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Texte paru dans l’hebdomadaire Mediabask du 23 août 2018

Penser le Pays Basque : Emilio Lopez Adan

dimanche 26 août 2018, par OCL Reims

Au moment où des peuples et des groupes humains sont poussés à la résistance par la pression croissante du capitalisme sur leurs vies, il est utile de revenir sur l’expérience de la lutte armée au Pays Basque Nord et Sud, dans une Europe "libérale" de plus en plus militarisée et autoritaire. En refusant la langue de bois pour tenter une synthèse de la lutte pour l’indépendance et en osant pointer les impasses passées, ce texte rapide tiré d’une interview (1) d’Emilio Lopez Adan, indépendantiste et libertaire, permet d’appréhender le débat sur la question des territoires en "lutte" à l’échelle d’un peuple, sur une cinquantaine d’années, en se demandant toujours : "Quel autre futur ?".
1- Texte paru dans l’hebdomadaire Mediabask du 23 août 2018 - rubrique "Penser le pays basque"


La volonté souverainiste basque est-elle à un carrefour en ce début de siècle ? Pour Emilio Lopez Adan, la nouveauté “est que la lutte armée ne soit plus employée comme moyen dans le conflit qui oppose le nationalisme basque aux administrations espagnole et française”. Mais une nation basque, un fait que les Etats français et espagnol nient, est-ce une réalité absolue ? “Le critère le plus important pour constituer une nation est la volonté des habitants d’un territoire de se constituer en nation indépendante. Chez nous, il y a une volonté de se constituer en nation indépendante qui commence à la fin du 19e siècle, qui a existé pendant tout le 20e siècle et est partagée dans l’ensemble du pays par une bonne moitié de la population. Cette volonté est attachée à des racines culturelles, historiques qui existent ici à foison. Il existe une nation basque qui cherche à se constituer : le problème est là.”
Cette volonté de nation souveraine, claire dans les années 60, qui se nourrissait des luttes anti colonialistes, ne s’est-elle pas modifiée aujourd’hui et devenue moins évidente ? “Autour des années 70, avec la mort de Franco, le fait d’avoir collé la lutte pour la libération nationale à la lutte des classes dans un contexte de décolonisation et où les luttes violentes pour la révolution sociale existaient un peu partout dans le monde, a donné une force particulière au phénomène. La volonté de rupture avec le gouvernement franquiste et ses héritiers était tellement puissante que beaucoup de gens pouvaient penser qu’on allait arriver à détruire le système de telle façon qu’au Pays Basque Sud, on pouvait arriver à l’indépendance, obtenue de façon violente par la pression populaire et par l’activité armée –il n’y avait pas que l’ETA–. Elle pouvait avoir une continuité dans la construction d’une nouvelle Europe. On pouvait penser ça avec une rationalité.”

Et le Pays Basque Nord ? “Dans notre jeunesse, une bonne partie du pays était bascophone. Maintenant, on a une minorité bilingue et une majorité qui ne l’est pas. On a quand même créé une conscience du fait national plus forte que celle d’il y a 50 ans, mais le groupe qui a cette conscience est devenu plus minoritaire que les anciens basques qui n’avaient pas cette conscience mais qui étaient culturellement et linguistiquement basques à 100 %.”

La construction nationale
La lutte armée exclue, les autres voies sont politiques. Pour lui se dessinent “la voie nationaliste de la bourgeoisie nationale basque autour du PNV et la voie social-démocrate où se réfugie maintenant ce qui vient d’ETA et de la gauche abertzale qui a abandonné le tiers-mondisme de la révolution. L’objectif serait donc de créer des institutions nationales basques suffisamment ‘indépendantes’ pour obtenir une large autonomie qui serait une façon de montrer à toute la population qu’il est plus intéressant d’être basque qu’espagnol ou français pour le bien-être, et qui pourrait s’étendre après. Mais il lui paraît clair que la social-démocratie n’a jamais été la voie pour faire une révolution et que le réformisme autonomiste n’est pas une voie pour arriver à l’indépendance”.
La Charte d’Itxassou de 1963 avait défini des objectifs comme un département basque. “Il était pensé comme un département particulier avec des pouvoirs adaptés à une entreprise de construction nationale, avec une officialité de la langue et des rapports privilégiés avec le Pays Basque Sud”. Il est sévère par rapport à la Collectivité Pays Basque : “une collectivité de communes qui a le pouvoir des collectivités de communes à l’intérieur du système français. Un pouvoir presque nul sauf pour la gestion locale. Un pouvoir restreint avec lequel on ne peut pas créer une nouvelle situation politique. Par rapport à l’officialité de la langue, c’est terrible que cette collectivité fasse une déclaration pour déclarer officiellement que le basque n’est pas langue officielle ! On croit qu’on est en train de gagner, on recule. On se met dans une situation de colonisé absolu avec une situation officielle de langue de troisième ou quatrième catégorie”.

Un pragmatisme serait possible dans un cadre européen : “des administrations locales trouvent parfois des possibilités de collaboration transfrontalières pour la défense de parlers locaux. Mais il est évident que si on arrive à une construction nationale, elle se fera à partir d’une auto-organisation. Il faut que parmi les abertzale et les basquistes, on arrive à la conclusion qu’on peut et qu’on doit créer des institutions auto-centrées où la langue utile est la langue basque. Il faut abandonner l’idée des administrations bilingues, parce que dans notre situation, ce sont des administrations où ceux qui ne parlent pas le basque ont tous les droits. La situation actuelle n’est pas un vrai bilinguisme. Il faut construire des organes de gestion et de vie centrés sur la construction nationale. Un peu ce qu’on avait rêvé à l’époque de Lizarra-Garazi quand avait été créé la Communauté des Communes Udalbiltza étendue à tout le pays. C’est la plus belle trouvaille qu’a eue le nationalisme basque ces dernières années. Il ne faut pas oublier que dans les années 70, devant une administration qui ne voulait rien faire, ce sont les gens qui s’auto-organisent, mettent en route les moyens de communication en langue basque, les ikastola, etc… La Loi de 1901 autorise les associations et celles-ci construisent, et c’est avec ça qu’on change le paysage. C’étaient des initiatives populaires. Ensuite, le ministre de l’Intérieur est venu pour créer l’Institut Culturel Basque. C’est extraordinaire de voir que c’est monsieur Joxe qui a fait l’ICB ! Il faut se demander si on n’a pas construit des organismes qui servent à contenir l’envie éventuelle des nationalistes dans des enclos qui se construisent autour de ce qui a été construit précédemment. On vous légalise mais vous n’allez pas de l’avant. La question va se poser maintenant si on a assez d’imagination pour franchir le pas et se réjouir que les notables soient en train de diriger les initiatives qui ont été construites par des initiatives populaires”.
Ecrire l’histoire de la révolte

La paix nécessite le dialogue mais la réalité est là pour Emilio Lopez Adan : “la lutte armée a été liée à la révolution sociale et à l’indépendance nationale et, on n’a pas l’indépendance. Et sur le plan social, on est dans une situation de lutte des classes unilatérale aggravée où les riches sont chaque fois plus puissants et plus conscients de l’être et les classes populaires de plus en plus dépourvues”. Le dialogue passe par le récit : “il faut raconter le conflit de la façon la plus honnête possible. Expliquer pourquoi apparaît la lutte armée, quelles en sont les raisons, dans quel contexte historique cela s’est produit, pourquoi il y avait des raisons historiquement justifiées. Si on regarde l’histoire de l’humanité, les luttes armées pour la liberté nationale, la justice sociale, ont été toujours honorées par une partie importante de la population qui se trouvait dans une tyrannie. Cela a-t-il existé ou pas en Pays Basque ? Il faut donc une Histoire, pas seulement des victimes faites par ETA mais avec le rôle joué par l’Etat, ce qu’il a provoqué, ce qu’il n’a pas permis. Il faut exprimer que les gens qui ont pris les armes au Pays Basque l’ont fait pour la liberté et qu’ils se sont intégrés dans la tradition des luttes armées révolutionnaires ou patriotiques que nous avons connues en Europe au siècle dernier. C’est un point important qui est nié par l’actuelle écriture de l’Histoire faite par les gouvernements, même le Gouvernement Autonome et aussi par des Universités. Dire que la lutte armée dans un conflit politique est toujours mauvaise ne correspond à aucune vérité politique ni sociale”.
L’autocritique des actions d’ETA est aussi un chemin de la paix : “il y a eu certaines pratiques, comme les voitures piégées avec de nombreuses victimes collatérales ou des explosifs dans des supermarchés qui faisaient courir des risques énormes, même en prévenant la police. Pour moi, c’est une rupture avec ce qu’était ETA jusqu’en 1980 et qui nous a menés à la ruine. Des occasions de négocier une paix des braves ont été perdues, à Alger ou ailleurs. Il y a une autocritique à faire mais c’est nous qui devons la faire. Pas avec les critères de l’idéologie antiterroriste de maintenant mais au niveau des pratiques de lutte pour la liberté et voir ce que nous avons fait qui irait contre les principes d’une guerre juste. Si on ne le fait pas, on est fautif par rapport à notre peuple”.

On est loin de ça du côté de la mouvance nationaliste espa-gnole : “l’Etat continue, parce qu’il pense avoir gagné la guerre, à mener une politique de vengeance contre les prisonniers basques. Il y a environ 150 personnes qui ne sortiront de prison qu’à partir de 2040. Trente ans après qu’ETA ait déposé les armes ! C’est la politique officielle avec l’accord de la plupart des partis. On pouvait penser qu’en 2018, on aurait trouvé une solution intermédiaire qui ne soit pas une amnistie pour désamorcer le chemin de la vengeance et de la haine”.

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