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Antifascisme encore !?

lundi 19 juillet 2010, par Courant Alternatif

L’antifascisme ne triomphera que s’il ne cesse d’être à la remorque de la démocratie bourgeoise. Défions nous des formules « anti », elles sont toujours insuffisantes, parce que purement négatives. On ne peut vaincre un principe, qu’en lui opposant un autre principe, un principe supérieur.
Daniel GUERIN, Fascisme et Grand Capital.


Depuis quelques mois les thèmes du fascisme et par conséquent de l’antifascisme traversent à nouveau les « milieux libertaires »(1), au point que l’un des débats du salon du livre libertaire portait sur la question de savoir quelle riposte apporter contre le fascisme, en relation avec la contre manifestation qui devait se tenir le jour même(2).

Huit ans après l’épisode du second tour Chirac/Le Pen, où l’on vit nombre d’anars appeler au vote citoyen, pour sauver la « démocratie », le problème n’est toujours pas réglé.

Il semble pourtant au vu des échanges lors de la discussion parisienne que du chemin ait été parcouru.

Cet article se veut donc une contribution au débat, il sera divisé en trois parties, d’abord pour de basse raisons commerciales (vous devrez acquérir les prochains CA pour connaître la suite) mais surtout parce que la question est fondamentale et nécessite un développement assez long.

La question du fascisme,
un problème de définition

« (...) définir le fascisme c’est avant tout en écrire l’histoire (...) Une théorie du fascisme ne pourrait donc sortir que de l’étude de toutes les formes de fascisme, latentes ou ouvertes, bridées ou triomphantes. Car il y a plusieurs fascismes dont chacun recèlent des formes multiples parfois contradictoires et qui peuvent évoluer jusqu’à changer leurs traits essentiels. Définir le fascisme signifie le surprendre dans cette évolution c’est saisir dans un pays donné et à une époque donnée sa différence spécifique(...) cette méthode plus prudente et moins ambitieuse nous permettra peut être d’indiquer un certain nombre de caractères communs pouvant être intégré dans une définition générale de fascisme (...) »
Angelo Tasca
Naissance du fascisme,
l’Italie de l’armistice à la
marche sur Rome, 1938
Un demi-siècle après la naissance du phénomène fasciste, une foule de théories parfois contradictoires ont été avancées pour comprendre son origine et les motifs de son accession au pouvoir. Ce conflit des interprétations n’est pas gratuit et l’historiographie du fascisme à toujours été utilisé a des fins politiques.

Le mot lui même est un piège, il est attrape-tout, « le mot le plus vague des mots politique mais qui importe le plus ».
Au départ, si le fascisme n’est que la désignation d’un mouvement politique italien, il a servi par extension a désigné tout les mouvements totalitaires et autoritaires né dans l’Europe de l’entre deux guerres.

Si l’on reprend l’historique de ces interprétations, on constate un élargissement progressif du fascisme de sa dimension italienne et européenne vers une dimension mondiale et universelle. Le fascisme a fini par prendre l’aspect d’une entité politique totale et métahistorique qui se serait manifestée et pourrait se manifester partout au delà des limites propres de son modèle historique.

Après 1945, on a ainsi qualifié de fasciste les régimes de Perón en Argentine, la présidence de Charles de Gaulle, les régimes à parti unique de certains pays du Tiers-monde, la dictature des colonels en Grèce et les régimes militaires d’Amérique latine ou les coups d’état de l’armée en Turquie.
Par un processus d’inflation sémantique toujours croissant le concept de fascisme a servi à tort et à travers dans le combat politique le concept de fascisme à finit par être tellement usité qu’il est devenu un terme générique et l’insulte préférée des gauchistes de tout poil.

S’il fallait en donner une définition la plus simple et la plus exhaustive possible on pourrait donner celle-ci : le fascisme est un phénomène politique moderne, nationaliste et révolutionnaire, antilibéral et anti marxiste, organisé en parti-milice avec une conception totalitaire de le politique et de Etat, avec une idéologie activiste et anti théorique (au sens d’antirationaliste) avec des fondements virilistes et anti hédonistes(3). Le fascisme peut être considéré comme une religion laïque qui affirme le primat absolu de la nation entendue comme une communauté organique (voire biologique) ethniquement homogène, hiérarchiquement organisée en un Etat corporatiste, négateur de la lutte des classes, avec une vocation belliqueuse à la politique de grandeur, de puissance, et de conquête visant à la création d’un homme nouveau, d’un ordre nouveau, voire d’une civilisation nouvelle.

Ce phénomène politique ne se limite pas en une simple radicalisation des méthodes dictatoriales, ni une accentuation des aspects réactionnaires de la démocratie bourgeoise. C’est un système entièrement original qui repose sur la transformation des classes en masses, promeut le culte paroxystique du chef, où l’Etat détient le monopole idéologique, le contrôle de tous les moyens de pouvoir et de persuasion. Le contrôle social s’effectue par la terreur et la mise en place d’un système policier et concentrationnaire. Animé par une logique de la déraison il tend à la destruction complète de la société comme de l’individu.
Mais ceci étant fort bien dit, cela ne permet toujours pas de saisir la réalité historique du fascisme. Pour cela, il faut comprendre les conditions historiques de l’apparition du phénomène fasciste, c’est-à-dire ne pas se contenter de l’histoire politique des idées il faut plonger dans l’histoire des faits sociaux.

Le fascisme
dans son contexte historique

Il faut chercher les raisons de l’apparition du fascisme dans l’incapacité de la bourgeoisie à faire face à l’irruption des masses populaires sur la scène politique et l’échec du mouvement ouvrier dans ses tentatives de transformations radicales de la société.

La société qui émerge à l’aube du 20ème siècle est une société qui a vécu de profondes transformations et de manière très rapide. L’industrialisation frénétique et les mutations qui en découle ont détruit les solidarités anciennes, provoqué un exode rural massif et l’explosion démographique des métropoles urbaines. L’apparition d’un prolétariat revendicatif crée la question sociale, objet de mobilisation politique et sociale.

Mais c’est la première guerre mondiale et la seconde révolution industrielle qui vont créer les éléments fondamentaux de la formation du fascisme. La guerre en prouvant que la science et la technique peuvent être au service du mal a détruit les illusions positivistes. Les bouleversements atteignent chacun et chacune dans son identité, dans son intimité. Le rapport au corps est bouleversé (le retour des mutilés de guerre), les relations entre les genres sont transformées (l’arrivée des femmes dans les usines).

La crise économique qui survient quelques années après les armistices et qui culmine avec le krach de 1929 a poussé les jeunes générations condamnées au chômage à contester l’ordre instauré par leurs aînés, rejoignant ainsi les revendications des classes moyennes et de la petite bourgeoisie menacées de prolétarisation. Ces contradictions inhérentes au système n’ont pu être pris en charge par les démocraties libérales et leurs états. Or Etat c’est très le résultat de l’ordre et des nécessités économiques. Démocratie représentative et régime autoritaire ne sont que deux formes possibles et interchangeables d’une structure dont le but est d’unifier la société de classes en suscitant un consensus social et d’encadrer les classes dominées soit en les intégrant par la force soit en les associant par l’intermédiaire de leurs organisations politiques et syndicales.

Le fascisme a donc bien représenté une solution pour des millions de gens qui, confronté à des situations aussi dramatique que l’après guerre italien ou la république de Weimar, ont été incité par passivité à voir dans les mouvements fascistes une compensation à leur misère et leur précarité, en cultivant l’illusion d’appartenir à une communauté de destin en action.

Le second élément pour comprendre l’avènement des fascismes européens c’est l’échec et l’effondrement du mouvement ouvrier. Les dictatures fascistes se sont toutes mises en place dans un contexte de défaites ouvrières en particuliers après des tentatives avortées de révolution. En Allemagne (la République de Conseils de Bavière) et en Italie (le mouvement d’occupation des usines) il est indéniable que la grande bourgeoise a choisi de favoriser un mouvement hostile à la lutte des classes.
Ce choix a été motivé par la capacité du fascisme de mater la classe ouvrière organisée et ainsi de rétablir l’ordre capitaliste et son corollaire l’exploitation. Pour contenir la crise et maintenir ses profits, il faut exploiter plus. Or le réformisme et les revendications ouvrières barrent la route à cette exploitation accrue la seule solution est alors de sortir de la démocratie.

Mais cette explication n’est pas suffisante pour comprendre l’accession au pouvoir des Mussolini, Hitler et Franco. La puissance des mouvements ouvriers (le PC en Italie, le SPD en Allemagne et la CNT en Espagne) n’a pu empêcher l’accession des fascistes au pouvoir. Il ne s’agit pourtant pas d’un manque de moyens, le SPD et le KPD allemand sont les partis ouvriers les plus puissants d’Europe, à la tête d’une véritable contre société. La CNT est l’organisation la plus importante en Espagne. Pendant tout l’entre deux guerres, assistant à la montée des autoritarismes, ils vont développer une critique et une analyse des fascismes.

Dans la montée des antagonismes sociaux, les antifascistes concevait le fascisme comme une dictature réactionnaire, arme de la bourgeoisie, pour contrer l’imminence de la révolution sociale. Ce fut leur erreur fondamentale, de ne pas voir que la Révolution était déjà morte. Ainsi en 1933, les restes de la Gauche allemande interprétaient l’accession d’Hitler à la tête de l’Etat comme le parachèvement de la contre-révolution de 1919-21 car le fascisme ne brise pas l’élan prolétarien, il en consomme la défaite.

Un vieux scalpeur

(1)En témoigne la production de textes sous forme électronique et papier (couverture du numéro d’Alternative Libertaire de février 2010), des manifestations en réaction à des agressions (Lyon, Chauny...), bref le retour d’une vieille question jamais résolue, toujours débattue.

(2)Le 9 mai 1994 Sébastien Deizyeu (mais pas des ailes) se tue en voulant échapper à la police lors d’une manifestation anti-américaine de l’Oeuvre Française et du GUD. Depuis, cette date sert de support a des rassemblements qui, au prétexte de la commémoration de ce décès, voient défilés tout les groupuscules d’
extrême-droite. Depuis 7 ans environ, les antifascistes tentent de s’opposer à ces défiler.

(3)L’hédonisme est une doctrine philosophique qui établie comme morale la mise en avant des plaisirs de la vie.

(4)On consultera avec profit la réédition de Jacques Droz, Histoire de l’antifascisme en Europe 1923-1939 La Découverte 2001.

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