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Droit d’asile : témoignage d’une action de résistance

jeudi 20 juin 2013

Témoignage d’une action contre l’expulsion des demandeurs du droit d’asile

De Caen.

J’ai écrit un texte sur l’action menée pour les droits d’asile expulsés, ce n’est pas un texte politique, je raconte seulement ce que j’ai vécu et compris de ces journées d’action, je ne sais pas si ça peut avoir une quelconque utilité. Ce n’est que le point de vue d’une quidam impliquée dans aucune structure composant le collectif 14 et qui ne s’est retrouvée là que par l’indignation et la colère d’une telle situation. Françoise.

Le droit d’asile

Lundi 3 juin : Rassemblement devant la préfecture. L’état a le devoir d’héberger les demandeurs d’asile, par manque de financement, la préfecture met à la rue des familles entières. Combien sont-ils ? 75 ? Une quarantaine d’enfants ? Quand elles sont recueillies provisoirement par des bénévoles, leur cas n’est plus une priorité : ils ont trouvé une solution. Des familles dorment dans la rue, vivent dans la rue, se nourrissent au resto du cœur.

Situation inacceptable. Une délégation est reçue à la préfecture. Dans la rue, ça discute, il faut faire plus qu’une manif, durcir l’action, squatter des locaux inoccupés, la gendarmerie Martin, en plein centre-ville semble un bon objectif. Cette proposition ne fait pas l’unanimité. Quelle action mener qui ne mette pas en danger les demandeurs d’asile ?

Mardi 4 juin : Il y a eu des fuites, normal, nous en avons discuté haut et fort en attendant le retour de la délégation qui n’a rien obtenu. La gendarmerie est protégée, dehors, dedans, il faut trouver une autre cible, rendre visible cette situation, exiger des solutions pour toutes ces familles.

Lundi 10 juin : Nouveau rassemblement devant la préfecture. Une action est prévue. Il se peut qu’on y passe la nuit. Où ? Comment ? On ne sait pas. Ce n’est pas plus mal. On part en manifestation, nous sommes un peu plus que la semaine dernière. Place du théâtre, des tentes se montent sur le parvis, il en manque, appel aux militants. Onze tentes s’alignent. La place se vide peu à peu, restent quelques militants. Passage de la maraude. La croix rouge ramène des couvertures Le bar d’en face ferme, il apporte ses restes de sandwichs et de pain. Les familles investissent les tentes. Les enfants jouent sur la place. Nous ne sommes plus qu’un petit groupe de militants.
Comment assurer la nuit ? Faire des relais ? Assurer le petit déjeuner ? Trouver un camping gaz pour faire du lait chaud pour les enfants ? Coups de téléphone, répartition des tâches, rendez-vous à 7h30 pour le petit-déjeuner. Il est 22 heures, je me rentre.

Mardi 11 juin : 7h30. La nuit s’est bien passée. Un groupe de jeunes a monté la garde. Des militants ont dormi dans leur voiture devant les tentes. Le plus gros problème a été les toilettes : elles sont fermées à partir de 23 heures. Des enfants ont mal dormis, certains partent à l’école, d’autres ne sont pas en état d’y aller. D’autres ne sont pas scolarisés, ils sont là depuis plusieurs mois et n’ont pas été informés de leur droit à l’être. Stupéfaction.

Un gros réchaud, du pain, du beurre, de la confiture, du lait, des thermos de café, du thé. Petit-déjeuner pour tous. On s’aperçoit que nous n’avons pas tous les mêmes habitudes alimentaires, certains ont sorti des assiettes et mangent plus consistant. Peu à peu la vie reprend au campement. Jean-Claude va acheter Ouest-France, pas un mot sur le mouvement. Des jeunes catholiques arrivent avec un ballon et des casquettes et organisent une partie de foot. Des SDF passent, on leur offre un café, une tartine. Des journalistes passent, interrogent, filment. Patrick informe, Yves répond au téléphone. Les passants regardent, peu nous questionnent. Un jeune apporte un pack d’eau, nous demande où est la caisse de soutien. Des enfants dessinent à la craie sur les dalles, racontent une histoire, une tente où dorment trois personnes, Francesca fait son portrait et le signe…

Rencontre avec la préfecture, on attend. A plusieurs reprises, une voiture de police passe, s’arrête, regarde, repart. Des familles vont manger à la Pierre Heuzé, un mongole va au CHU se faire soigner, une réunion du collectif 14 est prévue sur place à 13 heures. Il y a une décision importante à prendre : Que répondre aux dernières propositions de la préfecture ? Où installer notre campement ? Spectacle au théâtre ce soir, le directeur ne cesse de faire pression sur la mairie et la préfecture pour que l’espace soit dégagé.

Bureau du Collectif 14 élargi, nous nous retrouvons à 14 au Café du théâtre. La préfecture propose de débloquer des fonds pour les familles avec enfants avec application de la loi républicaine pour les familles déboutées du droit d’asile, ce qui signifie assignation à résidence et retour à la frontière.
Débat intense, certains sont pour, d’autres contre, toutes les composantes du collectif ne sont pas présentes, certains donnent leur avis par téléphone. Des représentants des familles sont avec nous, eux aussi sont partagés.
La traductrice nous explique la réponse pour des mongoles présents, c’est un peuple nomade, qui règle les problèmes au jour le jour et ne se projette pas dans l’avenir. Si une solution est trouvée pour ce soir, c’est bien, demain, on verra. Pour le collectif, c’est autre chose qui est en jeu : La proposition de la préfecture est scélérate et le rend complice des retours éventuels à la frontière. Après avoir accepté un tel compromis, comment rester crédible auprès des étrangers en demande d’aide ? Le collectif vote contre cette proposition. Yves et Patrick retournent négocier à la préfecture. L’attente reprend. C’est long. Nous devons décamper, mais où ? La colline aux oiseaux ? Pas de visibilité, pas de sanitaires. Une piste sur la fac : Pelouse ? Espace fermé ?

Retour de Patrick et Yves : il n’est plus question d’assignation à résidence, toutes les familles avec enfants peuvent être hébergées dès ce soir avec passage par le 115. Nous devons apporter la liste des familles et ils seront logés dès ce soir, pas seulement pour une nuit, avec, ensuite, étude, au cas par cas, pour trouver une solution pérenne. On fait le tour des familles, on fait la liste, on se retrouve avec deux cas particuliers pour raison médicale, en fin de compte un seul cas particulier puisque l’un des deux cas a des enfants, ils sont grands mais mineurs et rentre donc dans le cas général. L’autre cas doit pouvoir se négocier. Il y a encore un couple sans enfants qui n’entre dans aucune case et pour qui on ne peut rien faire.

A Patrick et Yves de retourner à la préfecture avec la liste, ils ont la liste, ils ne partent pas. Pourquoi ? Terre d’asile a appelé, ils ont des familles à ajouter à la liste, on les attend. Mais que font-ils ? On ne les a pas vus pendant toute la lutte, ils n’ont pas donné l’info aux familles pour la scolarisation des enfants alors qu’ils rencontrent tous les demandeurs d’asile puisqu’ils sont les seuls à être agrémentés. La fatigue aidant, je sens la colère monter en moi. Les couvertures et les tentes s’entassent dans les voitures, les familles rassemblent leurs affaires, le couple, qui n’a pas pu être pris en compte récupère une tente et repart dans son errance.

Yves et Patrick sont partis à la préfecture, nous dégageons les lieux et allons attendre le résultat des dernières négociations dans le parc de la république. Il y a du soleil, les enfants jouent dans le parc, il y a ce fichu manège qui les tente et auquel ils n’auront pas accès. La délégation revient, le cas particulier pour raison médicale est passé, il nous faut maintenant attendre le coup de fil de la préfecture qui donnera les lieux d’hébergement. Geneviève revient avec un paquet, c’est le jour de l’anniversaire d’un des jeunes, nous chantons pour lui.

Les discussions reprennent : On a gagné, mais quoi ? Pour combien de temps ? On s’est forcément fait avoir, comment ? Des gens à la rue, il y en a plein, pas seulement des étrangers, des français aussi, on fait quoi ? Une jeune fille s’approche de nous : « Il y a une femme toute seule avec un enfant, elle n’a pas de logement, elle peut venir avec nous ? ».

C’est trop dur, dans une heure on va se retrouver avec combien de nouvelles familles ? Il est plus de 19 heures, on n’a toujours pas les adresses, je n’attends plus.

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