servent qu’à asseoir la domination, générer du profit, protéger la propriété et satisfaire les besoins des riches… ces dernières devant faire mieux que décroître : disparaître !

Les moyens d'action : le lobbying

Les penseurs de la décroissance tentent de rassembler toutes les bonnes volontés, plus ou moins de gauche, qui pensent qu’on peut sortir du capitalisme (nommé pudiquement « développement » ou l’«  économie ») sans dommage et sans violence, et tout en y restant quand même. Sans tenir compte évidemment que c’est dans la nature même du capitalisme de s’étendre à l’infini… ou de mourir en entraînant tout le monde dans la Barbarie.
Ils font comme si l’état des choses était le fruit d’une succession d’erreurs techniques ou, à la limite, d’une soumission coupable de quelques-uns aux sirènes du pouvoir et au profit ! Il s’agirait alors de faire pression sur les Etats et les décideurs industriels (les capitalistes) pour, par exemple, développer un « tiers secteur associatif », une « économie sociale ». Leurs théoriciens se rêvent en fait comme des sortes de conseillers du prince.
Or l’exploitation capitalisme des ressources « naturelles » et humai-nes ne relève nullement d’une erreur ou d’un malentendu, mais bel et bien d’un rapport social. Par conséquent, nulle technique particulière, nul comportement (comme “la simplicité volontaire”) individuel ne saurait inverser la vapeur.

Généralement, les militants de base nous préviennent d’emblée : leurs concepts n’en sont pas vraiment, de solutions ils n’en ont pas… Ils sont multiples et indéfinissables… ce qui, évidemment, peut les rendre sympathiques – mais ne permet pas aisément la critique, puisque vous aurez toujours en face de vous un décroissant pour vous répondre : « Mais, moi, j’ai pas dit ça ! »
Par exemple, certains d’entre eux considèrent le sous-développement des pays du Sud comme un «  bienfait » puisque les populations seraient épargnées du vice de la consommation ( !). D’autres au contraire – les plus nombreux, heureusement ! – prétendent combattre ce sous-développement en diminuant la consommation des pays développés (comme si la technique des vases communiquants était compatible avec l’essence même du système !).

A la limite du catrastrophisme et de jouer sur la peur

Si les choses en restaient là, nous serions dans le cas de figure assez classique de l’impasse réformisme. Mais nous nous trouvons face à des aspects plus gênants, qui touchent au religieux et à la culpabilisation.
Le catastrophisme est une arme propagandiste fréquemment utilisée : selon Serge Latouche, la poursuite de la croissance, c’est la disparition de la civilisation dès le milieu du XXIe siècle – ce qui serait la sixième extinction des espèces, avec la particularité d’avoir été entraînée par les humains ; une extinction qui se fera cette fois beaucoup plus rapidement que les précédentes, précise-t-il.
Mais, franchement, que l’espèce humaine disparaisse dans cinquante, cent ans ou dix siècles, on s’en bat l’œil. En revanche, ce qui nous insupporte dès maintenant, ce sont les exploitations, les enfermements, les répressions, la division du travail que nous subissons – même si, évidemment, nous préférerions que cela cesse sans que « la civilisation » (laquelle ?) disparaisse, ou que les humains soient appelés à évoluer dans un monde technologisé et purement artificiel.
Mais si c’est pour vivre en «  simple » (dans tous les sens du terme) dans un monde pacifié, lisse, terne, rendant grâce à Gaïa tous les matins, doté de structures « conviviales », bardé de techniques psychosociologiques de résolution des conflits individuels… comme certains écrits décroissants le laissent prévoir, autant crever ! « L’ ivresse joyeuse et l’austérité partagée » est le pire des cauchemars. Et si c’est là le projet de société libertaire, qu’ils se le gardent.

Ce catastrophisme entraîne en outre des stratégies de communication plus que douteuses.
« Vive la pauvreté ! » et « Merde au pouvoir d’achat » furent des unes remarquées du journal La Décroissance. Bien entendu, il s’agit là d’une sorte de second degré provocateur. Mais qui s’appuie sur l’idée que les malheurs sont source de réflexion et de rédemption. Libé nous avait fait déjà le coup avec son « Vive la crise ! » en 1984. Présentement, ce raisonnement prend de l’ampleur avec le tremblement de terre à Haïti… L’idée est de nous abreuver de scénarios catastrophes pires que ce que le présent, déjà peu ragoûtant, nous offre, afin de nous forcer à prendre le mors aux dents et à casser nos habitudes. En 1984, il s’agissait de faire passer les diminutions de salaire, la casse des « acquis sociaux », « inévitables » pour « aller de l’avant ».
Maintenant, le catastrophisme ambiant doit nous aider et nous forcer à revenir à la « simplicité volontaire », la « pauvreté étant la richesse des peuples » comme le titre Serge Latouche dans un livre récent. Et l’on se rappelle à cette occasion que Jacques Ellul, l’un des pères de la décroissance (fort prisé parmi certains libertaires), écrivait en 1986 : « Nous constatons que, dans la Bible, l’intervention divine a lieu quand l’inhumanité, quand le mal moral et physique dépasse les bornes. Dieu provoque un événement approprié à cet excès d’inhumanité, qui placera l’homme devant le choix de se repentir ou de mourir. Je suis convaincu que l’apparition du virus du sida correspond à cet ordre d’action de Dieu. »

Lorsque les décroissants disent : « Fermons les usines Citroën » (titre de La Décroissance en 2004), c’est encore une provocation qui se veut pédagogique. Mais, dit ainsi sans expliquer ce que ça signifie dans un projet de remise en cause de la division du travail, sans relier cela à une autre forme de rapport entre les humains que celui que le capitalisme induit, sans évoquer qu’on ne peut y parvenir que par une révolution, c’est ramener la provocation à un simple slogan terre à terre qui ne peut que signifier le mépris dans lequel on tient celles et ceux qui y travaillent.

L' individualisme

La culpabilisation, comme la persuasion, ramène toujours à l’individuel et si les décroissant prétendent, y compris par des actions collectives, faire pression sur les puissants, il n’en reste pas moins que le levier clé du changement c’est « se changer soi-même pour changer le monde ». On met alors l’accent sur la « prise de conscience » individuelle (aspect religieux), sur les arguments pédagogiques et sur la valeur de l’exemple. Une batterie de comportements « corrects », « éthiques », sont alors listés auxquels nous devrions soumettre : les « bonnes ampoules », la « bonne nourriture », les « bons » transports, les « bons » comportements, etc. Et c’est là qu’il y a entourloupe car jamais n’est abordée la question du comment les gens, nous mêmes, changeons. Ce sont précisément les mouvements collectifs, ceux qui secouent la société et parfois l’histoire qui font changer les gens et ce sont ceux-là qui sont évacués.

JPD
Poitou

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1 Message

  • D’abord il faudrait dire "objecteurs de croissance" et non "décroissants" (qui en limite bien souvent l’aspect à la simplicité volontaire, en gros à la dimension individuelle, entourée d’affirmations bien-pensantes).

    En effet, le fondement du problème est bel et bien le système croissanciste du capitalisme, obsédé par la situation du P.I.B., le référent tyrannique de sociétés occidentalisées plongées dans la course en avant.
    Donc, pour parler plus sérieusement, mettre en avant la dimension politique du regard permet d’éviter l’écueil de la personnalisation, forcément cliché voire folklorique, du mouvement.

    De là, des fondements du système présent (certes en évolution mais dont les bases du principe économique ne sont pas remises en cause), découle l’exploitation de tout ce qui peut l’être, y compris bien sûr l’exploitation des préoccupations environnementales (développement de nouveaux marchés), la tyrannie éducative (obsession de la "réussite"), l’angoisse de l’efficience (rentabiliser tous les aspects de la vie), l’obsolescence programmée, et caetera.

    Il n’est pas question de faire de "la décroissance" un truc de technocrates éclairés, ni de valider la stagnation ou la régression économique que nous pouvons subir au nom d’un appel à, finalement, s’habituer à notre sort d’une manière.. positive !

    Si le but, ni même le chemin de l’objection de croissance ne peut être atteint dans l’état actuel des choses - pire, si ce mouvement s’avère incapable de voir le début d’un retournement effectif si ce n’est au niveau intellectuel et mental (ce qui est déjà pas mal), c’est tout simplement parce que le système actuel, absolument totalitaire, évacue, non pas toute alternative (tant qu’elle y reste inclue), mais tout autre langage.

    Hors croissance, point de salut, car nous sommes dans un système économique fondé sur la croissance.
    Ainsi, pour en sortir, nous devrions changer de référents, changer les données profondes du système, pour le faire transmuer, en évitant une explosion dont les conséquences seraient douloureuses, mais pas que pour les plus riches ! Or qui sait si l’on pourra éviter cette explosion si jamais elle arrive, par suite de l’auto-destruction à laquelle ce système est indubitablement appelé. Car si rien n’est fait, comme il semble être le cas en gros, eh bien on ne peut qu’attendre patiemment mais sûrement cette auto-destruction, plus ou moins rapide, plus ou moins lente.

    Dans cette optique, autant commencer tout de suite au moins dans les têtes, et c’est cela à quoi appelle avant tout l’objection de croissance : changer d’état d’esprit, modifier son imaginaire, résister au discours ambiant dominant pour se prépare à l’"après-capitalisme", dont on ne veut pas (soumis à l’idéologie de l’enrichissement individuel) mais qui s’imposera de lui-même. Quant à savoir quelle forme ça prendra exactement, on n’en sait rien. La seule chose certaine, c’est que l’argent ne pourra plus dominer ni nous dominer. Beaux rêves...

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